Le Quotidien du Peuple (人民日报- Remin Ribao) est l’organe du Comité Central du Parti Communiste Chinois. Il a été fondé en 1948. Son tirage est de plus de 3 millions dont 600 000 exemplaires publiés dans 86 pays. Selon l’UNESCO il est des 10 journaux les plus importants au monde
Jean-Pierre Page est l’un des auteurs du livre collectif « La Chine sans œillères » paru aux éditions Delga.
1. Face aux multiples défis aujourd’hui, la Chine, sous la direction du PCC,a assumé sa responsabilité internationale et présenté ses solutions, dont la sauvegarde du multilatéralisme et le concept de « communauté de destin pour l’humanité ». Que pensez-vous des solutions et des plans avancés par la Chine et le PCC pour faire face aux défis du monde actuel ?
Le monde change vite, un nouvel ordre mondial se met en place et le multilatéralisme est devenu un enjeu. Si nous voulons des relations civilisées et dignes, il ne peut y avoir d’autres réponses qu’un renouveau des relations internationales qui soit fondé sur une approche multipolaire et non unipolaire, sur des principes d’égalité et de réciprocité entre les nations. Il n’y aura pas de retour à l’ordre ancien, nous changeons d’époque et les contradictions s’aiguisent, elles se multiplient. Par conséquent tout est affaire de responsabilités et de volonté. Cela est plus nécessaire que jamais car les enjeux sont considérables, parce que le monde fait face à de graves tensions et à des risques qui touchent au devenir de l’humanité toute entière. Ce contexte appelle des réponses fortes en forme d’alternatives. La Chine et le PCC y contribuent pour une part essentielle.
Le principal danger qui caractérise cette situation inédite a une cause principale. A mes yeux, il s’agit de la conflictualité permanente entretenue par l’administration US pour soutenir ses prétentions hégémoniques, singulièrement depuis les bouleversements entraînés par la destruction de l’URSS. Le problème pour les USA est qu’ils connaissent un déclin que nul ne peut contester. Joe Biden et son équipe ont la charge de chercher à l’enrayer car cela est devenu une réalité incontournable. Que peut la haute technologie US sans l’industrie manufacturière, or celle-ci a été en grande partie abandonnée et d’ailleurs au bénéfice de la Chine.
Pour cette mission, Washington entend entraîner à sa suite la plupart des gouvernements occidentaux, tout spécialement en Europe. Ainsi la direction US et non sans cynisme entend élargir les prérogatives de l’OTAN, c’est ce qu’a décidé le sommet de Madrid de cette organisation supranationale. Son objectif est de coordonner ses alliances politico-militaires en Asie du Sud-Est avec la Quadrilatérale et l’AUKUS. L’objectif est de se préparer à un conflit mondial de haute intensité dont les conséquences seraient dramatiques. Pour les Etats-Unis l’adversaire est clairement désigné, il s’agit de la Chine et à travers elle le partenariat stratégique Chine/Russie.
Par conséquent, dans cette situation complexe qui est faite d’avancées et de reculs le rapport des forces évolue sans cesse et demande une vision sur le court, le moyen, le long terme, donc beaucoup d’intelligence, de clairvoyance et d’esprit d’initiative. La Chine agit en ce sens avec sang froid et c’est une bonne chose qu’elle le fasse avec ses nombreux alliés. Je veux ajouter, que les responsabilités des forces progressistes et au premier rang celle des partis marxistes sont inédites. Je constate que leurs actions ne sont d’ailleurs pas sans effets positifs sur les opinions et les engagements des peuples en particulier ceux de la jeunesse. Cela se reflète dans la contestation d’un capitalisme de plus en plus brutal et prédateur. En effet ce système décadent fait face à une crise profonde qui quotidiennement peut déboucher sur un crash bousier comme on l’a connu en 2008/2009 mais cette fois de manière aggravée. Le capitalisme dans sa version financière provoque partout un désordre général, il est sans précèdent, le chaos, l’insécurité et l’explosion des inégalités sociales et économiques en sont les manifestations les plus criantes et insupportables. Son bilan est accablant. Par ailleurs cette instabilité est à l’origine de nombreuses crises politiques comme on le voit particulièrement en Italie, en Grande Bretagne, en Allemagne, en France ce qui ouvre un espace à l’extrémisme et au fascisme qui relève la tête.
