Une ami de la rédaction nous a signalé de manière opportune la fiche du Maitron rendant hommage au résistant René Georges Weill, compagnon de la libération. Un résistant mort dans une mission de première importance celle du renforcement de la liaison entre les forces armées de De Gaulle à Londres et la résistance armée conduite sur le sol de France essentiellement par les communistes avec les mouvements FTP. Ce moment de l’histoire de la résistance est là pour rappeler le rôle essentiel et premier des communistes dans la libération de la France de l’occupation nazie.
WEILL René-Georges, alias « René GEORGES », alias « ASTRUC », alias « MEC » – par le Maitron
Par Jean-Pierre Ravery
Né le 26 janvier 1908 à Montpellier (Hérault), mort le 29 mai 1942 à Paris ; avocat, officier parachutiste de la France Libre, agent du BCRA mort en mission, Compagnon de la Libération.
René-Georges Weill naquit dans une famille originaire de Lorraine. Son père était fabriquant de lingerie. Après avoir passé son bac, il s’inscrivit en 1925 à la faculté de droit de Montpellier où il poursuivit de brillantes études. En 1928, il obtint le premier prix du Concours général de droit. La même année, il fut incorporé dans un peloton d’élèves-officiers de réserve (EOR) à Vincennes puis affecté avec le grade de sous-lieutenant au service de l’intendance à Versailles. À l’issue de son service militaire, il s’inscrivit au barreau de Paris et prêta serment le 10 octobre 1929 avant d’être nommé au poste honorifique de « 2e secrétaire de la Conférence des Avocats ».
En 1939, il fut mobilisé au service de l’intendance métropolitaine avec le grade de lieutenant d’administration. En dépit de ces fonctions qui auraient pu le tenir éloigné des combats, il y participa volontairement aux cotés d’une compagnie d’infanterie, ce qui lui valut d’être décoré le 9 juin 1940 de la Croix de Guerre avec palme. Légèrement blessé quelques jours plus tard, il retourna à Montpellier en convalescence. Alors qu’un armistice était sur le point d’être conclu aux conditions de l’Allemagne hitlérienne, René-Georges Weill refusa la perspective d’avoir à mettre bas les armes et s’embarqua le 21 juin 1940 à Sète à bord d’un bateau , le « Sainte-Bernadette », qui transportait des soldats tchèques et polonais à destination de l’Angleterre, via Gibraltar.
Arrivé à Londres le 10 août 1940, il s’engagea aussitôt dans les Forces Françaises Libres sous le nom de René Georges. Quelques semaines plus tard, il secondait le capitaine Georges Bergé dans la mise sur pied de la « 1ère Compagnie d’Infanterie de l’Air » (CIA). Les deux officiers furent brevetés parachutistes le 25 décembre 1940 avec les premiers soldats (4 sous-officiers et 19 hommes du rang) de cette unité d’élite, à l’issue d’un stage d’instruction suivi à l’école de Ringway aux côtés de la première compagnie de parachutistes britanniques. En janvier 1941, le « lieutenant Georges » prit le commandement de la 1re CIA après le départ en stage, puis en mission, du capitaine Bergé. À ce poste, il conduisit la formation d’une seconde section, brevetée parachutiste le 21 février 1941. En avril, la 1re CIA fut rebaptisée 1re Compagnie parachutiste de la France Libre. En juillet, le gros de la troupe fut envoyé au Proche-Orient tandis que René-Georges Weill restait en Angleterre à la tête d’une vingtaine d’hommes sélectionnés pour être mis à disposition des services secrets gaullistes et britanniques.
Promu capitaine, René-Georges Weill se blessa grièvement lors d’un saut d’entrainement.
