La 79° assemblée générale de l’ONU s’est déroulée dans un contexte d’extrême tension internationale et a offert l’occasion d’un bilan de l’organisation dont l’objectif premier était d’éviter les guerres.
Bulletin Comaguer 580 – 02.11.2024 – Les avis divergent mais la crise profonde est manifeste quand interviennent à la tribune deux chefs de gouvernement qui ne craignent pas de tenir des discours de guerre et de faire comprendre qu’ils ne sont pas près de changer d’avis. La salle peut se vider quand Zelinsky et Netanyahou viennent sans honte déverser leur haine mais cette réaction d’humeur qui fait figure de sondage d’opinion international improvisé n’a aucune portée et on ne voit pas le président de séance couper le micro quand un de ces orateurs appelle au meurtre et à la guerre. Poussant en effet la provocation jusqu’au bout, le Premier ministre israélien a brandi en s’installant à la tribune une carte où figuraient les territoires étrangers que son pays avait prévu d’envahir et d’annexer pour créer le « grand Israël ». L’agression programmée du Liban, État souverain, a bientôt suivi.
Quant au ton du discours adressé par Netanyahou aux membres de l’Assemblée générale il est tout simplement insultant et inacceptable. «Je vous le dis, jusqu’à ce qu’Israël, jusqu’à ce que l’État juif, soit traité comme les autres nations, jusqu’à ce que le marécage antisémite soit asséché, l’ONU sera considérée par les gens justes comme rien de plus qu’une farce méprisante.»
Évoquant les mandats d’arrêt imminents de la Cour pénale Internationale, il les a taxés d’ «antisémitisme pur et simple» au mépris de la justice internationale.
Sur le dossier palestinien l’ONU s’est caractérisée dès l’origine et sans discontinuer par une flagrante inégalité de traitement entre le colonisateur, Israël, et le colonisé : la Palestine dont le point d’arrivée actuel est proprement déshonorant.
Michel Raimbaud, ambassadeur de France, excellent connaisseur du Moyen Orient où il a effectué une grande partie de sa carrière diplomatique, a publié récemment une remarquable synthèse des errements de l’ONU sur la question palestinienne que nous reproduisons en annexe.
Résumons : L’ONU propose en 1947 la création de deux États, mesure faussement équilibrée puisque aussitôt assortie d’un partage du territoire inégal entre le colonisateur et le colonisé au détriment de ce dernier. Quatre-vingt-quatre ans plus tard un seul État existe et la violence israélienne, militaire, policière et sociale permanente et impunie a réduit le territoire dévolu au second comme peau de chagrin.
À la même Assemblée générale le président de l’Autorité palestinienne avait bien quant à lui tiré la juste leçon du comportement outrageant pour l’ONU ,: «Israël, qui refuse d’appliquer les résolutions des Nations unies, ne mérite pas d’être un membre de cette organisation internationale» mais ses propos émanant d’un État en devenir depuis 1947 n’avaient pas été repris.
Cette tension et la nouvelle illustration de l’impuissance de l’ONU face à l’agression du Liban par Israël n’ont fait que redoubler les critiques à l’égard de l’institution.
Mais il ne faut jamais oublier que le comble avait été atteint lorsqu’en novembre 1949 l’Assemblée générale approuvait, un an après la Naqba qui avait vu Israël chasser de leur terre, manu militari, 700 000 Palestiniens, l’adhésion d’Israël à l’ONU (résolution 273 du 11 mai 1949) dans les termes ahurissants qui suivent :
***
273 (IlI). Admission d’Israël à l’Organisation des Nations unies
Ayant reçu le rapport du Conseil de sécurité relatif à la demande d’admission d’Israël à l’Organisation des Nations unies,
Notant que, de l’avis du Conseil de sécurité, Israël est un État pacifique capable de remplir les obligations de la Charte et disposé à le faire,
Notant que le Conseil de sécurité a recommandé à l’Assemblée générale d’admettre Israël à l’Organisation des Nations unies,
Prenant acte, en outre, de la déclaration par laquelle l’État d’Israël “accepte sans réserve aucune les obligations découlant de la Charte des Nations unies et s’engage à les observer du jour où il deviendra membre des Nations unies”,
Rappelant ses résolutions du 29 novembre 1947 et du 11 décembre 1948, et prenant acte des déclarations faites et des explications fournies devant la Commission politique spéciale par le représentant du Gouvernement d’Israël en ce qui concerne la mise en œuvre des dites résolutions,
L’Assemblée générale,
Remplissant les fonctions qui lui incombent aux termes de l’Article 4 de la Charte et de l’article 125 de son règlement intérieur,
1. Décide qu’Israël est un État pacifique qui accepte les obligations de la Charte, qui est capable de remplir lesdites obligations et disposé à le faire;
