1917-2017, il y a 100 ans la révolution d’Octobre. 100 ans de luttes des classes. www.initiative-communiste.fr en partenariat avec la revue Étincelles vous propose des analyses et débats faisant vivre la modernité et les enseignements pour aujourd’hui de 100 ans de combat des communistes pour faire place aux peuples.
Par le camarade Pepe Sanchez (Espagne) pour Étincelles
Lors de la VIIe Conférence du Parti Bolchevik furent approuvées les « thèses d’avril », inspirées par Lénine et qui exhortaient le parti à la préparation de la révolution socialiste. Les « thèses d’avril » furent ainsi un des documents politiques des plus importants pour le triomphe de la classe ouvrière. De plus, lors de cette même conférence, Lénine proposa la révision du programme du parti pour, d’un côté, définir l’étape historique qui marquait le caractère de la révolution (la partie générale du programme) ; et d’un autre côté pour peaufiner les propositions tactiques et de transition (le programme politique minimal). C’est pour cela que fut désignée une commission dirigée par A.Sokolnikov, dont le projet serait débattu durant le Congrès extraordinaire convoquée pour le mois d’octobre (et qui serait retardé jusqu’à mars 1918 à cause de la révolution).
Quelques jours après la commission présenta un programme de révision du programme et beaucoup de dirigeants intervinrent durant le débat qui se déroula pendant les mois suivants. Ainsi, cela devint un sujet de discussion essentiel, qui avait beaucoup à voir avec le développement de la théorie révolutionnaire et qui avait une importance incontestable pour la définition d’une stratégie et d’une tactique pour la révolution. De nos jours, il y a des tendances dans le sein du mouvement communiste international, tendances qui affectent d’être plus radicales, qui affirment qu’avec la mondialisation de l’impérialisme, tout capitalisme est impérialiste, et donc il n’y a plus de contradictions ni de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes; selon cette théorie, il ne peut y avoir à tout moment et en toute circonstance que la révolution socialiste, il n’y a plus besoin de processus de transition, ni de tactique ni de programme minimal. En faisant soi-disant appel aux principes du marxisme-léninisme, en réalité ces personnes défendent les principes de « l’économisme impérialiste » contre lequel Lénine s’était battu en 1916 ; même avant, en 1914 commençaient à apparaître ces tendances entre les théoriciens du marxisme, quand étaient débattus au niveau international la nature de l’impérialisme comme phase supérieure du capitalisme, et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. En cette occasion, Lénine dut mettre à la lumière du jour les erreurs, entre autres, de Rosa Luxemburg et de Boukharine, qui niaient la nécessité d’une consigne politique sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes parce qu’ils considéraient l’impérialisme comme une totalité homogène. Ces idées pesaient encore au sein du Parti Bolchevik en 1917 et avaient beaucoup à voir avec les positions défendues par les communistes de gauche et les trotskistes après la révolution (« aucun compromis », la paix de Brest-Litovsk, le débat sur les syndicats, la NEP, etc.). De nos jours, avec la crise du communisme, elles acquièrent une nouvelle splendeur dans certains secteurs.
Les termes « d’économisme impérialiste » furent adoptés par Lénine lorsqu’il analysa que les positions défendues avaient beaucoup à voir avec celles des « économistes » opportunistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, mais élevées au niveau de l’étape impérialiste. Il serait bon de réfléchir sur les propres mots de Lénine pour construire une politique communiste dans le moment actuel :
« Le vieil économisme des années 1894-1902 raisonnait de la façon qui suit. Les populistes ont été démentis. Le capitalisme a triomphé en Russie, donc il ne faut pas réfléchir aux révolutions politiques. Réduction pratique: soit ‘pour les ouvriers, la lutte économique; pour les libéraux, la lutte politique’. C’est un glissement à droite. Ou bien, au lieu de la révolution politique, la grève générale pour la révolution socialiste. C’est un glissement à gauche […] Maintenant nous avons un nouvel ‘économisme’ qui raisonne avec deux glissements similaires. ‘À droite’: nous sommes contre le ‘droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’ […]. ‘À gauche’: nous sommes contre un programme minimum (c’est-à-dire contre le combat pour les réformes et la démocratie), parce que ceci ‘contredit’ la révolution socialiste […].
