Secteur Etudes et Prospective du PRCF – 6 février 2025
Le texte prospectif présenté ci-après, et dont le titre évocateur est « Sombres nuées et rouges lueurs » porte sur la nature et les perspectives que comporte l’affrontement du capitalisme et du socialisme au XXIème siècle.
Il s’agit d’une recherche dont la lecture et l’étude sont
exigeantes, mais nous espérons qu’elle peut aider les camarades à réfléchir aux enjeux proprement existentiels de notre époque.
Sombres nuées et rouges lueurs
Par Georges Gastaud*
Diffusé à l’occasion de la première réunion physique du Secteur Etudes et Prospective du Pôle de Renaissance Communiste en France, 18 janvier 2025.
I – Très sombres nuées…
L’avenir proche dira si, comme c’est très douteux, le retour de D. Trump à la Maison-Blanche permettra une fugitive « accalmie », ou du moins un « gel » du front russo-otanien en Ukraine, en Mer Noire et dans la Baltique, ou si l’avènement de ce personnage brutal et capricieux1 ne précipitera pas au contraire le « conflit global de haute intensité » que l’Axe euro-israélo-atlantique guidé par Washington prépare ouvertement contre une série de pays jugés menaçants pour la très chancelante hégémonie étatsunienne : car le fait est que, désormais, certains « alliés » de Washington – en réalité, ses vassaux apeurés comme le Canada ou le Danemark2 – sont eux-mêmes menacés d’annexion ou de dépeçage par l’insatiable « Hégémon » du monde occidental ! Ce qui est d’ores et déjà assuré en tout cas, c’est que l’élection de Trump constitue une exécrable nouvelle de plus (sachant que la politique proche-orientale et caribéenne de Biden était déjà globalement atroce), non seulement pour les enfants palestiniens et libanais martyrisés, non seulement pour Cuba socialiste assiégée, pour la gauche populaire latino-américaine invectivée et prise à partie par le mouvement « M.A.G.A. »3, non seulement pour l’Iran souverain et l’ensemble des populations chiites du Proche-Orient4, mais pour la Chine et pour la Corée populaires retrouvant leur rôle peu enviable de cibles prioritaires de l’Amérique trumpiste5. Quant au mouvement ouvrier et syndical américain, sa composante immigrée et, a fortiori, ses vaillants militants marxistes et anti-impérialistes ne peuvent douter qu’ils auront désormais face à eux un ennemi enragé et fascisant du genre « patron de combat »…
On mesure ainsi le danger extrême pour ce qui subsiste de la paix mondiale déjà gravement mise à mal sous la présidence belliciste de Joseph Biden : car si le très erratique Trump décide de doter le non-moins monstrueux B. Netanyahou, comme celui-ci l’exige à cor et à cris, d’avions porteurs pilotés par des Américains et aptes à tirer des missiles à haute pénétration (60 m sous le sol !) destinés à percuter les installations du nucléaire civil iranien, et que, par ailleurs les dirigeants iraniens, renonçant à leur relative retenue militaire à l’encontre d’Israël, ripostent très fort en frappant Tel-Aviv ou la flotte américaine croisant dans le Golfe persique ou en Méditerranée, alors le « conflit global de haute intensité » préparé de longue main par les stratèges de l’UE-OTAN, y compris par ses flancs-gardes de l’état-major français6, pourrait s’embraser comme une trainée de poudre tout au long de la Grande Faille transcontinentale qui court déjà tout au long de la planète de la Baltique à la Péninsule coréenne via le bassin du Don, la Mer Noire, le Caucase, la Perse, le Proche-Orient, la Mer Rouge, Taiwan et la Mer de Chine ; sans parler des affrontements dits périphériques qui ont lieu, d’une part, et toujours à l’initiative directe ou indirecte de l’Oncle Sam, à l’encontre des pays latino-américains de l’ALBA (Cuba, Venezuela, Bolivie, Nicaragua…), d’autre part au Congo démocratique et en Afrique occidentale entre la Françafrique néocoloniale en échec stratégique face à une série d’Etats africains se réclamant du souverainisme, voire du panafricanisme anti-impérialiste. Pourrait ainsi s’enclencher une incontrôlable réaction en chaîne menant à une troisième guerre mondiale à caractère tôt ou tard nucléaire7 si l’un des belligérants principaux avait le sentiment de perdre pied au point de devoir « jouer son va-tout ». Bien plus encore aujourd’hui qu’à l’époque d’Hiroshima, où l’impérialisme américain avait froidement décidé d’anéantir 200 000 civils japonais pour affirmer son hégémonie planétaire face à Moscou, un tel conflit global sur fond d’affrontement nucléaire possible comporterait un risque objectif direct ou indirect d’anéantissement de l’humanité, ou du moins d’écroulement civilisationnel, sans parler de la possible extermination irréversible de nombre d’écosystèmes non humains indispensables à une vie terrestre complexe. Ce péril est devenu d’autant plus grave que, insistons-y, la pré-confrontation militaire sino-américaine déjà en cours dans le Détroit de Taiwan et en Mer du Japon, et que le bras de fer entre la Corée du nord, désormais militairement alliée à la Russie d’une part, et l’alliance hégémonique formée en Extrême-Orient par le « trident » Washington-Séoul-Tokyo d’autre part, approchent toutes deux, elles aussi, d’un redoutable point de fusion : le coup d’Etat fasciste avorté à Séoul n’avait du reste pas d’autre but que d’enclencher le compte à rebours vers une Seconde Guerre de Corée. Au moment du reste où la présente étude est rédigée, des manœuvres otaniennes lourdes se déroulent à quelques kilomètres de la frontière occidentale russe tandis qu’un porte-avions nucléaire français cingle vers l’Asie-Pacifique pour menacer un « ennemi » potentiel, cette Chine populaire qui ne nous a jamais attaqués8… et pour cause ! Il n’est du reste que de lire les récentes résolutions du Parti du Travail de Corée au pouvoir à Pyongyang : prenant acte de l’inanité des efforts de réunification entrepris par Pyongyang avec son voisin du Sud, du caractère incurablement fantoche et fascisant du régime proaméricain de Séoul9, le comité central de ce Parti appelle les travailleurs nord-coréens à faire bloc plus que jamais avec l’Etat issu de la Résistance antijaponaise et antifasciste tout en relançant fortement la voie originale vers le communisme dont se réclame derechef avec insistance la RPDC…
Il faut ajouter que l’ éventuelle « accalmie » diplomatique, sinon militaire, entre la Russie et l’alliance euro-atlantique tanguant quelque peu sous la férule trumpiste, pourrait vite s’avérer illusoire si jamais elle survient ne serait-ce que brièvement (Trump ayant démagogiquement juré de régler la question de l’Ukraine « en vingt-quatre heures » s’il était réélu, sans qu’il eût bien sûr précisé comment, et pour cause !). En effet, invariablement suivi à la trace par sa succursale française du Palais-Bourbon, le « Parlement » européen empile les résolutions aventuristes enjoignant les décideurs européens d’autoriser Kiev (simple prête-nom en la matière !) à employer les missiles anglo-français de longue portée « dans la profondeur du territoire russe » : en clair, les députés et les eurodéputés macronistes, mais aussi les parlementaires LR, PS et EELV appuyés par les « grands philosophes » incompris BHL et Tenzer, invitent suicidairement la balbutiante « Armée européenne » adossée à l’OTAN à bombarder s’il le faut, et « sans lignes rouges préfixées » (dixit Macron !) le territoire russe, allant même dans la dernière période jusqu’à livrer des missiles SCALP à un Zelensky militairement et politiquement aux abois. Toutes choses qui, nouvelle doctrine russe d’emploi des armes nucléaires aidant (si besoin « en premier »), pourraient devenir un casus belli direct entre l’UE-OTAN et la Russie ; et plus directement encore entre la Russie et la France, dont l’aventurier totalement discrédité qui règne encore sur l’Elysée fait une cible prioritaire pré-désignée pour d’éventuels missiles hypersoniques russes (nucléaires ou pas) ciblant notre territoire : « la Troisième GM » commencerait-elle alors par des frappes russes de représailles visant… Strasbourg comme l’a déjà froidement suggéré Piotr Tolstoï, le président de la Douma ? Déjà Mme Zakharova, la porte-parole officielle du Kremlin, exprime « sa compassion par anticipation à l’égard de la population de la Cinquième République française » dans un tel cas de figure… En effet, Macron n’a cessé d’indiquer que l’arme atomique française, originellement destinée par de Gaulle à « sanctuariser » le territoire national, aurait désormais vocation – sans que les citoyens français aient jamais été consultés sur ce point ! – à « couvrir » le territoire entier de l’UE10. Moldavie, Arménie et Géorgie inclues et entretemps euro-annexées, pendant qu’on y est ? – tant par nature la politique d’Empire mène toujours au pire.
Dans ces conditions, et comme nous l’avons déjà démontré dans un autre article, le prétendu « parapluie » nucléaire français devient déjà de fait un paratonnerre européen susceptible d’attirer prioritairement sur notre pays l’éventuelle foudre russe. Décidément, le PRCF a eu raison de clamer que l’impérialisme français ultra-décadent, désormais piteusement expulsé d’Afrique, contesté dans presque tous ses Outremers laissés à l’abandon, et désormais ouvertement méprisé par l’Axe Berlin-Bruxelles11, n’est pas seulement l’ennemi des peuples insurgés de l’Afrique francophone :le voici désormais devenu, par son attitude ultra-européiste, servilement atlantiste et infantilement russophobe, l’ennemi mortel de la population française elle-même. Laquelle, en toute « démocratie », n’aura jamais été consultée sur ces fuites en avant bellicistes et proprement suicidaires !
Rappelons du reste qu’en août 1914, le courageux député ouvrier allemand Karl Liebknecht (futur fondateur, avec Rosa Luxemburg, du PC d’Allemagne, le KPD) écopa, comme on sait, de quatre ans de forteresse pour avoir bravement déclaré, à l’adresse du mouvement ouvrier allemand et européen trahi par les dirigeants « socialistes » d’alors (bolcheviks non compris), « Der Hauptfeind steht in eignem Land » (« l’ennemi principal est dans ton propre pays »). Il faudrait d’ailleurs ajouter aujourd’hui que, concernant la France, l’ennemi principal de son propre peuple siège désormais objectivement… à l’Elysée ; et la probabilité que les euro-aventuriers atlantistes abhorrés par leur peuple qui nous servent de gouvernants soient, qui sait, quelque peu inconscients, à l’instar des gouvernants conservateurs ou « travaillistes » britanniques, du caractère nationalement autodestructif et mondialement pré-exterministe de leurs sottes menées antirusses, antichinoises et, objectivement, anti-bolivariennes, anti-arabes et antipalestiniennes, ne constituerait en rien une circonstance atténuante plaidant en la faveur de ces irresponsables !
Tout se passe en effet comme si, avec l’avènement de Trump, le centre névralgique au moins apparent de l’impérialisme-hégémonisme mondial tendait à se déplacer, du moins s’agissant du théâtre russo-ukrainien, de Washington vers l’Axe Bruxelles-Berlin-Varsovie flanqué du vibrion belliciste qui siège encore à l’Elysée, et comme si les forces dominantes de l’UE pilotées par la Kaiserin Ursula 1ère avec l’appui de la Pologne néo-cléricale et des Etats baltes maladivement russophobes12, voulait profiter d’un possible, provisoire et très relatif retrait trumpiste ( ?) du théâtre d’opération ukrainien, non pour régler les problèmes majeurs occasionnés à l’industrie et à l’agriculture européennes par l’interruption des livraisons de gaz russe à bon marché, mais pour instituer à marche forcée un Etat fédéral européen centré sur Berlin, arrimé à l’OTAN et néanmoins toujours supervisé, tancé et menacé à la fois depuis Washington dont Mme von der Leyen semble pour l’heure encore plus proche qu’elle ne l’est de Berlin13. En clair, les forces euro-atlantistes, euro-gouvernement Bayrou/Macron inclus, vont tout faire pour instituer, « saut fédéral européen » à l’appui, ce que nous appelons le très dangereux Empire14 euro-atlantique en gestation, autre chose étant de savoir si cet empire agressif disposera des moyens militaires et logistiques de ses ambitions expansionnistes. Tant pis pour la paix continentale et mondiale, tant pis pour l’indépendance de cette France en pleine déliquescence géopolitique qui commémorera bientôt dans l’amertume le vingtième anniversaire du Non populaire trahi à la Constitution de l’Etat européen supranational (référendum trahi du 29 mai 2005). Tant pis aussi pour l’ensemble des travailleurs salariés et des petits paysans de l’Est et de l’Ouest européens qui, même si nous n’étions pas finalement entraînés dans une guerre mondiale à dimension atomique (le pire n’étant jamais sûr !), n’en seraient pas moins voués ad vitam aeternam à l’euro-austérité sans fin, le ruineux programme continental de surarmement de l’UE-OTAN en général et de la France bourgeoise en particulier (quasi-doublement du budget militaire français d’ici 2030 alors qu’on nous dit que le pays est en faillite financière !) portant rapidement le coup de grâce à nos services publics, au « produire en France » industriel et agricole ainsi qu’à notre protection sociale et à nos retraites déjà structurellement sous-financées. Il est vrai que, comme l’ont dès longtemps établi Carl von Clausewitz, et après lui Friedrich Engels puis Lénine, la guerre extérieure ne fut jamais autre chose que la projection externe de la guerre sociale interne menée par l’oligarchie contre « sa » propre classe laborieuse… L’analogie historique avec les années 1930 et la manière dont la « guerre contre les salaires »15 alors menée par les deux-cents familles capitalistes à l’encontre de la classe ouvrière de France conduisit nos oligarques à se coucher devant Franco et Hitler (« non-intervention » en Espagne, « Accords de Munich », « Drôle de guerre », « Kollaboration ») ont suffisamment été éclairées par l’historienne Annie Lacroix-Riz, en particulier dans son livre déjà classique Le choix de la défaite, pour avoir ici besoin de très longs commentaires…
Ajoutons que ce branle-bas de combat euro-atlantique peu rassurant (auquel il faut ajouter, s’agissant du Proche-Orient, le génocide entrepris par Israël à l’encontre de Gaza) s’accompagne, à l’intérieur de chaque Etat impérialiste « occidental » (Japon, Australie et Corée du Sud inclus !) d’une marche, ou d’une tentative de marche16 accélérée à la fascisation et au durcissement de l’Etat policier. Aux USA, « Donald McCarthy » promet ainsi déjà « d’envoyer l’armée aux marxistes et aux communistes » (sic) : sans doute au nom du « pluralisme » américains bien connu ? Dans l’Europe orientale ex-socialiste où les travailleurs peuvent, depuis trente-cinq années, expérimenter à leur détriment la différence existant entre la paix et la sécurité socialistes intérieures et extérieures dont ils jouissaient naguère, et la très anxiogène jungle capitaliste qu’ils endurent aujourd’hui chez eux et à leurs frontières depuis trois décennies, la fascisante persécution directe ou indirecte n’en est que plus acharnée contre les partis communistes semi-clandestins (ou carrément interdits) et leurs courageux militants. Ne parlons pas de l’Ukraine, devenue la plateforme logistique et idéologique mondiale des nostalgiques avoués d’Hitler et du pogromiste ukrainien S. Bandera sur fond d’interdiction du PC ukrainien, de suppression du Code du Travail dans les PME et de mainmise du capital étranger sur la grande industrie et les fameuses « Terres noires » d’Ukraine : ah, que c’est beau le « patriotisme » des « nationalistes » ukrainiens au pouvoir sacrifiant sur tous les plans leur pays, leur jeunesse, leurs terres et leur démographie au triste « honneur » de servir de piétaille antirusse bon marché aux dirigeants embusqués de l’UE-OTAN et aux oligarques ukrainiens paradant héroïquement de Cannes à Menton !