2. Décide d’admettre Israël à l’Organisation des Nations unies.
Deux cent septième séance plénière, de 11 mai 1949.
En résumé : sur le cas palestinien la faillite de l’ONU est totale et les États-Unis l’ont écrasée de tout leur poids impérial
Mais outre ce cas extrême, les critiques sur le fonctionnent de l’ONU n’ont jamais manqué. Des appels à la révolte contre cet ordre onusien contradictoire avec la Charte ont pu être prononcés à cette tribune : les Che Guevara, Sankara, Allende qui les ont prononcés y ont signé leur arrêt de mort, d’autres comme Fidel Castro ayant tenu le même discours ont échappé à des dizaines d’attentats.
L’ONU n’a empêché ni les agressions ni les crimes de guerre ni les crimes contre l’humanité même quand ils ont été perpétrés à intervalles réguliers et avec constance par le pays qui abrite si généreusement et si perfidement son siège.
Ces critiques sont largement partagées, même si elles ne sont pas toutes explicites sur le rôle destructeur des États-Unis . Les propositions de réformes de ne manquent pas.
Mais curieusement, elles portent majoritairement sur la composition du Conseil de sécurité et plus précisément sur les sièges permanents. Or les demandes exprimées jusqu’’à aujourd’hui émanent uniquement de pays puissants qui voudraient rejoindre le club fermé des cinq grands, demandes favorisées par le fait que les deucinq petits des 5 grands ne font office que de seconds couteaux des États-Unis .
Ont même revendiqué leur place dans le club deux pays dont l’accès leur est interdit dès l’origine du fait de leur passé fasciste d’agresseurs militaires : le Japon et l’Allemagne. Ont suivi le Brésil, l’Inde, et plus récemment une demande de l’Union africaine en tant que représentant collectif des pays du continent. Un des articles de la déclaration finale du sommet des BRICS à Kazan s’inscrit dans la même démarche
Mais cette agitation diplomatique favorisée par l’impuissance de l’ONU face à la collusion États-Unis/Israël, encore confirmée avec le refus par les deux larrons de la levée de l’embargo sur Cuba, passe à côté du vrai problème d’avenir.
Il ne peut plus s’agir d’ouvrir le Conseil de sécurité à d’autres grandes puissances économiques et politiques; il s’agit de prendre en compte une bonne fois la dimension nouvelle de l’organisation internationale nécessaire que devrait être l’ONU dans le monde d’aujourd’hui, bien différent de celui de 1945
Éléments nouveaux
- Nombre d’États
- 51 en 1945 (les États fondateurs) –193 États en 2024
- Population
- 2,3 milliards d’habitants en 1945 – 8,1 milliards d’habitants en 2024
- Colonisation
- En 1945 un tiers de la population mondiale vit dans des pays colonisés
- En 2024 restent colonisés : la Palestine, 6 millions de Palestiniens; 2,2millions dans l’empire colonial français et quelques centaines de milliers à Gibraltar et dans les îles, derniers restes insulaires de l’empire britannique .
On peut estimer qu’il existe aujourd’hui 10 millions de personnes vivant encore dans des pays colonisés contre 800 millions en 1945. La colonisation est donc un résidu d’un siècle achevé et les Etats-Unis, en imposant et en défendant avec leurs énormes moyens une colonie de peuplement au moment même où l’ONU soutenait un mouvement mondial de décolonisation, ont tenté de faire tourner à l’envers le mouvement de l’Histoire. Cette politique proprement réactionnaire est aujourd’hui insupportable à la majorité de l’opinion publique internationale comme à la majorité des États. Pour survivre, l’ONU doit faire respecter la Charte des nations Unies, un document dont le respect permettrait la cohabitation de l’humanité sur la planète. Mais l’ONU a un besoin urgent de réformer son fonctionnement pour ne plus être insultée, humiliée par le premier Netanyahou venu et pour assurer la cohabitation sur la planète de tous les membres de la communauté humaine dans leur diversité.