Il est absolument nécessaire de signaler de façon réitérée aux camarades qui ont sombré dans ce marécage, que leurs ‘idées’ n’ont rien en commun avec le marxisme ni avec la social-démocratie révolutionnaire. Il est inadmissible de ‘cacher’ cette question encore plus longtemps: cela reviendrait à renforcer la confusion idéologique et à l’orienter vers la pire des directions, celle des hésitations, des conflits ‘particuliers’, les ‘conflits’ insurmontables, etc. Au contraire, il est de notre devoir d’insister de la façon la plus absolue et catégorique sur l’obligation de méditer et comprendre définitivement les problèmes qui sont posés. »[1]
Lénine intervint à tout moment dans le débat sur la révision du programme. Dès la Conférence du mois d’avril il présenta un projet pour la partie théorique, et durant les premiers jours du mois de juin 1917, il publia le texte « Matériels pour la révision du programme du Parti ». Dans l’une des parties de ce texte (« Considérations sur les observations faites par la commission de la VIIe Conférence de toute la Russie du POSD(b)R »), il critiquait la prétention de la commission de vouloir éliminer du programme l’analyse des traits de l’impérialisme et le ‘remplacer’ par une analyse de l’impérialisme comme un tout. Lénine l’expliquait de la manière suivante :
« En ce qui concerne les observations sur la partie générale du programme, je dois signaler la chose suivante:
« À mon avis, il n’est pas nécessaire de réélaborer toute la partie générale du programme. Le projet proposé par la commission me paraît incorrect du point de vue théorique.
« Dans sa forme actuelle, la partie générale du programme contient une description et une analyse des traits les plus importants et fondamentaux du capitalisme comme régime économico-social. Ces traits n’ont pas été fondamentalement modifiés à l’époque du capital financier. L’impérialisme est la continuation du développement du capitalisme, son stade suprême, et en quelque sorte l’étape de transition vers le socialisme.
« C’est pour cela que je ne peux pas considérer comme ‘mécanique’ le fait d’ajouter, à l’analyse des traits fondamentaux du capitalisme en général, une analyse de l’impérialisme. L’impérialisme en réalité ne restructure pas ni peut restructurer de fond en comble le capitalisme. L’impérialisme complique et aiguise les contradictions du capitalisme, ‘fait le lien’ entre la libre concurrence et le monopole, mais ne peut pas supprimer l’échange, le marché, la concurrence, les crises, etc.
« L’impérialisme est le capitalisme agonisant, mais encore vivant, le capitalisme moribond, mais pas encore mort. Le trait fondamental de l’impérialisme en général, ce n’est pas les monopoles purs, mais les monopoles avec l’échange, le marché, la concurrence, les crises.
« C’est pour cela qu’il est théoriquement incorrect de faire l’impasse sur l’analyse de l’échange, de la production de marchandises, des crises, etc., en général, et de le ‘remplacer’ par une analyse de l’impérialisme comme un tout, parce que ce tout n’existe pas. Il y a une transition entre la concurrence et le monopole; c’est pour cela qu’un programme qui conserve l’analyse générale de l’échange, de la production de marchandises, des crises, etc., tout en y ajoutant les caractéristiques des monopoles en développement, sera beaucoup plus exact et proche de la réalité. Justement, la jonction entre ces deux ‘principes’ contradictoires, à savoir la concurrence et le monopole, est essentielle pour l’impérialisme, c’est cela qui prépare sa banqueroute, c’est-à-dire la révolution socialiste.
« Dans le cas de la Russie en plus, il serait incorrect de présenter l’impérialisme comme un tout cohérent (l’impérialisme en général est un tout incohérent) parce qu’en Russie il y a encore beaucoup de secteurs et de branches du travail en état de transition de l’économie naturelle ou semi-naturelle vers le capitalisme. Ceux-ci sont sous-développés et pauvres, mais ils existent et ils peuvent, dans certaines conditions, devenir un facteur qui retarde la banqueroute du capitalisme.
« Le programme part – comme il doit partir – des manifestations les plus simples du capitalisme pour arriver aux plus complexes et ‘supérieures, de l’échange à la production de marchandises, au déplacement des petites entreprises par les grandes, aux crises, etc., jusqu’à arriver à l’impérialisme, l’étape supérieure qui s’accroit y qui est apparue seulement dans les pays les plus avancés. C’est ainsi que se passent les choses en réalité. Commencer en comparant ‘l’échange’ en général avec l’exportation de capitaux est incorrect historiquement et théoriquement.
« Voilà quelles étaient mes objections aux observations de la commission ».[2]
Par la suite, Boukharine et Smirnov intervinrent dans le débat avec plusieurs articles qui proposaient l’élimination du programme minimal: selon eux, il y avait seulement nécessité d’un programme de mesures de transition vers le socialisme. Lénine réfuta leur position dans son texte « Révision du programme du parti », à un moment ‘favorable’ pour la classe ouvrière, qui était très proche de la révolution (Lénine écrit ce texte au début du mois d’octobre 1917).
