« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. »
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes »
Karl Marx
Le 21 août 1940, Trotsky meurt à Mexico du coup de piolet de Ramon Mercader. Trotsky le social-démocrate menchevique opposant aux bolcheviques de Lénine du début des années 1900 c’est aussi Trotsky le militant révolutionnaire qui vote pour le renversement de Kerensky et participe à l’organisation de la révolution soviétique. Trotsky, organisateur de l’Armée rouge, défendant la toute jeune URSS formée par la révolution bolchévique conduite par Lénine, est aussi l’opposant à la paix de Brest- Litovsk. Trotsky est dirigeant de l’URSS lorsqu’il alimente le fractionnisme dressant la jeunesse contre la génération des révolutionnaires bolcheviques en prétendant alimenter un « cours nouveau », avant de devenir un opposant violent avec le bloc des droites n’ayant plus que pour seul ennemi l’URSS… Une trajectoire qu’il faut appréhender dans toute sa complexité, cette réalité parfois pleine de contradictions. Celle d’une histoire révolutionnaire qui ne s’écrit pas en noir et blanc mais qu’il faut comprendre dans toute sa dialectique et donc aussi sa temporalité.
Avec deux textes, proposés par Michel Aymerich et un jeune camarade des JRCF, IC vous propose de revenir sur cette question qui appartient à l’Histoire. Une histoire qui gagne à être connue dans toute son étendue, en intégrant les travaux les plus récents, et qui est bien loin de la propagande antisoviétique et anticommuniste qui fait florès, y compris dans certains milieux se réclamant de la gauche ou du communisme. Installant hier, entretenant aujourd’hui la division au sein des travailleurs instillée par la classe capitaliste et ses forces contre-révolutionnaires. Pendant ce temps, la lutte des classes s’exacerbe. Et les travailleurs ont besoin, pour passer à la contre offensive, de s’organiser et pour gagner, d’une renaissance communiste.
Cela fait, maintenant, 80 longues années que Trotsky a été assassiné : bilan et perspectives
par Michel Aymerich
À Sviajsk, Trotsky parvint à donner une colonne vertébrale d’acier à l’Armée qui venait de naître. Il s’ancra au sol et refusa de céder le moindre pouce de terrain quoi qu’il advînt. Il fut capable de montrer à cette poignée de défenseurs un sang-froid plus glacé que le leur. […] Avec Trotsky on tomberait au combat après avoir brûlé sa dernière cartouche, on mourrait avec enthousiasme, oubliant ses blessures. Trotsky incarnait le pathos sacré du combat, les mots et les gestes évocateurs des plus belles pages de la Révolution française.
Larissa Reissner, Sviajsk
le 25 août – Par Michel AYMERICH
Première partie
La commémoration de l’assassinat de Léon Trotsky (né Lev Davidovitch Bronstein) sert trop souvent de prétexte pour saper la cause révolutionnaire à laquelle il avait consacré sa vie.
Rappelons-le, cette cause est celle de la révolution socialiste mondiale qui a débuté en Russie en octobre 1917 en réaction à la boucherie de la première guerre mondiale ( première guerre interimpérialiste) de 1914-18.
La réaction anticommuniste exploite son assassinat afin d’alimenter la réécriture antisoviétique de l’histoire et nuire à la mémoire de la contribution soviétique, essentielle à la victoire sur le nazisme.
Il est temps pour les communistes de se réapproprier dialectiquement la mémoire révolutionnaire. Dialectiquement, c’est-à-dire en assumant les contradictions -parfois sanglantes- du processus de la révolution socialiste mondiale qui est à l’opposé d’un long fleuve tranquille déroulant majestueusement son lit en laissant derrière lui la totalité des scories du passé.
Il s’agit maintenant, sur la base du marxisme révolutionnaire, d’opérer une synthèse dialectique (dépassant «stalinisme» comme «trotskysme») qui permette d’assumer les héros -devenus parfois «antagonistes»- qui assurèrent successivement la victoire contre les envahisseurs de la Russie soviétique de 1917/18 à 1922, puis de l’Union soviétique (créée en décembre 1922) de juin 1941 à mai 1945.
Ravivons la mémoire des faits essentiels.
La révolution socialiste d’octobre 1917 en Russie fut considérée à juste titre par les bolchéviks, Lénine et Trotsky, comme Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Staline, Radek et tant d’autres comme étant le premier acte de la révolution mondiale. Elle devait impulser – et elle l’a fait- la révolution socialiste en Allemagne, pays alors le plus industrialisé avec une classe ouvrière puissante et dont la situation géographique faciliterait l’éclatement de la révolution socialiste dans toute l’Europe et bien au-delà.
