L’auteur de ces lignes tient à spécifier qu’il s’agit de son avis particulier sur une saga cinématographique de science-fiction : La planète des singes. Nous ne parlerons pas de l’excellent premier film de 1968, ni de ses suites, et encore moins de l’erreur de Tim Burton, mais de la dernière saga racontant l’origine du monde gouverné par les singes. Cette dernière ne bénéficie certes pas de l’aura du film de 1968, prouesse scénaristique et d’effets spéciaux pour l’époque oblige, mais cela ne la rend pas moins intéressante.
Le premier film, La planète des singes : les origines, l’épisode le plus faible de la dernière saga, est certes sympathiques mais va à cent à l’heure sur certaines évolutions de l’histoire, à l’instar du passage de César d’animal domestique en chef d’une armée libérée ou encore l’apparition du virus destiné à détruire l’espèce humaine, arrivant à la toute fin comme un deus ex machina[1]. Le film force sur ces traits car il doit raconter en deux heures le début de la chute de l’humanité et celle de l’ascension des singes, afin de ne pas perdre de temps dans les suites. Ainsi, les personnages sont pour beaucoup survolés et la relation singe-humain est très manichéenne. En plus de cela, inévitablement nous avons les incohérences du scénario : par exemple, dans une scène l’armée insurgée de César libère des singes du zoo alors qu’ils n’ont pas subi la même mutation que les primo-comparses de César, mutation qui fait évoluer leurs capacités intellectuelles.
Heureusement, les défauts du premier film commenceront à disparaître avec le second, créant une saga plus passionnante. La planète des singes : l’affrontement débute avec l’extinction quasi-complète de l’humanité et de la civilisation (comprendre : plus d’État central) par un virus créé en laboratoire. À l’opposé de l’Humanité, les singes se sont regroupés dans un territoire et y vivent en communauté, primitivement tournés vers l’obéissance à un chef charismatique (César), commençant à développer leur propre langage (la langue des signes, peu de singes ayant acquis la capacité permanente de parler), leur école, leurs armes, leurs montures et leurs lois. La loi la plus emblématique du film et amenant à la conclusion étant : « un singe ne doit pas tuer un autre singe ».
Le quotidien des singes sera perturbé par l’intrusion d’un groupe de survivants humains sur leur territoire. Ceux-ci vivent en un groupe réduit qui a réussi à survivre à l’holocauste en s’entraidant. Craintifs face à l’autre espèce, ils ne sont pas belliqueux, mais ont des armes plus performantes et peuvent toujours s’en servir. La position à adopter vis-à-vis d’eux est la trame du film : d’un côté, ceux qui veulent la paix et la coopération, tout en restant séparés et autonomes l’un de l’autre, à l’opposé ceux qui veulent l’écrasement des êtres humains, car même affaiblis leur armement les rend trop dangereux, les singes devant assumer la domination.
Si le premier courant est représenté par César dans le film, le second est représenté par Koba[2]. Celui-ci est d’abord un personnage positif au sein du groupe : serviable, donnant de bons conseils, solidaire avec ses compagnons et respectueux envers l’autorité de César. C’est face à l’attitude trop conciliante de César par rapport aux humains que celui-ci s’oppose progressivement à lui, dégénérant en bagarres sans plus d’autres arguments, César assurant sa supériorité simplement par sa force physique. Il finira par organiser un coup d’État contre le chef charismatique, faisant passer cela pour une tentative de meurtre des humains, déclenchera la guerre avec ceux-ci en volant leur arsenal et commettra le péché originel en assassinant l’un des singes refusant d’obéir à ses ordres.
À la fin du film, César reprendra le pouvoir, mais voyant que la communauté est à jamais profondément divisée à cause de la violation de ses lois, César enfreindra lui-même la règle, pour à la fois appliquer la sanction de la première loi et pour restaurer son autorité en tuant Koba (« tu n’es pas un singe » est la phrase que César dit avant de l’exécuter).
Le dernier opus de la saga, La planète des singes : suprématie, se déroule deux ans après les évènements du second film, à un moment où la guerre avec les derniers humains restants fait rage. Les singes s’étant joints à Koba ont fui par peur des représailles et se trouvent dans le rang des humains en tant que serviteurs.
César est fatigué par cette guerre et recherche la paix, mais en même temps rongé par le remords d’avoir tué son ancien compagnon de route. Nous voyons la progression de son personnage de chef charismatique pacifique, en un chef militaire n’hésitant pas à appliquer des sanctions pour la survie de sa communauté, un temps aussi rongé par l’envie de vengeance à la mort de sa femme et de son fils, il tuera d’ailleurs un singe félon. Ce meurtre a une portée différente de celui du second film, car il ne s’agit plus de la répression d’un acte nuisible à la cité mais d’une vengeance personnelle.