Quant à l’Europe de l’Ouest, son comportement liberticide est à peine moins glauque (provisoirement !) quand on voit que, dans la « libre » Angleterre, un premier ministre « travailliste » comme Keith Stamer fait arrêter, face caméras, un vieux professeur britannique juif « coupable » d’avoir dénoncé le génocide de Gaza, ou quand on constate que, dans l’Italie de Meloni, la grande presse aux mains du capital fait couramment l’éloge du Duce sans que cela pose un problème de conscience à von der Leyen et à Macron, ce « rempart à l’extrême droite » qu’a soutenu la fausse gauche française à l’occasion du second tour des législatives de 2022… En France même, le superflic « républicain » Retailleau dont le programme est « rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre ! », fustige carrément les « lenteurs de l’état de droit » pendant que l’eurocrate Barnier devenu (brièvement) Premier Ministre avant que le cheval de retour eurobéat Bayrou ne lui succède, fait savoir qu’il a longuement appelé Mme Le Pen au téléphone, qu’il lui a aimablement déclaré qu’elle faisait désormais « partie de l’Arc républicain à ses yeux »… et qu’il s’est ainsi assuré, du moins le croyait-il naïvement avant que les lepénistes n’eussent voté quand même la censure à son encontre, de la « bienveillante neutralité » des députés lepéniste en cas de vote au Parlement !
En réalité, casse des acquis sociaux, euro-fascisation galopante, mise en extinction de la souveraineté des Etats-membres de l’UE, marche débridée à la guerre mondiale impérialiste-hégémoniste, composent les diverses facettes du processus historique de crise générale et de dégénérescence générale du mode de production capitaliste parvenu, par étapes additionnelles, chacune « embellissant » la précédente sans l’annuler, de l’impérialisme simple à l’hégémonisme proprement dit. Si l’exterminisme est bien devenu, comme nous l’expliquons depuis 1984, le stade suprême ou plutôt, la « vérité » (au sens hégélien du mo), de ce système capitaliste-impérialiste-hégémoniste agonisant qui tue les autres à tour de bras pour tenter de se survivre et d’entasser des profits (ne serait-ce que… quelque temps : « encore une minute Monsieur le bourreau ! »), cela n’a d’autre signification objective que celle-ci : le mode de production capitaliste devient à pas de géant incompatible avec le développement, voire avec la survie de l’humanité, voire… avec le maintien du vivant un tant soit peu complexe sur Terre, et cela que ce soit sur le terrain militaire ou sur le terrain environnemental (crise climatique aiguë à forte composante anthropique, déclin foudroyant de la biodiversité…) tant ce système obsolescent transpire la folie et l’agression par tous les pores de son derme purulent. Si bien que, symétriquement, l’avènement d’un socialisme-communisme de nouvelle génération assumant la protection et l’épanouissement de la vie humaine dans toutes ses dimensions (socioculturelles, environnementales, etc.), si ce n’est la restauration de la biosphère terrestre elle-même, devient une question existentielle, non seulement pour la classe prolétarienne mondiale, non seulement pour la relance de pays indépendants, dignes et souverains, France incluse, mais pour l’avenir global du genre humain en général. C’est pourquoi du reste, les grandes questions géopolitiques actuelles prennent désormais toutes une dimension anthropologique (c’est-à-dire portant sur la définition et sur la destinée mêmes de notre espèce). Et symétriquement, toutes les grandes questions dites « sociétales » et anthropologiques actuelles, y compris celles qu’on nous présente ordinairement comme « dépolitisées » et « situées au-dessus des classes sociales », comportent subrepticement ou ouvertement une énorme explosivité de classe : nous y reviendrons ci-aprèstant désormais la question générale du sens, sens de la vie, sens de l’histoire, voire sens du développement naturel, ont pour toile de fond quasi hamlétien la question héritée de Lénine : « Qui l’emportera, au XXIème siècle, du capitalisme-impérialisme-hégémonisme-exterminisme, ou bien du socialisme-communisme de nouvelle génération ? ».
Quant à la France, son maintien de longue durée sous le talon de fer du très décadent et agressif impérialisme « français », ce courtisan et sous-traitant empressé de, et d’autant plus méprisé par, l’Empire euro-germano-américain, serait de plus en plus synonyme, si l’irruption inopinée du peuple sur la scène politique n’y met fin urgemment, de discrédit mondial et de tiers-mondisation galopante de sa population, si ce n’est, comme on l’a vu plus haut, de course à l’autodestruction directe dans le cadre d’un absurde conflit globalisé avec la Russie. Mesurons alors le paradoxe historique : alors que la révolution prolétarienne promettait initialement à l’humanité le plus grand bouleversement sociopolitique qui eût jamais été, c’est le maintien à tout prix au pouvoir de l’oligarchie capitaliste, et tout particulièrement celui de l’oligarchie anglo-saxonne culturellement et linguistiquement archidominante à l’échelle planétaire, que signifie in fine le « néo-conservatisme » étatsunien si mal nommé : il promet en effet, et génère déjà au quotidien, le chaos et l’extermination comme… méthodes ordinaires de gouvernement, ou du moins, de mainmise et de contrôle au plus haut coût humain et environnemental possible. Il n’est pour s’en convaincre que de voir ce que secrète à Gaza, au Liban, voire en Syrie désormais livrée aux émules d’Al-Qaida armés par Erdogan, l’exterminisme assumé de la sanguinolente « Tsahal ». A l’inverse, l’avènement révolutionnaire d’un socialisme-communisme de nouvelle génération devient objectivement chaque jour davantage pour l’espèce humaine et pour les peuples qui la composent la seule planche de salut à moyen terme ; en effet, la tâche objective de la révolution prolétarienne et populaire de demain ne peut plus seulement être, de nos jours, de « changer la vie », si nécessaire que cet objectif demeure, la finalité incontournable de la transformation révolutionnaire à venir doit être aussi désormais de conserver la vie : mieux, de la changer pour la conserver et de la conserver pour la changer… En effet, cet avènement du socialisme de nouvelle génération fournit en définitive la seule chance existant encore aujourd’hui pour que l’humanité puisse retrouver, sous l’égide d’un prolétariat international s’érigeant en force socialement, politiquement et culturellement dirigeante du processus historique, un mode de développement équilibré, qu’il s’agisse de l’équilibre entre les peuples (multilatéralisme évoluant en coopération équitablement planifiée entre tous les peuples…) ou de l’équilibre global entre l’humanité technicienneet son environnementredevenant peu à peu viable, résilient et vivable : là aussi une course de vitesse est engagée quand on voit à quel point l’hégémon étatsunien, par ailleurs l’un des plus gros pollueurs mondiaux, est aujourd’hui le plus en retard et le plus irresponsable des pays en matière de transition environnementale, et cela ne risque pas de s’arranger avec le climato-négationniste Trump à sa direction.
Résumons-nous : alors que la droite dite libérale et la social-démocratie mitterrandienne, jospinienne et hollandienne promettaient en chœur l’avènement, en 1992, date de l’adoption référendaire ultraserrée du Traité de Maëstricht, d’une « Europe de la prospérité, de l’emploi, de la paix et de l’écologie » (sic), l’UE de plus en plus auto-enchaînée à l’OTAN affiche désormais sa nature intrinsèquement impérialiste et fascisante : celle d’une Europe de l’austérité salariale sans fin, du décrochage économique du sous-continent européen par rapport à la Chine, à la Russie et aux USA, de la précarité galopante des couches populaires, de la casse des services publics et du produire en France industriel, halieutique et agricole, de la résistible ascension des extrêmes droites racistes adoubées par Bruxelles, de la criminalisation concomitante des communistes (du moins de ceux qui ne se sont pas reniés en ralliant l’UE et l’euro…), de l’américanisation forcenée de la culture (marche forcée vers le tout-anglais des traités de libre-échange transatlantiques et vers la marginalisation des langues nationales autres que le « business Globish »), du galop suicidaire vers la guerre antirusse et antichinoise, et du très « écologique » saccage global qu’elle promet à l’humanité : et tel sera bel et bien le cas à moyen, voire à court terme, si les présents conflits dits régionaux finissent par « faire jonction » entre eux et s’ils dégénèrent en conflagration exterminatrice globale embrasant le « grand rift » éruptif qui court de la Baltique à l’Extrême-Orient…
On mesure ainsi l’énorme tromperie dont ont été victimes les Français quand MM. Chirac et Mitterrand les ont appelés de conserve à voter Oui à Maëstricht en septembre 1992. On salue aussi la lucidité dont ont fait montre notre peuple et ses classes populaires massivement eurocritiques, ouvriers en tête (80% d’entre eux ont voté Non) quand, en mai 2005, ils ont rejeté la Constitution européenne destinée à offrir un socle juridique global au futur Empire européen néolibéral et atlantiste… On constate enfin l’incroyable viol à répétition de la volonté populaire dont s’est rendu coupable le Parti Maëstrichtien Unique polycéphale quand il a imposé par la voie parlementaire (2008) un ersatz du traité constitutionnel européen que le peuple français encore censément souverain avait refusé par référendum, ou encore quand ce même « PMU » malfaisant veut aujourd’hui nous imposer un « saut fédéral européen » et une marche à la guerre nucléaire franco-russe dont nos compatriotes ne voudraient sûrement pas si nos élites avaient l’élémentaire décence d’en soumettre le principe à un nouveau référendum !
Il est vrai qu’à l’heure où nous relisons le présent texte, l’UE et ses partisans fanatiques géorgiens, moldaves ou roumains en sont, soit à valider des résultats électoraux obtenus dans des conditions proprement scandaleuses (c’est le cas en Moldavie, où le Oui à l’UE est passé (?) à 50,05% des voix grâce aux voix des « expat’ » moldaves vivant à l’Ouest de l’Europe, alors que ceux qui travaillent en Russie n’ont presque pas pu voter et que ceux qui persistent à vivre en Moldavie ont majoritairement voté contre…), soit à tenter de renverser par la force le gouvernement dit du « Rêve géorgien » : il est vrai que ce parti est majoritaire dans les urnes mais… qu’il a eu le tort de refuser d’entrer la fleur au fusil dans un front euro-otanien contre Moscou qui signifierait à coup sûr l’anéantissement militaire de la Géorgie. Quant aux euro-élites roumaines « conseillées » par Bruxelles, elles ont « changé les règles électorales et médiatiques en court de partie » en… annulant le premier tour du scrutin présidentiel roumain dès lors qu’il promettait la victoire à un « incontrôlable » candidat hostile à l’UE-OTAN et à la présence de soldats français dépêchés en Roumanie au titre de l’OTAN…
Quand la non-démocratie européenne en est à bafouer systématiquement ses propres principes pour précipiter son conflit continental initialement fomenté par… Washington avec la Russie, comment ne pas parler d’euro-fanatisme russophobe et de course caractérisée à la fascisation, désormais galopante, du sous-continent européen ?
Encore faut-il comprendre enfin que la fascisation ne se limite nullement à la « montée des extrêmes droites », comme on voudrait le faire accroire pour rabattre électoralement sur Macron et Cie en pratiquant le prétendu « vote de barrage » anti-Le Pen ; en réalité, comme l’avait déjà signalé Dimitrov dans son rapport à l’Internationale communiste exposant et argumentant la juste manière prolétarienne de stopper la poussée fasciste en Europe (1935), si l’euro-fascisation en cours nourrit très clairement les extrémistes de droite, elle présente le caractère bien plus large d’un pourrissement anticommuniste, guerrier, policier et liberticide interne des démocraties bourgeoises dont la politique d’austérité, de guerre et de casse nationale ouvre en grand les voies du pouvoir aux ultradroites ouvertement racistes, que ce soit en opposition ouverte ou en collaboration étroite avec les élites euro-atlantistes encore au pouvoir.
Ajoutons pour finir que l’aliment principal de cette fascisation assortie d’une marche impériale à la guerre globalisée est, comme toujours, l’anticommunisme et l’antisoviétisme. Lorsque par ex. le « parlement européen » en est à renvoyer désormais dos à dos (résolution du 16 septembre 2018) le nazisme et le communisme historique, le Troisième Reich et son principal vainqueur militaire (l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques), quand donc les élites euro-atlantistes mettent ainsi un signe égale entre communisme et nazisme sous couvert du concept confus d’ « antitotalitarisme », que font-ils d’autre que criminaliser le premier tout en banalisant objectivement le second ? Comment s’étonner après cela que les dirigeants européens et la fausse gauche, voire la pseudo-extrême gauche qui les suit veulement, s’allient en Ukraine et dans les pays baltes à des forces ouvertement pronazies, nommément les bataillons Aïdar et Azov, alors que, dans ces mêmes pays, les russophones sont marginalisés, les syndicats interdits, le Code du travail liquidé et les partis communistes nationaux interdits et persécutés. Le résultat en est alors ces cérémonies soi-disant commémoratives de la libération d’Auschwitz (par l’Armée rouge !) où l’Allemagne est invitée et où le gouvernement clérical polonais, héritier des colonels antisémites d’avant-guerre, est l’hôte principal, et où… la Russie, qui a perdu des dizaines de millions d’hommes pour nous libérer des nazis, est ingratement et indignement bannie. Sous de tels auspices, que se prépare-t-il d’autre à l’Est de l’Europe qu’une indigne revanche euro-germanique sur les vainqueurs de Stalingrad avec en prime, de Berlin à Tokyo, la remilitarisation à outrance sous pavillon « libéral » des impérialismes allemand et japonais vaincus en 1945 ?
II – Rouges lueurs
Hélas tristement objectif, ce tableau de l’état du monde à la veille du 80ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale (8 mai 1945) ne peut nourrir à première vue que la désespérance, si ce n’est le retrait militant. Mais, comme l’enseignait Hegel, « la contradiction est la racine de toute vie et de tout mouvement ». Si l’on en restait au point de vue statique et contemplatif que n’ont jamais prôné les marxistes, il suffirait certes d’attendre en priant pour que le capitaine du Titanic capitaliste veuille bien stopper à temps sa machinerie emballée, ou pour qu’une improbable mutinerie déclenchée au sein de son état-major mondial n’aboutît à la destitution de ses irresponsables pilotes actuels. Avec, il est vrai, ce fait aggravant que, à bord dudit « paquebot », et sans qu’apparaisse le moindre îlot salvateur à proximité des icebergs menaçants17, figure, non seulement le prolétariat et toute l’humanité, mais l’ « Arche de Noé » au grand complet de la biosphère terrestre. Par bonheur, cette face noirâtre du paysage géopolitique actuel n’est que l’ « ubac » du paysage mondial et national actuel : son « adret » potentiellement lumineux n’en existe pas moins : car si le capitalisme impérialiste-exterministe en est, pour se survivre, à menacer l’humanité d’anéantissement exhaustif, s’il en arrive même à placer à la tête de l’Hégémon capitaliste mondial un hyper-réactionnaire ignare comme D. Trump, qui menace le Proche-Orient de l’ « enfer » (car chacun voit qu’actuellement, Gaza est un Eden !), qui sabote aux USA même les conquêtes emblématiques des femmes (comme l’IVG), qui soutient peu discrètement le suprématisme blanc dans son propre pays, qui saccage les maigres efforts entrepris dans le monde pour enrayer la crise climatique (Accords de Paris), qui prive froidement la population cubaine de carburant et de médicaments nonobstant les ouragans à répétition qu’a subis la Grande Antille, qui promet à ses électeurs – dont une partie applaudit sottement à cette idée ! – de raser nucléairement Moscou et Pékin « si besoin », et dont les plus fervents supporteurs sont les « Evangélistes » vaticinants, les délirants « dispensationnistes chrétiens », les ultra-sionistes exterminateurs ou les assassins par procuration du lobby des armes, c’est vraiment, redisons-le, parce que ce système d’exploitation et de domination est au bout du rouleau et qu’il n’a plus pour « idéal » à proposer aux humains qu’une nostalgie du Far West où le Colt serait remplacé par l’arme nucléaire et où l’Armageddon biblique se substituerait à Fort Alamo… En un mot, l’oligarchie que Trump incarne à peine plus caricaturalement que Reagan, Bush Jr ou Biden, se mue mondialement sous nos yeux en l’analogue planétaire de cette « classe sociale du scandale absolu » qu’était devenue, aux dires de Marx, la monarchie discréditée et l’aristocratie foncière d’Ancien Régime à la veille des révolutions démocratiques-bourgeoises du XVIIIème et du XIXèmes siècles : à savoir des classes parasitaires catalysant la haine à leur encontre de toutes les « classes utiles » et autres « forces vives » de la société.