Dans un discours commémoratif prononcé le 12 novembre 2008 à Paris, le bâtonnier Bernard du Granrut cita une lettre en forme de profession de foi que René-Georges Weill réussit à faire parvenir en juillet 1941 au bâtonnier Jacques Charpentier à Paris :
« Un parachutiste doit tout prévoir, même la mort. Je veux dire à mes confrères que je les remercie de la bienveillance qu’ils m’ont manifestée pendant dix années. Je remercie tout spécialement Monsieur le Bâtonnier Fernand Payen et les Secrétaires de la Promotion Marcel Roger qui m’ont fait le grand honneur de m’appeler à la deuxième place d’une promotion de la Conférence. Je conserve à mes camarades de promotion une place très fidèle dans mes pensées et mes attachements. Je suis fier de servir – comme
capitaine parachutiste – dans l’armée du Général de Gaulle. Je sais que de
Gaulle sauvera le corps de la France, comme il a déjà sauvé son honneur. Je
crois dans la résurrection de la France. Je demande à tous mes confrères de
s’unir après la terrible épreuve. »
Au terme d’une convalescence qui dura un an, il fut déclaré inapte aux services aéroportés. Muté au BCRA, il fut affecté en mars 1942 à l’état-major particulier du général de Gaulle. Mais René-Georges Weill n’était pas homme à faire la guerre dans un bureau et n’eut de cesse d’être envoyé en mission. Dans son livre « Souvenirs », le chef du BCRA, le colonel Passy, raconta comment il obtint finalement gain de cause : « c’était un spécialiste confirmé, muni de tous les brevets britanniques et qui avait eu l’occasion de montrer au feu son magnifique courage. Il m’avait supplié, à plusieurs reprises, de l’envoyer en mission en France. J’avais toujours refusé, par suite d’une sorte d’intuition que partageait mon adjoint Manuel. Nous pensions en effet, sans pouvoir appuyer notre conviction sur aucune raison valable, qu’il lui arriverait malheur. Mais il me dit un jour que son frère était un militant communiste important et comme je lui parlais de la nécessité où j’étais de trouver rapidement un officier de liaison capable d’entretenir des relations sûres et solides avec les dirigeants FTP, il me pria avec insistance de lui confier cette mission. Je finis donc par accepter ». ». Il s’agissait en réalité de reprendre les liaisons que le colonel Rémy avait établies de sa propre initiative avec la direction du PCF clandestin, ce qui « outrepassait le cadre de sa mission » aux yeux de l’état-major gaulliste.
La mission fut baptisée « Goldfisch » et l’officier reçut le pseudonyme de « Mec », son opérateur-radio, André Montaut, étant désigné par celui de « Mec W ». Accompagnés d’un troisième agent (le radio Olivier Courtaud alias « Jacot »), ils furent parachutés dans la nuit du 28 au 29 mai 1942 en Picardie et réceptionnés par Robert Delattre, alias « Bob », l’un des responsables du réseau du colonel Rémy, la « Confrérie Notre-Dame ». Ils apportaient avec eux deux postes-radio et une valise remise par Pierre Brossolette. Le colonel Rémy raconta la suite dans « Le livre du courage et de la peur » qu’il publia début 1946 : « à la descente du train en gare du Nord, cette valise toute neuve, attira l’attention d’un employé de l’octroi qui avait prié « Boulot » (le frère de « Bob ») de lui en montrer le contenu. (…) L’ouverture de la malencontreuse valise à l’aspect trop cossu avait révélé l’existence d’un coupon de tissu manifestement « made in England », de quelques pyjamas neufs et de nombreux paquets de cigarettes anglaises. Le fonctionnaire qui les examinait pensa qu’il se trouvait en présence d’un trafic de marché noir jusqu’au moment où il ouvrit la petite valise contenant le poste-émetteur. Alors, il appela deux policiers français qui baillaient aux corneilles dans les environs immédiats. Ceux-ci, après avoir examiné le poste, convinrent que cette affaire était du ressort de la Gestapo. Ils sortirent du bureau de l’octroi l’un derrière l’autre. Le second, en laissant la porte ouverte, fit à « Bob » de sa main placée derrière son dos, un signe non-équivoque qui invitait notre camarade à prendre la fuite. « Bob » ne se le fit pas dire deux fois : s’emparant du poste-émetteur, il décampa et se perdit dans la foule. Il croyait ne laisser aux mains de l’octroi que les effets de Brossolette, mais il n’avait pas songé que sa valise personnelle était là, et qu’elle contenait son agenda où il avait la fâcheuse habitude de noter tous ses rendez-vous. Il y avait inscrit quelques jours plus tôt sur le feuillet daté du vendredi 29 mai : 7 heures, porte d’Auteuil, Jean-Luc (NDR : l’un des pseudonymes du colonel Rémy) ».
