Ce qui se passe en ce moment en Afrique nous rappelle combien le “stade suprême du capitalisme”, l’impérialisme agonisant, tente partout de se frayer un chemin pour quelques bouffées d’air en plus. Il exploite, tue, viol, en rougissant de ne pas faire plus.
Emitaï nous présente son serpentage jusqu’au fond de l’Afrique : un détachement de l’armée coloniale (où les soldats sont des Joyeux) harcèle un village pour lui voler son riz. En 1971, date de sortie du film, l’attitude “tiers-mondiste” anti-impérialiste est courante chez beaucoup d’intellectuels de gauche français, qui se rendent volontiers à Cuba et au Vietnam. Depuis les années 60 (censées marquer le début de la fin des colonies), on voit surgir des films résolument militants qui désirent informer, presque en temps réel, sur la lutte pour le socialisme dans le monde. Ousmane Sembène, écrivain et cinéaste sénégalais, alors militant PCF et CGT, avait tout pour s’inscrire dans ce mouvement progressiste ; ce qu’il fit. Il n’a eu de cesse de dénoncer l’impérialisme et le colonialisme en Afrique, comme en témoignent ses premiers films, ayant pour élément en commun des personnages exilés (Niaye, 1964), en errance (Borom Sarett, 1963 ; Taaw, 1970), ou bloqués dans une situation sans issue (La Noire de…, 1966 ; Le Mandat, 1968 ; Emitaï, 1971), conséquence d’un sol colonisé.
Ce sol, on le voit, au début du film, retourné, travaillé par les villageoises – cassant l’imaginaire raciste du Noir fainéant. Toutes et tous sont filmés à distance (en plan de semi-ensemble, ou d’ensemble), comme des images d’Epinal, sans qu’aucun personnage principal ni aucun gros plan n’interrompent le caractère documentaire du film – documentaire en ce que ce qui est représenté est une reconstitution synthétique de ce qui se passait alors. Le pas en avant si synchrone de ces femmes finit par s’écraser sur le détachement français, ces derniers les contraignant à rester figées : d’abord les Blancs veulent le riz. Que ce soit, d’ailleurs, Pétain ou De Gaulle, que les soldats connaissent leur chef ou non, la volonté absurde coloniale se poursuit : les Blancs veulent le riz.
Chez les villageois, après une révolte matée aussitôt qu’entamée, les sages du village doutent de leurs dieux, jusqu’à ne plus y croire, tant la violence de la réalité les foudroie (serait-ce Emitaï (qui signifie “Dieu du tonnerre”)?). Ils prennent alors conscience que bien que les dieux n’existent pas, ils sont une culture (et plus une croyance), et que seuls les vivants peuvent encore l’alimenter : (un sage, mourant, s’adressant à un dieu) “Si je meurs, tu meurs avec moi”.
A la fin du film, un peu à la manière du personnage de Bartleby et son “I would prefer not to”, les villageois, alors en train de livrer aux Blancs le riz, s’exclament en choeur qu’ils s’arrêtent. Cette fois-ci, ce sont eux qui décident de leur propre mouvement. Et encore une fois, les Blancs le répugnent. Ils se font fusillés. Leurs dieux les ont trahis, leurs frères Noirs les ont trahis, leurs armes sont inefficaces, alors qui, quoi croire ?
Mamani Abdoulaye, nigérien, poète syndicaliste, écrivait dans son poème Espoir :
“viens
viens mon frère
marchons sur les pas de la liberté
du refus à la révolte
de la révolte à la révolution
brisons les reins du mépris
cassons la résignation.”
Maxime-JRCF
http://jrcf.over-blog.org/2023/08/retour-sur-emitai-d-ousmane-sembene.html