On pourra certes objecter que ces vues partiellement optimistes ne sont que « théories ». Certes ; mais l’analyse géopolitique et politique marxiste peut devenir une force agissante puissante pour toute classe sociale qui sait s’organiser pratiquement et saisir dans leur globalité plusieurs ordres de faits apparemment hétéroclites, mais susceptibles de faire sens et de devenir des guides pour l’action quand on les rapporte objectivement les uns aux autres tout en forgeant des leviers organisationnels forts à l’engagement révolutionnaire.C’est ce que, dans notre livre de 1997 initialement publié par le Temps des cerises et récemment réédité chez Delga sous l’intitulé Mondialisation capitaliste et projet communiste, puis dans le dernier tome de nos Lumières communes intitulé Fin(s) de l’histoire, nous appelions la « lutte finale » ou mieux encore, la lutte opposant les deux « fins de l’histoire ». Nous entendions alors par-là cette forme la plus radicale et la plus universelle qui soit de l’antagonisme opposant à notre époque le Capital au Travail (et à ses possibles alliés populaires nationaux et internationaux) :
- Soit la mauvaise fin de l’histoire de l’humanité par extermination (ou « par exténuation »…) capitaliste-impérialiste du genre humain,
- Soit la « bonne » fin18 socialiste-communiste potentiellement offerte à notre espèce par l’indispensable, et désormais techniquement possible co-développement démocratiquement planifié des peuples d’une part et des « vivants non humains » d’autre part : une forme de solidarité anti-exterministe avant la lettre qu’avaient entrevue dès longtemps Engels (dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre), par Marx (dans Le Capital) ou le géographe et dirigeant communard français Elisée Reclus. Pour entendre cela, il faudrait d’abord prendre en compte :
La crise structurelle d’un mode de production capitaliste
- La crise structurelle d’un mode de production capitalisteconfronté, malgré les artifices qu’il déploie pour se survivre, à la baisse tendancielle de plus en plus marquée de son taux de profit moyen, comme l’a encore démontré récemment l’économiste marxiste Antoine Vatan19. Certes, une poignée de milliardaires à la Trump, à la Musk, à la Warren, à la Zuckerberg, à la Bernard Arnault, etc., engrangent des dividendes fabuleux (absurdement, du reste, car ce fatras ostentatoire de richesses ne les empêchera pas de vieillir et de mourir comme tout le monde après avoir tout pollué !) : mais cette folie suicidaire se met en scène quotidiennement au détriment de milliards de prolétaires et de paysans surexploités, de jeunes privés de perspectives, de petits entrepreneurs condamnés à la ruine, de ressources naturelles gâchées, de nations humiliées et de diversité culturelle mondiale broyée. Et par-dessus tout, les « hégémons » de ce système capitaliste-impérialiste décadent et toxique en sont à fomenter, comme nous l’avons vu, un conflit mondial de haute intensité avec le risque flegmatiquement assumé d’une extermination sans reste de l’humanité20 ; tant l’idée de vivre sans dominer la planète est insupportable à cette oligarchie frappée d’un hubris surhumaniste néo-nietzschéen !
Masquées par d’obsédants discours sur la « réparation du climat » dont l’hypocrisie a même fini par excéder la jeune et longtemps naïve écologiste suédoise Greta Thurnberg, ces orientations mortifères ne peuvent manquer de pousser des milliards d’humains (si le monde dure assez pour cela, et il faut y veiller sans relâche !) vers l’inéluctable soulèvement anti-exterministe, contre-hégémonique, anti-impérialiste, antifasciste et, in fine, anticapitaliste des peuples et des travailleurs, qui inaugurera tôt ou tard l’ère des révolutions socialistes-communistes de seconde génération. Car, sous peine de leur vie, les humains finiront bien par saisir, surtout s’ils se dotent à temps de nouvelles avant-gardes populaires susceptibles de contrer le bourrage de crâne dont ils font l’objet de la part des médias dominants, qu’ils n’ont plus aucun avenir, sinon monstrueux, au sein d’un système capitaliste qui a déjà généré deux guerres mondiales, qui a produit Auschwitz et dont l’acte conclusif de la seconde guerre mondiale, perpétré gratuitement par l’impérialisme étatsunien et par lui seul, a eu pour nom « Nagasaki » et « Hiroshima »… ce c
La crise socioculturelle et la fracture profondes du principal « hégémon » capitaliste, l’impérialisme étatsunien.
L’énorme crise de l’hégémonie capitaliste mondiale (dite mondialisation capitaliste ou néolibérale) ne peut que fracturer l’hégémon de la mondialisation lui-même en passe de se muer, totalement ou partiellement, en démondialisation non moins impérialiste et capitaliste. Cet hégémon, c’est encore et toujours l’Empire étatsunien, ce navire-amiral de la réaction mondiale, même s’il possède des sous-traitants régionaux, qui sont aussi ses rivaux potentiels en voie de réarmement massif comme sont le Japon à l’Est et la RFA à l’Ouest (le prétendu « Axe » franco-allemand est pour sa part en voie d’extinction au fur et à mesure que l’impérialisme français décline fortement dans sa sphère d’influence africaine). Comme il est devenu banal de le dire, l’Oncle Sam perd du terrain économiquement et il est sur le point d’être économiquement largué par la Chine qui développe sa technologie de pointe (notamment en matière d’intelligence artificielle) ainsi que son réseau infrastructurel planétaire baptisé « Routes et ceintures » : or, cette macro-initiative chinoise est déjà très prisée en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans le « Sud global » car elle se veut fondée sur un codéveloppement « gagnant-gagnant » avec les pays partenaires plutôt qu’elle ne souhaite reposer sur l’ « échange inégal » typique des relations néocoloniales classiques dont la Chine a du reste durement souffert au XIXème siècle. Déjà en effet, les BRICS dépassent le G7 en produit intérieur brut. La désindustrialisation en profondeur des USA, qui fait que le régime étatsunien n’a même pas pu fournir suffisamment en obus son vassal ukrainien, et la financiarisation extrême de l’Empire étatsunien ont conduit à son délabrement interne, notamment en termes de services publics, d’infrastructures, de production industrielle, de niveau culturel global et de protection sociale, celle-ci fût-elle minimaliste. Ainsi a du reste fini la Rome antique, victime paradoxale de l’impérialisme romain finissant par se retourner contre lui-même dès lors que l’Italie antique ne produisait plus rien et qu’elle ne vivait plus que du tribut des colonies alimentant l’oligarchie décadente et l’énorme plèbe urbaine avilie dépeinte par Juvénal (« Du pain et des jeux ! »). En l’absence d’un parti ouvrier américain d’avant-garde dont le maccarthysme avait tué les germes en persécutant le premier PC des USA, le résultat sociopolitique est la scission, voire la nouvelle Sécession menaçante du « pays de la Liberté » en deux blocs hostiles (et aux programmes pourtant peu distincts la stratégie géopolitique au long cours : qui agresser en premier de la Russie, de l’Iran ou de la Chine ?). L’antagonisme opposant ces deux forces, l’une et l’autre impérialistes et hégémonistes, a pris, en 2020, on s’en souvient, la forme grotesque de l’assaut mené contre le Capitole par les troupes trumpistes…
Certes, la percée électorale de Trump en novembre 2024 va calmer quelque temps l’expression publique de cette crise de la domination qui sape à la fois du dedans et du dehors la première puissance mondiale en déclin, donc d’autant plus agressive, exigeant même de ses vassaux atlantiste une reptation et un tribut militaro-commercial plus grands encore. Mais, sinon par de nouvelles guerres impérialistes que Trump s’est au mieux engagé… à ne pas engager21, rien ne sera réglé pour autant. Et de fait, rien ne peut l’être tant la dette le des USA est impayable (cent fois pire en proportion que celle de la France !), tant les savoir-faire industriels nord-américains sont oubliés, tant le « rêve américain » s’est fracassé sur une incroyable délinquance armée interne, tant le dollar, pierre angulaire avec l’US Army, de l’hégémonie étatsunienne, est âprement contesté dans le monde (notamment par les BRICS), tant la sortie de crise impliquerait une démondialisation capitaliste qui, à l’image du Brexit vis-à-vis de l’Europe, ne mènerait guère qu’à un protectionnisme réactionnaire.
Car, le protectionnisme réactionnaire de Trump ne peut qu’être le fauteur d’une violente guerre commerciale mondiale avec la Chine, voire avec l’Europe allemande voire, et c’est un comble, avec le Canada fédéral pourtant pro-américain et totalement soumis ; ne parlons pas du Mexique dont la population latino et indienne est profondément méprisée par Trump, si ce n’est d’une guerre transcontinentale tout court, du moins dans les conditions de la domination bourgeoise : les USA capitalistes ne peuvent en effet rompre avec la prétendue « mondialisation heureuse » de MM. Minc, Attali et Cie, qu’en instituant sur ses ruines une « démondialisation » impérialiste non moins sinistre, non seulement pour les classes populaires américaines, mais pour les classes moyennes jadis si prospères de l’Amérique du Nord. Comme le PRCF n’a cessé de le dire à propos de la France, il n’y aura de Frexit « heureux » et réussi (c’est-à-dire de sortie française de l’euro-mondialisation néolibérale) que progressiste et tourné vers le socialisme ; ce qui imposera, en particulier, la nationalisation démocratique des secteurs-clés de l’économie (banque, industries stratégiques, énergies, infrastructures nationales…), un contrôle national draconien imposé à l’exportation des capitaux, l’irruption du peuple travailleur imposant sa dictature intrinsèquement démocratique dans les secteurs accaparés par les monopoles capitalistes. De même, aux USA et partout ailleurs, ne serait-ce que parce que, comme disait Marx, « l’histoire ne repasse pas les plats », on ne reviendra jamais à l’état du monde antérieur à la mondialisation capitaliste ; si bien qu’une « démondialisation »… capitaliste du capitalisme ne saurait constituer une « troisième voie » entre capitalisme et socialisme mais seulement une phase hautement instable, voire oscillant quelque peu entre fascisation brutale et révolution affirmée, de la transition entre le mode de production capitaliste-impérialiste décadent et le nouveau mode de production socialiste-communiste émergent ou plutôt, réémergent sous des formes plus riches, plus larges et plus diversifiées que n’était objectivement en état de le faire la première expérience socialiste de l’histoire issue de l’Octobre rouge. En réalité, on ne pourra sortir durablement de la mondialisation capitaliste que par une internationalisation socialiste-communiste de l’économie/écologie mondiale faisant toute sa place à la coopération internationalement organisée, voire démocratiquement planifiée, entre une multiplicité d’Etats nationaux (ou multinationaux) souverains, strictement égaux et solidaires (ce que dessine de manière encore bien floue l’expression géopolitique à la mode de multilatéralité)22.
A long, voire à moyen terme, comment la jeunesse mondiale, du moins celle qui n’a pas encore été totalement décervelée par le « capitalisme de la séduction » dénoncé par le sociologue M. Clouscard, pourrait-elle du reste éternellement admirer un pays, les USA, qui humilie le monde entier de ses diktats, de ses ingérences, de ses coups d’Etat travestis en « révolutions » orange, de ses sanctions, blocus et autres « lois extraterritoriales », voire de ses caprices (cf. les trois « dernières » lubies de Trump : acheter le Groenland au Danemark ( !), réannexer le Canal de Panama et… annexer le Canada (!)) : une superpuissance qui martyrise sadiquement, et à répétition, le monde arabo-musulman, que ce soit directement – Irak, Afghanistan, Syrie, Libye… – par « Tsahal » interposée, ou bien par l’entremise de surgeons d’Al Qaida ou de l’Arabie saoudite (Syrie, Libye, Yémen…). Un « pays modèle » dont la « destinée manifeste » consiste à stranguler Cuba et l’Amérique latine, à encaisser à domicile plusieurs tueries de masse par an ( !) en raison de son abominable « culture » du gros calibre, et qui vient d’élire un président raciste, latinophobe, arabophobe, machiste, homophobe, climato-négationniste et sommairement antivax qui méprise tout ce qui n’est pas nord-américain et « WASP23 », y compris ses vassaux de l’UE qu’il traite ouvertement de « brutes » et qu’il veut eux aussi frapper de lourds droits de douane ? L’Amérique victorieuse de 45 avait construit son « soft power » planétaire sur l’idée qu’elle était le pays de la jeunesse, de l’initiative, de l’immigration (« the American dream »), de la décontraction sexy et de la modernité affriolantes : belles « modernités » en effet que celles d’un Biden gâteux, belliqueux et débitant n’importe quoi, auquel succède un vieillard libidineux et non moins méchant éructant des clichés frappés au coin du pire obscurantisme morbide !
Du reste, s’il reste quelque chose à admirer outre-Atlantique, ce n’est certes pas la culture d’hyperviolence et d’ultraconsumérisme gaspilleur que cet empire décadent exsude par toutes ses pustules « sociétales », ni ce tout-anglais linguistiquement pauvre que les USA et leurs serfs-services médiatique d’Europe occidentale, French-Euroland macroniste en tête, déversent sur le monde dans l’intention de lui infliger une langue, une politique et une pensée uniques dévastatrices, et c’est encore moins l’indécente prétention du milliardaire Elon Musk de privatiser l’espace en y promenant d’infantiles super-nantis sans souci du gâchis criminel que ces gamineries coûtent à la planète, mais bien les ouvriers grévistes de John Deer, de Stellantis, de Boeing, d’Amazon et des Docks, dont les méthodes de lutte « classe contre classe », piquets de grève à l’appui, et non le palichon « dialogue social » cher à notre CFDT jaunâtre, montrent le chemin au prolétariat international en marche vers sa contre-offensive internationale. Y compris peut-être en France, comme on ne tardera du reste guère à s’en apercevoir… Admirons encore les scénaristes prolétarisés d’Hollywood qui ont récemment fait grève pour que les « majors » du cinéma ne s’emparent pas de l’intelligence artificielle dans le but de marginaliser les prolétaires de la création tout en formatant davantage encore les produits culturels made in America ! Notons enfin que, même si le sénateur « socialiste » Bernie Sanders n’est qu’un plat réformiste qui, très prévisiblement, s’est couché devant son propre impérialisme en votant les crédits de guerre destinés au régime de Kiev, il n’est pas indifférent que des millions de jeunes Américains n’aient désormais plus peur de s’afficher comme des « socialistes », fût-ce au prix d’un abus de langage caractérisé puisque Sanders n’a jamais parlé de socialiser les moyens de production de son pays ! L’espoir d’une renaissance renaîtrait-il alors outre-Atlantique pour une gauche populaire s’affranchissant de l’anticommunisme, du messianisme christo-sioniste et de l’antisoviétisme à retardement, une gauche à nouveau ancrée dans les grandes entreprises et les syndicats ouvriers ? Une gauche populaire en un mot défendant sans faiblir les droits des Noirs et des Amérindiens, menant l’action féministe sur des bases universalistes, proche de la classe laborieuse et s’affranchissant à la fois de la « gauche » belliciste des « Démocrates » et d’un trumpisme dévoyant vers le néo-suprématisme l’aspiration légitime des ouvriers américains à bénéficier d’emplois industriels qualifiés et normalement rémunérés à domicile ? Bref, un parti ouvrier affranchi à la fois de la tutelle des « Démocrates » et du parti trumpiste, c’est-à-dire jouant crânement sa carte de classe indépendamment des deux « ailes » de l’Aigle impérialiste étatsunienne ?
Crise de la « construction » européenne et fuite en avant vers l’euro-atlantisme belliciste. Vers l’euro-recentrage de l’axe transatlantique ?