Ce rendez-vous, Robert Delattre l’avait également communiqué à René-Georges Weill comme « repêchage ». Les deux hommes s’y retrouvèrent à 18 h 45 et tombèrent dans l’embuscade montée par la police municipale parisienne (et non « la gestapo », comme l’écrivit le colonel Passy dans ses « Souvenirs »). « Bob » tenta de s’enfuir mais fut blessé par balle et rattrapé. Les policiers les amenèrent dans une petite baraque de la TCRP en attendant l’arrivée d’un fourgon. C’est alors que René-Georges Weill avala la pilule au cyanure de potassium dont il avait été doté avant son départ. Plus tard, « Bob » raconta la scène à l’un de ses codétenus : « Je cherchais une autre issue pour foutre le camp…, tout à coup, j’entends derrière moi : « Pouf ! ». Je me retourne et qu’est-ce que je vois ? Le camarade par terre. J’ai pensé qu’il était évanoui, je l’ai secoué…Penses-tu ! Il était déjà mort. Ces messieurs m’ont aussitôt enchaîné de peur que j’en fasse autant. » » Selon un rapport de police cité par le bâtonnier Bernard du Granrut « comme un policier se précipite sur lui, l’homme dit « Ce n’est pas la peine, je suis mort. Puis il fit un signe de croix, cria Vive de Gaulle, vive les Anglais, et tomba empoisonné » ».
Selon le colonel Rémy, « il avait déclaré la veille à son ami Maurice Schumann, en lui faisant ses adieux, qu’il était certain de ne jamais revenir de cette mission, mais que l’ennemi ne le prendrait pas vivant. Ce brave entre les braves se méfiait de sa propre chair et ne voulait pas risquer de dévoiler sous la torture les secrets essentiels qui lui avaient été confiés. Ils étaient d’une importance extrême puisqu’il s’agissait des relations entre la « France combattante » et le Parti Communiste Français dont le rôle dans la lutte à main armée contre l’ennemi comme dans le sabotage de la machine de guerre allemande, était prédominant ».
La mort de René-Georges Weill eut une conséquence inattendue. Lorsque le colonel Rémy se présenta au rendez-vous de la porte d’Auteuil à l’heure-dite, la police venait de quitter les lieux, pensant que « Jean-Luc » était l’homme qui venait de se suicider. Et la gestapo le pensa aussi, semble-t-il, puisqu’elle utilisa une photo du cadavre de René-Georges Weill pour tenter de convaincre des membres de la « Confrérie Notre-Dame » arrêtés par la suite que leur chef était mort. Ce qui fit écrire au colonel Rémy : « Ainsi, René-Georges Weill, alias « Mec » que je n’ai jamais connu, m’a sans doute sauvé la vie en se donnant la mort. Il n’y avait pas dix-huit heures qu’il était sur le sol français. »
D’abord inhumé au cimetière de Thiais, il fut réinhumé au cimetière de Montpellier après la guerre par sa famille. René-Georges Weill fut fait Compagnon de la Libération à titre posthume par décret du 17 novembre 1945. La légion d’Honneur, la Croix de Guerre 39/45 avec palme et la Médaille de la Résistance avec rosette lui furent également décernées.
POUR CITER CET ARTICLE :
https://maitron.fr/spip.php?article50285, notice WEILL René-Georges, alias « René GEORGES », alias « ASTRUC », alias « MEC », par Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 20 mai 2009, dernière modification le 3 juillet 2020.