La révolution éclate effectivement en Allemagne. Le Kaiser Guillaume II abdique le 9 novembre 1918. Ce même 9 novembre 1918 à 16 heures, Karl Liebknecht, marxiste révolutionnaire et dirigeant de la Ligue spartakiste, proclame la «République socialiste libre d’Allemagne». Deux heures plus tôt, le social-démocrate Philipp Scheidemann a proclamé la République allemande, laquelle entrera dans l’histoire comme la République de Weimar. Adolphe Hitler, qui sera nommé le 30 janvier 1933 chancelier (poste équivalent à premier ministre) par le maréchal Paul von Hindenburg, président de la République, y mettra fin en érigeant la dictature fasciste (qui consacre le passage de la forme parlementaire de la dictature bourgeoise à la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires de la bourgeoisie)…
Le 1er janvier 1919, la Ligue spartakiste fonde le KPD (Parti communiste d’Allemagne).
Gustav Noske, un des principaux dirigeants du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne) s’appuie sur les corps francs [1], lesquels assassinent le 15 janvier 1919 les communistes spartakistes Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg [2].
Noske déclare alors : « Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités ».
Le peuple méconnaît fondamentalement –désinformation de masse oblige!– la responsabilité spécifique de la social-démocratie et apparentée dans la contre-révolution mondiale, depuis la révolution russe jusqu’à nos jours, en Allemagne de 1918 à 1933 (et de nouveau après 1945!), en Russie pendant la guerre civile et un long etc.
Des révolutions socialistes donnant naissance à des républiques des conseils (républiques soviétiques) éclatent en Europe: République des conseils d’Alsace-Lorraine (10 novembre 1918 – 22 novembre 1918) ; République des conseils de Hongrie (21 mars – 6 août 1919) ; République des conseils de Bavière (7 avril – 3 mai 1919); République slovaque des conseils (16 juin – 7 juillet 1919).
1) Carte de l’Alsace-Lorraine 2) En rouge, République des conseils de Hongrie et République slovaque des conseils en rose 3) République des conseils de Bavière
Toutes sont écrasées par la contre-révolution bourgeoise en Europe (avec l’aide majeure de la social-démocratie!), excepté en Russie soviétique et dans les républiques qui, ensemble, fonderont l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).
Un peu plus tard hors d’Europe, illustrant bien le caractère mondial de la révolution socialiste qui avait débuté en Russie, une République soviétique chinoise (7 novembre 1931 – 22 septembre 1937) est fondée. Celle-ci, est également en proie à la contre-révolution dirigée par Tchang Kaï-chek. Les communistes chinois entreprendront, alors, la célèbre Longue marche afin d’échapper à l’anéantissement et de pouvoir contre-attaquer jusqu’à la victoire.
En octobre 1949, la Révolution socialiste victorieuse donnera naissance à la République populaire de Chine, événement dont la portée positive pour l’humanité (évidemment pas pour le capitalisme-impérialisme et ses valets complaisants) ne cesse d’imprimer sa marque sur l’évolution du monde au XXIème siècle …
Photo : création le 7 novembre 1931 du soviet chinois par Mao Zedong, Zhu De, etc. ; drapeau de la République soviétique chinoise ; emblème de la République soviétique chinoise ; billet d’un yuan, avec l’image de Lénine au centre.
Trotsky, après avoir grandement contribué à la révolution d’octobre, selon les propres mots de Staline [3], joue un rôle positif indéniable également pendant la guerre civile russe (1917-1922) doublée de l’invasion du territoire par des troupes issues de 14 pays capitalistes (Royaume uni, USA, France, Japon, Allemagne, Pologne, Italie, Grèce, Yougoslavie, Roumanie, Tchécoslovaquie, Turquie, Canada, Chine) objectivement liguées, bien qu’heureusement désunies, contre la révolution socialiste russe, contre les communistes et contre la jeune République soviétique de Russie.
L’intervention de ces 14 pays sera à de nombreux égards la répétition générale qui précèdera la seconde invasion anticommuniste du 22 juin 1941 [4] par « 152 divisions » de l’Allemagne fasciste « appuyées par 14 divisions finlandaises au nord et 14 divisions roumaines au sud. Par la suite, les envahisseurs et leurs armées de 3,5 millions d’hommes recevront le renfort des armées venues de Hongrie et d’Italie, de la « division azul » espagnole, de contingents croates et slovaques, et d’unités de volontaires recrutés dans chacun des pays occupés. [5] »
Trotsky, chef de l’Armée rouge dont il fut le principal fondateur…
Larissa Reissner, première femme commissaire politique dans l’Armée rouge, écrivit en 1922 un témoignage sur l’importante bataille de Sviajsk.