De plus en plus les peuples d’Europe, et spécialement leurs classes populaires, se cabrent instinctivement devant cette « construction » européenne intrinsèquement tournée contre eux. Une « construction » qui, étant donné son ADN historiquement et intrinsèquement antisocialiste, néolibéral, technocratique et militariste, suscite un Drang nach Osten24 sans fin et sape à la fois la paix continentale, les avancées sociales conquises par chaque peuple dans le cadre de ses frontières nationales, détricote la souveraineté des nations européennes et prohibe la capacité de chaque Etat-membre de l’UE à préserver ses industries, ses services publics, sa pêche, sa protection sociale et son agriculture. Du reste, la participation à l’élection quinquennale du dispendieux « parlement » européen ne franchit ordinairement de justesse le cap des 50% d’électeurs que parce que le vote est obligatoire dans plusieurs pays européens : en réalité, la grande majorité des ouvriers et des employés de chaque pays européen boycotte déjà de fait un scrutin dont les travailleurs savent d’expérience n’avoir rien à attendre de bon. Il est vrai qu’en l’absence d’un vrai mouvement communiste européen inséré dans un Mouvement communiste international combatif, le refus populaire de l’Europe supranationale s’affirme aussi, hélas, par le vote des catégories populaires en faveur de partis « nationalistes » qui avalisent en douce l’euro, l’UE et l’OTAN tout en dévoyant le patriotisme populaire vers l’islamophobie et la xénophobie (et qui, bien évidemment, le dévoieraient à nouveau demain vers l’antisémitisme si tel était leur intérêt !). Sous la houlette d’Ursula von der Leyen, qui se charge d’arbitrer – pour le moment plutôt en faveur du second, mais qui arbitre régulièrement pour Berlin dès qu’un conflit surgit entre elle et Paris… (cf l’Accord avec le Mercosur) – entre les « guides » germanique et/ou américain du char européen et, à un bien moindre degré, à l’initiative d’un Macron totalement dévalué en France et en Europe, l’UE néolibérale en est réduite à choisir désormais, suite à l’avènement de Trump, entre sa marginalisation géopolitique définitive (elle serait contrainte, dans cette hypothèse, à n’être qu’un pilier vassalisé de l’OTAN…), et son aventureuse réaffirmation en tant qu’empire continental centré sur un nouveau militarisme allemand (ou polonais), l’armée française otanisée fournissant les troupes, les ogives… et les cibles prioritaires ! Cela ferait de l’Etat fédéral européen doté de « son » armée (fin annoncée de la Défense nationale française…) le fer de lance de l’aile eurasiatique du camp hégémonique occidental marchant contre la Russie : « séduisante » perspective qui signifie, « au mieux », la sur-militarisation aggravée de l’économie européenne et l’austérité à perpétuité pour les travailleurs résidant dans l’UE, au pire un affrontement direct de l’UE avec la Russie propre à réduire à terme le sous-continent européen en un gros tas de cendres radioactives, France en tête. Dieu qu’il est joli le « rêve européen » que nos élites s’emploient à vendre à coups d’ingérences grossières aux Moldaves et aux Géorgiens, aux Arméniens, voire aux Roumains et aux Biélorusses, au risque de transformer ces pays en ruines fumantes arpentées par des mutants néonazis… comme l’est déjà devenue de fait la partie occidentale d’une Ukraine livrée aux aventuriers de l’Euro-Maïdan !
Dans ce contexte répulsif, un large espace politique pourrait s’ouvrir a contrario aux forces populaires de France (voire à celles du sous-continent européen) qui oseraient contester radicalement l’UE-OTAN tout en ouvrant la perspective, non pas d’un aigre repli xénophobe, et moins encore d’un Frexit rabougri amarré aux USA à l’instar du Brexit de droite de Farage, mais d’une sortie de l’UE par la voie progressiste de la République sociale et populaire réinventée, de la relance du produire en France industriel et agricole, de la réparation environnementale internationalement impulsée et de la coopération tous azimuts entre peuples libres de tous les continents débarrassés des traités supranationaux et des institutions néolibérales comme l’OMC et le FMI. Et cela sans exclure a priori aucun pays et ensemble de pays du monde, Russie, Chine, Inde, Afrique australe, Amérique latine (notamment Cuba et Venezuela !), Québec enfin souverain, Afrique occidentale francophone en mouvement (voire en marche vers une libre fédération panafricaine ?), monde arabo-musulman avide de dignité retrouvée et mettant enfin à la raison le colonisateur israélien et ses collabos hypocrites des pétromonarchies. Sans oublier bien entendu, de rendre leur rôle propulsif légitime aux prolétaires et à la jeunesse populaire de tous les pays du Nord, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Irlande, Canada, Italie, Espagne, Allemagne, Japon… et USA inclus.
Montée en puissance du mouvement contre-hégémonique des « BRICS » et des « BRICS + »
Sans qu’il soit question d’idéaliser les Etats membres des BRICS, des « BRICS + » et de leurs Etats associés dont les uns se réclament à des degrés divers, et sur des bases infrastructurelles variées, du socialisme (Cuba socialiste, RP de Chine, RPD de Corée, RS du Vietnam, RP du Laos), les autres du nationalisme religieux chiite (Iran), d’autres encore de l’héritage anticolonial (Afrique du sud, Etats de l’Afrique francophone occidentale et centrale), voire… de la Russie orthodoxe, si ce n’est de régimes carrément féodaux (Arabie saoudite), ce mouvement non pas entièrement et conséquemment « anti-impérialiste », mais plus modestement « contre-hégémonique », est porteur d’une force d’impulsion planétaire inégalement, potentiellement et partiellement progressiste. D’une part il fait objectivement pièce économiquement, voire militairement, à l’Hégémon euro-atlantique flanqué de la très génocidaire « théocratie fasciste » israélienne (dixit le maire de Tel-Aviv !) et de la mouvance mondiale anglo-saxonne (le groupe « A.UK.US »). Qu’ils l’assument ou pas, les BRICS s’en prennent en effet de facto à ces piliers de l’hégémonie planétaire que sont l’U.S. Army, le dollar inconvertible iniquement imposé comme la monnaie de change mondiale, ainsi que les institutions oppressives de la mondialisation néolibérale, FMI, OMC et Banque mondiale en tête. Cela ne signifie pas que certains de ces Etats objectivement contre-hégémoniques qui contestent l’ « unilatéralisme » yankee et qui revendiquent le « multilatéralisme » soient tous de nature anti-impérialiste, loin de là, ni même que certains d’entre eux ne soient pas potentiellement porteurs, surtout s’ils finissaient par gagner leur bras de fer avec l’Hégémon, de nouvelles formes d’impérialisme. Car à notre époque, tout pays capitaliste de quelque envergure est nécessairement porteur, au moins en puissance, d’une forme développée ou pas d’impérialisme, c’est-à-dire de fusion du capital bancaire et du capital industriel, d’exportation des capitaux, de domination des monopoles capitalistes, d’extorsion de surprofit de type néocolonial ou d’un tribut transnational, etc. Mais de manière contradictoire, tout Etat tentant de se développer et qui se voit contraint d’affronter l’hégémonisme nord-américain ne peut que développer aussi, sans nécessairement l’assumer clairement, des tendances antiimpérialistes, voire des tendances objectivement antifascistes, antinazies, voire franchement anticapitalistes : il n’est que de voir le cas de la Fédération de Russie : elle défend certes l’héritage « grand-russien » du tsarisme contre celui, populaire, du bolchevisme, mais pour s’opposer victorieusement à l’Ukraine pronazie de Zelensky, Poutine a bien été forcé de prendre appui sur la popularité intacte dans les masses russes de l’Armée rouge et de l’URSS et de soutenir, au moins quelque temps, les Républiques populaires du Donbass dirigées par des communistes. Sans cela, impossible pour lui de mobiliser la masse du peuple et d’obtenir a minima la bienveillante neutralité du prolétariat russe pour bloquer l’expansionnisme otanien visant à la partition de l’Etat russe comme le Drang nach Osten euro-atlantique « amical » des années 90 avait déjà subrepticement contribué au partage impérialiste de l’URSS, à l’annexion de la RDA, au très suspect soulèvement antirusse en Tchétchénie et au phagocytage euro-germanique du camp socialiste européen sur lequel s’est largement bâti l’actuel « Modell Deutschland ». Dans ce contexte, le contre-révolutionnaire impénitent… et rusé qu’est Poutine a la finesse politique de brandir le drapeau rouge de la victoire de 45 comme il a dû, bien malgré lui, s’allier à la Biélorussie postsoviétique et néo-léninienne de Loukachenko et comme il lui avait enfin fallu se résoudre à secourir (à l’appel pressant du PC de la Fédération russe) ces « Républiques populaires » du Donbass qui furent d’abord seules à résister aux néonazis ukrainiens des bataillons Aïdar et Azov.
Il nous faudrait aussi parler de la Corée populaire, qui vient de réintroduire avec éclat la référence au marxisme et au communisme dans ses textes officiels, de la Chine populaire, dont les cadres étudient à nouveau les écrits de Marx et qui devra bien choisir un jour entre ses milliardaires rouges (si rouges que ça?) tactiquement inscrits au Parti et les aspirations égalitaires de sa classe ouvrière (souvent gréviste !), entre la mondialisation néolibérale à l’agonie et un projet de codéveloppement mondial égalitaire ; en effet, l’avenir des « nouvelles routes de la soie » chinoises dépendent en définitive de l’avenir des luttes de classes en Chine et dans le monde… surtout si Trump va jusqu’au bout de son projet de plomber les importations chinoises et de se confronter sans retenue avec Pékin et Pyongyang dans l’Asie-Pacifique… Il faudra bien alors que le « socialisme de marché à la chinoise » hérité de Deng Xiaoping tranche clairement de son orientation de classe définitive à égale distance, espérons-le, des graves dérapages gratuits de la « Révolution culturelle » et des dérives ultracapitalistes de la « réforme » (d’aucuns diront de la « super-NEP ») denguiste. Comment à terme le peuple chinois pourrait-il alors faire autrement qu’avoir à trancher entre, d’une part, un avenir franchement socialiste-communiste dirigé par la classe ouvrière alliée aux paysans et aux couches moyennes des villes, ce qui imposera mécaniquement un surcroît d’économie démocratiquement planifiée et de services publics, et d’autre part un No future capitaliste ouvrant la voie au dépeçage impérialiste du pays que préfigurent les ingérences occidentales visant la « libération » du Tibet, du pays ouïgour, de Taiwan ou de Hongkong ?
N’oublions pas du reste que, dans chacun des grands Etats fondateurs des « BRICS », sommeille ou bouillonne déjà selon les cas, un puissant potentiel « rouge ». Le Brésil fut ainsi le pays du légendaire commandant communiste Carlos Prestes et celui de l’architecte communiste (et marxiste-léniniste) mondialement connu Oscar Niemeyer, le concepteur de Brasilia ; l’Union indienne fut le théâtre en 2021 d’immenses grèves ouvrières et paysannes dirigées par les syndicalistes communistes du PCM et du PCIM ; l’Afrique du Sud sait ce qu’elle doit à Fidel Castro, au PC sud-africain (SACP) de Chris Hani et au syndicalisme de classe de la COSATU en matière de victoire sur le régime d’apartheid soutenu par l’Occident. Ne parlons pas, à nouveau, de la Chine populaire, dirigée par un PC de 90 millions d’adhérents, ou de la Fédération de Russie où, en 1997, il s’en est fallu d’un cheveu pour que le communiste Evguéni Ziouganov ne triomphe électoralement du répugnant Boris Eltsine, homme-lige de Bill Clinton et spongieuse épave alcoolisée de la contre-révolution mondiale…
Bref, le rôle des communistes et de tout progressiste conséquent n’est aucunement de cultiver le purisme révolutionnaire en fonctionnant « à l’envers » et en s’exclamant sottement : « tant qu’un Etat contre-hégémonique des BRICS ne sera pas anti-impérialiste à 110%, je refuserai de le soutenir, et tant que tel Etat anti-impérialiste ne sera pas à 100% anticapitaliste, je ne choisirai pas entre lui et l’Oncle Sam ». Une attitude léniniste dynamique et dialectique consistera tout au contraire, à l’échelle mondiale comme à l’échelle de chaque Etat membre des BRICS, à appeler le prolétariat de chacun de ces pays à impulser, voire à diriger et à dynamiser autant que faire se pourra le front contre-hégémonique pour activer au maximum son potentiel anti-impérialiste… tout en suscitant son potentiel antifasciste, voire son potentiel anticapitaliste…
De même le rôle du prolétariat politiquement conscient sera-t-il d’éveiller et d’impulser, à l’intérieur de chaque pays tendanciellement anti-impérialiste (Bolivie, Venezuela, Nicaragua, Niger, Mali, Sénégal, etc.), et selon les cas, avec tout le doigté nécessaire, sa dynamique anticapitaliste en comprenant théoriquement et en maniant politiquement la différence conceptuelle existant entre ce qu’Aristote (un philosophe qu’admirait Marx…) appelait l’être « en acte » et l’être « en puissance » : en effet, si on le place dans des conditions favorables et si on l’ « active », ce papillon seulement « en puissance » qu’est, par exemple, l’inerte chrysalide, se muera en un gracieux insecte volant : dialectiquement « il est et n’est pas » à la fois un papillon, il faut tout bonnement l’aider à le devenir en tenant compte des données de forme, d’espace et de temps.
Encore plus dogmatique et sectaire, en un mot, non-dialecticien, serait celui qui prétendrait, sous couvert de « brûler les étapes » et d’ « aller plus vite au socialisme », qu’il faut savoir lancer « directement » le satellite orbital du socialisme sans l’avoir d’abord placé au faîte d’une fusée capable de se dépasser elle-même en tant que lanceur en se délestant derrière de chacun des « étages » dont la poussée préalable aura permis à l’étage ultérieur de grimper plus haut… avant de choir à son tour dans la mer. Bref, on ne va pas plus vite, sauf imaginairement, parce que l’on prétendrait bousculer les tempi objectivement inscrits sur la « partition », c’est-à-dire… dans la nature des choses !
Pour autant, le mouvement général de la classe ouvrière, qu’il s’agisse de la future Internationale Communiste et Ouvrière en gestation ou de l’intervention des organisations communistes nationales déjà existantes , sera objectivement seul capable de pousser l’anti-exterminisme, le contre-hégémonisme, l’anti-impérialisme et l’antifascisme jusqu’à leur conséquence ultime : la transformation socialiste-communiste de la société, sachant qu’un anti-exterministe conséquent sera logiquement tenté de se muer, expérience faite de la lutte concrète, en un adversaire résolu de l’hégémonisme ; qu’à son tour, un combattant anti-hégémoniste véritable sera tôt ou tard conduit par la dynamique de son engagement à affronter l’impérialisme « en général ». De la même façon, un anti-impérialiste ou un antifasciste conséquents devront, pour remporter irréversiblement la victoire, devenir de fermes anticapitalistes, des syndicalistes de classe voire… des communistes ; lesquels ne seront d’aucune efficacité s’ils ne se réapproprient pas à leur tour, tout en œuvrant à l’actualiser et à l’approfondir, ce marxisme-léninisme que le dogmatisme a certes parfois asséché, mais que, plus gravement encore, le révisionnisme « mutant » a carrément flanqué aux orties. Et tout cela s’effectuera, non pas « en chambre » et dans l’abstrait, mais dans le courant tumultueux des luttes objectivement très diverses et « feuilletées » contre l’Hégémon euro-atlantique qui sert de clé de voute au capitalisme tout entier… Une « clé de voute » dont l’effondrement géostratégique peut précipiter le basculement futur de l’humanité vers un socialisme-communisme de nouvelle génération, du moins si nous parvenons à mobiliser à temps les masses populaires contre la guerre mondiale fomentée par le bloc hégémoniste. Cela, les Poutine, Modi, Ramaphosa, Lula da Silva, les milliardaires rouges chinois ( ???) et autres nantis brésiliens, sud-africains, etc. tactiquement affiliés ici et là au PC chinois, à l’ANC ou au PT brésilien, finiront bien par l’apprendre à leurs dépens… Pour peu qu’à l’inverse, les PC soutenant telle pétition anti-exterministe, tel mouvement contre-hégémonique, telle résistance anti-impérialiste, telle bataille antifasciste, ne se soient pas alignés entretemps sur les forces bourgeoises ou petite-bourgeoises menant elles aussi de tels combats pour leur propre compte et sous leur propre bannière idéologique…
Les marxistes doivent donc garder à l’esprit, tout en fédérant largement autour d’eux pour la paix et pour la souveraineté des peuples, que la fraternité entre les hommes et la paix entre les peuples ne pourront être solidement garanties que par l’avènement du socialisme dans une large partie du monde : donc par la défaite définitive, ou du moins, par la subordination géopolitique durable (du type de ce que fut quelque temps la « finlandisation »), des forces bourgeoises et capitalistes de la planète.