C’est pourquoi, il me semble indispensable de prendre en compte, même avec leurs limites, les nombreuses luttes sociales et politiques qui expriment cette volonté de trouver des réponses urgentes aux besoins concrets et immédiats des gens par le libre choix des peuples à décider eux-mêmes, par eux-mêmes, pour eux-mêmes, c’est à dire un projet socialiste ? Car, par exemple comment articuler ces exigences immédiates comme le défi de la faim dans le monde sans soulever ceux du développement, de l’extrême richesse des uns et de la pauvreté de masse des autres, de la paix et du désarmement, de la préservation de notre environnement, sans que le peuple, les travailleurs assument les responsabilités depuis les entreprises jusqu’au niveau de l’état ? Cela ne peut se faire sans le respect de la souveraineté des états, leurs besoins de développement, leur sécurité. Cela exige d’en finir avec les conditionnalités politiques qui sont des mesures hypocrites ou la pratique, des blocus et des sanctions qui sont illégales selon la Charte des Nations Unies, comme on le voit actuellement à l’égard de la Russie.
Evidemment, ces idées de résistances à ce totalitarisme ne s’imposeront pas d’elles mêmes ou de manière spontanée. Mais comme disait Karl Marx, une idée peut devenir une force matérielle et si elle s’empare des masses. Elle peut devenir irrésistible. Le grand mérite du parti communiste chinois, de sa direction et du Président Xi Jinping est non seulement d’avoir pris en compte ces évolutions majeures de l’humanité mais de contribuer à leur donner les moyens de progresser positivement par des propositions constructives « gagnant-gagnant » et surtout par des actes concrets comme c’est le cas avec les « nouvelles routes de la soie » (BRI). Cette orientation implique une volonté politique et une stratégie offensive, la recherche de l’unité du camp progressiste. C’est là, me semble t’il et dans ce contexte la contribution importante de la Chine et de la pensée politique du Président Xi Jinping dans la préparation du XXe congrès du PCC .
Vous venez de publier le livre Les divagations des antichinois en France. Pourriez-vous nous dire vos motivations pour rédiger ce livre car vous êtes déjà l’auteur de plusieurs livres sur la Chine ? Quels sont les messages que ce livre voudrait transmettre aux lecteurs ? Jusqu’à présent, quelles sont les réactions ou commentaires des lecteurs et des médias français sur ce livre ?
Nous avons avec mes amis Maxime Vivas et Aymeric Monville qui est aussi notre éditeur voulu réagir à ce climat d’intolérance et de sectarisme à l’égard de la Chine. Nous contestons ces idées simplificatrices, hypocrites et toutes faites sur votre pays, cette ignorance crasse véhiculée par les médias et les faux experts. Nous revendiquons le droit de parler autrement de la Chine.
Le livre “Les divagations des antichinois en France” se veut une réponse argumentée au volumineux rapport de l’IRSEM qui est l’Institut de recherche de l’Ecole Militaire, qui dépend du Ministère de la défense français. Ce rapport particulièrement hostile à la Chine s’est fait sous l’autorité d’un officier de l’OTAN et de l’armée des Etats-Unis. Il est une accumulation de contrevérités, d’accusations sans fondements en particulier sur Maxime Vivas et participent de cette campagne dont le but est de diaboliser la Chine. Elle donne lieu à des fantasmes en laissant croire par exemple que ceux qui entendent parler autrement de la Chine serait des agents de Beijing ou seraient à la tête d’un plan secret visant à déstabiliser nos sociétés. Au début du 20e siècle on cherchait à effrayer les gens en leur parlant de péril jaune » ou encore du diabolique Dr. Fu Man Chu. De ce point-de-vue rien n’a vraiment changé.
En fait, beaucoup de nos citoyens cherchent à comprendre. Ils constatent combien le système capitaliste dominant dans lequel nous vivons ne marche pas, ne réponds pas au besoins de paix, de coopération, d’indépendance et de souveraineté, de respect réciproque. La crise sociale s’aggrave de manière sans précédent et la guerre est à nos portes. Or, les gens sont de plus en plus à la recherche de réponses et de solutions. La Chine n’est pas un modèle mais un exemple, sans aucun précédent dans l’histoire humaine. La Chine participe pour près de 25% de la croissance mondiale, nos emplois en dépendent et nombre d’investissements également, cela mérite donc qu’on en parle, qu’on y réfléchisse et non pour la copier mais pour la comprendre. En ce sens notre livre n’est pas un livre pro chinois mais un livre qui se veut pro vérité.
C’est la raison pourquoi nous avons pensé utile d’apporter une contribution à toutes ces questions légitimes qui se posent et que nous avons prolongées la publication de cet ouvrage par une action en lançant un « Appel pour le droit de parler autrement de la Chine ». 220 personnalités internationales de toutes opinions, disciplines et des cinq continents ont apporté leur appui à cette initiative, ce qui est très positif.