Elle décrit ainsi le rôle de Trotsky :
« Sans l’extraordinaire courage de Trotsky, du commandant de l’armée et des membres du Conseil révolutionnaire de la Guerre, la réputation des communistes travaillant dans l’armée aurait été ruinée pour longtemps.
Quand une armée subit toutes les privations possibles pendant six semaines, quand elle se bat pratiquement à mains nues, sans même des bandages, aucun beau discours ne peut faire croire que la lâcheté n’est pas de la lâcheté et que la culpabilité peut avoir des «circonstances atténuantes».
On dit que parmi ceux qui furent fusillés il y avait beaucoup de bons communistes, certains même dont la faute était rachetée par les services qu’ils avaient déjà rendus à la révolution, par des années de prison et d’exil. C’est parfaitement vrai. Personne ne prétend qu’ils périrent au nom des préceptes du vieux code militaire qui dit qu’il faut «faire un exemple» quand au milieu des roulements de tambour on fait «œil pour œil, dent pour dent». Bien sûr que Sviajsk était une tragédie.
Mais tous ceux qui ont vécu la vie de l’Armée rouge, qui sont nés et sont devenus forts avec elle dans les batailles de Kazan, témoigneront que l’esprit d’airain de cette armée n’aurait jamais pu se forger, que la fusion entre le parti et la masse des soldats, entre la base et le sommet du commandement, rien de tout cela n’aurait pu se faire si, à la veille de l’assaut sur Kazan où des centaines de soldats allaient perdre la vie, le parti n’avait pas montré clairement aux yeux de tous qu’il était prêt à offrir à la Révolution ce grand sacrifice sanglant ; et que pour le parti aussi les lois sévères de la discipline entre camarades s’appliquent, que le parti a le courage d’appliquer sans faiblir les lois de la République soviétique à ses propres militants aussi.
Il y eut 27 fusillés, et cela combla la brèche que les blancs avaient réussi à ouvrir dans la cohésion et la confiance en elle-même de la Cinquième Armée. Cette salve, qui punissait des communistes, des commandants et de simples soldats pour leur lâcheté et leur comportement déshonorant sur le champ de bataille, força la partie la moins consciente de la masse des soldats, les plus enclins à déserter (car il y en avait bien sûr), à se ressaisir et à se ranger avec ceux qui allaient consciemment et sans la moindre contrainte au combat.
C’est à ce moment précis que se décida le sort de Kazan, et non seulement cela mais le sort de toute l’intervention blanche. L’Armée rouge reprit confiance, elle se régénéra et se renforça pendant les longues semaines de défense et d’attaque.
C’est dans une situation de danger constant et de grandes épreuves morales qu’elle élabora ses lois, sa discipline, ses nouveaux statuts héroïques. Pour la première fois s’évanouit la panique face à la technique plus moderne de l’ennemi. On apprit comment avancer sous les tirs d’artillerie ; et, sans qu’on le recherche, par simple instinct de conservation, on inventa de nouvelles méthodes militaires, ces méthodes de combat spécifiques, les méthodes de la Guerre civile, que l’on étudie déjà dans les écoles supérieures de guerre. C’est très important qu’il y ait eu un homme justement comme Trotsky à Sviajsk à ce moment-là.
Le rôle de Trotsky
Quel que soit son titre ou son nom, il est clair que l’organisateur de l’Armée rouge, le futur Président du Conseil militaire révolutionnaire de la République, se devait d’avoir été à Sviajsk et d’avoir vécu toute l’expérience pratique de ces semaines de combat ; il dut mobiliser toutes les ressources de sa volonté et de son génie organisationnel pour défendre Sviajsk, pour défendre l’organisme de l’armée écrasé sous le feu des blancs [6].»