Crise de la France bourgeoise : où l’on prend conscience du fait que, décidément, « Marianne ne consent plus ! »…
Au sortir de la dissolution parlementaire surprise décidée par Macron en juin 2024, la France capitaliste subit une crise politique et institutionnelle potentiellement explosive dont les développements en partie imprévisibles n’intéressent pas que le peuple français étant donné l’héritage révolutionnaire universel dont ce peuple (sinon ses élites politiques, militaires, médiatiques et économiques de plus en plus enclines à la réaction, la fascisation, le reniement national et le colonialisme…) demeure symboliquement porteur. Institutionnellement, la Cinquième « République » française, ce régime autoritaire héritier du putsch néo-bonapartiste fomenté par les généraux d’Alger en février 1958, ne permet plus aux gouvernants successifs, tous issus peu ou prou du Parti Maastrichtien Unique polycéphale (qu’ils se prétendent tour à tour « gaullistes » comme Sarkozy, « socialistes » comme Hollande, « centristes » comme Macron ou Bayrou…), de diriger la nation d’une manière tant soit peu consensuelle tant s’accélère la décrépitude du pays. Et tant la masse des Français, exceptés les privilégiés des centres-villes des « villes-centres », ressentent amèrement ce déclin national25… En témoigne le fait que le président de la République, de plus en plus détesté dans le pays, et qui n’a été réélu au second tour de la présidentielle de 2022 que parce qu’il existe en France (jusqu’à quand ?) un fragile rejet du lepénisme, a dû dissoudre l’Assemblée nationale après sa double déroute des listes présidentielles aux élections européennes et législatives. Avant cela, Macron n’avait gouverné le pays qu’en recourant à une répression policière outrancière (celles qui a mutilé tant de Gilets jaunes, celles aussi qui a visé tant de syndicalistes de lutte ou de manifestants pro-Palestine) assortie de passages en force parlementaires débridés. Or Macron doit désormais traiter avec une Assemblée nationale coupée en trois portions inégales, la gauche parlementaire, d’emblée écartée par Macron, étant formellement la plus nombreuse quoique la plus divisée. Néanmoins, pour imposer les coupes claires exigées par l’UE et par les marchés financiers dans la protection sociale et le budget des services publics, et aussi pour mettre en place la ruineuse « loi de programmation militaire » exigée par l’OTAN (413 milliards d’euros d’ici 2030, c’est-à-dire un doublement du budget militaire français !), Macron a nommé un étrange Premier Ministre : directement issu du sérail bruxellois, l’eurocrate Michel Barnier (l’ex-négociateur du Brexit au titre de l’UE !) provient du parti qui a le moins de députés au parlement (les prétendus « Républicains ») et se voit forcé, pour pouvoir disposer d’une frêle majorité, de tomber le masque du « centrisme » macroniste en courtisant la droite la plus répressive et la plus xénophobe (celle de Bruno Retailleau et de Laurent Wauquiez). En outre, Barnier ne devra sa probablement brève survie politique26, si survie il y a, qu’à l’abstention des députés lepénistes sur la probable motion de censure parlementaire déposée par la gauche. De la sorte, les députés du Rassemblement lepéniste sont objectivement devenus les marionnettistes du gouvernement macroniste alors que Macron a perdu les législatives et que toute la gauche institutionnelle, une partie l’extrême gauche euro-compatible, voire quelques « marxistes-léninistes » posturaux, avaient appelé leurs électeurs à voter pour les candidats macronistes sortants (y compris les grands « antifascistes » Borne et Darmanin !) pour, sans rire, « faire barrage à l’extrême droite »…
Le bon côté de ce glissement avoué de la gouvernance française vers la droite et l’extrême droite est qu’il va forcer le RN à tomber son masque social, à faire la danse du ventre devant la bourgeoisie en montrant patte blanche au MEDEF et à l’UE (ou au contraire, que ce parti va être provisoirement forcé d’effrayer son électorat bourgeois), à assumer indirectement l’euro-austérité, à fermer les yeux sur le « saut fédéral européen » en cours (jolis « patriotes » en vérité !), à soutenir l’OTAN en Ukraine (cf. la rencontre récente de Bardella avec Zelensky) et à s’afficher chaque jour un peu plus en compagnie de leur ami ultraréactionnaire et patronal, le sinistre député niçois Ciotti. Bref, le RN est déjà en train de se positionner comme le barycentre d’un futur parti de la vieille droite versaillaise et libéral-thatchérienne aussi complaisante à l’égard des milliardaires que brutale à l’encontre des ouvriers (y compris de ceux qui votent RN). Cela ne pourra à terme que faciliter les retrouvailles d’essence néo-vichyste du RN avec le parti Reconquête d’Éric Zemmour… Avis aux électeurs ouvriers du RN qui s’imaginent encore que ce parti a quoi que ce soit de « populaire », de « patriote » et de « proche des gens »…
De manière plus générale, qui peut penser que le peuple français, auteur de cinq insurrections révolutionnaires aux XVIII et au XIXèmes siècles, instigateur des lois laïques de 1905/1906 (Jaurès), du Front populaire (1936), de la Résistance ouvrière et paysanne (notamment de la Libération de Paris par l’insurrection dirigée par les communistes Tollet et Rol-Tanguy), de la grève de masse de Mai-juin 68, des grandes grèves partiellement victorieuses de Novembre-Décembre 1995, du Non citoyen à la Constitution européenne de 2005, du soulèvement victorieux des jeunes contre la précarisation générale de la société (lutte de masse anti-CPE du printemps 2006), de la pré-insurrection populaire des Gilets jaunes en 2019-2020, des mobilisations ouvrières pour les retraites de 2022/2023, va se laisser dépouiller de ce qui lui reste des acquis de 1945, de sa souveraineté nationale (démantelée au profit de l’Etat fédéral européen), et tout cela sans un hoquet de protestation ? Qui peut croire que notre peuple acceptera sans ruer très fort sa tiers-mondisation rampante « à la grecque »27 ainsi que la pluie de contre-réformes maastrichtiennes (rail, électricité, poste, école, hôpital, sécu, mutuelles, voire armée et gendarmerie…), d’euro-privatisations, de licenciements et de délocalisations industrielles que fomentent sous ses yeux ses élites asservies à l’UE-OTAN et au MEDEF ?
Tout cela annonce de rudes affrontements de classes entre le peuple travailleur et la Troïka représentée par l’UE-OTAN, le MEDEF et le gouvernement policier et militariste de MM. Barnier et Retailleau (et maintenant, de François Bayrou) ! En effet, comme le disait le marxiste Antonio Gramsci définissant, « l’hégémonie (culturelle) est la dictature matelassée de consentement ». Si bien que lorsque, décidément, Marianne ne consent plus !28 et que l’assentiment majoritaire du peuple français s’écroule, le pouvoir de classe s’exerce alors à vif et la dictature oligarchique ne peut plus se dissimuler derrière la prétendue « démocratie au-dessus des classes », ce masque « humaniste » ordinaire de la violence capitaliste : la « servitude volontaire » du peuple qui caractérise d’ordinaire la « démocratie » bourgeoise fait alors place à la fascisation rampante et, le moment venu, surtout si rien ne vient fortement contrer ce processus de fascisation du côté du mouvement populaire, à la dictature fasciste prise stricto sensu. Dans de telles conditions explosives, la bourgeoisie capitaliste pilotée par son détachement de choc oligarchique ne dispose plus que de trois cartes, qui peuvent d’ailleurs se combiner de diverses façons sous la forme d’une tierce assassine, celle qui consiste en…
- L’euro-dissolution nationale finale de la Nation française (l’oligarchie « franceuropéenne » et « françaméricaine » du CAC 40 dit clairement « adieu à la France ! » vu… qu’à l’inverse, le peuple de France lui signifie jour après jour son immense mépris !) en déléguant la défense de la grande bourgeoisie postnationale à l’UE, à la « gendarmerie européenne » et à l’armée européenne sous parapluie américano-otanien ;
- La fuite en avant vers une aventure antirusse, anti-iranienne et/ou antichinoise sous le pavillon germano-américain, pardon, sous le pavillon de l’ « armée européenne » placée sous les ordres d’une Commissaire balte russophobe, qui rêve à voix haute de tronçonner la Russie et dont un grand-père combattait déjà l’Armée rouge dans les rangs des Waffen-SS ;
- Le saut fasciste national-européiste avec, le moment venu, sous la direction de Le Pen, de Zemmour ou de telle autre « figure charismatique » encore plus réactionnaire (!), la répression violente, non seulement du mouvement ouvrier de classe et des « Rouges », mais de tous ceux qui, de près ou de loin, refuseraient la guerre impérialiste, l’étouffement des libertés et la persécution des immigrés. Avec en prime une terrible défaite symbolique de plus pour le mouvement démocratique international qui a déjà encaissé, en 1991, le démantèlement de l’URSS ; ce produit de la révolution prolétarienne de 1917 et, en 2011, l’humiliation germano-européenne du peuple grec, précurseur sans égal des combats pour la raison et la liberté. En effet l’humanité progressiste verrait alors la France, terre de la plus grande Révolution bourgeoise-démocratique de l’histoire (la Révolution jacobine), terreau de l’humanisme, du rationalisme cartésien et des Lumières, patrie du communisme populaire (de Babeuf à Croizat en passant par les Trois Glorieuses, le printemps 1848, la Commune et le congrès de Tours), promouvoir « librement » chez elle, en apparence à l’initiative des ouvriers votant pour le RN, ce qu’avait conjuré le Front populaire et que l’oligarchie de l’époque n’avait pu pleinement instituer qu’à la faveur de la défaite militaire de 1940 : un fascisme hexagonal suant la réaction par tous ses pores!
Si effrayante que soit cette perspective lugubre (mais « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté! », disait Romain Rolland), elle doit être interprétée dialectiquement, c’est-à-dire de manière propre à impulser l’engagement militant. Quand une classe décadente devient une caste monopolistique, quand elle en est à ruiner son pays sur tous les plans – et par ex., symptôme majeur d’aliénation nationale, à substituer méthodiquement l’anglais du commerce transatlantique à la langue de son pays (ce français qui est pourtant parlé par 300 millions de personnes et que comprennent peu ou prou 900 millions de personnes par le monde !) -, quand elle en vient à se placer volontairement sous la protection d’un maître étranger (comme firent tour à tour du reste, au cours de notre histoire, l’Evêque Cauchon bourreau de Jeanne d’Arc, Louis XVI instigateur de l’invasion autrichienne, Adolphe Thiers courtisan de Bismarck, Laval carpette de Hitler… ou le duo clérical Monnet/Schuman peu discrètement soldé par les USA), c’est que cette classe est historiquement « au bout du rouleau » et qu’elle n’a plus rien à voir avec la bourgeoisie encore progressiste qui porta la Révolution partiellement démocratique de 1789, qui fit la République montagnarde de Saint-Just, qui fonda l’école laïque de Ferdinand Buisson et qui conçut la très progressiste séparation de l’Eglise et de l’Etat portée par Briand. En réalité, cette classe passée en deux siècles de la Révolution bourgeoise à la contre-révolution anticommuniste et à ses tropes fascisants est objectivement prête à passer le témoin de la transformation sociétale (contrainte et forcée !) à la classe travailleuse, du moins si celle-ci fait le nécessaire pour cela en redevenant offensivement la cheffe de file d’une renaissance patriotique et républicaine orientée vers un socialisme notre temps.
Conclusion d’étape :
A l’échelle mondiale comme aux plans européen et national, une analyse marxiste est en droit de porter le diagnostic d’une crise généralisée de l’hégémonie culturelle du capitalisme-impérialisme et de ses « contre-avant-gardes » et autres ailes marchantes maléfiques, qu’il s’agisse de l’unilatéralisme euro-atlantique, de l’ultra-sionisme génocidaire, de la « construction » euro-germanique de plus en plus anticommuniste, guerrière et fascisante, de ce « néolibéralisme » qui constitue la forme transnationalisée du pourrissant capitalisme monopoliste d’Etat29 postnational ou de son envers, la démondialisation protectionniste non moins capitaliste et impérialiste portée par Trump. Cette crise hégémonique globale du capitalisme-impérialisme dégénérant en exterminisme et en processus contre-révolutionnaire global met en péril à long, à moyen, voire à court terme, l’existence même de l’humanité. Face à ce risque global sans précédent se dressent cependant, certaines déjà « en acte » et d’autres encore quelque peu « en puissance », les larges forces contre-systémiques que nous venons d’énumérer. De ce fait, tout communiste, tout révolutionnaire, tout syndicaliste de lutte, tout citoyen conscient, tout écologiste chérissant le vivant, tout patriote aimant vraiment son pays, doivent agir sans tarder pour fédérer ces forces dans leur diversité, l’enjeu étant désormais indissociablement de « transformer le monde », de préserver la vie… et, plus que jamais, car tout cela va de pair, de la changer !
III – D’aube blanche en rouge aurore – Reconquérir l’hégémonie culturelle progressiste, réorganiser à temps les avant-gardes
Bien qu’accablant, le constat de la décomposition du monde capitaliste-hégémoniste ne justifie pour autant ni abattement personnel ni repli militant. En effet, si les chefs réformistes du mouvement populaire sont accoutumés à caler devant les difficultés, si nombre d’entre eux sont devenus de fait les accompagnateurs « de gauche » des guerres impérialistes, des contre-révolutions et de leurs retombées, les contre-réformes antisociales, les militants révolutionnaires sont et seront à l’inverse appelés bientôt par les circonstances historiques à vivre les plus grandes liesses qui soient… possiblement précédées, hélas, nul ne doit se le cacher, des épreuves les plus dures : car en cette période de crise aiguë du capitalisme-hégémonisme il serait bien étonnant qu’à nouveau, les militants d’avant-garde ne dussent pas derechef « cueillir la rose de l’avenir dans la croix du présent », comme l’écrivait déjà le dialecticien Hegel au début du XIXème siècle ! L’héroïque Dimitrov le disait déjà du reste, lors du VIIème Congrès de l’Internationale communiste (1935) : « les contre-révolutions sont des parenthèses de l’histoire, l’avenir est aux révolutionnaires ». Dès lors, l’intervention militante des forces révolutionnaires nationalement et internationalement réorganisées et, osons le dire, redisciplinées par réflexe d’autoconservation, pourra prendre appui, d’une part, sur un volontarisme politique de bon aloi, mais aussi et surtout d’autre part sur une série de données objectives réjouissantes :
A – Fondements objectifs de la contre-offensive progressiste mondiale
Montée en ligne de l’Afrique francophone rebelle
- Mali, Burkina Faso, Niger, voire Centrafrique et Sénégal : même si les militaires anti-impérialistes qui ont pris le pouvoir en Afrique francophone de l’Ouest et du Centre sont encor loin d’être communistes, même si certains d’entre eux idéalisent encore la sinistre compagnie russe Wagner plus encline au brigandage mercenaire qu’à la lutte antiterroriste, la rupture de l’Afrique avec l’ordre néocolonial, et à travers lui, avec le monde euro-atlantiste, semble irréversiblement amorcée. De fait, les pays de l’Afrique francophone qui, pris collectivement, constituent déjà de loin la zone économique la plus dynamique d’Afrique, sont en position d’impulser, et peut-être d’orienter la révolte continentale en germe contre le néocolonialisme et contre son ombre portée, la malgouvernance des bourgeoisies compradores africaines. L’avenir dira si les Etats d’Afrique occidentale insurgés préfèreront relancer le panafricanisme socialisant issu de Lumumba ou de N’Khruma, ou s’ils tomberont in fine dans le piège d’un pseudo-panafricanisme néolibéral et dès lors nécessairement dépendant car reproduisant en position subordonnée les travers structurels de l’UE et de son pan-européisme… impérialiste. Dans la mesure où le franc CFA, que ces pays africains rejettent désormais passionnément, n’est intrinsèquement que la projection africaine, non plus du « franc » proprement dit (le franc français n’existe plus depuis 24 ans !), mais de la zone euromark subordonnée au dollar, dans la mesure où la Françafrique macroniste en capilotade n’est plus que la sous-traitante régionale de l’ordre euro-atlantique, dans la mesure où le peuple français lui-même – et la langue française elle-même, violentée comme jamais dans l’Hexagone – ont le même ennemi existentiel que celui que combattent les Maliens, les Nigériens, les Sénégalais, les Maliens et les Burkinabés (à savoir l’impérialisme « français » décadent), dans la mesure enfin où les peuples africains voient de plus en plus dans l’initiative planétaire chinoise Ceintures et routes une alternative économique possible au pillage néocolonial pluriséculaire de l’Occident, de telles évolutions géopolitiques signifient qu’un milliard d’Africains, et parmi eux, plus de deux-cents millions de Francophones devenus le barycentre objectif de la Francophonie mondiale (quel avantage géopolitique pour eux s’ils s’approprie cela offensivement !) constituent un énorme renfort potentiel pour la construction en marche du Front anti-impérialiste et anti-hégémonique mondial.
