Alors que cet été est marqué par les célébrations du 70e anniversaire de la Libération, ww.initiative-communiste.fr site web du PRCF reproduit ci-après un article de notre camarade l’historienne Annie Lacroix-Riz publié en 2003 par le Monde Diplomatique, et republié il y a peu par le site Le Canard Républicain
C’est une page peu connue de l’histoire de la seconde guerre mondiale : dès 1941-1942, Washington avait prévu d’imposer à la France – comme aux futurs vaincus, Italie, Allemagne et Japon – un statut de protectorat, régi par un Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot). Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés aurait aboli toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les accords Darlan-Clark de novembre 1942.
À en croire certains historiens américains, ce projet tenait à la haine qu’éprouvait Franklin D. Roosevelt pour Charles de Gaulle, « apprenti dictateur » qu’il eût voulu épargner à la France de l’après-Pétain. Cette thèse d’un président américain soucieux d’établir la démocratie universelle est séduisante, mais erronée [1].
Un « Vichy sans Vichy »
À l’époque, les États-Unis redoutaient surtout que la France, bien qu’affaiblie par la défaite de juin 1940, s’oppose à leurs vues sur deux points, du moins si de Gaulle, qui prétendait lui rendre sa souveraineté, la dirigeait. D’une part, ayant lutté après 1918-1919 contre la politique allemande de Washington, Paris userait de son éventuel pouvoir de nuisance pour l’entraver à nouveau. D’autre part, la France répugnerait à lâcher son empire, riche en matières premières et en bases stratégiques, alors que les Américains avaient dès 1899 exigé – pour leurs marchandises et leurs capitaux – le bénéfice de la « porte ouverte » dans tous les empires coloniaux [2].C’est pourquoi les États-Unis pratiquèrent à la fois le veto contre de Gaulle, surtout lorsque son nom contribua à unifier la Résistance, et une certaine complaisance mêlée de rigueur envers Vichy. À l’instar des régimes latino-américains chers à Washington, ce régime honni aurait, à ses yeux, l’échine plus souple qu’un gouvernement à forte assise populaire.
Ainsi chemina un « Vichy sans Vichy » américain, qu’appuyèrent, dans ses formes successives, les élites françaises, accrochées à l’État qui leur avait rendu les privilèges entamés par l’« ancien régime » républicain et soucieuses de négocier sans dommage le passage de l’ère allemande à la pax americana.
Préparant depuis décembre 1940, bien avant leur entrée en guerre (décembre 1941), leur débarquement au Maroc et en Algérie avec Robert Murphy, représentant spécial du président Roosevelt en Afrique du Nord et futur premier conseiller du gouverneur militaire de la zone d’occupation américaine en Allemagne – bête noire des gaullistes -, les États-Unis tentèrent un regroupement autour d’un symbole de la défaite, le général Maxime Weygand, délégué général de Vichy pour l’Afrique jusqu’en novembre 1941.
L’affaire échouant, ils se tournèrent, juste avant leur débarquement du 8 novembre 1942, vers le général Henri Giraud. Vint ensuite le tour de l’amiral François Darlan, alors à Alger : ce héraut de la collaboration d’État à la tête du gouvernement de Vichy, de février 1941 à avril 1942, était resté auprès de Pétain après le retour au pouvoir de Pierre Laval [3].
Le 22 novembre 1942, le général américain Mark W. Clark fit signer à l’amiral « retourné » « un accord singulier » mettant « l’Afrique du Nord à la disposition des Américains » et faisant de la France « un pays vassal soumis à des “capitulations” ». Les Américains « s’arrogeaient des droits exorbitants » sur le « prolongement territorial de la France » : déplacement des troupes françaises, contrôle et commandement des ports, aérodromes, fortifications, arsenaux, télécommunications, marine marchande ; liberté de réquisitions ; exemption fiscale ; droit d’exterritorialité ; « administration des zones militaires fixées par eux » ; certaines activités seraient confiées à des « commissions mixtes » (maintien de l’ordre, administration courante, économie et censure) [4].
Pour lire la suite : http://www.monde-diplomatique.fr/2003/05/LACROIX_RIZ/10168
Annie LACROIX-RIZ
Professeur émérite d’histoire contemporaine
Université Paris 7-Denis Diderot
http://www.historiographie.info/
[1] Costigliola Frank, France and the United States. The Cold Alliance since World War II, Twayne Publishers, New York, 1992.
[2] William A. Williams, The Tragedy of American Diplomacy, Dell Publishing, New York, 1972 (première édition, 1959).
[3] Robert O. Paxton, La France de Vichy, Seuil, Paris, 1974.
[4] Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme, 1939-1945, Imprimerie nationale, Paris, 1982, et Annie Lacroix-Riz, Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Armand Colin, Paris, 1999.