A l’heure actuelle, les risques systémiques mondiaux augmentent et le système de gouvernance mondiale est confronté à des défis sans précédent. D’après vous, face à cette question majeure touchant au destin de l’humanité, quelles sont les clés pour la communauté internationale dans le but de sortir de cette période de turbulences et d’avancer ensemble vers un avenir plus radieux ?
Les conséquences de la crise ukrainienne et les provocations US au sujet de Taïwan ne sont pas sans illustrer ces risques systémiques. Ceux-ci sont tout à la fois un révélateur et un accélérateur de cette conflictualité permanente qui caractérise la situation internationale. C’est ce qui illustre ce nouvel ordre mondial qui se met en place avec une évolution nette du rapport des forces. On pourrait le résumer en disant que les puissances occidentales sont dans une phase descendante ou déclinante quand les pays émergents dont la Chine et leurs alliés sont dans une phase ascendante.
Je suis convaincu que le prochain congrès du PCC apportera des réponses pertinentes à ces enjeux majeurs. L’importante contribution du Président Xi Jinping au colloque thématique sur la préparation du XXe congrès qui s’est tenu les 26 et 27 juillet à Beijing est éclairante quant à l’analyse faite sur l’état du monde et ce qui doit en découler comme orientation pour la Chine dans la prochaine étape de la construction d’un état socialiste moderne. Comme il le suggère, il faut être capable de faire face tout à la fois aux dangers mais aussi savoir ouvrir des perspectives. Cette vision s’est exprimée également lors de la récente réunion d’une centaine de partis marxistes à l’initiative du PCC. Ces deux évènements sont éloquents car ils ont mis en valeur une démarche politique cohérente de la part de la Chine. Cela doit constituer un point d’appui important pour les forces de progrès, afin qu’elles se mobilisent et contribuent à créer les conditions d’alternatives par leur rassemblement et leur unité. C’est ce qu’attendent de nombreux peuples à travers le monde et c’est à cette tache qu’il faut travailler.
Maintenant, si l’on veut s’attaquer aux conséquences de la crise systémique, il faut en premier lieu s’attaquer aux causes véritables et aussi déterminer les responsabilités. Tout cela exige des clarifications. Cette crise systémique est avant tout la crise du mode de production capitaliste comme du système de domination impérialiste qui perdure notamment à travers une volonté de recolonisation de la part des Etats-Unis et de ses vassaux.
Toutes les enquêtes d’opinion le montrent, pour une large majorité de gens à l’échelle mondiale, le capitalisme est perçu comme un système archaïque, incapable de répondre aux défis auxquels l’humanité doit faire face. Ce qui manque pour changer c’est aux yeux de beaucoup une réponse convaincante, un programme, le choix des moyens. Qu’elles sont ces défis qui appellent des solutions concrètes, ils sont multiples : politiques, économiques, sociaux, alimentaires, énergétiques, environnementaux, culturels, moraux, ils concernent tout aussi bien le fonctionnement des institutions internationales, des structures supranationales comme on le voit avec la crise existentielle de l’Union Européenne que les états eux-mêmes. Tout ce qui touche la vie des gens du local au global est affecté par cette crise. Il faut donc des réponses d’une ampleur inédite qui s’attaquent à l’ordre dominant, celui du Capital.
De ce point de vue la crise pandémique a révélé les retards, les régressions du système sanitaire dans les pays développés, quand des pays comme Cuba ou la Chine on été et sont capables de se donner les moyens d’une action efficace afin de préserver la vie de leur population. Les résultats sont connus tant dans l’élaboration des vaccins que dans la gestion de l’épidémie elle-même, ce qui a permis de limiter considérablement le nombre de victimes si l’on compare les Etats-Unis et la France à la Chine et à Cuba.
Ensuite prenons la crise ukrainienne, certes elle touche aux problèmes de la sécurité en Europe et celle de chaque état dont la Russie qui fait l’objet d’un encerclement militaire agressif conséquence du reniement aux engagements pris par les Etats-Unis, l’Europe, et l’OTAN après la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Cette crise d’une extrême violence met en évidence l’objectif des Etats-Unis et de ses alliés de poursuivre cette guerre à n’importe quel prix et même jusqu’au dernier ukrainien. L’enjeu n’est rien moins que la préservation d’un système unilatéral permettant de maintenir en Europe cet hégémonisme nord-américain à la porte de la Russie pour ensuite la déstabiliser et la dépecer, fût-ce par la guerre à outrance. Mais comme le Président Xi Jinping l’a fait remarquer à Joe Biden , « ceux qui jouent avec le feu finissent par se bruler ». Je pourrai évoquer également la déstabilisation d’un pays aussi stratégique et au centre de l’Océan Indien comme le Sri Lanka que les Etats-Unis veulent transformer en une base militaire d’agression contre la Chine. La provocation délibérée de la présidente US de la chambre des représentants Nancy Pelosi à l’égard de la Chine sera mise en échec. On le devra à la fermeté et à la réponse appropriée dont font preuve les autorités de votre pays. Taïwan est une province chinoise et le restera !