Vers la « remontada » de la classe ouvrière internationale et du prolétariat mondial ?
A l’heure où ces lignes sont écrites (novembre 2024), les ports de Montréal et de Vancouver sont bloqués par les débardeurs grévistes et le grand patronat canadien soutenu par Trudeau riposte en décrétant le lockout. Mais immédiatement, les postiers canadiens et les cheminots grévistes prennent le relais… Peu de temps auparavant avait eu lieu la première grande grève de l’emblématique firme sud-coréenne Samsung, avec un prolétariat sud-coréen donnant de plus en plus de fil à retordre au régime fantoche de Séoul30. Aux USA, rien qu’au cours des deux dernières années, des grèves dures impliquant piquets de grève et blocages de sites ont ainsi éclaté chez John-Deer (machines agricoles), Stellantis-Chrysler, Boeing, sans oublier les docks des principaux ports américains. Souvent de substantielles augmentations ont dû être consenties aux grévistes même si, partout, les employeurs aidés par leurs Etats bourgeois respectifs, ont manié – sans grand succès jusqu’ici – le chantage à l’emploi et la répression patronale et policière. Ces dernières années ont vu également éclater des grèves de masse menées dans un combatif esprit « classe contre classe » et en bravant les syndicats jaunes, notamment dans les grandes « maquiladoras » du Nord-Mexique. En Grande-Bretagne, le syndicat unitaire des transports Unite, dont plus d’un dirigeant ouvrier est communiste, voire marxiste-léniniste affirmé, a mené de puissantes grèves, notamment en Ecosse et cela avec d’autant plus de mérite que, depuis les années Thatcher/Blair, la grève est quasiment interdite outre-Manche en raison d’une législation liberticide et pro-patronat. Au Québec, les travailleurs des services publics ont obtenu satisfaction à l’issue d’un mouvement unitaire puissant et politiquement proche des revendications indépendantistes et pro-Francophonie.
En France même, prenant la suite du soulèvement semi-prolétarien terriblement réprimé des Gilets jaunes (2019/21), de puissants arrêts de travail reconductibles avec, là aussi, de vigoureux blocages de sites, des piquets de grève, des coupures ciblées de courant, ont été menés en défense des retraites solidaires par les secteurs les plus combatifs du prolétariat industriel, énergéticiens, pétrochimistes, cheminots, voire éboueurs, et que cela n’a pas été sans écho au Congrès CGT de 2023 où les syndicats français rouges à base principalement ouvrière, rejetant la Confédération Européenne des Syndicats (la C.E.S. euro-soumise) et souvent affiliés à la Fédération Syndicale Mondiale, ont mis en minorité la direction euro-réformiste personnifiée par l’insipide Philippe Martinez. Ces modes d’intervention prolétariens ont percuté de front la tactique défaitiste du « syndicalisme rassemblé » et du « dialogue social » empreints d’euro-soumission symbolisées par le fade « leader » Laurent Berger, à la fois président de la CFDT et de la jaunâtre C.E.S., c’est-à-dire homme de confiance européen du patronat…
Et surtout, c’est en 2022 que les plus grandes grèves de l’histoire européenne depuis Mai-juin 1968 ont éclaté en Inde, les petits paysans, les ouvriers agricoles et une bonne partie des ouvriers industriels indiens ont bloqué les grandes villes avec les syndicalistes communistes à leur tête, ce qui a forcé l’autocrate hindouiste et néolibéral Modi à reculer précipitamment sur sa loi « libéralisant » l’agriculture indienne aux dépens des petits paysans.
Bref, la classe ouvrière quelque temps découragée, malmenée et broyée par les délocalisations, les privatisations et surtout, par la désorientation suscitée par l’autodestruction de l’URSS et l’auto-flagellation masochiste d’ex-partis communistes, « reprend du poil de la bête » et repart à l’offensive, l’affaire étant précipitée par l’inflation mondiale déclenchée par la crise de l’énergie consécutive aux « sanctions-boomerangs » et par la ruineuse course aux armements décrétées par les Occidentaux à l’encontre de la Russie… A noter en outre que, par-delà ce cœur traditionnellement combatif du monde du travail qu’est le prolétariat industriel (la classe ouvrière proprement dite), des secteurs aussi divers du salariat ou du quasi-salariat que les chauffeurs de taxis Uber, les agents des services publics, voire les scénaristes d’Hollywood refusant l’emploi de l’IA pour détruire leurs emplois, passent eux aussi à l’offensive. Loin de recourir au dialogue social bidon cher aux états-majors français politiques et syndicaux euro-formatés, ces travailleurs luttent pour gagner, et pas seulement pour « témoigner de leur mécontentement », comme les y appellent si souvent, et si mollement, les confédérations euro-réformistes française ; et donc, ces camarades étrangers utilisent les méthodes prolétariennes éprouvées : Assemblées générales de lutte, contrôle ouvrier sur la grève et sur les éventuelles négociations, occupation des ateliers et entretien des machines, voire appropriation sauvage à leur avantage de l’outil de travail (comme à Lip ou chez Fralib, pour faire référence à des expériences françaises plus ou moins anciennes), piquets de grève, riposte déterminée aux « jaunes » et aux nervis patronaux, services d’ordre disciplinés et froidement résolus, mobilisations-éclairs, blocage d’infrastructures et, de plus en plus, surtout en Grèce (à l’initiative du syndicat PAME) ou en Italie, refus de charger du matériel de guerre destinés aux tueurs impérialistes, etc.
En tous les cas, ce naissant regain mondial du mouvement ouvrier (et du mouvement paysan, y compris en France) offre au Mouvement communiste international une chance historique de rebond. Saura-t-il saisir cette « fenêtre de tir » en comprenant qu’une course de vitesse est engagée entre la marche à la guerre mondiale et la contre-offensive prolétarienne ? Ou le MCI préfèrera-t-il suivre celles de ses directions historiques qui se sont définitivement engluées dans les niaiseries bien-pensantes de l’ « eurocommunisme » (aujourd’hui regroupés dans le Parti de la Gauche Européenne), dans le reniement du léninisme et le social-impérialisme atlantiste…) ou, à l’inverse, dans le sectarisme puriste et/ou dans le suivisme par rapport à telle ou telle bourgeoisie « nationale », fût-elle provisoirement anti-impérialiste ou contre-hégémonique ? La vitesse de la réorganisation communiste et la justesse de la bataille d’idées marxiste-léniniste qui s’en suivra se chargeront vite de répondre à la question…
Regain d’intérêt pour le marxisme-léninisme dans la jeunesse
Car dans le même temps, l’intérêt pour le marxisme-léninisme renaît dans la jeunesse et plusieurs organisations communistes grandes ou moins grandes, dont le PRCF, l’observent en divers pays : la déprimante période contre-révolutionnaire des années 1980/2010 où la social-démocratie (Mitterrand en France, Schröder en RFA, Blair en Angleterre…) et le révisionnisme pseudo-« communiste » (Gorbatchev à l’Est, Berlinguer, Juquin et Carrillo à l’Ouest…), tout cela sur fond d’engouement mondial délétère pour le néolibéralisme, dominaient alors la « gauche », et où les communistes léninistes (c’est-à-dire… les communistes !) peinaient à recruter, où, en conséquence les vétérans harassés tenaient à bout de bras les organisations de classe, semble timidement s’éloigner enfin. Certes, on voit partout la droite dure et l’ultradroite marquer des points : et nous avons assez souligné le côté ténébreux de la situation mondiale pour paraître ici suspect d’optimisme béat ; mais nombre de jeunes, intellectuels ou ouvriers, comprennent – car les faits sont têtus ! – que le capitalisme obscurcit le présent, falsifie le passé et détruit l’avenir, que la « construction » euro-atlantique est un hyène travestie en agnelle, que l’impérialisme exterministe n’apporte plus à l’humanité que la mondialisation des guerres, la fascisation galopante, le désastre environnemental et le dévoiement des sciences sur fond d’abrutissement globalisé ; en conséquence, ces jeunes filles et gars courageux cherchent fébrilement à rouvrir une alternative anticapitaliste et universaliste radicale qui soit à la fois nationale et globale. En un mot, la jeunesse populaire, ce baromètre des batailles pour l’hégémonie culturelle31, se tourne de moins en moins rarement vers la reconstruction des avant-gardes théoriques, politiques et culturelles ; et il n’y a rien d’illogique à ce que cette reconstruction de l’avant-garde précède quelque peu celle des mouvements progressistes de masse dont elle constitue un signe avant-coureur.
Plus globalement, il faut se dire qu’il serait totalement antinaturel que la jeunesse mondiale, qui constitue la majorité relative de l’humanité, qui compose, en bien des pays du Sud et de l’Est, la majorité de la nation, et dont l’aspiration irrépressible est par définition de jouir de l’existence, de construire un monde meilleur que celui où survivaient ses parents et de le léguer à ses propres descendants, en un mot, d’ « aller de l’avant » et de « montrer ce qu’elle sait faire », se laisse éternellement mener par une oligarchie capitaliste et atlantico-centrée qui ne promet que « conflit global de haute intensité », massacres génocidaires à répétition, crise écologique structurelle, reculs sociaux sans fin, abêtissement médiatique généralisé, dévoiements inhumains ou « transhumains » des technologies de pointe, tout cela en un temps où les moyens technico-scientifiques de l’émancipation n’ont jamais été si performants, si accessibles à tous en théorie… et si durement interdits d’appropriation effective à la masse des humains constamment confrontés à ce que le psychologue marxisant Yves Clot a nommé un « avenir offert et refusé ».
A titre de symptôme socioculturel passablement prometteur, il n’est que de voir comment la jeune Suédoise Greta Thurnberg, que ses mentors médiatiques promenaient partout il y a peu comme une attraction foraine dans le but de promouvoir un discours « vert » aseptisé et culpabilisant, désespère désormais ses vils marionnettistes en prenant fait et cause pour le peuple palestinien contre le massacreur Netanyahou et ses parrains américains ! On doit à Paul Vaillant-Couturier, l’un des fondateurs du PCF, la belle formule selon laquelle « le communisme est la jeunesse du monde » : eh bien la réciproque ne vaut pas moins car lorsque le capitalisme en est à menacer toute l’humanité d’une « mort exhaustive »32, quand l’exterminisme tend insidieusement à priver de tout sens global les activités humaines, il menace davantage encore les jeunes gens qu’il ne menace les anciennes générations, lesquelles ont évidemment moins à perdre que la jeunesse (du moins à titre strictement personnel !) en termes d’avenir. C’est pourquoi il revient à la jeunesse populaire de porter avec initiative, en lien avec la classe ouvrière mondiale, le projet d’un socialisme-communisme de nouvelle génération, donc de donner corps à l’idée que, par destination, le communisme sera le nouveau monde de la jeunesse. Il ne s’agira certes pas, on s’en doute de ce « communisme de caserne » que Marx et Engels raillaient dans le Manifeste du Parti communiste, même s’il faudra peut-être passer par de terribles guerres de classes pour sortir du mouroir actuel, m ;ais d’un monde nouveau permettant à tous d’entreprendre solidairement en accouchant de cette « société des producteurs associés » que Marx appelait de ses vœux et que Lénine nommera par la suite la société des coopérateurs civilisés.
Elan dia-matérialiste des sciences, renaissance possible des « lucioles », essor fulgurant des technologies pour le meilleur ou pour le pire…
Nous avons montré par ailleurs, notamment dans nos livres Lumières communes et Dialectique de la nature, le grand rebond ?, ou dans divers numéros spéciaux de la revue Etincelles, qu’un marxisme-léninisme de nouvelle génération, et en son sein, un matérialisme dialectique et une économie politique marxiste réactualisés et réaffirmés, sont parfaitement en mesure de rompre (du moins si les intellectuels progressistes et autres dirigeants ouvriers décident de rompre avec le défaitisme social inhérent au révisionnisme théorique…) la domination paralysante de la « gauche » « démocrate » étatsunienne enkystée dans ses problématiques ultra-particularistes et d’en finir enfin avec les fausses alternatives que la doxa libéral-impérialiste et social-hégémoniste tente d’imposer aux progressistes de la planète. La poussée mondiale de l’exterminisme est en effet inséparable de cet obscurantisme, sournois ou agressif selon les cas, que le marxiste hongrois György Lukàcs nommait à juste titre la « destruction de la raison ». Ecrivant cela on a en vue, non seulement ce regain du religieux sur fond de pensée néo-magique et néo-mythique qui trompe et qui dévoie, hélas, des masses d’individus désorientés33 mais aussi, plus subtilement, cet agnosticisme34 BCBG qui déprime l’ambiance « épistémologiquement correcte » d’une société « postmoderne » où il va de soi qu’ « on ne peut pas connaître » le monde réel, que la réalité, si réalité il y a, est foncièrement mystérieuse et indéterminée, que la science est aussi relative et passagère que la mode, qu’en art, tout se vaut et que du reste, l’histoire, l’être et la vie ne comportent aucun sens rationnel, bref, que si sens il y a néanmoins, il ne reste plus qu’à aller le chercher dans le Mystère et dans le Spleen en abandonnant toute idée d’emprise rationnelle et tant soit peu collective de l’homme sur la nature et sur l’histoire…
Dans le livre Dialectique de la nature : vers un grand rebond ? , nous avons montré à l’inverse, ou plutôt, nous avons commencé à montrer (car cette vaste besogne ne peut être que d’essence collective), que l’élan magnifique des sciences contemporaines ouvre la voie à de larges contre-offensives rationalistes et anti-obscurantistes. Nouvelles approches ontologico-rationnelles de la physique, y compris de la Mécanique quantique (on pense à l’épistémologue grenobloise Naila Farouki et à sa collègue physicienne Alexia Auffèves, mais aussi au mathématicien anglais David Ekert qui, de diverses manières, polémiquent implicitement contre l’agnosticisme, le non-réalisme et l’indéterminisme outrés issus de l’Ecole de Copenhague…), fusionnement tendanciel prometteur de la physique des particules et de la cosmogonie (Gilles Cohen-Tannoudji), approches dia-matérialistes de la philosophie des mathématiques (aux prises avec les topoï transversaux du génial A. Grothendieck, avec la dialectique des « catastrophes » étudiée par René Thom, sans oublier la déroutante algèbre du « chaos » et celle des processus dynamiques renouvelant l’idée du déterminisme), dialectiques ontologiques éclatantes de la chimie et des sciences bio-environnementales, avancées matérialistes prometteuses en anthropologie, en ethnologie, en archéologie, en science de la préhistoire, voire en exobiologie et en planétologie, puissance prédictive de l’économie politique issue de Marx dès lors qu’on veut bien abstraire ses catégories très générales des formes, des variantes et des apparences furtives qu’elles prirent à telle autre période de l’histoire35, essor des sciences neurocognitives pourvu qu’on ne les oppose pas de manière platement positiviste aux découvertes issues de la psychanalyse, renouveau d’une « science de la science » dont des Soviétiques comme Kedrov furent les pionniers à partir d’une approche dialectisée du reflet cognitif assortie d’un travail convaincant sur la classification des sciences… tout cela suggère fortement qu’il est de plus en plus possible, sans dogmatisme aucun, en partant de l’ « examen de la contradiction dans la nature même des choses » (Lénine) et sans prétendre dicter leur orientation aux sciences ainsi que l’entreprit A. Jdanov de manière calamiteuse, de « comprendre le réel sans addition étrangère » (Engels). Autrement dit, de manière « lumineuse » au sens où l’entendirent tour à tour, et selon diverses nuances propres à leurs époques respectives, Lucrèce, Bacon, Descartes, Spinoza, Diderot, d’Alembert, Lavoisier, Lamarck, Engels ou Einstein. On peut même aller jusqu’à dire, quitte à braver à la fois les vieux récits mythiques démentis par les sciences et la déprimante idéologie postmoderne, qu’il redevient possible en droit comme en fait de dessiner les grandes lignes d’un nouveau Grand Récit36 de forme (au moins tendanciellement) scientifique susceptible d’aider les jeunes à se repérer dans l’histoire de la nature et dans la nature de l’histoire en les pensant dans leur unité interactive, le but étant notamment de mieux saisir l’unité des tâches proprement révolutionnaires et des tâches proprement environnementales de notre temps.
