M. Jean-Jacques Marie, historien trotskiste bien connu, vient de réussir l’exploit d’écrire dans la Tribune des travailleurs (17 novembre 2021) un article de réfutation du « Vol de Piatakov. La collaboration tactique entre Trotsky et les nazis » (de Burgio, Leoni, Sidoli, Delga, 2021) sans avoir ne serait-ce qu’effleuré son sujet : la visite rendue par Piatakov en décembre 1935 près d’Oslo avec l’aide logistique des hitlériens et les preuves, issues notamment des archives Trotsky et de textes trotskistes, de la collaboration tactique entre Trotsky et les nazis. Au lieu de cela, M. Marie entend se contenter de répondre en restant sur sa zone de confort, c’est-à-dire en cherchant de nouveau des poux dans la crinière ou dans la moustache de Joseph Staline. À ce jeu, on aurait pu l’imaginer bien rodé. Il n’en est rien.
Le discours de Molotov qu’il invoque en incipit (Pravda du 1er novembre et non du 1er décembre : M. Marie s’embrouille sans doute avec ses citations de seconde main) mentionne : « Идеологию гитлеризма, как и всякую другую идеологическую систему, можно признавать или отрицать, это — дело политическихвзглядов. »
Ce qui peut se traduire par : « On peut reconnaître ou refuser l’idéologie de l’hitlérisme comme tout autre système idéologique, c’est une question de regards politiques. « Or, cette déclaration se transforme sommairement chez M. Marie en: « On peut aimer ou ne pas aimer l’hitlérisme ».
Comme s’il s’agissait d’une question de sentiments alors que c’est le chef de la diplomatie soviétique qui s’exprime ici!
Citant les propos de Staline recueillis dans le journal de Dimitrov le 7 septembre 1939 :
« Hitler sans le comprendre, ni le vouloir lui-même, ébranle, sape le système capitaliste », M. Marie en conclut qu’Hitler « serait donc un allié, disons, objectif ».
Le passage en question dit pourtant ceci :
« Au Kremlin (Staline, Molotov, Jdanov).
Staline :
-Une guerre est en cours entre deux groupes de pays capitalistes (pauvres et riches en ce qui concerne les colonies, les matières premières, etc.) pour la redivision du monde, pour la domination du monde !
-Nous ne voyons rien de mal à ce qu’ils se battent durement et s’affaiblissent mutuellement.
-Ce serait bien si, aux mains de l’Allemagne, la position des pays capitalistes les plus riches (surtout l’Angleterre) était modifiée.
-Hitler, sans le comprendre ni le vouloir, ébranle et mine le système capitaliste. »
Donc Staline n’évoque pas par là une alliance, encore moins une alliance objective, mais un affrontement inter-impérialiste entre l’Allemagne et l’Angleterre.
L’argumentaire principal de M. Marie consiste à montrer que les recherches menées pour prouver la collaboration tactique entre Trotsky et les nazis vise à cacher la réalité du pacte germano-soviétique de non-agression.
À l’en croire, un État encerclé et obligé de faire des concessions (ce qu’a fait Lénine à Brest-Litovsk et Staline au moment du pacte), serait donc du même ordre qu’un ancien dirigeant de l’Armée rouge en exil qui, comme un exilé de Coblence, entend reprendre le pouvoir en pariant sur la défaite de son pays et avec les pires ennemis du communisme!
Peut-être M. Marie pense-t-il qu’il était honteux de signer le pacte de non-agression et que l’URSS aurait dû affronter le nazisme à elle toute seule devant le regard amusé des puissances occidentales signataires des accords de Munich?
Ensuite vient le bobard réchauffé de la guerre froide de Margarete Buber-Neumann sur la livraison des communistes allemands par Staline à Hitler après le pacte. L’historien Wilhelm Mensing, le seul à avoir étudié la question, a fait pourtant justice de cela par une étude parue il y a déjà dix ans (Wilhelm Mensing, « Eine „Morgengabe » ? Die sowjetische Auslieferung deutscher Emigranten an das NS-Regime nach Abschluss des Hitler-Stalin-Pakts », in: Uwe Backes/Alexander Gallus/Eckhard Jesse (Hg.), Jahrbuch Extremismus & Demokratie, 23. Jg. 2011, S. 37-65.).
Ne manquait, enfin, sous la plume de M. Marie, que la demande de reparution de l’Humanité sous l’Occupation, évoquée hors contexte alors qu’il s’agissait d’obtenir la libération des communistes emprisonnés.
Au type d’arguments qu’il utilise, nul ne contestera que M. Marie est un bon trotskiste. Cela n’avait pas forcément besoin d’être démontré. En revanche ce qui reste à démontrer, c’est la fausseté des documents apportés par « Le Vol de Piatakov ». Bon courage!
Aymeric Monville, éditeur et traducteur du livre « Le Vol de Piatakov. La collaboration tactique entre Trotsky et les nazis », 19 novembre 2021
Ci-joint un fac-similé du magnifique dégagement en touche de Jean-Jacques Marie