« Il y a deux sortes d’intouchables en Inde : ceux que personne ne veut toucher, car de trop basse extraction, et ceux qu’il est impossible d’atteindre, formant une élite. » (Citation du film)
En apparence, ce film réalisé par une femme, est un « polar » comme les autres. Une région rurale du nord de l’Inde. Après la mort de son mari, Santosh, une jeune femme, hérite de son poste et devient policière comme la loi le permet. Lorsqu’elle est appelée sur le lieu du meurtre d’une jeune fille de caste inférieure, Santosh se retrouve plongée dans une enquête tortueuse aux côtés de la charismatique inspectrice Sharma, qui la prend sous son aile.
Le Time Out le salue comme un « polar captivant et puissamment féministe » et le site web IndieWire comme « une leçon en matière de subtilité ». En effet, Santosh décrit une histoire de misogynie et de brutalité policière et judiciaire sur fond de situation sociale en Inde. « Le point de départ du film était l’idée d’un documentaire sur la violence contre les femmes en Inde, mais il s’est transformé en quelque chose de plus grand, une fresque de la société, un regard sur le type d’endroit où ces questions sont en suspens », explique la réalisatrice indienne Sandhya Suri.
On peut dire que Santosh est une sorte de docu-fiction, dépeignant les problématiques de la société indienne. Ce pays inégalitaire est dominé par les castes privilégiées racistes et machistes. D’ailleurs, selon certains critiques, le film se rapproche de la philosophie de Simone Weil, qui voyait dans le manque de justice le signe annonciateur d’une société malade et dangereuse.
Une des critiques de la réalisatrice Sandhya Suri est bien sûr le corps policierqui sert les intérêts du système. La police ne combat pas l’injustice sociale (la violence du sexisme, le mépris de classe) mais elle sert et donc glorifie l’image de la caste dominante, indolente et terriblement corrompue. En revanche, les petits délinquants, notamment issus de la caste des intouchables (les dalits), sont la cible d’une pseudo-justice, n’hésitant pas à torturer à mort des suspects non avérés. Tout dualisme du récit viendra d’ailleurs s’estomper, lorsque la commandante, jouée par l’excellente Sunita Rajwar, frappera à mort le suspect, qu’elle sait innocent, « au nom de toutes les femmes violées et tuées ».
Le film dépeint avec réalisme la situation des femmes en Inde. Ce pays, couramment décrit dans la presse dominante comme « la plus grande démocratie du monde », est classé en 2018 comme « le plus dangereux pour les femmes »(étude Reuters).
Des traditions liées aux « lois Manu » (tradition hindoue du Dharma) font perdurer le mariage des enfants, la coutume de la dot, de la violence et des pratiques traditionnelles sexistes. On peut citer notamment la maltraitance et les meurtres des petites filles en raison de la charge financière que représentent les dots. Il convient cependant de signaler que depuis 1971, la légalisation de l’avortement a fortement diminué ces pratiques – même si dans le même temps, un « marché de l’avortement » profite à des médecin peu scrupuleux.
Notons encore qu’après de multiples affaires de viol, l’Inde impose un quota de femmes dans la police, soit en principe, un tiers des forces de l’ordre. En 2020, seulement 7 % des officiers de police étaient des femmes. Ce pourcentage augmente lentement, même si l’État du Haryana, par exemple, a ouvert dans ses 21 districts, des commissariats réservés aux femmes.
Il faut aller voir ce film ! Non seulement il est féministe mais il est aussi politique, en faisant le lien entre la question féminine et les inégalités criantes entre les classes dominantes et les classes dites inférieures en Inde.