Chaque membre de la communauté humaine a le droit de réfléchir à cette question fondamentale et de formuler des propositions. C’est ce que nous faisons aujourd’hui sous la forme qui suit :
Proposition visant à mettre sur pied une architecture de type républicain avec un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire pour organiser les rapports entre tous les États.
Constatant que :
- Le Conseil de sécurité est aujourd’hui un exécutif de l’ONU sans contrôle
- Les votes de l’Assemblée générale de l’ONU, aussi massifs soient-ils, sont consultatifs
- Les avis de la Cour internationale de justice de l’ONU sont consultatifs
Il est proposé que
1– Deviennent exécutoires les votes de l’Assemblée générale acquis à la majorité des ¾ des États membres représentant la même proportion de la population mondiale
2 – Deviennent exécutoires dans les mêmes conditions les avis de la Cour internationale de justice
3 – Le Conseil de sécurité mette en œuvre ces décisions .
Ce dernier point va faire sourire. Mais rêvons un peu sur un exemple :
L’Assemblée générale décide dans les conditions indiquées la levée du blocus de Cuba
Que va faire le Conseil de sécurité ? Non, il ne décidera pas de bombarder Washington ! Idée d’un temps révolu !
En s’inspirant simplement des méthodes utilisées abusivement, car sans mandat international, par les États-Unis, le Conseil de sécurité va prendre des sanctions comme :
Sanction 1 : L’achat de matériel militaire étasunien est interdit à tous les membres de l’ONU
Sanction 2 : l’achat de tout avion civil étasunien est également interdit
Sanction 3 : l’achat de gaz de schiste étasunien est interdit
Sanction 4 : l’achat de céréales produites aux États-Unis est interdit
Sanction 5 : l’achat de tout ordinateur comportant des puces fabriquées par une entreprise étasunienne est interdit
(Tous ces produits sont disponibles sur le marché international à qualité au moins égale)
Sanction 6 : tout État a le droit d’interdire ou de limiter la diffusion sur son sol des films produits aux Etats-Unis.
Plus nous serons nombreux à rêver ainsi, plus proche sera la levée de l’embargo sur Cuba, plus proche sera la fin du calvaire palestinien !
Annexe
International : L’ONU condamnée à mort ?
31 octobre 2024 Publié par Bolivar Infos – par Michel Raimbaud
Un péché originel
Née dans le sillage de la seconde guerre mondiale, l’ONU a «fauté» dès ses premiers pas, endossant ou parrainant une spoliation de nature coloniale qui, plus de soixante-quinze ans plus tard, paraît quasiment irréparable. Le péché originel ? C’est d’avoir fait payer aux propriétaires légitimes de la terre (Asshab al Ared), à savoir les populations présentes en Palestine depuis des temps immémoriaux, un crime dans lequel ils n’étaient pour rien, l’Holocauste «découvert» dans les camps nazis lors de leur libération étant le fait des Européens (les Allemands, mais aussi beaucoup d’autres «collaborateurs») . Nous ne savions pas, affirment alors sans vergogne ceux qui savaient mais préféraient le taire… D’où leur zèle dans la recherche d’une réparation peu coûteuse pour de mauvaises consciences peu scrupuleuses : quoi de plus simple pour la tranquillité des innombrables lâches que d’expédier les survivants dans une terre refuge où avait été imposée depuis la chute des Ottomans une tutelle européenne, mais une terre au nom évocateur pour les sionistes : c’est donc, estiment-ils, le moment ou jamais de concrétiser la réalisation de projets tels que la Déclaration Balfour, le Foyer national juif etc., autant de «promesses» qui ne coûtent rien aux Européens, puisque les Arabes doivent en payer le prix.