NOTES
[1] On peut ici quelque peu accepter la description suivante: «groupe de combattants civils ou militaires rattachés ou non à une armée régulière et dont la tactique de combat est celle du harcèlement ou du coup de main. », (Wikipédia). Également :
https://www.marxists.org/francais/broue/works/1971/00/broue_all_12.htm
[2]« L’assassinat de Liebknecht et de Rosa Luxemburg n’est pas le seul coup qu’il ait reçu. Franz Mehring ne survit que quelques semaines au double assassinat ; sa santé altérée n’a pas résisté au choc. Au même moment, Johann Knief, tuberculeux depuis les années de guerre, s’alite : il mourra en avril, après une longue agonie clandestine. Radek, traqué par toutes les polices, est arrêté le. 12 février, peut craindre pendant plusieurs jours pour sa vie, mais obtient finalement la protection d’une cellule de prison et le prestige de l’homme par qui l’on peut ouvrir une discussion avec les Russes. Leo Jogiches qui, une fois de plus, tente de rassembler des débris de l’organisation, échappe pendant plus de deux mois à la police qui le traque. En mars pourtant, il est arrêté et abattu, sous prétexte, lui aussi, de « tentative’ de fuite ». Eugen Léviné, rescapé du massacre des défenseurs de l’immeuble du Vorwärts en janvier, organisateur et tribun, partout sur la brèche, est dépêché en Bavière par la centrale et, après l’écrasement de la république des conseils de Munich, pris, jugé condamné à mort et fusillé. »
https://www.marxists.org/francais/broue/works/1971/00/broue_all_13.htm
[3] Staline : « Tout le travail de l’organisation pratique de l’insurrection a été mené sous la direction effective du président du soviet de Petrograd, le camarade Trotsky. Nous pouvons dire avec certitude que le basculement de la garnison aux côtés des soviets et la lourde tâche du comité militaire révolutionnaire, le parti les doit principalement et avant tout au camarade Trotsky » (La Pravda, n° 241, 6 novembre 1918).
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/04/trotsky-dewey.htm
Également : https://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/1918/11/06.htm
[5] Geoffrey Roberts, Les guerres de Staline. De la guerre mondiale à la guerre froide, 1939-1953, éditions Delga, 2015, Paris p.121.
[6] https://www.icl-fi.org/francais/spf/41/reissner.html
Trotsky et l’opportunisme
Par Victor C. pour le blog des Jeunes pour la Renaissance Communiste en France
Il est commun aujourd’hui d’entendre parler de Léon Trotsky en des termes élogieux, peint en prophète par ses partisans, et même considéré par les plus anti-communistes comme un « vrai révolutionnaire ». La vérité est tout autre, Trotsky a menti sur beaucoup trop de sujets qui touchent de près ou de loin l’URSS et le pouvoir soviétique, donc à fortiori, Staline. Grâce aux archives Trotsky de Harvard (AT), et la correspondance Trotsky-Sedov de Hoover Institution, nous pouvons désormais mettre en exergue les nombreux mensonges et amalgames de Trotsky, en voici une liste non-exhaustive :
- L’histoire des « plats épicés » (nomination de Staline au poste de secrétaire général)
- Le bloc d’oppositions dans les années 30
- Les procès de Moscou
Les propos débattus ici se basent sur le livre éclairant de Grover Furr, Les amalgames de Trotsky, disponible aux éditions Delga. Furr s’appuie sur l’historien trotskyste de renommée mondiale, Pierre Broué, qui a étudié les AT de Harvard, mais aussi sur les travaux de l’historien américain J.Arch Getty. Ce dernier a trouvé que les archives avaient été expurgées, mais en même temps, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’un révolutionnaire expérimenté comme Trotsky, ne laisse des traces de sa conspiration. Il l’a avoué à la commission Dewey à la fin des années 30 (commission censée prouver l’innocence de Trotsky) :
En outre il est absolument incontestable que je n’aurais pas conservé dans mes archives des registres de mes crimes si j’en avais commis.
Il s’est avéré qu’il y avait bel et bien des éléments compromettants dans ses archives, ce qui explique leur purge. Il se peut que Trotsky ait commencé le processus d’effacement des documents compromettants, mais il est bien possible que ce soit son secrétaire, Van Heijenoort qui l’ait fait, étant donné que c’est lui qui s’occupait des archives et les connaissait par cœur.
Le livre de Grover Furr ne peut être que trop recommandé pour avoir un examen détaillé, et largement plus approfondi.
Les « plats épicés »
Trotsky affirmait que Lénine était opposé à la nomination de Staline au poste de secrétaire général, histoire qu’il a baptisé les « plats épicés ». Il a utilisé ce récit en 1927 dans la Pravda :
Certes, Staline, en sa qualité de secrétaire général, instillait la peur chez Lénine dès le début « Ce cuisinier ne préparera que des plats épicés » (en russe : piquants) a dit Lénine à un petit cercle au moment du Congrès du Parti.
Lénine aurait fait cette remarque au Xème Congrès du Parti qui eut lieu du 8 au 16 mars 1921, Staline a été nommé à son poste un an plus tard, le 3 avril 1922. Étrangement, Trotsky ne cite personne d’autre qui aurait entendu cette remarque de Lénine, cela aiderait à corroborer ses dires, mais il ne l’a pas fait. L’histoire des plats épicés, Trotsky la relate au moins une quinzaine de fois. Nous savons que cette histoire est fausse. Tout d’abord Trotsky, dans la citation ci-dessus, ne relie pas la nomination de Staline à la remarque de Lénine, chose qu’il a faite ensuite. Nous pouvons également vérifier que c’est bien Lénine qui a proposé Staline au poste de secrétaire général :
Dans le dictionnaire encyclopédique publié au cours de la première période post-stalinienne de « direction collective », il est indiqué dans la biographie de Staline, d’une manière directe et sans équivoque ce qui suit « Après le XIème congrès du Parti, le 3 avril 1922, le Plénum du Comité Central du parti, sur proposition de Lénine, a élu Staline comme secrétaire du Parti.
