Docteur et enseignant en sciences politiques, J.-M. del Percio-Vergnaud décortique avec beaucoup de finesse théorico-politique et d’attention documentaire la manière dont la réaction idéologique (française, mais pas seulement…) a retissé son hégémonie culturelle après les grandes grèves de mai 1968 et le coup mortel qu’elles ont porté à la forme gaulliste de la domination bourgeoise.
L’auteur montre comment certains courants de l’ « ultra-gauche anti-léniniste » ont convergé avec la « nouvelle droite » fascisante (Club de l’Horloge, GRECE) pour stigmatiser, sous l’apparence d’un discours antitotalitaire, anti-étatiste, anti-bourgeois et libertaire, l’État-nation « jacobin », la laïcité institutionnelle, les services publics d’État, la protection sociale travestie en assistanat dirigiste, et bien entendu, la souveraineté populaire, l’héritage de Rousseau, le marxisme et le communisme.
Ce « gramscisme de droite » visant à reconstituer une hégémonie culturelle réactionnaire pour asseoir idéologiquement la réaction politique a été pensé, orchestré même, par une école de pensée peu connue du grand public, « l’École de Grenoble » ; animée par Gilbert Durand et par Michel Maffesoli, cette école « sociologique » a passé son temps à « sinistriser » (= recycler à gauche, mot issu de l’italien) les thèmes néo-droitiers en coloriant de rose le néo-tribalisme des « patries charnelles » locales, en défigurant le progressisme issu des Lumières et de la Révolution française, en lui substituant des « philosophies cycliques de l’histoire » (Nietzsche contre Marx). Quitte à s’aider pour cela de certains écrits « marxistes » dit « hétérodoxes », en réalité, révisionnistes et opportunistes. Au final, comme l’écrit J.-M. del Percio parlant de cette école et de ses prolongements,
« … l’émergence des options inédites de re-féodalisation des sociétés avançant sous le couvert du postmodernisme en constituera les aspects les plus spectaculaires et déroutants. De plus en plus, le nationalisme fait place à la revendication identitaire. Cette identité, enracinée dans le monde européen, ne recoupe plus les frontières des nations. Elle apporte donc tout naturellement dans ses bagages la notion fondamentale d’Empire » (p. 477).
Les patriotes républicains qui refusent de voir la France s’abandonner au FN ou se laisser euro-dépecer en grands Länder virtuellement sécessionnistes, les amis des langues nationales unificatrices qui veulent décrypter les objectifs néo-féodalistes de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, les syndicalistes qui refusent la substitution médéfienne de l’Europe des régions à l’État-nation (associé à la Sécu, aux statuts, aux conventions collectives, au Code du travail, au SMIC, à l’Éducation nationale, à la possibilité de nationaliser les monopoles capitalistes…), les marxistes qui veulent voir saisir le sens politique réel du verbiage « autogestionnaire » dont le PCF pré-mutant a initialement couvert sa dé-communisation rampante, et plus généralement, tous ceux qui, pour préparer la contre-attaque du camp progressiste, veulent comprendre comment fonctionne une reconquête culturelle, tous ont intérêt à consulter la somme critique proposée par J.-M. del Percio et sa critique méthodique du legs théorique de l’ « École de Grenoble ».
par Georges Gastaud
- Quête du Graal postmoderne et temps des tribus, une nouvelle révolution conservatrice,par Jean-Marc del Percio-Vergnaud, Éditions matériologiques, collection « Essais », 2016