La communauté internationale s’inquiète des risques de division, de confrontation et d’une nouvelle guerre froide devant lesquels le monde est de nouveau placé. Comment le voyez-vous ? Est-ce que la coopération internationale est devenue de plus en plus nécessaire pour résoudre ces problèmes ? Selon vous, quel sera le rôle de la Chine dans ce cours-là et est-ce qu’elle pourra continuer jouer le rôle d’un stabilisateur et d’une énergie positive ?
La réponse à ces risques, c’est un monde multipolaire et une approche multilatéraliste des problèmes. Cela ne peut-être cette vision du passé revendiquée par les Etats-Unis d’un monde unipolaire qu’ils auraient la mission divine de diriger. Contrairement à ce qu’affirme ce mythe nord-américain les Etats-Unis ne sont pas « la nation indispensable » ! Cette vision est aujourd’hui de plus en plus mise en échec par les aspirations des peuples. C’est pourquoi et comme on le voit maintenant la place prise par les alliances anti-hégémoniques sont encourageantes à l’exemple des BRICS, du Forum de Shanghai, du MERCOSUR, de l’exigence des états africains de ne plus tolérer les ingérences des ancienne puissances coloniales, du partenariat stratégique Russie/Chine, de la place des relations bilatérales et multilatérales en Asie et dans ce cadre les relations entre l’Inde et la Chine.
Ainsi il est significatif de voir un nombre de plus en plus important d’états qui cherchent à s’émanciper de la tutelle étouffante du système de Bretton Woods, de la place du dollar US dans les relations financières et commerciales internationales en mettant en place leur propres règles et institutions. La dé-dollarisation est en marche et cela est tout à fait remarquable. Il en va de même à l’Assemblée générale de l’ONU, à travers l’opposition d’un grand nombre de pays aux conditionnalités politiques comme au système illégal des sanctions politiques, économiques, financières dont l’on constate la nuisance extrême, y compris pour les peuples dont les gouvernements en sont à l’origine. Il faut mettre un terme à cette logique destructrice Ainsi des réponses concrètes et offensives finiront par s’imposer et se frayer un chemin. C’est dans cette voie que se construiront les alternatives dont le monde à besoin.
Dans cet esprit je pense que le concept de “communauté de destin” démontre qu’il est possible de répondre à ces besoins urgents de coopérations, d’échanges harmonieux, de paix. De ce point de vue le PCC et la Chine apportent une contribution qui me semble essentielle et productive. Le fait que ces idées progressent et sont partagées plus largement démontre qu’il est possible de faire autrement. Le vaste projet des routes de la soie en est justement un bon exemple de but et de moyens. C’est une initiative qu’il faut soutenir et encourager car elle peut permettre de rompre avec les instruments de domination qui sont encore aux mains des puissances occidentales dont les USA.
La manière de concevoir les relations internationales pour la plupart des gouvernements occidentaux appartient au passé, à une vision unilatérale qui vise à imposer une suprématie, une relation dominant/dominé. Il faut faire valoir des exigences comme la non ingérence, la non intervention, la non interférence, la réciprocité. Le multilatéralisme est l’épine dorsale de cette approche. Il est intéressant de noter un début de retournement de situation en l’avantage de ces principes, ce qui est encourageant. Nous avons à prendre la juste mesure des choses, savoir nous montrer à la hauteur des exigences de cette situation inédite. Dans son fameux discours à la clôture du 7e Congrès du PCC en juin 1945 qui se tint à Yan-An le président Mao Zedong fit référence à cette ancienne légende chinoise « Comment Yukong déplaça les montagnes ». Plus de 70 ans après sa libération, le peuple chinois avec son parti communiste a su trouver les moyens de déplacer les montagnes. Il l’a fait avec son courage, son opiniâtreté, ses sacrifices. C’est là une leçon dont chacun d’entre nous peut s’inspirer, car elle démontre qu’il n’y a de fatalité en rien et qu’en dernière analyse tout dépend de nos choix et de notre volonté.
Jean-Pierre PAGE