–Abdurakham Avtorkhanov écrivain farouchement anti-Staline
Molotov confirme cela en disant :
C’était au Xème congres du Parti. Et au XIème est apparue ladite « liste des dix » – les noms des membres proposés au comité central, les partisans de Lénine. Et à côté du nom de Staline, de la main de Lénine était écrit « secrétaire général »[…]Staline devint secrétaire général. Cela avait coûté à Lénine beaucoup de travail.
L’historien Robert Service, dans son livre sur Staline, cite Molotov et ne remet pas en question ses affirmations :
Il (Lénine) était désireux d’avoir Staline de nouveau à ses côtés. Après l’avoir recruté pour la cause léniniste dans le différend syndical, Lénine a appuyé une proposition pour le faire secrétaire général du Parti communiste russe […] Il voulait un de ses alliés à un poste crucial pour la défense de ses idées politiques.
Trotsky a répété cette histoire beaucoup de fois, il l’a baptisé « la célèbre remarque » de Lénine. Grover Furr en fait la juste analyse : C’est une technique de propagande : pérorer que la phrase est « si célèbre » que « tout le monde la connaît » et aucune preuve n’est nécessaire.
Trotsky n’a donc jamais supporté le fait que ce n’est pas lui que Lénine a choisi, mais bien Staline. Il était donc important pour Trotsky de paraître légitime auprès de ses partisans pour se lancer dans une reconquête du pouvoir, et comme nous allons le voir, en utilisant n’importe quel moyen.
Le bloc d’oppositions
En 1939, 1940 et 1953, les archives de Trotsky ont été vendues à l’Université de Harvard, aux États-Unis. Celles-ci ont été ouvertes aux chercheurs, quarante ans après la mort de Trotsky. Pierre Broué, historien trotskyste reconnu mondialement, a été l’un des premiers à pouvoir accéder aux archives. Broué a fait de grandes découvertes, notamment l’existence du bloc trotskyste-zinovieviste des années trente. Il dit :
C’est en effectuant à la bibliothèque du Collège d’Harvard les recherches documentaires prévues pour l’édition des volumes des œuvres des années 1936 et 1937 que les chercheurs et collaborateurs de l’Institut Léon Trotsky ont fait une découverte d’importance : l’existence, en Union soviétique, en 1932 d’un bloc des oppositions contre Staline.
Pour preuve, une lettre issue des archives, écrite par Sedov, le fils de Trotsky, à son père en 1932 :
« [Le bloc] est organisé. Y sont entrés, les zinovievistes, le groupe Sten-Lominadzé et les trotskystes (anciens « capitulards ») »
Broué continue :
Elle (l’équipe de Broué) a découvert aussi d’autres allusions au « bloc », toute une discussion sur les conditions nouvelles créées par son apparition, dans la correspondance entre Trotsky et son fils.
Trotsky a toujours nié l’existence du bloc. Il l’a notamment nié lors de la commission Dewey. Goldman, l’avocat de Trotsky avait soulevé la question de l’existence du bloc :
Avez-vous jamais discuté la possibilité d’organiser un centre uni entre vos partisans et ceux de Zinoviev et de Kamenev en Union soviétique, après la rupture de votre bloc avec Zinoviev et Kamenev ?
Trotsky : Jamais. Mes articles montrent que c’est absolument impossible.
Un examen des dénégations de Trotsky est largement traité dans le livre de Grover Furr.
Les procès de Moscou
Dans une « étude » historique classique, on disposera des théories suivantes :
- Les procès de Moscou sont truqués, les accusés ont avoué sous la torture, des crimes qu’ils n’ont pas commis.
- Par conséquent les accusés sont tous innocents.
- Tous ont été victimes d’une machination du NKVD, du parquet, et de Staline.
En réalité, aucune preuve n’est disponible concernant les allégations de tortures par le NKVD en vu de fomenter un témoignage de toute pièce. Mais c’est avec ce prétexte, que les historiens occidentaux n’étudient pas les colossales dépositions des procès, ce qui est une grande erreur. Pour faire preuve d’objectivité, il faut savoir mettre à l’épreuve ses idées préconçues, et donc vérifier les témoignages des procès. Ceux-ci peuvent être validés par des sources indépendantes.