Jamais dans aucun des autres films de la saga on ne comprend autant le crépuscule de l’humanité. Le virus ayant décimé les humains et présent encore chez les vivants ne les tuent plus mais les fait régresser en les privant de l’usage de la parole. L’antagoniste principal, un chef militaire présentant des signes de folie, tente de préserver jusqu’au bout son idée de l’Humanité en exécutant ceux présentant les symptômes, même son propre fils. Un dernier acte désespéré car il a compris que malgré le dernier raffinement de leur technologie, les humains sont inférieurs aux singes car ces derniers ont développé leurs capacités cognitives et sont amenés à les développer davantage, tandis que l’humanité est sur la pente descendante. Son personnage est jusqu’auboutiste, la seule justification de ses agissements est que le fait de ne rien faire serait d’accepter la chute de l’Humanité. Sa fin est tragique : lui-même connaîtra les symptômes et se suicidera, César refusant d’exercer sa vengeance sur lui.
À la fin du film, les singes se rendront dans un nouveau territoire et à nouveau unis malgré les pertes. César, qui aura tout fait en trois films pour sauver son peuple, y compris violer ses propres lois et ses idéaux de paix, meurt, laissant son dernier fils et ses compagnons d’arme prendre sa suite.
À noter, pour la mise en scène, certaines bonnes choses comme la scène de la révolte de la prison, faisant référence à la scène de révolte du premier film, tout en étant détourné, la rébellion étant matée. Toutefois, le film est gâché par du « fan service », c’est-à-dire des clins d’œil abusifs à la fois aux amateurs de la saga (la petite-fille muette s’appelant Nova, comme la compagne de Charlton Heston dans le premier film) mais aussi d’Andy Serkis, l’interprète de César (référence à King Kong et à Gollum, deux de ses rôles au cinéma).
En conclusion, bien que produit par Hollywood et le capitalisme, se voulant comme un « blockbuster », la dernière saga simiesque fait honneur à ses prédécesseurs en créant des opus intelligents, avec un univers palpitant, suivant le chef révolutionnaire d’une communauté primitive soudant son groupe pour le faire survivre et grandir, faisant face à ses désillusions et à l’exercice douloureux du pouvoir par rapport à ses idées.
Cela m’amène à quelques digressions sur le cinéma. J’ai toujours été étonné de la capacité du cinéma américain à pouvoir faire passer de manière simple leur message, même déformé. C’est sans doute encore une chose qui nous manque au sein du mouvement communiste, même si nous ne sommes pas avares de grand cinéaste. Souvent, les films manquent d’un certain rythme, voire font dans de l’avant-gardisme (quoi qu’on pense des avancées de ce mouvement) coupé des masses. En cela, ces derniers désobéissent au conseil de Lénine de reprendre de manière critique l’art bourgeois. La demande peut même être mal comprise et se tourner en sectarisme envers certains genres cinématographiques, comme l’a fait naguère le PCF. Une chose avec laquelle nous devons encore nous débattre aujourd’hui, mais qui peut être changée en prenant conscience de cette donnée, le cinéma étant encore, à bien des égards, un art jeune.
Ambroise, militant JRCF. 31 mai 2020
[1] On notera à la fin du film la référence évidente au film L’armée des 12 singes de Terry Gilliam.
[2] Le nom du personnage n’est certainement pas dû au hasard et renvoie évidemment à une vision caricaturée de Staline.
http://jrcf.over-blog.org/2020/05/au-sujet-de-la-derniere-trilogie-la-planete-des-singes.html
Merci pour souligner ce détail qui a du échapper à plus d’un au moment du visionnage ( moi inclus ): la relation entre le nom d’un des « méchants » du film et le surnom de Staline. C’est très amusant.
Article très intéressant (malgré des fautes) mais qui aurait pu faire référence à l’origine du premier film, en l’occurrence le roman de l’écrivain français Pierre Boulle (auteur également du Pont de la Rivière Kwaï) qui posait d’importantes questions.
Sur la « capacité » des réalisateurs américains: ce n’est pas une nouveauté, mais 1) la plupart des scénaristes et réalisateurs venaient souvent d’Europe, à commencer par Fritz Lang, William Dieterle et beaucoup d’autres 2) étaient capables de « subvertir » le genre western comme le film noir 3) donnaient une tonalité très progressiste à une bonne partie du cinéma hollywoodien. Lorsque j’étais beaucoup plus jeune et militant de l’UEC je me faisais traiter de réac parce que je prétendais qu’Yves Boisset ou Richard Brooks, ou Francesco Rosi amenaient plus de jeunes à réfléchir que nombre de réalisateurs qu’adoraient la Nouvelle Critique et nombre d’intellectuels du Parti. Mais ils avaient le « tort » de vouloir faire passer des idées à travers un cinéma que certains taxaient de « divertissement ».
Bien chaleureusement,
Roger Martin, militant du Parti communiste français.