Sans surprise, du moins pour ceux qui auront lu Saint-Simon et comprendront comment fonctionne structurellement une société de cour, le Danube de la pensée Slavoj Žižek est parvenu à revenir dans l’espace médiatique en se faisant encore plus va-t-en-guerre que B.H.L.
« On ne peut pas être de gauche si on ne soutient pas sans équivoque l’Ukraine », nous dit-il.
Bataillon Azov, Banderomania et bombardements du Donbass pendant huit ans compris?
Dans le genre « tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens », on n’avait pas fait aussi inspiré depuis le discours de George W. Bush nous enrôlant pour la guerre en Irak au son du tambour : « Vous êtes avec les terroristes ou avec nous. »
À ce degré de fanatisme buté, on ne sait s’il s’agit de déshonorer la pensée rationaliste qu’on prétend incarner ou simplement se renier et se déshonorer soi-même.
Zižek déshonore en tout cas la logique, sa propre logique, en (contre)disant, dans le « Guardian », que même si l’Ukraine ne peut pas gagner la guerre, il faut pourtant stigmatiser ceux qu’il nomme avec mépris les « pacifistes » et refuser toute solution négociée qui ne ferait que le jeu de Poutine. Va comprendre.
Dans le même désordre de raisonnement, selon le philosophe, l’Europe devrait aussi assurer son indépendance au moyen de… « a stronger NATO » (en slovène dans le texte).
Žižek déshonore l’humanisme le plus élémentaire quand il voit derrière l’opération actuelle rien de moins qu’une métaphysique à la Dostoïevski et se croit autorisé à écrire la phrase qui justifie tout le délire russophobe que nous vivons actuellement : « On entend souvent dire que nous devrions tracer une ligne de séparation stricte entre la politique de Poutine et la grande culture russe, mais cette ligne de séparation est beaucoup plus poreuse qu’il n’y paraît ».
Slavoj Žižek déshonore également la démarche et la méthode philosophiques en elles-mêmes, en revenant au pur fanatisme des guerres de religion. Dans « Die Welt« , l’incipit de son article présente le conflit actuel comme la lutte de « l’héritage protestant contre l’autoritarisme orthodoxe ». Heureusement que la philosophie occidentale, de Luther à Žižek en passant quelques chevaliers teutoniques lorgnant du côté de Königsberg ou Kaliningrad, dispose d’une alliance atlantique antiautoritaire, de quelques amateurs de signes runiques et surtout d’un philosophe si subtil qu’il sait reconnaître immédiatement l’esprit du monde lorsqu’il joue du piano avec son membre viril et part ainsi conquérir la Moscova.
Enfin, en redoutant le bouleversement géopolitique actuel, qui n’est autre qu’une immense révolte des peuples contre la domination du dollar, Žižek déshonore le marxisme dont il se revendique pourtant, philosophie qui ne se contente pas d’interpréter le monde mais entend le transformer. Vingt ans après la destruction de l’Irak, comme tant d’autres avant lui, Žižek rejoint le camion-poubelle de ceux qui conservent pieusement l’ordure du monde tel qu’il est, écume de chaque génération que la presse bourgeoise draine à chaque vague guerrière en lui faisant l’aumône du qualificatif de « néo ».
Néocon, donc le Žižek cuvée 2022? Sans conteste, puisque Kissinger, désormais, est même pour lui trop pacifiste. Mais lorsqu’on prend le temps d’observer les resucées lacaniennes poussives d’un clown triste qui n’hésiterait pas à appeler à la Troisième Guerre mondiale pour masquer qu’au fond, il ne casse pas trois pattes à un canard, le mot qui vient à l’esprit serait plutôt : néo-concon.
En la matière, on sait que le temps ne fait rien à l’affaire.
Aymeric Monville, 26 juin 2022