Cuba et l’anti-impérialisme.
Le 25 Novembre 2016, El Commandante Fidel est mort. A en croire Michel Onfray, il aurait peut-être dû choisir une autre date [1], même si le dit intellectuel rappelle ensuite que la mort n’est que l’aboutissement de la vie, fait naturel. Difficile d’ores et déjà de s’y retrouver.
Fidel Castro, l’ennemi public n°1 réel est mort. Dans son lit, à quatre-vingt dix ans. Ce n’est pourtant pas faute pour le camp impérialiste d’avoir cherché à l’assassiner à maintes reprises : 638 fois même, d’après le très officiel journal Le Monde[2]. D’ailleurs, ce même journal faisait signer hier une nécrologie de Castro rédigé par un journaliste mort il y a quinze ans déjà. A croire qu’ils n’attendaient tous que cela.
Ils ont essayé de le tuer. Qui, « ils » ? Les « yankee », la C.I.A., l’élite impérialiste, le grand Capital. Bref, ceux que Castro et ses alliés, Chavez, Sankara, Allende et les autres non-alignés, n’ont eu de cesse de malmener, en résistant ensemble ou successivement. La C.I.A .est même allée jusqu’à piéger, empoisonner, ses stylos, ses cigares ou ses produits pour la barbe. Fidel était de ceux, assez rares sans doute, qui eurent au moins 638 raisons officielles, et plus encore, de se méfier du « monde libre » et de ses sbires qui sévissent armés partout où les Hommes se lèvent. D’autres leaders, nombreux, n’ont pu résister à toutes ces attaques, comme l’a montré John Perkins, ancien « assassin économique » au service de la C.I.A. [3].
Castro et les Cubains ont du faire face les premiers à de fausses révolutions, qu’on dit « colorées », à de nombreuses tentatives de coups d’Etat et d’assassinats. Les États-Unis n’ont eu de cesse d’imaginer un moyen pour détruire le régime cubain et sa population.
L’arme principale des États-Unis n’était pourtant pas celle que l’on pense. En effet, ce fut avant tout celle de la séduction, dont Michel Clouscard disait qu’elle est « le pouvoir du langage indépendamment du Concept (…) un discours qui peut apparaître en ayant le pouvoir d’anéantir l’être ». C’est ainsi qu’au détour d’une discussion avec un militant de « la gauche de la gauche », plus révolutionnaire en apparence que quiconque, j’ai le souvenir que celui-ci s’alarmait du fait qu’à Cuba, tous les emballages pour un même type de produit (un dentifrice, par exemple) étaient identiques. Selon lui, et d’autres, cela était une preuve de « totalitarisme ordinaire et quotidien » car « nul choix possible ». A cela évidemment, le monde capitaliste préfère une société où « tout est permis… », Mais où malheureusement, là encore « … rien n’est possible ». Mais encore faut-il le déchiffrer.
Alors, je ne vais pas ici faire un éloge grandiose, qui suivrait une chronologie de faits glorieux attribués à Castro. Cela a déjà été fait. Néanmoins, on entend dire encore que « Cuba n’est pas socialiste », comme se plait à le répéter le gauchisme [4].
Si cela est vrai, alors, et quand bien même ? Ce que nous défendons au travers de Fidel et dans l’entretien de ce qui est notre héritage, ce n’est pas Cuba comme paradis socialiste, mais d’abord et avant tout l’anti-impérialisme puissant que Castro et ses alliés ont pu insuffler de par le monde. C’est un monde aux choix multiples. Un monde où l’Un peut côtoyer le multiple. Un monde où les États-Unis seuls ne pouvaient pas totalement et au moins idéologiquement régner en maîtres.
Quant à la réalisation socialiste de Cuba, il y aurait beaucoup à dire. Déjà, il faudrait dire que le socialisme, s’inscrit dans un inter-nationalisme bien compris. Cet internationalisme rendu quasi impossible par l’embargo américain – mis en place dès 1962 par les Américains dans le but de véritablement saigner Cuba. C’est une réalité fondamentale, essentielle et première, bien que la presse et les pseudos-analystes de tous bords jugent ces données très relatives.