C’est ainsi qu’apparaît à l’ordre du jour le plan de partage de la Palestine, encore sous mandat des Britanniques (d’ailleurs amputée depuis 1922 de la Transjordanie, ainsi soustraite à l’application de la Déclaration Balfour). Élaboré par le Comité spécial des Nations unies institué par l’Assemblée générale (AGNU) et approuvé par celle-ci, le Plan est voté le 29 novembre 1947 : la résolution 181 «recommande» la partition de la Palestine en trois entités distinctes : un État juif sur 56% du territoire et un État arabe sur 42%, Jérusalem (les 2% restants) devant être doté d’un statut spécial. Le résultat en sera la première «nakba» (catastrophe) qui se traduit par l’expulsion brutale et sans rémission de centaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs maisons, de leurs villes ou villages et de leurs terres. Cet exode est déjà horrible en soi, mais il passera presque inaperçu grâce à une couverture médiatique biaisée (Exodus) et à l’ignorance de l’opinion, passant en Occident comme une lettre à la poste : c’est cette «nakba» qui se reproduit au grand jour depuis l’automne 2023, inspirant au Révérend Dr Munther Isaac, de l’Église luthérienne évangélique de Bethléem, cette vérité qui mérite d’être méditée : «Si vous n’êtes pas horrifiés par ce qui se passe, si vous n’êtes pas ébranlé jusqu’au fond de vous-même, c’est que votre humanité est en défaut.»
En 1948, on peut déjà dire à l’issue de la première vague d’épuration ethnique que sous l’État d’Israël, il y aura toujours et partout la terre de Palestine. Et en germe tous les conflits, drames, rancœurs et haines qui vont dès lors faire flamber en permanence la Terre Sainte et le Grand Moyen-Orient. Ce projet typiquement colonial permettra de concrétiser «l’État-tampon» imaginé par Lord Campbell-Bannerman, Premier ministre britannique, au tournant des années1900, afin de semer la zizanie dans toute la région du fait de sa seule existence et de décourager les aspirations ou les ambitions des Arabes ou des musulmans à l’unité. Les autochtones n’ont pas été consultés, bien qu’ils représentent alors 70% de la population. Ils sont évidemment hostiles au partage, qui attribue plus de la moitié de leur terre aux immigrants juifs, en vertu d’un droit de succession inédit se référant à des ancêtres supposés y avoir vécu il y a 2000 ans.
Le plan onusien sera accepté (du bout des lèvres) par les dirigeants de la communauté juive, mais pour des leaders comme Ben Gourion, il ne s’agit que d’un hors-d’œuvre, prélude au festin que constituera l’absorption de la totalité de la Palestine.
La fin du mandat britannique est fixée au 1er août 1948, le partage devant être effectif au 1er octobre de la même année. Mais le Royaume de Sa Majesté, affaibli par son effort de guerre, se délestera de ses responsabilités avant l’heure, le 15 mai 1948. Pour imposer d’emblée son calendrier, l’État d’Israël est proclamé illico le 14 mai, la veille du déguerpissement des mandataires, dans un contexte de confusion et d’attentats… Les voisins arabes déclenchent les hostilités qui dureront jusqu’en janvier 1949, se terminant par des armistices séparés. Il n’y aura pas d’État arabe et pas de statut pour Jérusalem, ce qui permettra aux sionistes de ronger en douce ce qui reste de Palestine.
Si la légitimité du partage est nulle, sa légalité elle-même est hautement incertaine. Présenté comme une recommandation, le dit Plan est rejeté fermement par la majorité des dirigeants arabes, y compris le Haut Comité soutenu par la Ligue arabe, laquelle se dit prête à prendre toutes les mesures pour empêcher l’application de la résolution 181 qui bafoue le droit à l’autodétermination. Il est déclaré nul par les Nations unies et abandonné purement et simplement. Comme l’explique le colonel Jacques Baud, qui a décortiqué l’épisode et ses fondements juridiques, la résolution, émanant de l’Assemblée générale et non pas du Conseil de sécurité, n’a pas de valeur contraignante. Elle «recommande» simplement, c’est-à-dire que l’ONU renonce d’emblée à imposer son autorité. Dans ces conditions, on réalisera que la création d’Israël ne résulte même pas d’une décision onusienne, mais qu’elle illustre – déjà – l’impuissance de la nouvelle Organisation. Dès sa naissance, l’État sioniste apparaît comme un «électron libre», dégagé des contraintes de ce bas monde.
