FACE AU TOUT-ANGLAIS GLOBALITAIRE, EXIGEONS LE RESPECT ET LE DURCISSEMENT DE LA LOI TOUBON!
Il est heureux, même si c’est tardif, que M. Toubon émette enfin quelques timides critiques sur la manière dont sa loi de protection de la langue française (août 1994), dite loi Tasca-Toubon, est systématiquement contournée, voire grossièrement violée, y compris par le chef de l’État et par les directions des « services publics » (SNCF, Poste, EDF, etc.) – tous agenouillés devant le totalitarisme linguistique promu par l’oligarchie « française » et par l’UE (les milieux dominants veulent carrément instituer l’anglais comme langue officielle de l’UE, et cela en plein BREXIT !).
Plus que jamais, la résistance au tout-anglais globalitaire s’impose à tous ceux qui veulent combattre le néolibéralisme de manière conséquente : car on ne peut pas défendre les services publics (le premier d’entre eux est la langue française !), les conquis sociaux de la Résistance, le produire en France industriel et agricole, l’héritage révolutionnaire de notre pays, la biodiversité culturelle mondiale et la biodiversité, en capitulant en permanence devant l’américanisation planétaire des modes de vie dont l’uniformisation linguistique est massivement porteuse.
Georges Gastaud, co-initiateur du Manifeste contre le linguicide du français.
Langue française : les apports et les failles de la loi Toubon
Une fois n’est pas coutume, ma lettre prend cette semaine la forme d’un entretien avec un invité exceptionnel. Jacques Toubon, vingt-cinq ans après son adoption, dresse le bilan de la loi sur la langue française qui porte son nom. Sans langue de bois.
Le 4 août 1994 était promulguée la loi « relative à l’emploi de la langue française ». Quels étaient ses objectifs?
Il s’agissait d’abord d’une loi de cohésion et d’unité nationale visant à faire du français la langue commune. Il s’agissait aussi de le défendre face aux langues étrangères et, notamment, face à l’anglais. Pour cela, nous avons voulu développer la terminologie, afin de dire en français les évolutions technologiques et faire du français la référence de la consommation et de la vie des entreprises. Il s’agissait en quelque sorte de créer un « droit au français », en tirant les conséquences concrètes de l’ajout à l’article 2 de la Constitution, en 1992, de la phrase suivante : « La langue de la République est le français. »
Avec le recul, quelles sont les dispositions de votre loi qui ont le mieux fonctionné ?
La loi a rempli son office dans le monde du travail. Les salariés ont droit à un contrat de travail rédigé en français, afin de savoir à quoi ils s’engagent. Des entreprises comme GE Medical, System NextiraOne et Europ Assistance ont été condamnées pour avoir voulu imposer des documents ou des logiciels en anglais sans traduction à leurs salariés. De même, dans la consommation, les modes d’emploi, les garanties et l’affichage sont rédigés dans la langue nationale, afin de permettre au consommateur de savoir ce qu’il achète. Dans l’enseignement aussi, la loi est à peu près respectée.
Pas à l’université…
En effet. La loi Fioraso, en 2013, a modifié mon texte pour favoriser l’anglais dans l’enseignement supérieur et la recherche. C’est la conséquence des pressions des chercheurs et des enseignants qui vivent sous la domination des grandes revues et des grandes universités anglo-saxonnes. Résultat : ils veulent publier en anglais pour être reconnus internationalement. A leurs yeux, il y va de leur carrière. On sait pourtant que les langues véhiculent une pensée différente et que c’est en pensant différemment et en publiant en français que notre école de mathématiques a acquis sa supériorité. Il s’agit là d’une exception, hélas.
Votre loi a été contournée dans d’autres secteurs, y compris dans le service public…
Oui. Je suis chagriné de voir des sociétés comme Air France, La Poste ou EDF multiplier les messages en anglais, préférant s’adresser à des clients potentiellement anglophones qu’à leurs clients réels, bel et bien francophones. Le pire étant peut-être de voir le ministère de la Culture s’inscrire lui-même dans ce mouvement : pourquoi lancer un « Pass Culture » sans e à Pass ?
La publicité et les médias s’adonnent eux aussi gaiement aux anglicismes…
Tout à fait. C’est là, malheureusement, la conséquence d’une décision du Conseil constitutionnel – présidé à l’époque par Robert Badinter – qui a estimé, sous la pression des milieux publicitaires, que ma loi était contraire à « la liberté de pensée et d’expression ». Cela est d’autant plus dommageable que la publicité et les médias exercent une grande influence sur l’ensemble de la population. Cette décision a considérablement affaibli la portée de ma loi.
Pour la publicité, elle stipule pourtant que « la présentation en langue française doit être aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langue étrangère »…
Théoriquement, cet article est censé être vérifié par l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), mais celle-ci considère que « aussi » ne veut pas dire en caractères de même taille ! Disons que l’ARPP est un régulateur assez consensuel…
A l’article 21, il est également indiqué que « la présente loi s’applique sans préjudice de la législation et de la réglementation relative aux langues régionales de France et ne s’oppose pas à leur usage ». Or des institutions comme le Conseil constitutionnel multiplient les décisions à leur encontre…
J’ai toujours été et reste un farouche défenseur des langues régionales. On assiste malheureusement dans ce domaine à un combat idéologique entre le Conseil constitutionnel et les partisans de la charte européenne des langues régionales. A mon avis, le Conseil constitutionnel commet un contresens en luttant contre ces langues menacées tout en laissant libre cours à l’anglais dans l’audiovisuel et la publicité. Car il est bien évident que le français est bien plus menacé par l’anglais que par le picard ou le gascon.
Propos recueillis par Michel Feltin-Palas – L’Express