Malgré cela, et sans entrer dans les détails, trop longs pour ce genre d’article, quel bilan tirer de la révolution cubaine ?
D’abord, une mortalité infantile quatre fois plus faible que celle des régions aux alentours (il suffit de penser à Haïti…). Une espérance de vie qui avoisine les quatre-vingt ans, contre 58 avant la révolution. Cuba dispose de la plus grande culture extensive et biologique. L’UNESCO elle-même a reconnu le haut niveau d’éducation à Cuba. La médecine cubaine est extrêmement en avance et non-soumise aux laboratoires pharmaceutiques. Le niveau de vie moyen du travailleur cubain est nettement plus élevé que celui des travailleurs d’Amérique Latine. La mise à disposition de biens d’équipement pour tous.
Bref, autant de choses pour un si petit pays, parti de si loin, que bien d’autres peuvent lui envier, à commencer par les U.S.A.
Quant aux accusations des adversaires de Cuba Socialiste, elles indiquent que la pauvreté du pays serait le fruit d’une politique socialiste absurde dans laquelle le régime aurait persévéré. Ah… Il aurait pourtant fallu que Fidel renouât avec le capitalisme, avec l’impérialisme, et tout aurait été plus simple… Fidel, c’est un peu pour eux la forte tête de la classe qui n’a juste pas voulu se plier aux consignes ignobles et pourtant « normales ».
Des justes, et des autres….
Balavoine disait : « (…) Il n’y a que deux races : ou les faux ou les vrais. » Quoiqu’un peu binaire, ce 25 Novembre a été l’occasion de jauger les soutiens réels dans le camp progressiste et ceux qui, l’Histoire trébuchant, continuent de jouer aux révolutionnaires de pacotille voulant toujours se faire « plus royalistes que le roi ». C’est ainsi qu’alors que bon nombre de ceux qui assument encore aujourd’hui les idées de progrès et d’humanisme n’ont pas hésité à rendre un vif hommage à Fidel Castro, d’autres comme Chassaigne (parlant de régime autoritaire) pourtant censé être un amis de Cuba ou Onfray n’ont eu aucun répit pour lui cracher au visage, sans honte aucune.
Nous avons là les personnages conceptuels de la défaite progressiste. Ceux-là mêmes qui en d’autres temps n’ont pas hésité à pousser Allende dans la gueule du loup américain. Sous prétexte finalement, qu’il n’était pas assez pur, qu’il n’en n’avait pas fait assez, pas suffisamment socialiste, pas suffisamment ceci ou cela. Ceux qui se jettent dans l’Enfer, pavés de bonnes intentions. Les moralisateurs de tous bords qui n’ont de maîtrise que les micros que les médias mainstream leur tendent volontiers pour discréditer les causes qu’ils prétendent défendre. Ils sont de ceux qui, en dernier instance, choisirons toujours la prestance figurative d’un Obama, à Castro ou Chavez. Ils sont de ceux pour qui l’analyse concrète et la politique objective n’existent pas. Seuls règnent l’apparence et le jugement moral. Qu’importent les millions de morts causés par le premier des américains tant qu’il se dit démocrate et qu’il revêt une noirceur de peau qui légitimerait le progrès – il vaudra toujours mieux que le vieux cubain dont on nous rebat les oreilles qu’il n’a été qu’un infâme dictateur. Tout aussi « infâme » que l’est par ailleurs la « dialectique »[5] – Jugements qui vont de paire malgré les apparences.
C’est ainsi que Michel Onfray n’a pas hésité hier à prendre son courage à deux mains pour vilipender Mélenchon et le « mythe de Castro »[6].
Rien qu’un fou…
Le philosophe incontesté, qui s’inscrit pourtant « par delà le bien et le mal », appuie son propos par un argument incisif : « Mélenchon a-t-il fumé la moquette ? ». Une « philosophie au marteau » qui ne fait là que briser davantage encore la crédibilité de l’écolo-réactionnaire Onfray. J’invite d’ailleurs les lecteurs à lire l’analyse que j’avais pu produire à ce sujet, disponible dans Faucons rouges (2016 – Thebookedition).
