ci-après les parties de la postface de la deuxième édition allemande [du Capital] , qui ont trait au développement de l’économie politique en Allemagne et à la méthode employée dans cet ouvrage. »
Karl Marx Londres, 28 avril 1875.« Je ne saurais mieux répondre à l’écrivain russe que par des extraits de sa propre critique, qui peuvent d’ailleurs intéresser le lecteur. Après une citation tirée de ma préface à la « Critique de l’économie politique » (Berlin, 1859, p. IV-VII), où je discute la base matérialiste de ma méthode, l’auteur continue ainsi :
« Une seule chose préoccupe Marx : trouver la loi des phénomènes qu’il étudie; non seulement la loi qui les régit sous leur forme arrêtée et dans leur liaison observable pendant une période de temps donnée. Non, ce qui lui importe, par-dessus tout, c’est la loi de leur changement, de leur développement, c’est-à-dire la loi de leur passage d’une forme à l’autre, d’un ordre de liaison dans un autre. Une fois qu’il a découvert cette loi, il examine en détail les effets par lesquels elle se manifeste dans la vie sociale… Ainsi donc, Marx ne s’inquiète que d’une chose; démontrer par une recherche rigoureusement scientifique, la nécessité d’ordres déterminés de rapports sociaux, et, autant que possible, vérifier les faits qui lui ont servi de point de départ et de point d’appui. Pour cela il suffit qu’il démontre, en même temps que la nécessité de l’organisation actuelle, la nécessité d’une autre organisation dans laquelle la première doit inévitablement passer, que l’humanité y croie ou non, qu’elle en ait ou non conscience. […]La valeur scientifique particulière d’une telle étude, c’est de mettre en lumière les lois qui régissent la naissance, la vie, la croissance et la mort d’un organisme social donné, et son remplacement par un autre supérieur; c’est cette valeur-là que possède l’ouvrage de Marx. »
En définissant ce qu’il appelle ma méthode d’investigation avec tant de justesse, et en ce qui concerne l’application que j’en ai faite, tant de bienveillance, qu’est-ce donc que l’auteur a défini, si ce n’est la méthode dialectique ? Certes, le procédé d’exposition doit se distinguer formellement du procédé d’investigation. A l’investigation de faire la matière sienne dans tous ses détails, d’en analyser les diverses formes de développement, et de découvrir leur lien intime. Une fois cette tâche accomplie, mais seulement alors, le mouvement réel peut être exposé dans son ensemble. Si l’on y réussit, de sorte que la vie de la matière se réfléchisse dans sa reproduction idéale, ce mirage peut faire croire à une construction a priori.
Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais elle en est même l’exact opposé. Pour Hegel le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme.
J’ai critiqué le côté mystique de la dialectique hégélienne il y a près de trente ans, à une époque où elle était encore à la mode… Mais bien que, grâce à son quiproquo, Hegel défigure la dialectique par le mysticisme, ce n’en est pas moins lui qui en a le premier exposé le mouvement d’ensemble. Chez lui elle marche sur la tête; il suffit de la remettre sur les pieds pour lui trouver la physionomie tout à fait raisonnable. Sous son aspect mystique, la dialectique devint une mode en Allemagne, parce qu’elle semblait glorifier les choses existantes. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes, et leurs idéologues doctrinaires, parce que dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire; parce que saisissant le mouvement même, dont toute forme faite n’est qu’une configuration transitoire, rien ne saurait lui imposer; qu’elle est essentiellement critique et révolutionnaire.
Le mouvement contradictoire de la société capitaliste se fait sentir au bourgeois pratique de la façon la plus frappante, par les vicissitudes de l’industrie moderne à travers son cycle périodique, dont le point culminant est la crise générale. Déjà nous apercevons le retour de ses prodromes; elle approche de nouveau; par l’universalité de son champ d’action et l’intensité de ses effets, elle va faire entrer la dialectique dans la tête même aux tripoteurs qui ont poussé comme champignons dans le nouveau Saint-Empire prusso-allemand. »