Radek, trotskyste accusé au deuxième procès de Moscou de 1937, dit bien la vérité dans sa déposition. Il parle dans cette dernière d’une lettre reçue de Trotsky en février-mars 1932, fait que Getty a pu vérifier car il a trouvé un accusé de réception dans les archives Trotsky à cette même date, en direction de Radek. Il n’y a aucune raison de penser qu’il a menti ou qu’il ait été forcé à dire des choses dans le reste de son témoignage.
Radek :
À la fin de la lettre, Trotsky avait décrit à peu près ce qu’il suit : « Vous devez garder à l’esprit l’expérience de la période précédente et comprendre que pour vous, il n’y a pas de retour possible au passé, que la lutte est entrée dans une nouvelle phase et que la nouvelle caractéristique de cette phase est que soit nous serons détruits avec l’Union Soviétique, soit nous devons soulever la question de suppression du dirigeant. » Le mot terrorisme n’était pas utilisé, mais quand j’ai lu les mots « suppression du dirigeant », ce que Trotsky avait à l’esprit était devenu clair pour moi.
Ici il est question de supprimer Staline, donc surtout par des moyens violents, c’est-à-dire la terreur individuelle, l’assassinat. Trotsky l’avait nié, une fois de plus. Ce n’est pas seulement Trotsky qui voulait assassiner Staline et ses collaborateurs, mais les autres membres du bloc.
Jules Humbert-Droz, ancien partisan de Boukharine, le chef des droites et membre du bloc avec Trotsky, a rencontré ce dernier une dernière fois en 1928, il explique :
Avant de partir, j’allai voir une dernière fois Boukharine, ne sachant si je le reverrais à mon retour. Nous eûmes une longue et franche conversation. […] Boukharine me dit aussi qu’ils avaient décidé d’utiliser la terreur individuelle pour se débarrasser de Staline. Sur ce point, je fis d’expresses réserves.
Pourquoi Humbert-Droz mentirait ? Quand il révèle cela, c’est dans sa biographie de 1971, loin de l’influence du NKVD puisque celui-ci n’existe plus !
Piatakov, autre accusé trotskyste du deuxième procès de Moscou et ex-commissaire adjoint à l’industrie lourde complète les allégations de l’usage de la terreur individuelle, son témoignage pourra être vérifié.
En 1931, je me suis entretenu avec Sedov, concernant ce que j’ai avoué entre autres choses. Sedov a dit qu’il connaissait l’activation du travail des droites, le fait que le centre trotskyste, qui à l’époque a été formé en URSS, étaient en contact avec les droites, et que, de son point de vue, c’était une question du renouvellement d’une lutte sérieuse dans laquelle tous les moyens devaient être utilisés. […] J’ai informé Boukharine de ma rencontre avec Sedov,, à propos des instructions terroristes de Trotsky.
Nous ne pouvons-nous tromper, Trotsky a donc bien fait l’apologie de la terreur individuelle.
Le 7 décembre 1937 se tint une confrontation entre Boukharine et Piatakov. Il s’agit bien d’un événement important, pour preuve, voyons qui étaient présents : Nikolai Ejov, commissaire du peuple du NKVD, le maréchal Kliment Vorochilov, le commissaire du peuple à l’industrie lourde Sergo Ordjonokidzé et Staline lui-même. Si tout cela était une machination, une fabrication, pourquoi Staline et d’autres personnes importantes du gouvernement auraient pris la peine d’assister à la confrontation ?
Il se trouve que pendant cette dernière, Ordjonokidzé a demandé à plusieurs reprises si le témoignage de Piatakov était volontaire, et à chaque fois, Piatakov a répondu par l’affirmative. Tout cela donne de la crédibilité non seulement aux dépositions de Piatakov et de Boukharine, mais également à celles des autres accusés.
Le deuxième procès de Moscou de 1937, la collaboration Trotsky-Allemagne, et la restauration capitaliste en URSS
Le premier procès de Moscou avait prouvé la culpabilité de Kamenev et de Zinoviev dans la conspiration, un examen de ce procès est disponible dans le livre de Grover Furr. Le deuxième procès de Moscou traite de la conspiration trotskyste et est particulièrement révélateur sur la collaboration entre Trotsky et l’Allemagne hitlérienne.
Dans sa déclaration d’ouverture au procès de 1937, le procureur de l’Union soviétique, Andreï Vychinski a résumé la déposition de Karl Radek :
L’enquête a établi que L.D Trotsky a entamé des négociations avec l’un des dirigeants du Parti national-socialiste allemand en vue de mener une lutte commune contre l’Union soviétique. […] Lui Trotsky, estimait absolument nécessaire d’adopter une attitude défaitiste claire dans cette guerre. Il considérait que l’arrivée du bloc au pouvoir pouvait être certainement hâtée par la défaite de l’URSS dans une guerre.