L’enfant chéri qui tyrannise l’Occident collectif
Jouissant de l’indulgence de l’Occident colonialiste et de la faveur de l’URSS qui voit dans les kibboutz l’embryon d’une enclave «socialiste», Israël se comportera sans plus attendre comme un État hors-champ ou comme un sujet capricieux. Il profitera du vide juridique pour prendre des libertés avec le Droit international, au point de l’ignorer totalement. Il découvrira immédiatement son impunité, et le profit qu’il peut en tirer. Par dizaines et peut-être par centaines, les résolutions onusiennes, les recommandations, du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale, seront ignorées ou violées par l’État hébreu. De 1947 à 2024, on serait bien en peine d’en citer une seule qui ait été respectée. On trouvera ci-après quelques exemples de textes archivés sans suite :
La résolution 194 du 11/12/1948 qui place Jérusalem sous mandat international et garantit le principe des droits existants (sic) est ignorée. La résolution 242 du Conseil de sécurité du 22/11/67 qui traite de l’évacuation des territoires occupés l’est également, comme les résolutions 476 du 30/06/80, la 478 du 20/08/80 ainsi que la 672 du 12/12/90, qui condamnent l’attitude belliqueuse de l’État sioniste et ses lois illégales.
Au total ce sont 226 résolutions du Conseil de sécurité qui auraient été violées pour la période 1948/2016. Elles s’ajoutent aux 140 résolutions de l’Assemblée générale ignorées ou violées depuis 2015… Etc… Ce qui en dit long sur le respect accordé par certains États au Droit international. Démarche exceptionnelle et se référant à l’article 99 chapitre XV de la Charte, le secrétaire général Gutteres a été amené à appeler le Conseil à agir d’urgence pour éviter une catastrophe humanitaire à Gaza, menace pour la paix et la sécurité dans le monde… C’est l’objet de la résolution 2712 du 15 novembre 2023.
Pourquoi cette désinvolture provocatrice ? La réponse est simple : l’État d’Israël est assuré du soutien tous azimuts de l’Occident, de l’Amérique et du bloc anglo-saxon en premier lieu. L’imprégnation sioniste, la solidarité des «peuples élus», «60 millions de chrétiens évangélistes unis pour Israël», le néoconservatisme comme ciment, l’AIPAC comme «police des mœurs», autant d’incitatifs à une solidarité sans faille, à une affinité qui ne se discute plus depuis des lustres, alimentant l’arrogance des deux partenaires : le cœur de l’Amérique bat pour Israël et Israël est le cœur battant de l’Amérique…
En 1948, Truman était le premier chef d’État étranger à reconnaître Israël, prenant ainsi la relève de la Grande-Bretagne, pourtant à l’origine de la création de l’État tampon qui sème le trouble et la destruction dans tout le Grand Moyen-Orient. C’est ainsi que 55% des vétos étasuniens au Conseil de Sécurité sont liés au souci de protéger Israël.
La dissolution surprise de l’URSS, proclamée la veille de Noël 1991, vient bousculer l’échiquier onusien. Le cadeau du Père Noël à l’Amérique est somptueux : les pleins pouvoirs sur la planète. Il n’y a plus qu’une seule superpuissance et celle-ci entend faire la loi sans concession. Tout un chacun est prié de se mettre au garde-à-vous devant la puissance indispensable, plus grand Empire que la terre ait porté. Israël est promu de facto fondé de pouvoir pour le Grand Moyen-Orient. Théâtre d’un véritable séisme, l’ONU doit survivre et s’accommoder du moment unipolaire, de l’hégémonisme américain sans partage et en assumer toutes les conséquences… On verra donc l’Occident appliquer peu à peu les principes de sa stratégie «libératrice» expérimentée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale : on bombarde d’abord et on rase gratis, on libère ensuite, et sur les bases de ce chaos destructeur, on impose sa loi dans toute la mesure du possible, de préférence par proxies interposés. Fleuriront alors les révolutions de couleur et les printemps arabes, et Israël y joue un rôle déterminant. Le Programme pour un nouveau siècle américain (PNAC), le plus achevé des calendriers hégémoniques, porte la trace des considérations ci-dessus.