Onfray s’inquiète, comment peut-on défendre Castro, sur des positions écologistes, comme l’a fait Mélenchon, alors que le vieux cubain ne « défendait pas la nature ». Cela pourrait n’être qu’un élément anodin du discours d’Onfray – Or, c’est un point central qui montre l’incapacité du camp progressiste à resituer l’Homme dans une compréhension globale du monde, du fait de l’antihumanisme omniprésent. Castro défendait, comme tout écologiste raisonné, l’Homme dans son environnement et le régime cubain a très tôt mis en place une politique agricole biologique qui s’est faite un nom. La nature n’attend pas de nous que nous la défendions, elle a fait fi des espèces vivantes à bien des reprises. Mais Onfray et « sa gauche » eux, ne veulent pas sauver les hommes, ils préfèrent brandir les slogans de l’idéologie dominante pour n’être que les idiots utiles des modes de production et politique qu’ils prétendent combattre. Si Nietzsche avoua qu’il « n’était rien qu’un fou, rien qu’un poète », on retiendra des nietzschéens qu’ils ne sont que des fous.
Puis, Onfray n’hésite pas à formuler ses « théories du complot », puisqu’elles sont autorisées lorsqu’il s’agit de Castro, bien sûr. Ainsi, il signale que l’annonce de la mort de Fidel Castro le 25 novembre semble corrélée avec le 25 Novembre 1956, début de la guérilla menée par Fidel et ses acolytes. Il y aurait donc orchestration.
Si le leader cubain était mort le 9 Octobre, Michel Onfray aurait sûrement mis en garde contre une orchestration symbolique de la mort de Castro visant à définir une date de mort identique à celle d’Ernesto Guevara. Le 8 janvier aurait fait résonance avec la prise de la Havane en 1959 etc. bref, autant de dates qu’il est possible d’articuler de manière arbitraire pour essayer de faire dire tout et n’importe quoi lorsqu’on n’a tout simplement rien à dire comme le pseudo-philosophe mondain. Il y a pléthore de dates marquantes dans la vie d’un tel homme, après quatre-vingt dix ans. Il n’est pas nouveau que le philosophe fétiche des médias dispose d’une capacité inouïe à produire du vide sur des milliers de pages et de bandes sonores sous vidéos. Voici une nouvelle preuve.
Fidel est mort. Un monde se finit. Un autre, commence.
Hasta la victoria siempre, Socialismo o Morie, Venceremos !
Cet épisode en dit bien plus long que l’anecdote qui le recouvre. S’il faut retenir quelque chose, outre ces trahisons ordinaires, c’est qu’avec la mort de Fidel, une page de l’Histoire se tourne. Aussi, nous faut-il écrire les pages de demain, dans un monde où les forces progressistes sont plus que jamais mises à mal et où l’OTAN règne en maître tant politiquement que culturellement.
Mais, sous cette hégémonie, derrière cet arbre qui ne peut plus que tomber et qui résonne, la forêt pousse, l’élan révolutionnaire germe, en silence mais de manière intense, tel un brasier ardent qui ne peut qu’émerger dans une période où le réel cesse d’être rationnel et donc fonctionnel.
Aussi, continuons à avancer et ce malgré les leurres pseudos-progressistes, et si :
« Les impérialistes voient des extrémistes partout, ce n’est pas que nous soyons des extrémistes. C’est que le monde se réveille. Il se réveille partout. Et les gens se lèvent. »
Loïc Chaigneau pour www.intiative-communiste.
Loïc Chaigneau vient de publier Faucon Rouge
[1] http://www.lepoint.fr/monde/onfray-mort-de-fidel-castro-melenchon-a-t-il-fume-la-moquette-27-11-2016-2086030_24.php
[2] http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/11/26/ces-638-fois-ou-la-cia-a-voulu-se-debarrasser-fidel-castro_5038675_3222.html
[3] http://www.dailymotion.com/video/xdatl2_les-assassins-economiques_news
[4] Libertaires, trotskistes, maoïstes.
[5] « l’infâme dialectique » est une expression de Deleuze, l’un des maitres à penser de ces générations plus révoltée que révolutionnaire.
[6] http://www.lepoint.fr/monde/onfray-mort-de-fidel-castro-melenchon-a-t-il-fume-la-moquette-27-11-2016-2086030_24.php