Trotsky était partisan d’un défaitisme révolutionnaire, mais ne nous y trompons pas ! Le défaitisme révolutionnaire prôné par Lénine durant Première Guerre Mondiale visait bien à transformer cette guerre impérialiste en guerre révolutionnaire, afin de renverser les différentes grande-bourgeoisies capitalistes belligérantes.
Trotsky considérait l’URSS d’avant-guerre comme un nouvel État impérialiste qu’il pouvait comparer (bien avant Hannah Arendt !) à l’Allemagne nazi ou aux empires coloniaux occidentaux; en prônant son « défaitisme révolutionnaire » il vise, sous couvert d’internationalisme prolétarien, à abattre par le fascisme le seul pays socialiste au monde d’alors qu’était l’URSS. C’est donc en banalisant le fascisme international et en s’attaquant à la première expérience socialiste au monde (en légitimant la future agression fasciste !) que Trotsky adhère en réalité au défaitisme CONTRE-révoutionnaire.
Ce principe de défaitisme à la Trotsky se retrouve dans ses indications pour le sommet de la hiérarchie militaire, dont celles adressées au maréchal Toukhatchevski. Dans ses aveux ce dernier déclare :
Pendant l’hiver 1935/1936, Piatakov m’a dit que Trotsky nous a à présent demandé de nous assurer de la défaite future de l’URSS dans la guerre, même si cela signifiait donner l’Ukraine aux Allemands et Primorie aux Japonais.
Il était à la portée de tout intellectuel de l’époque de savoir les intentions de l’Allemagne à propos de l’Ukraine. Trotsky savait à raison, que Hitler considérait l’Ukraine comme appartenant au « Lebensraum », l’espace vital allemand. Le sort de l’Ukraine selon les nazis était l’esclavage pour les uns, et l’extermination pour les autres. Cela montre que Trotsky ne se préoccupait guère des conséquences génocidaires que peuvent avoir ses stratégies.
Piatakov parle également de ce besoin d’intervention armée de l’Allemagne en Union Soviétique :
Je me souviens que Trotsky déclarait dans cette directive que, sans le soutien nécessaire d’États étrangers, un gouvernement du bloc ne pourrait ni parvenir ni se maintenir au pouvoir. Il fallait donc arriver à un accord préliminaire avec les pays étrangers les plus agressifs, tels que l’Allemagne et le Japon, et que lui, Trotsky, de son côté avait déjà entrepris les démarches nécessaires pour établir des contacts avec les gouvernements japonais et allemand.[…]
Il nous a reproché de ne pas engager suffisamment d’énergie dans la diversion, le sabotage et les activités terroristes. Il m’a dit qu’il était arrivé à une entente définitive avec le gouvernement fasciste allemand et avec le gouvernement japonais, que ceux-ci adopteraient une attitude favorable dans le cas où le bloc trotskyste-zinoviéviste arriverait au pouvoir.
Nous avons une autre preuve indépendante pour corroborer l’accusation d’intervention armée, la note Matstny-Benes. Cette note est de l’ambassadeur tchèque à Berlin, Voytech Mastny, adressée a Édouard Benes, premier ministre tchèque datée du 9 février 1937. Dans cette note, Matsny parle de l’entretien qu’il a eu avec Maximilien Karl comte zu Trauttmansdorff, officier allemand, à propos d’un accord entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie :
La véritable raison derrière l’hésitation du chancelier était son hypothèse que, selon certains rapports qu’il recevait de Russie, il y avait la probabilité croissante d’un très proche coup de théâtre, la chute de Staline et de Litvinov et l’imposition d’une dictature militaire.
Hitler pensait que Toukhatchevski émergerait de cette conspiration, et que c’est lui qui s’en trouvera à la tête, d’où l’appellation de « dictature militaire ».
Sur le plan économique, il serait question d’une restauration capitaliste, dans son programme de 1930 posté dans le Bulletin de l’Opposition russe, le journal de Trotsky, ce dernier préparait les esprits en parlant de « recul »
Un recul est inévitable dans tous les cas. Il doit être effectué dès que possible et de façon aussi ordonnée que possible […] Renoncer à « l’idéal » d’une économie fermée. Travailler sur une nouvelle variante des plans fondée sur autant d’interactions que possible avec le marché mondial.
Le recul est bel et bien un terme pour évoquer le capitalisme, les « interactions avec le marché mondial » peuvent être interprétées comme étant la soumission de l’économie soviétique à la mondialisation capitaliste grandissante. Piatakov témoigne du « recul » exhorté par Trotsky, terme récurant dans la conspiration pour parler de capitalisme.
