La réforme présentée par Jean-Michel Blanquer au Conseil des Ministres du 14 février peut sembler beaucoup plus modérée que la révolution (ou plutôt la contre-révolution) prônée par le rapport Mathiot, mais dont une large partie a été inspirée par « Terra Nova ». Tactique classique : le rapport Mathiot sert de test … et de leurre. Après Mathiot, on souffle et on se dit qu’on a échappé au pire. Jean-Michel Blanquer a expliqué à qui voulait l’entendre que pour révolutionner le système éducatif, il suffisait d’en changer une petite partie, stratégiquement choisie, et que tout le reste s’ensuivrait. Il y a trois points clés qui commandent l’ensemble du dynamitage du système : « Parcoursup » qui organise l’affectation sélective des étudiants dans l’enseignement supérieur, en fonction des capacités d’accueil elles-mêmes déterminées par les demandes en matière d’emploi (l’amendement des sénateurs à ce propos et pris en compte par les députés est explicite); la réforme du baccalauréat et enfin, le développement de l’autonomie des établissements qui choisiront leur « offre de formation » et pourraient bientôt choisir eux-mêmes leurs professeurs dans le cadre d’une réforme du statut et du recrutement des professeurs, actuellement en préparation.
La suppression des filières revient de fait à supprimer des ensembles de formation cohérents qui permettent encore aujourd’hui de faire du baccalauréat un niveau de qualification reconnu nationalement par les conventions collectives. De fait, cet examen sera un examen « maison » et selon l’endroit où les élèves le passeront, ils pourront prétendre à certaines formations ou pas. De plus, le baccalauréat « à la carte » appuyé sur un socle commun aboutit à affaiblir sérieusement certains enseignements : la philosophie, victime de la suppression de la filière L, c’est-à-dire de ce qui restait de l’antique « classe de philosophie », mais aussi l’enseignement des mathématiques et celui des sciences économiques et sociales qui n’est plus qu’une spécialité parmi neuf autres. Les choix proposés aux futurs bacheliers sont purement illusoires. Tous les lycées ne pourront pas offrir toutes les combinaisons de spécialités qu’il faudra de toute façon faire entrer dans le cadre toujours plus restreint de la dotation horaire globale. Et surtout les lycéens feront leurs choix en fonction des attendus des formations de l’enseignement supérieur qui ne permettront pas beaucoup de fantaisie. Enfin, on voit apparaître des spécialités qui accouplent plusieurs disciplines Se profile ici la polyvalence des professeurs sur les modèles allemands ou italiens. Professeur de philosophie et de français ou de biologie et de géographie… Ce qui est promu, c’est un affaiblissement des savoirs disciplinaires et donc un affaiblissement du contenu de savoir proprement dit au profit de la capacité de parler de tout sans trop s’y connaître, ce qui sera l’objet du fameux « grand oral », terme pompeux pour désigner la promotion des actuels et très décriés « travaux personnels encadrés » qui ne sont qu’une matière optionnelle.
Au total donc, derrière une rhétorique éprouvée, un affaiblissement drastique des contenus réels transmis par le lycée, avec d’ailleurs l’enterrement officiel des langues anciennes qui ne sont plus que des disciplines optionnelles. Fin des « humanités » annoncée dans la « novlangue » où les mots veulent dire le contraire de ce qu’ils sont censés dire.
Denis Collin. Le 17 février 2018
(Cet article a été publié dans I’Humanité du 20 février 2018)
http://la-sociale.viabloga.com/news/la-mort-programmee-des-humanites