Des forces anti-exterministes à fédérer en tous milieux
Comme nous y avons déjà insisté par ailleurs, le constat ténébreux que la phase ultime du capitalisme est désormais l’exterminisme a pour verso compensatoire le fait potentiellement « lumineux » (du moins si la reconstruction des avant-gardes s’opère à temps…) que l’oligarchie hégémoniste tend à se couper de cette partie majoritaire de l’humanité qui n’est pas suicidaire, et notamment de ces classes travailleuses qui pourraient très bien dire, à l’instar de Brassens parlant des simples gens, que « la vie est à peu près leur seul luxe ici-bas ! ». Dans ce front anti-exterministe dont les périmètres sont potentiellement encore plus larges que ceux des fronts anticapitaliste et anti-impérialiste, voire plus englobants que celles du déjà fort large rassemblement mondial contre-hégémonique proprement dit (BRICS et BRICS + notamment…), il faut ranger ce que, non sans ironie, Lénine appelait la « bourgeoisie pacifiste »37. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, cette « bourgeoisie pacifiste » était surtout celle qui, conduite par Aristide Briand (France) et Lloyd George (Royaume-Uni) lors des pourparlers diplomatiques ardus de Locarno et de Cannes, ou qui, impulsée par le dirigeant radical français Edouard Herriot38, osait affronter le camp belliciste proche du « Tigre » (Georges Clémenceau), fondait la « Société des Nations » (SDN) et finissait même par reconnaître diplomatiquement la « Russie des soviets » (1924). Impérialiste et colonialiste autrement (mais pour faire face à l’exterminisme, les nuances et les modalités subtiles finissent par compter au plus haut point…), la bourgeoisie pacifiste actuelle refuse certes le socialisme, elle pratique certes toujours, comme sa sœur-ennemie belliciste, les ingérences occidentales, les « sanctions » économiques, les blocus, etc., mais elle y ajoute toujours ce « bémol » décisif par les temps qui courent : il existe pour elle des limites, des lignes rouges infranchissables sur le plan diplomatico-militaire, et notamment, elle rejette les massacres gratuits (Gaza) et refuse de rien faire qui puisse conduire à une guerre mondiale risquant d’anéantir l’humanité… et, par la même occasion, l’oligarchie et ses propres enfants ! Pour ne parler que de la France, on a vu récemment Mme Ségolène Royal, ex-candidate social-démocrate à la présidence de la République, du reste militante euro-atlantiste de toujours, inviter publiquement Macron à réfléchir au fait que, la Russie étant une puissance nucléaire de choc, envoyer l’armée française affronter l’armée russe dans le Donbass ou à Odessa ne serait pas précisément une très bonne idée… On voit aussi Dominique de Villepin, qui représenta la France à l’ONU et qui refusa au nom de Chirac de cautionner l’invasion américaine de l’Irak, se dresser contre le carnage perpétré par Israël à Gaza et au Liban en soulignant que l’extension de ce conflit, passionnément désirée par Netanyahou, à l’Iran, voire au Yémen, peut vite nous conduire tous de proche en proche à une Troisième Guerre mondiale aux effets incontrôlables. On voit aussi le néo-gaulliste Henri Guaino, ex-conseiller de Sarkozy, voire Sarkozy lui-même (exécrable sur la question de Gaza mais relativement modéré sur l’idée d’un conflit franco-russe suicidaire), conseiller un brin de prudence à son « ami » Macron. De même Pierre de Gaulle, un petit-fils du Général, s’est-il publiquement et courageusement engagé pour la relance du dialogue franco-russe au plus haut niveau. Et c’est à tous ces grands bourgeois non-exterministes, sinon anti-exterministes, qu’a du reste écrit Léon Landini, ancien officier de la Résistance communiste, pour les inviter à s’exprimer ensemble en faveur de la désescalade sur tous les fronts. Il faudrait évoquer aussi les prises de position relativement avancées du Pape François en matière de défense de la paix mondiale : né en Amérique latine, ce pontife atypique brave en effet sur plus d’un sujet géopolitique les hiérarques catholiques de format courant. En effet, non seulement il s’indigne du sort réservé par l’UE aux migrants africains voués en masse à la noyade (20 000 par an rien qu’en Méditerranée !), non seulement il défend les chrétiens – et les musulmans ! – du Proche-Orient contre la furie obscène d’un Netanyahou, mais il appelle Zelensky à « avoir le courage de négocier » et il condamne les persécutions lancées par Kiev à l’encontre de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine scindée par le pouvoir de Kiev sur des bases politiques. Sans doute ne faut-il pas du reste classer sommairement le pape argentin dans la partie anti-exterministe ou « pacifiste » de l’oligarchie : en effet pour une part, ses positions sont dictées par un réel souci de tempérer les maîtres de l’Occident « chrétien » (de manière feutrée, car il ne veut évidemment pas provoquer de schisme dans l’Eglise romaine). Du reste, la Théologie de la Libération, que ce pape a forcément côtoyée au pays du Che, n’est sans doute pas sans quelque prise vestigiale sur lui, même s’il n’est pas question d’occulter d’autres aspects très contestables du présent pontificat (mais il serait sot de demander au pape en fonction de n’être point clérical ès qualités !). Cette donnée majeure (des milliards de gens, dont de nombreux travailleurs européens, africains, américains, asiatiques, sont baptisés selon le rite romain) exige des marxistes – qui ne sont pas des « bouffeurs de curés » mais des « matérialistes pratiques » (l’expression est de Marx) – une relance ajustée de la stratégie thorézienne de main tendue aux travailleurs catholiques (mais aussi aux travailleurs affiliés aux autres religions d’implantation mondiale), et cela sans renoncer – faut-il le dire ? – à propager le matérialisme philosophique dans les masses populaires et, plus encore, au sein des avant-gardes du mouvement ouvrier.
B – Nécessité d’identifier les obstacles opportunistes et révisionnistes et/ou sectaires et dogmatiques à la renaissance communiste internationale
Malgré les vaillants efforts empreints de fraternité de certaines de ses sections nationales, le Mouvement communiste et ouvrier issu de la Troisième Internationale (dissoute en 1943 et jamais reconstituée) est plus désorienté, paralysé et émietté que jamais. Pis encore, nous partons d’un mouvement ravagé depuis sept décennies par l’opportunisme de droite et par son traditionnel frère-ennemi, le gauchisme borduré par les restes du trotskisme et d’un certain maoïsme « culturel » post-soixante-huitard. Ces deux tendances droitière et gauchiste convergent en effet pour empêcher la gauche populaire, qu’elle soit française ou mondiale, d’assumer sur des bases de classe, ces signifiants majeurs que sont pour les masses de tous pays, leurs droits nationaux et le respect hautement légitime de leur langue maternelle, la sécurité des personnes et des biens de consommation acquis par le travail, la salubrité de leur cadre de vie et celle de l’environnement terrestre au sens large, le droit des femmes au respect plénier de leur corps et de leurs choix (non) reproductifs, la possibilité matérielle réellement offerte à toute personne jeune de travailler dans sa spécialité et de fonder une famille si elle le désire, etc. Or, de la France aux USA, certains mouvements « de gauche » gravement désorientés en arrivent à nier, ou du moins, à minimiser l’intérêt de défendre la souveraineté nationale, à confondre l’ « ordre public » (cette fonction de base de toute société organisée) avec l’« Etat policier » fascisant, à opposer l’écologie au développement économique, à substituer la guerre des sexes au combat pour l’égalité et pour l’harmonie, fondée sur la justice, entre hommes et femmes. De tels milieux gauchisants en arrivent même parfois à ricaner de pitié quand on leur parle d’édifier demain un Etat socialiste, donc un Etat susceptible de faire front aux dégâts du néolibéralisme. Désormais moins infantile qu’il n’est devenu sénile, ce gauchisme peut aussi aboutir à l’idée que la révolution exclut toute espèce de front et d’alliances politiques considérés en vrac comme d’abominables compromissions (quelle trahison par ex. pour le PCF clandestin de 1943 que d’avoir corédigé le programme du CNR présidé par l’« impérialiste français » bien connu Jean Moulin !). On aboutit alors à ce degré zéro de la pensée politico-stratégique que toute espèce de front anti-exterministe, antifasciste, anti-impérialiste, et a fortiori, toute forme d’alliance contre-hégémonique, fût-elle transitoire, seraient autant de preuves d’opportunisme rance…
A l’inverse de ce gauchisme isolationniste, qui joue du reste le rôle d’un parfait repoussoir aux yeux des masses et qui les pousse, en toute exaspérante inconscience, vers l’extrême droite pseudo « patriote », le dissolvant opportunisme de droite consiste toujours, sous couvert d’alliances « larges, l a r g e s, L A R G E S … » à se placer veulement à la remorque de tel ou tel courant « oppositionnel » (ou dominant, dans certains pays !), qu’il soit grand-, moyen ou petit-bourgeois, et que ce type d’alliance en position dominée s’opère à l’international ou pays par pays. Or, l’âme vivante du léninisme consiste, certes, à forger de larges alliances anti-oligarchiques, mais à…
- Toujours les diriger contre l’ennemi principal du moment sans pactiser avec lui, ni se perdre inversement dans de misérables polémiques secondaires
b) Agir sans relâche pour mettre le prolétariat, et en son cœur, la classe ouvrière (et avec elle, les communistes), au centre de ces larges alliances ; non pour que le mouvement ouvrier finisse par « dominer », voire écraser l’alliance au risque de la stériliser, mais pour que tous les « cercles » superposés, et si possible concentriques des divers fronts anti-oligarchiques national et mondial puissent s’épauler mutuellement. Ainsi pourront-ils maximiser les chances de victoire ici et maintenant de l’alliance anti-oligarchique tout en laissant ouverte, et si possible de plus en plus ouverte, la perspective ultime du socialisme-communisme national et/ou mondial.
Face à cette double démission historique que représentent en réalité, pour le mouvement ouvrier de classe, l’opportunisme et le gauchisme, notre conviction, fondée sur une expérience militante accumulée au cours de décennies d’activité politico-syndicale39, est au contraire que la persistance d’une hégémonie culturelle contre-révolutionnaire et/ou exterministe qui strangule le monde en général et l’ex-France « républicaine » en particulier, ne valide aucune espèce de fatalisme historique : comme nous l’avons vu, le camp contre-révolutionnaire mondial ne tire pas sa dynamique (de plus en plus artificielle, donc violente : d’où la fascisation !) du « prestige » d’un capitalisme et d’un hégémonisme américain en voie de putréfaction globale, mais, très largement, de l’incapacité de la « gauche » officielle à affronter le Capital, à dénoncer le négationnisme antisoviétique (ce commun dénominateur des francs réactionnaires, des sociaux-démocrates, des euro-« communistes » et des euro-gauchistes), à proposer aux masses des ruptures claires, et surtout, à s’adresser en priorité aux classes travailleuses en rompant avec la servitude volontaire inhérente aux hauts appareils aspirés vers le social-hégémonisme euro-atlantique (« socialisme en paroles, hégémonisme en fait ! », eût dit Lénine). Pour user d’adjectifs que tout militant ouvrier comprenait encore parfaitement dans les années 1970, l’hégémonie culturelle bourgeoise ne s’ancre pas seulement dans le « dur » des infrastructures socioéconomiques, elle comporte aussi des racines « subjectives » qui tiennent aux addictions non traitées des vieilles organisations populaires de masse, même si, dialectiquement, ces déviances « subjectives » comportent à leur tour de fortes racines objectives ancrées dans des pratiques au quotidien. Car évidemment, la victoire du révisionnisme (de droite, mais aussi « de gauche », anarchisme, trotskisme ou maoïsme post-soixante-huitard par ex.) au sein du mouvement ouvrier et populaire dans la seconde moitié du XXème siècle s’est nourrie des accommodements de longue durée des appareils ouvriers à l’exploitation capitaliste et à l’oppression impérialiste, ces accommodements prenant aujourd’hui la forme pseudo-internationaliste de la religion européenne. On vise particulièrement ici les arrangements40 peu glorieux que la partie la moins exploitée du prolétariat, celle que Lénine appelait l’ « aristocratie ouvrière » (mais on pourrait aussi parler d’aristocratie paysanne ou d’aristocratie enseignante, par ex.) et qui, souvent, domine traditionnellement les vieilles organisations de classe, a su consentir à l’oligarchie en échange d’avantages égoïstes financés par elle par prélèvement sur les surprofits néocoloniaux du grand capital. En échange de son « grand esprit de responsabilité » et de son « souci pour la stabilité du pays », l’aristocratie ouvrière a obtenu pour elle toutes sortes de sinécures et de financements résultant de l’affermage de nombre de hauts dirigeants « socialistes », « communistes » et « syndicalistes » aux instances capitalistes nationales et supranationales. Au point que pour nombre de ces hauts dirigeants « de gauche », c’est devenu un réflexe conditionné que d’accompagner les contre-réformes européennes, que de mimer leur contestation au moyen de pseudo-manifs ritualisées (que les travailleurs d’avant-garde appellent avec mépris des « journées saute-moutons »), que d’accepter en douce l’euro-dissolution réactionnaire de l’Etat-nation français, que de fermer démagogiquement les yeux sur l’éviction en cours de la langue française et que d’encourager carrément le surarmement massif réclamé par l’OTAN, par ex. en votant au Parlement les crédits de guerre destinés au régime pronazi de Kiev. Notamment, il est arrivé à bon nombre (pas à toutes, heureusement !) des organisations issues de l’Internationale communiste (dissoute en 1943 et jamais reconstituée depuis !) ce qui était déjà arrivé aux deux premières Internationales, la Première, fondée par Marx, s’étant fracassée sur l’anarchisme petit-bourgeois de Bakounine et Cie, la Seconde, initialement parrainée par Engels, s’étant définitivement salie en ralliant les « unions sacrées » social-impérialistes de 1914/18 : initialement de bon aloi, ces deux organisations mondiales n’en ont pas moins successivement trahi leur classe (lire à ce sujet les brochures de Lénine intitulées La faillite de la IIème Internationale et La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).