Quant au recul. Trotsky a écrit que Radek et moi-même nous étions trompés en pensant que le recul était négligeable, nous aurions à reculer beaucoup, et c’est sur ce point qu’était fondé le bloc, non seulement avec les zinovievistes, mais aussi avec les droites[…] Dans ce cadre également, il serait nécessaire, pour des considérations de politique intérieure, d’effectuer un recul sensible, en plus de concessions aux étrangers.[…] Trotsky expliquait que ce serait un recul très important. C’est exactement ce qu’il a dit : vous et Radek, êtes encore sous l’emprise des vieilles idées de 1925-1926 et vous êtes incapables de voir que l’essence de notre arrivée au pouvoir signifiera que nous devrons reculer très loin dans le sens du capitalisme.
Radek explique au procureur Vychinski combien les visions de Trotsky à propos du recul ont évolué entre 1934-1935 :
Vychinski : Un recul vers le renforcement de quels éléments ?
Radek : Un recul qui devait restaurer aussi une partie des éléments capitalistes, mais ce recul, si on le compare avec l’état des choses en 1927 : il y aurait une possibilité pendant ce recul d’une part, d’admettre une restauration capitaliste, mais dans le même temps, de renforcer l’industrie, grâce au premier plan quinquennal, aux fermes d’État et à une partie des fermes collectives, ce qui signifie que nous aurions une économie sur laquelle, à mon avis, un gouvernement prolétarien aurait pu se maintenir.
Vychinski : Donc un gouvernement prolétarien aurait encore pu se maintenir ? Mais la tendance était de revenir en arrière ?
Radek : La tendance était de revenir en arrière.
Vychinski : En 1935, cela se voit plus clairement par rapport à 1934 ?
Radek : En 1935, la question a été soulevée de revenir au capitalisme.
Vychinski : Dans quelles limites ?
Radek : Ce que Trotsky a proposé était sans limites. Ce que l’ennemi exigerait.
Ici, la « restauration capitaliste » est littéralement évoquée, le programme économique capitaliste de Trotsky était devenu « sans limites » ce qui pourrait amener à un retour complet au capitalisme. Il y a également un lien entre l’intervention armée et la restauration capitaliste, l’intervention armée de l’Allemagne résulterait en des concessions économiques et territoriales de la part de l’URSS. Économiquement, il ne s’agit pas d’un léger recul, mais plutôt d’un bond en arrière, qui aurait entraîné la fin du socialisme et donc de l’aspiration communiste soviétique.
Conclusion
Avec tous les éléments de preuves dont nous disposons, nous pouvons regarder d’un nouvel œil le personnage de Trotsky. Grover Furr a exposé d’autres mensonges et fabrications dans son livre « Les amalgames de Trotsky » où il fait également l’examen de la Commission Dewey, qui est une supercherie elle aussi. Ce dernier n’a jamais admis que Lénine ait choisi Staline, et non lui-même pour le poste de secrétaire général, il voulait donc se montrer comme le plus proche collaborateur de Lénine, et de fait, hériter des idées léninistes. Trotsky était bien un opportuniste qui n’a voulu que le pouvoir, au détriment de ses partisans d’hier et d’aujourd’hui qui croient naïvement à sa « version » de l’histoire, sans se douter une seule seconde qu’il cacha un nombre considérable d’amalgames et de mensonges. La phrase de Radek « Ce que Trotsky a proposé était sans limites » résume assez bien l’état d’esprit du personnage, les moyens pour accéder au pouvoir étant, pour lui, sans limites : assassinats, alliance avec les allemands et les japonais, retour au capitalisme, concessions territoriales et économiques, mentir à ses partisans… Trotsky n’était pas magnanime, celui qui se peignait en défenseur du prolétariat était en fait prêt à tout pour le pouvoir, même à utiliser des moyens qui pourraient grandement nuire au prolétariat pour appliquer, on le voit bien désormais, les dangereuses conclusions contre-révolutionnaires auxquelles l’a amené le caractère aventuriste de sa « révolution permanente » qui, sans cela, relèverait de l’internationalisme prolétarien honnête et bien compris une fois articulé à la nécessaire construction du socialisme dans chaque pays.
L’article ici présent ne traite pas en détail de l’ensemble des amalgames de Trotsky, et pour remarquer l’ampleur des dissimulations de ce dernier, nous ne pouvons que conseiller, notamment aux jeunes générations militantes de gauche, la lecture complète du livre de Grover Furr.
Victor C. – http://jrcf.over-blog.org/2020/08/trotsky-et-l-opportunisme.html