« Après la partie générale ou théorique du programme, passons maintenant au programme minimal. Ici nous nous heurtons immédiatement avec la proposition, ‘très radicale’ en apparence, et très infondée des camarades N. Boukharine et V. Smirnov, d’éliminer dans sa totalité le programme minimal. Selon eux, la division entre le programme maximal et le programme minimal est ‘obsolète’. Elle ne serait pas nécessaire, puisque nous parlons d’une transition vers le socialisme. Donc pas de programme minimal; il faut passer directement au programme de mesures de transition vers le socialisme. […]
« Nous allons au combat, nous nous battons pour conquérir le pouvoir politique en faveur de notre parti. Ce pouvoir serait la dictature du prolétariat et des paysans pauvres. En prenant le pouvoir, nous n’avons pas peur de dépasser les limites du régime bourgeois, bien au contraire, nous affirmons haut et fort, de manière claire, directe et exacte, que nous dépasserons ces limites, que nous marcherons sans peur vers le socialisme, que notre chemin passera par une république de soviets, la nationalisation des banques et des cartels, le contrôle ouvrier, le travail général obligatoire, la nationalisation de la terre, la confiscation du bétail et des outils agricoles des propriétaires terriens, etc., etc. En ce sens, nous avons formulé notre programme de mesures pour la transition vers le socialisme.
« Mais nous ne devons pas crier victoire trop tôt. Nous ne devons pas ignorer le programme minimal, parce que ce serait de la pure fanfaronnade: ‘nous ne voulons rien demander à la bourgeoisie, nous voulons tout faire nous-mêmes, nous ne voulons pas nous attarder sur des petits détails qui resteraient dans le cadre du régime bourgeois’.
« Ce serait de la pure fanfaronnade, parce qu’en premier lieu nous devons conquérir le pouvoir, chose que nous n’avons pas faite. Nous devons en premier lieu appliquer des mesures de transition vers le socialisme, nous devons mener à bien notre révolution, jusqu’au triomphe de la révolution socialiste mondiale, et seulement après, ‘quand nous gagnerons la bataille’, nous pourrons et nous devrons rejeter, parce qu’inutile, le programme minimal […].
« Regardons le programme minimal dans ses aspects politiques. C’est un programme pour la république bourgeoise. Ajoutons à cela que nous ne nous arrêterons pas à ses limites, mais au contraire nous commencerons immédiatement le combat pour un état de type supérieur, la république des soviets. C’est ainsi que nous devrons procéder. Nous devons nous diriger vers cette nouvelle république avec audace et résolution, et de c’est ainsi, j’en suis certain, que nous irons vers elle. Mais nous ne pouvons en aucun cas rejeter le programme minimal. Parce qu’en premier lieu, la république des soviets n’existe pas encore; en deuxième lieu, il ne faut pas exclure des ‘tentatives de restauration’; il est d’abord nécessaire de les affronter et les défaire; en troisième lieu, pendant la transition entre le vieux et le nouveau, sont possibles des ‘types combinés’ de transition […], par exemple, une république des soviets et une Assemblée Constituante. Ecartons d’abord tout cela, et ensuite nous aurons le temps de rejeter le programme minimal.
« Il en est de même pour dans la sphère économique. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la peur d’aller vers le socialisme est une infamie et une trahison à la cause du prolétariat. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’entre les premiers pas fondamentaux qu’il faut faire pour aller dans cette direction, doivent figurer la nationalisation des banques et des cartels. Prenons d’abord ces mesures et autres similaires, et après nous verrons. Nous serons ainsi en condition de mieux voir, parce que l’expérience pratique, qui vaut mille fois plus que les meilleurs programmes, agrandira à l’infini notre horizon. Il est possible, voire probable, voire même évident, qu’ici non plus nous ne pourrons pas éviter les ‘types combinés’ de transition. […] En tant que marxistes qui avancent avec audace vers la plus grande révolution du monde, mais qui en même temps analysent sereinement les faits, nous n’avons pas le droit de rejeter le programme minimal […]. »[3]
Le programme du Parti Bolchevik (Parti Communiste) eut un rôle essentiel pour gagner les masses prolétaires, semi-prolétaires et paysannes pour la révolution socialiste. Cela put seulement être réussi en maintenant l’orthodoxie du marxisme dans l’analyse de la réalité, et exprimée en forme de ligne politique.
[1] « À propos de la tendance naissante de ‘l’économisme impérialiste’ ». Lénine, Œuvres Complètes, Tome 30. Ecrit en réponse aux positions du groupe de Boukharine-Piatakov.
[2] Lénine, Œuvres Complètes, tome 32.
[3] Lénine, Œuvres Complètes, tome 34.