On savait Macron fâché avec le bien public, et plus largement avec la Nation et le respect des lois de la République. Un nouvel exemple vient d’en être donnée s’agissant du patrimoine public culturel. Prenant prétexte de la nécessaire politique de retour sur les pillage coloniaux par l’impérialisme français, le locataire de l’Elysée met un coin dans les principes d’inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité du patrimoine public. Avec Vendémiaire, IC vous explique les implications, les dangers de ce que cela signifie
« Le Président de la République a décidé de restituer sans tarder 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin. »
Une petite phrase dans le communiqué de l’Elysée du 23 novembre 2018 qui annonce la restitution, c’est-à-dire la rétrocession, donc le transfert de propriété, de 26 œuvres entrées dans les collections nationales françaises en 1892. Une petite phrase qui, indépendamment des intentions vertueuses dont elle souhaite se parer (réparer un pillage de l’armée française en 1892), mine en profondeur tout le fonctionnement de l’édifice patrimonial français et ses principes de conservation.
En novembre 2017, Emmanuel Macron, à la suite d’un discours prononcé à Ouagadougou dans lequel il exprimait la volonté que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », commandait un rapport sur la « restitution du patrimoine culturel africain ». Co-rédigé par deux universitaires, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, ce rapport, remis le 23 novembre 2018, recommande la restitution définitive de 46 000 objets actuellement présents dans les collections nationales et plus précisément celles du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, aux Etats qui en feront la demande (les listes d’objets seront préalablement envoyées aux Etats).
« Inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité » forment la devise nationale du patrimoine public. L’histoire de la constitution des collections nationales françaises est complexe, scandée certes d’acquisitions faites dans des conditions d’une asymétrie tragique mais tout autant de dons libres et consentis ou d’achats sur le marché de l’art. L’histoire des collections issues de territoires colonisés par la France recèle plus que d’autres de ces épisodes douloureux. La prise en compte du lien brisé entre des peuples et leur patrimoine ne doit évidemment pas être un vain mot, à peine de nier l’oppression impérialiste subie par les populations colonisées. La solution à la reconnaissance des violences patrimoniales subies passe-t-elle pour autant par la sape de la législation patrimoniale française ? Ne peut-elle se faire qu’au prix de la remise en cause de l’inaliénabilité, seule voie à des restitutions définitives telles que les réclament les auteurs du rapport et que les annonce d’ores et déjà Emmanuel Macron, au mépris des lois en vigueur ?
Au-delà des questions nombreuses que posent ces restitutions à des Etats centraux qui ne représentent souvent qu’imparfaitement les populations à qui les objets ont été pris, des conditions de conservation de ces œuvres[1], des enjeux clairement politiciens qui expliquent la vélocité d’Emmanuel Macron à rendre précisément au Bénin certaines œuvres[2], elles posent une question fondamentale : la législation patrimoniale française est-elle condamnée à devenir un outil obsolète, grignoté de toutes parts, pour des motifs aujourd’hui présentés comme purement humanistes (dans ce cas, pourquoi limiter les « restitutions » à l’Afrique subsaharienne, l’exploitation coloniale est-elle plus pénible au soleil centrafricain qu’au nord du Sahara ou en Asie ?) mais qui demain pourront être strictement pécuniaires ?
Le président de la République piétine sans la moindre honte la loi, il décrète avant même de consulter le parlement. Peut-on douter que cette soi-disant « politique patrimoniale d’avenir » revendiquée par Emmanuel Macron ne soit le cheval de Troie pseudo-philanthrope d’une destruction du service public du patrimoine ?
Dans un contexte où le budget du ministère de la Culture baisse sans discontinuer d’année en année, remettre en cause l’inaliénabilité des collections nationales est la porte ouverte à tous les abus. Comment ne pas craindre, après les aliénations « diplomatiques » et gratuites, les aliénations destinées à renflouer les caisses comme cela se pratique dans certains pays anglo-saxons dont le modèle « libéral » est si cher au cœur d’Emmanuel Macron ?
Le patrimoine français souffre, de son manque de moyens, de personnel, du mépris permanent adressé à ces femmes et ces hommes qui mettent toute leur énergie à conserver et transmettre des collections que leur richesse constitue en véritable patrimoine commun de l’humanité. L’Union européenne pousse à la remise en cause toujours plus absolue des services publics du patrimoine : en Italie, les fonctionnaires de la culture dans les musées sont placés sous les ordres de super-directeurs embauchés hors cadre sous contrat privé pour dégraisser et faire du chiffre. En France, les « missions fondamentales » des établissements de la culture se réduisent à grande vitesse, justifiant l’externalisation croissante des fonctions d’entretien et de surveillance, soumission à la « concurrence libre et non faussée » imposée par l’UE.
Le patrimoine français est en péril quand la soi-disant « solution miracle » trouvée au maintien du patrimoine monumental passe par sa disneylandisation sous la houlette d’un animateur de télévision ouvertement royaliste (et qui ne cache pas sa répugnance à travailler avec les professionnels du patrimoine), quand les acquisitions se réduisent comme peau de chagrin et quand on répète à l’envi les appels à l’attachement patrimonial des Français par des opérations de « mécénat populaire » qui n’en finissent pas de cacher le renoncement de l’Etat à ses missions fondamentales de conservation, de recherche et de valorisation du patrimoine.
Derrière la « bonne conscience » d’un gouvernement qui n’en finit pas de maintenir ses armées sur le sol des pays d’Afrique francophone, de soutenir les entreprises françaises dans leur exploitation néocoloniale des ressources de ces pays, de fermer les portes de ses universités aux étudiants africains en faisant exploser les frais d’inscription, l’opération autour des restitutions à l’Afrique n’est là que pour cacher la politique méthodique de destruction du service public du patrimoine français, sans que l’on puisse à ce jour affirmer que les populations africaines y gagneront vraiment le retour d’œuvres produites de leurs mains.
Par Vendémiaire pour www.initiative-communiste.fr
[1] https://www.benincultures.com/fr/degradation-des-sites-patrimoniaux-du-benin-marie-cecile-zinsou-chercher-des-solutions-plus-que-des-coupables/
[2] https://www.lopinion.fr/edition/economie/lionel-zinsou-banquier-en-meme-temps-president-fondation-terra-nova-129828