On verra donc s’institutionnaliser de façon extravagante la relation maladivement fusionnelle entre l’Amérique et Israël, entre les dirigeants de Washington et ceux de Tel-Aviv, relevant de la psychanalyse plus que de l’analyse, bien qu’elle renverse les rôles : le décideur n’est pas celui que l’on attendrait… Résultat logique, l’État sioniste glissera rapidement vers un comportement d’État voyou, caractérisé par les trois critères adoptés par l’Israélien Avi Shlaim : il ne respecte pas le droit international, il possède des armes de destruction massive, il pratique le terrorisme par l’utilisation de la violence contre des populations civiles à des fins politiques.
Secrétaire général des Nations unies durant une bonne partie de la guerre froide (d’avril 1953 à septembre 1961), Dag Hammarskjöld, homme de grande sagesse et d’une lucidité exemplaire, avait eu cette formule qui reste d’actualité : «L’ONU n’a pas été créée pour nous amener au paradis, mais pour nous sauver de l’enfer». De là où il repose post mortem, comment aura-t-il accueilli l’état actuel des choses, c’est-à-dire un avis de décès : l’ONU s’est éteinte, emportant avec elle les reliques du droit international. Elle ne nous a pas amenés au paradis, mais on ne saurait dire qu’elle nous a sauvés de l’enfer, puisqu’elle se sera avérée incapable de ramener à la raison l’État qui lui doit l’existence…
Le coup de foudre du 7 octobre 2023
Le 7 octobre 2023, éclate comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu ce que le mainstream occidental qualifiera contre vents et marées de guerre Israël-Hamas, présentée comme l’agression d’un groupe terroriste palestinien sorti de nulle part contre de paisibles jeunes gens, selon la technique du «saucissonnage» chère aux godillots de la bien-pensance.
Nous ne reproduirons pas ici le bilan atroce et accablant de la réaction et de la répression de l’État israélien contre les Gazaouis, surtout les civils palestiniens, enfermés à vie dans une enclave devenue le plus grand camp de concentration du monde, au sens plein du terme. Déjà spoliateur, usurpateur et ségrégationniste, pratiquant un apartheid comme l’Afrique du Sud de jadis, l’État sioniste a franchi une nouvelle étape dans son mépris des lois, du droit international et du droit humanitaire : il réalise en direct, prenant plaisir à le médiatiser, un génocide, une épuration ethnique, assortis de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et il est condamné sans appel par la Cour internationale de justice (CIJ) tandis que la Cour pénale internationale (CPI) a lancé deux mandats d’arrêt contre le Premier ministre Netanyahou et le ministre Yoad Gallant.
On ne peut qu’être épouvanté de la démence des dirigeants sionistes, qui ont brisé tous les tabous et jeté aux oubliettes les lois internationales. Il est urgentissime de mettre fin à leur impunité par le blocus, l’isolement, le boycott systématique. Leur arrogance est devenue sans bornes, comme en témoigne la posture de Netanyahou qui s’opposait le 16 octobre passé à la participation de l’Algérie à la conférence de Paris sur le Liban (sic) et qui insulte les Nations unies dans leur sanctuaire, brandissant une carte du Proche-Orient où la Palestine est remplacée par un Grand Israël sans frontières, et son ambassadeur déchirant la Charte.
C’est le premier génocide en direct, revendiqué comme tel par un État qui s’affiche ouvertement comme un État hors-la-loi, s’enfonçant dans la monstruosité et la sauvagerie. Poursuivant sans repos le carnage à Gaza et en Palestine, tandis que le Sud-Liban et Beyrouth sont systématiquement bombardés sous prétexte d’éliminer les responsables du Hezbollah et de détruire son infrastructure économique et sociale, Israël n’épargne plus rien ni personne. Les villes classées au Patrimoine mondial de l’UNESCO n’échappent pas à sa rage destructrice. Au moins un million de personnes sont à la recherche d’un abri, tandis que la route Beyrouth-Damas est systématiquement pilonnée pour empêcher la circulation des réfugiés ou leur retour dans une Syrie d’ailleurs régulièrement et sévèrement ciblée.
