Alors que la France bouillonne d’une mobilisation populaire, qui impressionne par son ampleur, son étendue et sa durée, portant des revendications pour la plupart progressiste et à bien des égards révolutionnaires, Georges Gastaud dans un article publié par l’association des Amis de Robespierre s’interroge sur ce qu’est être révolutionnaire, ce qu’est être robespierriste dans la France de 2018.
« Nous publions bien volontiers le texte ci-dessous, proposé par notre ami Georges Gastaud, membre de l’ARBR depuis la création de notre association et co-fondateur et animateur dans les années 90 du journal robespierriste lensois « Le Régicide ».
Certes, le point de vue exprimé n’oblige que son auteur, mais il arrive à point nommé pour éclairer le débat d’aujourd’hui. On parle, sur les ronds-points, et même dans la presse, de 1789.
Ces jours-ci le regain d’intérêt des internautes pour la consultation de notre site, n’a pas échappé au président-webmaster de l’ARBR, ce qui lui laisse à penser que le Peuple de France qui se lève aujourd’hui n’oublie pas ses ancêtres sans-culottes et Robespierre en particulier. »
Qu’est-ce qu’être robespierriste dans la France de notre temps ?
Par Georges Gastaud, agrégé de philosophie, membre de l’ARBR
Co-fondateur et animateur dans les années 90 du journal robespierriste lensois « Le Régicide »
Lens, le 15.12.2018
A l’heure où E. Macron promeut son « pacte girondin » et où tous les bien-pensants brandissent comme une insulte le mot « jacobin », il est urgent de définir ce que recouvre cette épithète, et plus précisément, ce que désigne l’étiquette de « robespierriste » puisqu’il est acquis que Robespierre fut la plus éminente figure jacobine de la Révolution française.
Je répondrai schématiquement et pour mon compte à cette question, sachant que d’autres robespierristes que je respecte ne se retrouveront peut-être pas totalement dans ma réponse. Il me semble que l’on peut se dire robespierriste, c’est-à-dire jacobin par excellence, de trois manières que je tiens pour profondément indissociables.
Tout d’abord, être robespierriste aujourd’hui, c’est se dresser contre un certain révisionnisme contre-révolutionnaire qui, dans la lugubre lignée de Thermidor, noircit à plaisir la phase la plus radicale et la plus authentiquement populaire de notre Révolution, nie l’effort surhumain des grands Jacobins pour sauver la « patrie en danger », fonder notre Première République, abattre la chouannerie inféodée aux envahisseurs, engager la construction encore balbutiante d’une République sociale, arrêter l’Europe contre-révolutionnaire et monarchique, pousser le plus loin possible dans les conditions effroyables de Quatre-Vingt-Treize l’alliance de la jeune bourgeoisie alors révolutionnaire, personnifiée par l’Incorruptible, avec le peuple laborieux des Sans Culottes parisiens et l’immense armée invisible des paysans faisant table rase de la féodalité et du pouvoir clérical. Il n’y a rien d’étonnant à ce que la bourgeoisie actuelle, devenue irréversiblement oligarchique, « eurolâtre », « germano-béate » hostile à toute forme de souveraineté nationale et populaire, ouvertement désireuse de re-cléricaliser [1] la France et d’araser l’héritage de deux siècles de luttes ouvrières, laïques et démocratiques, crache sur Marat et Maximilien, encense les « gentils » Girondins, réhabilite l’Autrichienne, etc., réduise le gouvernement de l’An II à « la Terreur », elle-même coupée de son tragique contexte historique : celui d’une intense lutte des classes continentale entre l’Ancien Régime et la Révolution française, au plus fort de laquelle émergent déjà sous la gangue démocratique-bourgeoise, les revendications proprement communistes de Babeuf et de Buonarroti.
