Rédigé par Maxime – JRCF
Préambule à Le gang des bois du temple
Le gang des bois du temple marque le retour de Rabah Ameur-Zaïmeche (RAZ) sur les lieux qui l’ont introduit au cinéma en 2001 avec Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? : dans les banlieues, là où il a grandi.
Son premier film, il l’avait fait avec ses propres moyens, de la production en passant par le jeu, en évitant le « film de banlieue » conformiste, du genre de ceux qui se focalisent exclusivement sur la drogue, les roues arrière et les codes d’un virilisme nauséeux. RAZ voulait montrer d’autres aspects de la vie en banlieue, comme la solidarité et l’amour, des formes de relations humaines possibles et bien présentes dans les cités, mais qui sont sans cesse menacées par la perversité d’un système qui vise à mettre les prolétaires en concurrence.
Le mot « prolétaire », ce n’est pas moi qui l’impose au cinéma de RAZ, c’est RAZ lui-même qui l’emploie, après la projection de Le gang des bois du temple (RAZ y était présent pour parler de son film et en débattre avec les spectateurs) : « Ne me parlez pas de noirs, d’arabes, de portugais… Il n’y a qu’une seule classe [qui habite les cités], c’est le prolétariat. Ceux qui ne possèdent pas les moyens de production. Il n’y a rien de plus actuel que ce mot-là. » (1) Pour être plus précis, RAZ parlerait de la classe ouvrière immigrée, opprimée pour sa couleur de peau, pour sa classe, et aussi pour son genre si l’ouvrier est une ouvrière (bien que les femmes soient peu présentes dans ses films). Ainsi, on la voit dans Dernier Maquis (2008) se faire manipuler par un patron qui, sans doute lassé par le tutoiement qu’il lui autorise, utilise un imam et une mosquée pour l’amadouer et lui faire oublier sa condition. Le spectateur se rend compte peu à peu de l’immense perte que dissimule cet envoûtement : alors que les ouvriers sont en réalité capables de faire tout le travail en autonomie, passant leurs journées à déplacer des palettes et à les nettoyer, priant avec un imam de leur classe, dressant l’infinité de formes et de mondes qu’ils pourraient produire, ils restent néanmoins sous le joug d’un patron qui les maintient sur un lieu de travail mal entretenu. On s’en remet alors aux avions qui planent sans arrêt au-dessus de leurs têtes, et dont les décibels provoquent des interruptions répétées dans les discussions, semblant ainsi créer une brèche dans le quotidien de ces ouvriers, pour les mener pas à pas à la conscience de classe, et à l’action. Trois d’entre eux se mettront en grève.
Toujours après la projection de Le gang des bois du temple, RAZ évoquait son inquiétude quant au « bruit des bottes », aux « chemises de plus en plus brunes », à la « casse des services publics », en appelant à développer « [au lieu de construire des commissariats] des moyens pour l’éducation populaire »(2) ; en définitive, il décrivait sans la nommer la fascisation que le PRCF dénonce depuis de nombreuses années. Une réalité déjà exposée dans Terminal Sud (2019), où un médecin met sa vie en danger pour sauver celle des autres menacée par le « bruit des bottes ».
En dépit du fait que Le gang des bois du temple vienne juste après Terminal Sud, il serait vain d’y chercher un quelconque discours sur la fascisation. C’est plutôt l’histoire d’une bande de banlieusards quarantenaires – mais encore un peu gamins – qui goûteront pour un braquage l’amère saveur de leur témérité. Après leur assassinat, un de leurs amis, M. Pons, se met en quête de vengeance.
On peut ainsi séparer l’intrigue du film en deux, comme le film lui-même ; la première partie étant facilement assimilable à Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ?, la seconde beaucoup plus orientée vers le film noir.
Critique de Le gang des bois du temple
Le gang des bois du temple s’ouvre sur l’enterrement de la mère de M. Pons, accompagné d’un chant funèbre. M. Pons, ancien militaire, mutique, trompe l’ennui en jouant aux courses de chevaux. Parfois, il croise une bande de vieux amis espiègles qui se souviennent encore des crêpes que leur faisait la mère de « Monsieur Pons » (ils l’appellent comme ça). Le cœur léger, ils rient, ils se vannent, ils traînent… À aucun moment on ne pense au gros coup qu’ils projettent : le vol du fourgon d’un riche prince saoudien. Un peu naïfs, une fois l’argent en poche, ils s’imaginent délivrés de leurs soucis et se mettent à rêver. Mais au lieu de flamber dans le bling-bling, ils préfèrent se cotiser pour acheter une prothèse à un membre de la bande qui n’a plus de main, quand d’autres pensent au bien-être de leur famille. Sans les infantiliser à l’excès, RAZ montre les problèmes essentiels qui préoccupent ces banlieusards comme ils préoccuperaient des enfants, qui n’aspirent, au fond, qu’à être simplement heureux. Évidemment, la réalité est tout autre. Bien qu’ils puissent donner l’impression de vivre « loin du monde » dans leur cité isolée (tout l’espace narratif est construit par un assemblage de plans tournés dans différentes villes françaises qui ne sont jamais nommées), quand elle toque à la porte, tire à la kalachnikov, tue en prison, le film prend un tout autre visage : celui de M. Pons. Celui qui les a vus grandir, celui qui les voyait traverser un parc du haut de sa modeste terrasse, avec un regard bienveillant, presque d’ange gardien, celui qui va précisément devenir « l’ange vengeur » de la bande d’amis assassinés par des agents du prince dépouillé.
Ce qu’on appelle un « ange vengeur », c’est un archétype du film noir, genre cinématographique né aux États-Unis dans les années 40 (notamment avec Le Faucon Maltais (1941) de John Huston) ; le protagoniste n’est pas un héros et mène son enquête sans la police ; il a une conception singulière de la justice, du bien et du mal ; formellement, les rues sont vides et souvent nocturnes, mal éclairées, salies par quelques volutes qui s’élèvent des soupiraux ; les dialogues, eux, sont relégués au second plan au profit de silences témoins d’un doute, d’un manque qui pèse.
Dans Le gang des bois du temple, à leur mort, la lumière qui émanait de la bande d’amis s’éteint, pour laisser place à l’obscurité de la nuit, nous abandonnant en tête à tête avec un homme froid qui n’a plus personne à qui parler. Tout va très vite : RAZ multiplie les ellipses et ne s’intéresse pas tant à l’enquête policière qui aurait pu découler de ce genre de situation narrative qu’au développement du conflit par les regards (regard de M. Pons, regard tordu du prince, regard de l’un des envoyés du prince, etc.) et aux positions spatiales que tiennent les personnages tout au long du film. Dans cette « danse macabre », la classe sociale importe peu : ce sont ceux qui passent spatialement sous les autres et à travers leur regard qui se retrouvent démunis, directement dans le viseur d’une mort qui fond du ciel.
Sur le tas des corps qui s’empilent, c’est à celui qui observe le plus et du plus haut point à qui reviendra le luxe de tirer la dernière balle – au lieu, comme le faisait la bande d’amis, de prendre le temps de contempler innocemment « la ville scintiller comme un navire qui aurait rompu les amarres » (3).
Maxime – JRCF
Sources :
1. Intervention de Rabah Ameur-Zaïmeche après la projection de Le gang des bois du temple le 13/10/2023 au cinéma La Baleine à Marseille, France.
2. Ibid.
3. Cahiers du cinéma, Septembre 2023 – n°801.