L’Occident collectif défend Israël dans tous ses crimes et méfaits, approuve son protégé lorsque celui-ci s’attaque ouvertement aux institutions de l’ONU et à ses émanations diverses : l’Assemblée générale, l’UNRWA, la Commission des droits de l’homme, les rapporteurs et mandataires divers, la FINUL, se permettant de déclarer persona non grata le secrétaire général Antonio Guterres. Ledit Occident soutient sans réserve l’État sioniste lorsque ce dernier pratique avec ostentation le terrorisme dans toute la région, multipliant les incursions et assauts contre les installations civiles et les assassinats arbitraires, dans le cadre d’un terrorisme ciblé ou aveugle.
Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour réclamer que soit expulsé des Nations unies l’État terroriste qui leur a déclaré la guerre ainsi qu’au secrétaire général lui-même, déclaré persona non grata en Israël. Ce serait la moindre des choses. L’ONU avait pris une telle mesure contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. En ne le faisant pas contre une entité criminelle à ce point et dangereusement provocatrice, elle se déshonore par son silence et avoue son impuissance, sous la pression, il faut bien le dire des Anglo-Saxons et de l’Occident collectif, de plus en plus collectif dans l’ignominie et l’hypocrisie, recroquevillé sur des «valeurs» et des «normes» de son invention, imposées en lieu et place du droit onusien.
Quant à l’affaire des bippers, c’est loin d’être avant tout un exploit technique. Selon le haut-commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme Volker Türc, «le ciblage simultané de milliers de personnes, civils ou membres de groupes armés, sans savoir qui était en possession des engins ciblés, où et dans quel environnement ils se trouvaient, constitue une violation (une de plus) du droit international, une violation des droits de l’homme…» Avis aux spécialistes occidentaux qui se pâment d’admiration devant une telle opération de Tsahal…
Qui dira l’horreur des enfants tués d’une balle dans la tête, des femmes systématiquement ciblées, des prisonniers systématiquement violés, des civils déshumanisés, au prétexte qu’ils sont «des animaux». On ne hurlera jamais assez pour leur rappeler, aux indifférents, que des familles entières par milliers, voire dizaines de milliers, sont exterminées et meurent sous les décombres suite aux bombardements aveugles de «l’armée la plus morale du monde». Aucun pays ne proteste, ne demande des comptes, ce qui encourage les dirigeants de Tel-Aviv à poursuivre leurs projets de destruction et de domination de toute la région… Francesca Albanese, rapporteuse sur la situation des DDH dans les territoires occupés : un million de Palestiniens ont fait l’expérience des prisons israéliennes depuis 1967. Gaza, plus grand camp de concentration à ciel ouvert de la planète. Aux termes du droit international, les Palestiniens ont le droit de résister à l’occupant par tous les moyens, qu’ils soient ou non légaux : en pareil cas, la notion de terrorisme n’existe pas, malgré l’acharnement occidental à qualifier le Hamas de groupe terroriste.
Les dirigeants occidentaux et leurs auxiliaires médiatiques ou autres qui font l’apologie du génocide en cours sous nos yeux et soutiennent l’État qui se vante du dit génocide, ne devraient pas se faire trop d’illusions. Tôt ou tard, des comptes leur seront demandés et ils devront répondre de leur attitude délibérément criminelle, en attendant le tribunal de l’Histoire, et avant de finir dans ses poubelles.
Les membres de l’ONU se taisent, et tout se passe comme si déjà l’ONU elle-même était décédée, de sa belle ou de sa vilaine mort ou d’une mort honteuse… Qui lui redonnera vie, dès lors que les pays qui revendiquent la succession de l’Occident failli misent sur une ONU revigorée et adaptée au nouvel ordre qui se dessine? Temps de colère que le nôtre. Les optimistes se raccrochent à la mutation en cours de l’ordre mondial. Le vent se lève en tempête et il faut que le monde tente de vivre. L’ordre existant est diabolique, que le nouvel ordre vienne… de toute urgence.