Cet anti-jacobinisme primaire est d’autant plus inévitable que la haine du 1789 français converge et fusionne aujourd’hui avec l’élan contre-révolutionnaire planétaire que l’an 1989, triste bicentenaire, a apporté aux forces oligarchiques du monde entier en arasant les résultats de la Révolution russe et en permettant la re-mondialisation d’un capitalisme brutal**, allié aux pires forces réactionnaires de la planète. Du reste, la preuve que le dénigrement permanent de Robespierre au nom de « la » liberté est pure hypocrisie, c’est que l’actuel chef de l’État, qui se dit girondin, a récemment fait l’éloge de Versailles qui, selon lui, aurait naguère « sauvé la République » (sans doute fait-il allusion à l’exploit du « républicain » bien connu Adolphe Thiers écrasant la Commune de Paris en 1871 en tuant plus de prolétaires en une semaine qu’il n’y eut de victimes de la guillotine au plus fort de la Terreur !). En réalité, pour ces étranges thuriféraires de la « liberté une et indivisible », on a le droit d’écraser les libertés quand il s’agit de défendre les privilèges des nantis, la restriction des droits politiques n’étant condamnable que lorsqu’elle est édictée à l’encontre des classes privilégiées : affaire, non pas de « valeurs humaines universelles », mais de positionnement dans l’affrontement social opposant à toute époque, les exploiteurs aux exploités en bleu, en rouge ou en jaune ayant l’ « irresponsabilité » de vouloir s’émanciper
La deuxième manière d’être concrètement et activement robespierriste dans l’actuelle France en voie d’euro-désintégration néolibérale et atlantique est de défendre les acquis bien réels, mais de plus en plus menacés, du robespierrisme réel. J’entends par là tout d’abord la souveraineté nationale dépecée au nom d’une intégration impériale (le mot est de Bruno Le Maire) euro-atlantique dominée, tantôt par l’Allemagne capitaliste d’Angela Merkel, tantôt par le très revanchard impérialisme états-unien. Autant sinon plus qu’en 1793 la défense de la République française indépendante, une, démocratique, sociale et indivisible s’impose aujourd’hui à ceux qui veulent éviter que ne se consolide définitivement un nouveau St-Empire germanique usurpant le prestige de l’Europe des Lumières. Tout cela sous la houlette d’un Empire transatlantique qui n’a d’autre souci que la préservation de son hégémonie mondiale, l’humanité dût-elle en mourir et la planète dût-elle dépérir sous les coups de boutoir obscurantistes de Trump. Pas plus qu’en 1793 il ne s’agit de concevoir cette reconquête de la souveraineté nationale et populaire comme ciblant d’autres peuples, encore moins d’autres « races ». Souvenons-nous que c’est Robespierre qui dénonça le premier l’esclavage et que son nom est lié à jamais à celui de Toussaint Louverture, premier de cordée des naissantes luttes anti-esclavagistes et anticolonialistes. Rappelons aussi que Robespierre refusait la guerre voulue par les Girondins avides d’exporter la révolution… et d’éloigner de Paris les Sans Culottes les plus résolus. Souvenons-nous que la juste politique jacobine d’unification territoriale, tournée à la fois contre les particularismes obsolètes de l’Ancien Régime (fin des ci-devant provinces, création des départements à taille humaine) et contre le fédéralisme intéressé des notables brissotins avait pour but de donner au peuple, et notamment à l’alliance des jacobins et des Sans Culotte, le plus de force sociale possible contre la coalition des aristocrates déchus et des notables avides de se tailler de nouveaux fiefs. Du reste, la République une et indivisible était inséparable, aux yeux de Robespierre, d’un maximum de libertés dévolues aux communes, la plus vieille institution démocratique [2] de notre pays. Souvenons-nous que le prétendu « jacobinisme hyper-centralisateur » que l’oligarchie actuelle, MEDEF en tête, reproche à Maximilien, fut en réalité l’œuvre de Napoléon 1er. Ce renégat du jacobinisme plaça les communes sous la tutelle des préfets et militarisa de facto l’administration du Nouveau Régime. Or l’oligarchie bourgeoise actuelle, qui vomit Robespierre et refuse mesquinement d’honorer de son nom la moindre placette parisienne, continue de mille façons d’aduler l’Empereur qui, à côté de certains mérites historiques (pas question d’égaler Napoléon, lecteur infidèle de Rousseau et fils illégitime des Lumières, au ténébreux Hitler !), causa bien plus de morts en France et en Europe que la Terreur n’en fit jamais, opprima férocement la naissante classe ouvrière, rétablit l’esclavage aux colonies. Historiquement d’ailleurs, le bonapartisme fut l’enfant du thermidorisme via le régime corrompu du Directoire : si paradoxal que ce soit, il est donc l’héritier, non pas du robespierrisme, mais de la Gironde bourgeoise dont Thermidor recycla toutes les thématiques antipopulaires. Derrière l’anti-jacobinisme, prière de toujours chercher le « nanti-girondinisme » et la « république » des coffres-forts !
