Union Juive Française pour la Paix
NON À TOUTE REMISE EN CAUSE DE L’IRRESPONSABILITÈ DES MALADES MENTAUX !
Nous publions, ci-dessous, la courageuse réaction de l’Union des Juifs Français pour la Paix à propos de ce qu’on a improprement appelé l’affaire Halimi, du nom de cette vieille dame de confession juive tuée dans des conditions effroyables.
Nous comprenons certes l’émotion de nos compatriotes que révulse toute forme d’assassinat, surtout quand il est commis avec une dimension d’antisémitisme. Mais l’UJFP n’en a pas moins raison de mettre en garde contre l’exploitation que font de cette affaire la droite et l’extrême droite qui en font un prétexte à remettre en cause le principe fondamental de responsabilité du prévenu dans l’application d’une sanction pénale.
Ce fut un progrès majeur de l’humanisme que d’en avoir fini, dès l’époque de la démocratie athénienne émergente, avec l’idée que l’on pouvait punir l’auteur d’un acte indépendamment de la question de savoir s’il était maître de son jugement au moment des faits. Revenir là-dessus, c’est retourner au Moyen Âge, où l’on pouvait condamner à mort un cochon pour avoir mordu quelqu’un, ou sanctionner durement un enfant ayant provoqué, sans intention de tuer, un accident mortel. Procéder ainsi, c’est traiter l’homme comme une chose ou pire, comme un chien enragé qu’on tue sans se demander s’il a fait exprès d’attraper le virus. Sur de telles bases, on pourrait demain envoyer au cachot pour la vie un individu qui aurait, sans le faire exprès, transmis le coronavirus, voire tel autre virus encore inconnu de tous, à une autre personne… Qu’on soit obligé de réexpliquer des choses aussi évidentes dans la France de 2021 montre où en est venue la fascisation des esprits.
Résistons au quotidien à ce « gros bon sens » de plus en plus putride qui fait que près de 48% des Français sondés par Harris déclarent désormais approuver l’idée d’un putsch militaire pour « assainir le pays » car cette logique du « gros bon sens » qui refuse de voir plus loin que le bout du nez nous mène tout droit à l’horreur et, sans que nous ayons l’excuse, si c’en est une, de l’ignorance.
Si la décision rendue le 14 avril selon laquelle le meurtrier de Sarah Halimi ne sera pas jugé en Cour d’assise a suscité un élan d’émotion sincère, elle a également aiguisé l’appétit des professionnels les plus obscènes de l’exploitation politique. La position de la Cour de cassation, fondée sur la recherche d’un équilibre complexe entre le respect du droit et la nécessité de rendre justice, a été délibérément trahie pour échauffer les esprits en laissant croire que l’on pouvait aujourd’hui, en France, tuer des juif.ve.s sans être inquiété.
Le fond de l’air est lourd, et pourtant, nombreux sont ceux qui ne cherchent qu’à l’alourdir davantage. Le 14 avril dernier, la Cour de cassation s’est efforcée de tenir la chandelle par les deux bouts en reconnaissant le caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi tout en constatant l’irresponsabilité pénale du meurtrier. Atteint d’une bouffée délirante aiguë, il a violemment assassiné sa voisine, juive, qu’il assimilait à un démon à éliminer en raison de ses origines et de sa religion. Ce crime atroce et la culpabilité de son auteur ont été reconnus par la justice, tout comme son caractère incontestablement antisémite puisque s’appuyant sur des préjugés relevant de la haine des juif.ve.s. En conformité avec l’avis des psychiatres formulé à la quasi-unanimité des psychiatres (six sur sept) ayant mené les expertises auprès de Kobili Traoré dans le cadre de la procédure judiciaire, la Cour de cassation a confirmé l’irresponsabilité pénale de l’accusé, ce dernier ayant perdu tout discernement au moment des faits.
De nombreuses voix, de celle du Crif à celle du Président de la République, se sont élevées pour réfuter ce jugement, arguant que la justice s’occupait bien d’individus ayant commis des actes de délinquance sous l’influence de l’alcool. Il faut lire le détail des expertises psychiatriques pour comprendre à quel point cet argument ne tient pas. La bouffée délirante aiguë n’a rien d’une mauvaise ivresse. Dans la plupart des cas, elle n’est rien d’autre que le moment inaugural de maladies psychiatriques lourdes. La conclusion des experts ne laisse planer guère de doutes quant au fait que le cas de Kobili Traoré relève bien de ce schéma. Que l’opinion publique se pose la question, quoi de plus compréhensible, mais lorsque des personnes ayant eu accès à l’intégralité du dossier soufflent à dessein sur les braises de la colère et du ressentiment, alors c’est à de l’irresponsabilité politique que nous avons affaire !
Devant ce torrent de prises de position s’appuyant sur un désarroi légitime pour flatter les passions les plus viles – celles de la haine et de la vengeance, au détriment de ce que la justice a de plus noble –, le pouvoir macronien court une fois de plus derrière l’extrême-droite à qui, en même temps, il ouvre la voie. Ainsi, l’avocat d’extrême-droite franco-israélien Gilles William Goldnadel annonce saisir la justice israélienne afin de poursuivre Kobili Traoré, depuis un État ne respectant ni les principes du droit international, ni ceux des droits humains, et dirigé par un gouvernement d’extrême-droite et de suprématistes juifs. La lutte contre l’antisémitisme et pour la sécurité des juif.ve.s en France n’a rien à gagner avec de telles propositions. Au contraire, ces dernières alimentent la confusion et ouvrent un boulevard au complotisme. En dressant la justice d’un État suprématiste et colonial contre la décision de la Cour de cassation, elles sèment les grains de l’antisémitisme et plus généralement du racisme sous toutes ses formes.
De plus, on ne peut que constater que l’empressement à intervenir exprimé par le gouvernement est une fois de plus à géométrie variable. Qu’ont fait les pouvoirs publics lorsque Mohammed El Makouli a péri en 2015 sous la lame et les cris de Thomas Gambet (« Je suis ton dieu, il n’y a pas d’islam !1»), lui aussi atteint d’une bouffée délirante et reconnu irresponsable pénalement ? Rien : ni proposition de loi, ni emballement médiatique, ni, d’ailleurs, reconnaissance du caractère islamophobe du crime. Ce deux poids, deux mesures fracture toujours un peu plus la République, contribuant ainsi au renforcement du racisme intercommunautaire – et donc de l’antisémitisme. Une fois de plus, le mal que l’on prétend combattre en sort grandi.
Nous apportons notre solidarité à la famille Halimi et aux communautés juives de France, endeuillées par la haine antisémite et violentées par le cynisme des pompiers pyromanes toujours prompts à réclamer vengeance. Nous avons à cœur le respect des principes fondateurs de ce qu’il reste d’État de droit dans ce pays, d’ailleurs si malmené par ceux-là même disposés à donner des gages aux faux-amis des juif.ve.s. Nous ne le braderons pas au nom d’une vision erronée et dangereuse de la lutte contre l’antisémitisme.
La Commission communication externe pour la Coordination nationale de l’UJFP, le 27 avril 2021