Vincent Lindon, acteur principal du film de Stéphane Brizé « la Loi du Marché » actuellement en salle, vient de se voir remettre le prix d’interprétation du jury du Festival de Cannes. www.initiative-communiste.fr, site web du PRCF, vous recommande ce film dont voici une critique par notre camarade CE T.
Je sors de la projection de la loi du marché de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon et une foule de non professionnels.
Suffocant, pesant, lourd ; comme une atmosphère irrespirable, comme une charge qui oblige à maintenir ses épaules, comme un fardeau impossible à porter.
Et je viens de faire le tour de ce que l’on appelle les critiques, dans le Figaro puis dans quelques journaux plutôt classés « à gôche ».
J’ai commencé cependant par le Figaro qui argumente son titre de l’importante diffusion sur twitter des commentaires sur le film. Ça bouge autour de ce film et le journal de la sarkozie se voit obligé d’en prendre acte.
Pour la suite, pour ce journal comme pour le Nouvel Obs, Libération, Télérama[1], il s’agit de l’histoire d’un chômeur de longue durée, père d’un enfant victime d’un handicap, aux prises avec l’environnement administratif kafkaïen des services du Pôle Emploi. Il finit par accepter un poste de vigile dans un supermarché où il flique les clients mais aussi les caissières, pour que le patron puise en virer quelques unes (dixit le chef du service de sécurité). Pour une affaire de bons de réduction non jetés, une caissière est mise à la porte après 22 ans de bons et loyaux services et elle se suicide. Le film se termine lorsque le personnage central (on dit le héros quand on parle d’un film) quitte son poste au moment où une autre caissière est sur le point de subir le même sort, là pour une question de points de fidélité. Le cinéaste nous laisse avec l’image de Vincent Lindon qui s’en va. Mais où ? Pas d’alternative, il replonge dans l’enfer régi par la loi du marché.
Ce qui n’est dit ni vu par personne (en tout cas les critiques que j’ai lus) c’est que le personnage n’est pas n’importe quel homme dans ce monde régi par la loi du marché : c’est un ouvrier, un ouvrier hautement qualifié, conducteur de machine-outil, licencié dans le cadre d’un « plan social », par un entreprise de 750 salariés au moins (ceux qui sont virés), utilisant dans ses ateliers des machines-outils de haute performance, et donc dans la production industrielle de pointe.
Et le film montre les difficultés quotidiennes, les perspectives d’un nouveau travail qui s’éloigne à chaque étape, le stage de grutier qui ne débouche sur aucune embauche, mais surtout le mépris de ce monde pour sa classe ouvrière. Loin de sa machine, jeté à la rue par des patrons voyous (comme on dit dans les médias quand les journalistes aux ordres se sentent un peu morveux), lassé d’une lutte pour faire reconnaître cette voyouterie par la justice malgré les experts de tous les bords, il poursuit avec constance, ténacité, sa recherche pour garder la tête haute, pour son fils, pour son épouse qui le suit pas à pas sans éclat. Il fait ses comptes. Et le compte n’y est pas. Il subit les impuissances des employés de Pôle Emploi, les critiques des « coachs » de la présentation aux recruteurs, les commentaires fielleux d’un DRH sur Internet, les conseils de l’employée de banque qui lui propose de liquider son appartement et de souscrire une assurance-vie alors que ses fins de mois sont de plus en plus difficiles. Et il finit par accepter un « emploi » de vigile qui lui permettra de payer entre autres choses le complément social pour les études de son fils dans un établissement spécialisé et de remplacer sa voiture h.s. par une occasion à 2000 €.
Mais tous ces gens qui causent, qui décident, qui commentent, qui conseillent, ces directeurs de magasin, ces DRH de grandes entreprises, que seraient-ils sans les ouvriers. Que serait la grande distribution si les ouvriers ne produisaient pas les denrées qui s’y vendent. Sans les ouvriers pas de voitures, pas d’avions, pas de bâtiments, pas de vêtements, pas d’outils … Sans la classe ouvrière : RIEN.
C’est la classe ouvrière, sans qui rien n’existerait de ce qui fait notre quotidien, qui est maltraitée en la personne de cet homme incarné par Vincent Lindon. Ce n’est pas simplement « un chômeur de longue durée », c’est un ouvrier hautement qualifié privé de son poste de travail, mais qui prive ainsi la collectivité humaine du fruit de ce travail.
Et si le film ne nous montre que des personnages secondaires de la domination du marché, que dire des patrons, des puissants, des financiers, des politiques qui privilégient leur bien-être, leur lendemain, en réduisant, en même que des masses d’ouvriers au chômage, des masses de marchandises non produites et de richesses non données en partage à la collectivité qui en vit.
C’est un film politique au sens où c’est le citoyen qui est au centre du débat. C’est le citoyen privé de son droit fondamental à la dignité que lui confère l’activité productive. De citoyen producteur de richesses pour sa collectivité, il devient « demandeur » d’emploi à n’importe quel prix.
D’ailleurs le système ne s’y est pas trompé : le jury de Cannes a accordé le prix d’interprétation à Vincent Lindon, qui le mérite pleinement. Mais il a ainsi évité de donner au film la Palme d’Or, privilégiant ainsi la forme par rapport au fond, tentant de cacher l’essentiel de l’œuvre sociologiquement universelle derrière son aspect esthétique et émotionnel.
Car ce film n’est pas une histoire singulière, aussi émouvante soit-elle. Si chaque homme, chaque femme est bien un individu unique, le personnage du film est en même les millions d’hommes et de femmes qui vivent dans notre monde sans pitié où seule compte la rentabilisation du capital financier, impitoyablement organisée par la loi du marché.
[1] J’ai cherché l’Humanité dans le moteur Internet et elle ne semblait pas avoir publié de critique de ce film.