La troisième manière d’être robespierriste à notre époque ne fera sûrement pas l’unanimité, mais quel républicain craindrait le débat entre les héritiers de la Grande Révolution, dont les thématiques insurrectionnelles et les Marseillaise vengeresses refleurissaient récemment dans les manifs populaires en Gilets jaunes au grand effroi des nantis : philosophiquement parlant, on peut en effet être robespierriste selon l’identité (c’est-à-dire défendre à l’identique pour notre époque ce que Robespierre voulait pour la sienne : c’est justifié puisque le meilleur de la République actuelle vient en grande partie de 1789, de 1793 et aussi, de février 1848, de 1905, de 1936 et du CNR). Mais cela ne suffit plus. Pour le marxiste que je suis, il faut être robespierriste selon l’analogie, c’est-à-dire faire vivre à notre époque le rapport vivant et dynamique que les grands Jacobins de l’An II, avant-garde à leur époque de leur alliance de classes progressiste, surent entretenir avec leur temps quand ils combattaient la contre-révolution monarcho-féodale et qu’ils défendaient la révolution (alors démocratique-bourgeoise, et c’était déjà beaucoup !). Or ce rapport vivant ne peut se maintenir aujourd’hui que si l’on prend parti pour la classe révolutionnaire de notre temps, la classe travailleuse (qui refait vigoureusement surface ces derniers temps sous une couleur inattendue…) et contre les nouveaux aristocrates de la haute classe capitaliste, dont la partie la plus influente s’est depuis longtemps transformée en caste contre-révolutionnaire, voire contre-réformatrice. Qu’on relise le manifeste du MEDEF publié en 2011 sous le titre Besoin d’aire. On y verra le grand patronat s’asseoir sur le plus élémentaire patriotisme républicain : dans ce texte proprement antinational, le MEDEF revendique la « reconfiguration des territoires » (Grandes Régions à l’allemande supprimant les départements, euro-métropoles étouffant les communes et redimensionnées à l’échelle des transnationales…), appelle à substituer les « Etats-Unis d’Europe » et l’ « Union transatlantique » à l’État-nation souverain et exige que les acquis sociaux obtenus dans un cadre national passent à la moulinette des « accords d’entreprise ». Cerise sur ce gâteau patronal et maastrichtien empoisonné, on voit se mettre en place sans le moindre débat national une politique linguistique inavouable visant à substituer tous azimuts (grandes entreprises, mais aussi enseignement public et Université) le Business-Globish à la « langue de la République » : le français.
Bref, il ne s’agit pas seulement de « démanteler le programme du CNR », comme y appelait un dirigeant du MEDEF en novembre 2007 (édito de Challenge), mais d’extirper l’ADN républicain de notre nation, bref de faire de notre pays amputé de toute sa culture révolutionnaire l’équivalent d’un « couteau sans manche dont on a jeté la lame ». Quitte pour cela à prendre appui sur tous les séparatismes régionalistes, à courtiser en douce les communautarismes religieux et à détricoter jusqu’à l’œuvre centralisatrice progressiste des Capétiens que la Révolution française, tout à la fois, libéra de ses étroitesses féodalistes et qu’elle paracheva (contre Louis Capet !) pour faire de l’ancienne France « inconstituée » des rois une nation digne d’être défendue par tous ses enfants et porteuse de droits et de lumières pour tous les peuples. C’est pourquoi un robespierriste conséquent ne saurait à mes yeux renier la Révolution prolétarienne et socialiste d’Octobre 1917, ni se réjouir qu’elle eût été abattue par une contre-révolution doucereuse dont les effets réactionnaires se paient par une re-mondialisation sauvage de l’exploitation capitaliste, par la remise à flot de forces ultra-réactionnaires (néocons américains, intégristes islamistes, fascistes brésiliens, néonazis ukrainiens, nostalgiques de Mussolini…), par une Europe despotique de Maastricht que n’eût pas reniée Metternich, par la remise en cause permanente de l’épisode le plus glorieux de notre histoire. Tant il est vrai que les contre-révolutionnaires de toutes époques et de tous pays savent toujours s’unir pour dénigrer les révolutions de tous les temps et de tous les continents.
Pour rester fidèle à cette « France des travailleurs » dont Jean Ferrat disait qu’ « elle répond toujours du nom de Robespierre », pour honorer ce Pas-de-Calais plébéien qui donna naissance, non seulement au fondateur arrageois de la République française, mais à la figure de proue du Front populaire et des conquêtes sociales de 1945 (j’ai nommé Maurice Thorez, le ministre d’État qui, en 1945, mit en place l’ancêtre du SMIC, le statut de la fonction publique et le statut des mineurs), il faut donc défendre haut et fort le legs de l’Incorruptible sur tous les plans, historique, politique et philosophique. Un héritage indispensable pour faire en sorte que, dépassant le cadre combatif, mais politiquement fragile de la légitime révolte en Gilet jaune, notre peuple, recentré sur le monde du travail retrouvant sa fierté, coiffe à nouveau le bonnet rouge pour reprendre sa route interrompue vers la liberté, l’égalité et la fraternité.
[1] Les libres-penseurs sont actuellement appelés à manifester pour la défense de la loi de séparation de l’Etat et des Eglises, que le gouvernement veut vider de tout contenu pour favoriser le « dialogue institutionnel avec les Eglises » recommandé par la Constitution européenne (battue en mai 2005 mais de facto en cours d’application).
[2] **Les jurées-communes datent du onzième siècle. C’est grâce à l’alliance du Capétien Philippe-Auguste et des milices communales du Nord que les Français vainquirent à Bouvines (1214), au cri de « Commune, Commune ! » la coalition des féodaux français félons, du Régent d’Angleterre, de l’Empereur germanique et du Comte des Flandres. La Commune insurrectionnelle fut l’ultime bastion des robespierristes en Thermidor et la Commune de Paris devint le premier gouvernement prolétarien de l’histoire en 1871. C’est en référence à ladite Commune que fut dénommée en 1919 une nouvelle Internationale résolue à combattre les guerres impérialistes.