Cela signifie que l’on ne pourra pas rompre avec le capitalisme-impérialisme, avec son bloc institutionnel transnational UE-OTAN-FMI-OMC, avec son euro subtilement arrimé au dollar comme au franc CFA, etc., sans couper aussi avec les états-majors de ces syndicats et partis « communistes » (pour les partis sociaux-démocrates, la messe est dite depuis l’ « union sacrée » de 1914 !) qui, très officiellement souvent, ont renoncé rallié l’antisoviétisme pour s’acheter une « respectabilité » dans le cadre du capitalisme41, de l’accommodement au Parti démocrate américain (ou au parti trumpiste !), au Parti de la Gauche Européenne ou à la Confédération Européenne des Syndicats au prix d’une peu glorieuse rupture anticipée avec la Fédération Syndicale Mondiale de Classe. Rappelons du reste que le Parti « Communiste » Italien d’Enrico Berlinguer, cette icône de la gauche européenne pseudo-« novatrice », a fait des pieds et des mains pour s’affilier à l’Internationale… socialiste et que ce même parti envisageait sans rire de construire son « nouveau socialisme » italien dans le cadre « favorable » et « protecteur » de l’UE… et de l’OTAN ! Peu de temps après ces « novations » hypocritement saupoudrées de références « gramsciennes » (pauvre Gramsci !), le PCI prononçait logiquement sa dissolution et donnait naissance à ce parti, même plus social-démocrate à l’ancienne, qu’est l’actuel PD italien, ce grand admirateur de J.-F. Kennedy (l’homme qui lança les USA dans la guerre du Vietnam !)…
C – A propos du caractère partiellement parasitaire des forces « productives » propres au capitalisme impérialiste moderne.
A l’encontre d’un certain « gramscisme » superficiel qui ne parle que de « bataille culturelle », l’une des bases majeures des déviations affectant certains partis issus du Komintern doit être cherchée dans les infrastructures des sociétés impérialistes modernes. Dans sa fameuse brochure de 1916 intitulée L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine avait déjà lumineusement expliqué que les métropoles capitalistes évoluant vers l’impérialisme étaient enclines de toute nécessité à exporter leurs capitaux (et plus seulement leurs marchandises) vers l’ « Orient », en entendant par là ce qu’on nomme aujourd’hui non moins erronément le Sud global ; le but de classe étant de surexploiter le prolétariat mondial, de maximiser les profits monopolistes (tel est le « surprofit impérialiste ») en contrevenant ainsi à la baisse structurelle du taux de profit moyen, et d’affaiblir les ouvriers et les paysans des pays métropolitains en les mettant en concurrence avec leurs homologues plus pauvres et syndicalement moins organisés des périphéries capitalistes : Proche-Orient, Afrique, Amérique latine, Inde, Chine d’avant Mao… Tout en affaiblissant le prolétariat industriel et agricole – ces deux « noyaux durs » des révolutions ouvrières et démocratiques des XIX et XXèmes siècles –, le capital financiarisé ne pourrait dès lors, prévenait Lénine, qu’hypertrophier dans les pays centraux toutes sortes d’activités économiques « parasitaires » (le mot est de Lénine) permettant à une élite salariée d’aider les dominants à contrôler l’économie des pays dominés. Comment, en effet, révolutionner les pays pauvres et y construire le socialisme si tout ce que nous appelons le « marketing », la « recherche-développement », les « brevets », sans parler de la monnaie, de son contrôle institutionnel global (ah les bitcoins !), de la fabrication et du commerce mondial d’armes de pointe, de l’ « intelligence artificielle », etc., continuent d’être monopolisés par, et domiciliés dans les « métropoles » du grand capital ? Or, c’est peu dire que, depuis l’époque de Lénine, ce parasitisme économique massif a métastasé chez nous (principalement au « Nord » et à l’ « Ouest » de la planète) au moyen d’institutions supranationales comme l’Union européenne. Dans un pays comme la France, – mais c’est vrai aussi en Angleterre, au Japon et dans les actuels USA désindustrialisés – , il y a aujourd’hui, du moins en proportion de la population globale, moins d’ouvriers industriels, de paysans, de techniciens et d’ingénieurs de production ; et il y a compensatoirement de plus en plus de salariés – surtout dans les « métropoles » urbaines comme Paris, Londres, Berlin, Los Angeles, etc. – qui besognent dans la finance, les assurances, la « comm’ », la « pub », le « marketing », la « gestion de biens », le commerce international, le tourisme haut de gamme, la « sécurité », l’ « évènementiel », le cas des ouvriers de l’armement hautement productifs de plus-value mériterait un traitement théorique plus dialectique qu’il n’est possible ici. Or il s’agit là de salariés qui échappent à ce que Marx appelait le « travail productif » et qui, structurellement, sont objectivement (et bien souvent, subjectivement…) enchaînés aux intérêts des classes dominantes et de leur Etat continental impérialiste en plein développement.
Il n’en est pas moins absurde de gloser, de manière très générale et sans analyse concrètement effectuée au cas par cas, sur la « fin des emplois productifs », sur L’Adieu au prolétariat (dixit André Gorz) et sur la montée irréversible des « services », sans différencier sérieusement ces derniers. Car, d’une part, nombre de travailleurs des « services » (chauffeurs poids lourds, caristes des grandes surfaces ou d’Amazon, livreurs de pizza, chauffeurs de taxi Uber, agents de nettoyage, etc.) recensés par l’INSEE sous l’étiquette « employés » font évidemment partie, ou partiellement partie, de la classe ouvrière, de même qu’à l’inverse, nombre de « salariés » émargeant aux activités centralement liées à la reproduction de classe des couches sociales nanties, un peu comme l’étaient jadis les domestiques, ne sont de fait, sous leurs postures parfois « contestataires », « libertaires » et « de gauche », que les nouveaux majordomes, chiens de garde et contremaîtres de luxe de l’oligarchie. Là se trouve sans doute aujourd’hui principalement la base de masse matérielle (car accaparant les centres-villes des ainsi-dites « villes-centres » !) de cette couche sociale que le sociologue marxiste Michel Clouscard qualifiait de bourgeoisie « libérale-libertaire » et qu’il rattachait au « capitalisme de la séduction » et à son soft power délétère. Une bourgeoisie qui, souvent, « se la joue » anar », voire « bohème » et qui, fréquemment, se proclame « de gauche » parce qu’elle est formellement salariée et se rit des « valeurs ridicules » de l’ancienne petite bourgeoisie attachée à l’échoppe, à l’atelier, à la ferme… ainsi qu’au marché local lié aux communes et garanti par l’Etat-nation. Comme on le voit lors de chaque crise internationale, cette nouvelle bourgeoisie « libertaire » et « contestataire » centre-urbaine et formellement salariée ne cesse d’exiger de l’oligarchie au pouvoir (par le biais des Sarkozy, Hollande ou Macron s’agissant de la France)… exactement ce que cette dernière avait déjà la ferme intention de faire d’elle-même : exporter toujours plus d’armes de pointe pour « frapper en profondeur » l’Eurasie et le Sud globaux, donner le coup de grâce au « trop polluant » produire en France industriel et agricole, dénigrer le peu d’autorité qui reste encore aux professeurs de l’enseignement public, ironiser à longueur d’antenne sur la Chine, sur la Russie, Cuba, le Venezuela, la Résistance palestinienne, etc., dénoncer (si possible au nom du « socialisme véritable ») l’expérience socialiste mondiale issue d’Octobre 17, exhorter l’impérialisme occidental à ne pas « relâcher la pression » politique, commerciale, voire guerrière, sur le « stalinien » Poutine, sur le « fasciste » Maduro, etc.42 Bref, il s’agit typiquement de ce qu’un Nikos Poulantzas appelait jadis une « classe régnante » (« relax » en apparence et enragée en fait !) destinée, comme le roi d’Angleterre lisant chaque année son discours du Trône devant les Communes, à donner une forme solennelle et inspirée aux décisions déjà prises et au narratif déjà rodé de l’oligarchie capitaliste, cette classe effectivement dominante.
En conclusion sur ce point, il faut donc bien prendre en compte le parasitisme économique propre à l’impérialisme si l’on veut comprendre les bases, y compris « subjectives », du social-impérialisme et du libéral-européisme modernes (faudra-t-il dire bientôt du bobo-hégémonisme ?). Dès lors, tenons ferme sur les mots et refusons de remplacer les concepts tranchants de « bourgeoisie capitaliste », de « prolétariat » et de « classe ouvrière » par les notions faussement claires de « salariat global » et de « peuple sans rivage » propagées par les néo-populismes antimarxistes. Résistons aussi aux révolutionnaires de pacotille qui, dans le même esprit, prétendent aujourd’hui que « de nos jours la dictature du prolétariat est superflue puisque moins d’1% des gens ont intérêt au capitalisme globalisé ». C’est hélas ce que démentirait aussitôt toute tentative concrète d’avancer d’un pas vers le socialisme : elle serait aussitôt combattue avec acharnement, voire sabotée par des centaines de milliers de nantis, y compris formellement salariés et soi-disant « de gauche », sans parler des secteurs plus traditionnels de la contre-révolution avec lesquels les premiers nommés ne seraient pas longs à se réconcilier comme nombre de mencheviks et de girondins eurent tôt fait jadis de rallier les contre-révolutionnaires de leur nation et de leur époque respectives…
Bref, ne laissons pas désarmer idéologiquement (et, le moment venu, écraser physiquement !) le prolétariat, et plus largement, ne laissons pas désarmer les vrais démocrates alors qu’en Amérique latine, les « changements révolutionnaires » sans rôle dirigeant de la classe ouvrière, ni expropriation du grand capital, ni réalignement démocratique de l’appareil d’Etat, ni partis communistes en position de jouer un rôle d’éclaireur des masses, sont tristement en train de montrer leurs limites.
C – Reconstituer les avant-gardes à marche forcée
Comme on le voit, ce qui manque le plus de nos jours, internationalement et nationalement, au camp de l’émancipation nationale, de la paix mondiale et du progrès social, ce sont de solides avant-gardes sociopolitiques et socioculturelles. Même si cette carence ne s’explique que trop objectivement, nous souffrons principalement aujourd’hui d’un retard global du facteur subjectif sur le facteur objectif de la transformation sociale, les forces révolutionnaires organisées retardant gravement en outre sur le degré objectif de décomposition atteint par le système capitaliste-impérialiste (ce qui peut du reste ouvrir un boulevard aux fascistes). Pour réduire cette fracture politico-idéologique, il faudrait notamment selon nous…
1°) Articuler les fronts de lutte internationaux sans les « télescoper » au risque de perdre de vue leur spécificité.
- Qu’advienne la Nouvelle Internationale Communiste et Ouvrière !
Parce qu’en dernière instance les luttes anti-exterministes, contre-hégémoniques, antiimpérialistes et antifascistes sont objectivement et potentiellement des luttes anticapitalistes, elles ne pourront aboutir pleinement sans être centralement impulsées par la classe ouvrière, fût-ce au sein de très larges fronts, et sans que cette classe, disposant d’organisations à elle, quoique largement ouvertes à la jeunesse populaire et à tout le monde du travail, ne porte en permanence son horizon propre que désigne l’expression socialisme-communisme de nouvelle génération. C’est d’autant plus vrai que, comme nous l’avons vu, le mouvement de la classe ouvrière, souvent ralliée par le reste du monde du travail salarié ou non salarié, reprend son élan de l’Inde à la Grande-Bretagne, de la France au Québec, de la Corée du Sud au Mexique et des USA à l’Italie : partout se déploient de grandes grèves engageant à divers degrés des ouvriers de l’automobile, des ouvriers agricoles, des cheminots, des postiers, des débardeurs, des pétrochimistes, des énergéticiens, des éboueurs, etc. Or il n’y aurait pas d’erreur stratégique plus lourde de nos jours que celle qui consisterait à déléguer toute la lutte antiimpérialiste globale aux BRICS, à l’ALBA et au « multilatéralisme », cette simple étape des luttes anti-hégémoniques (j’ai même envie de dire ce simple « gué », au sens d’un chemin sur l’eau qu’on parcourt en sautillant) : ce serait là en effet oublier à la fois la juste devise de la Première Internationale (« l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ») et le message politique central du léninisme : la nécessaire conquête, par le prolétariat national et international, de son rôle dirigeant dans les luttes démocratiques, un objectif qu’il est impossible d’atteindre sans la construction (jamais terminée du reste) d’un parti prolétarien d’avant-garde théoriquement armé, organisationnellement solide et tenant clairement le cap stratégique, fût-ce à travers cent méandres tactiques, de la révolution socialiste-communiste, bref, ce que Léon et Gilda Landini appellent le « fil rouge ». Complémentaire, et la situation le montre a contrario quand de tels outils font défaut, la transformation révolutionnaire exige aussi de grands syndicats de classe affranchis de la tutelle euro-belliciste. En la matière, il ne faut jamais oublier que le recours au marxisme-léninisme et au centralisme démocratique n’est pas, pour le prolétariat, un simple instrument collatéral de sa lutte, il est, plus fondamentalement encore, la charpente théorico-organisationnelle dont la classe travailleuse doit doter à nouveau se pour se constituer, que ce soit à l’échelle mondiale ou à l’échelle nationale, en un sujet historique, voire anthropologique, analysant, concevant, organisant et agissant. En effet, sans la théorie et le mode d’organisation révolutionnaires, le prolétariat n’est qu’un objet fragmenté, qu’une force d’appoint toujours à la merci de telle force bourgeoise ou petite-bourgeoise qui le manipule idéologiquement tout à loisir et qui l’envoie souvent « mourir au front », qui lui fait tirer les marrons du feu à sa place, puis le rejette quand, grâce à lui, elle s’est emparée du pouvoir pour elle-même (ce fut par ex. le cas en France en 1830, lors des Trois Glorieuses, ou en 1848, lors d’un Printemps des peuples qui a mal fini). Or, c’est ce type de dévoiement politique qui survient nécessairement dans toute société divisée en classes où, très nécessairement, les milieux bourgeois dominants disposent des moyens étatiques et financiers de former, d’orienter et de fracturer l’opinion publique à leur guise: et c’est aussi ce qui arrive forcément quand le prolétariat s’abandonne au « spontanéisme » et au « mouvementisme » (comme l’y pousse l’anarcho-syndicalisme, voire ce que j’appellerai l « insoumisme »), ou quand il s’organise en fractions et en « tendances » adorant « palabrer » sans fin pendant que l’ennemi de classe multiplie les mauvais coups. De tels « partis à tendances », ou organisés en « réseaux » commandés et contournés à plaisir par quelques tribuns et parlementaires complaisamment médiatisés, sont manipulables à plaisir par la « grande » presse et les médias dominants, lesquels se trouvent être aussi, par le plus grand des hasards, les médias des dominants… et les prédicateurs quotidiens de la domination : telle était déjà l’essence paralysante du menchevisme qui faisait d’avance du prolétariat le jouet de la bourgeoisie dans sa lutte à fleurets mouchetés contre le tsarisme. Si, donc, le précepte de l’A.I.T. (« l’émancipation des travailleurs… », cf. supra) semble d’abord s’opposer au léninisme (« Pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire », écrivait Lénine, théoricien assumé de l’avant-garde), une réflexion plus approfondie montrerait que l’inverse est objectivement vrai ; et cela non pas parce que les communistes seraient d’affreux « autoritaires » tyrannisant le mouvement ouvrier, mais au contraire parce qu’ils souhaitent ardemment l’auto-émancipation du prolétariat et l’avènement de cette « société des coopérateurs civilisés » qui est, selon Lénine, l’âme du communisme, et qui n’aura de cesse qu’avec la fin des classes et l’extinction concomitante de l’Etat de classe. Dès lors en effet, concluait Lénine, pas de mouvement libre et autonome du prolétariat sans théorie révolutionnaire ni centralisme démocratique organisé – en clair, sans des partis communistes nationaux et sans Internationale communiste de classe et d’avant-garde. Sans cela le prolétariat ne saurait exister que comme piétaille de la bourgeoisie, et non pas comme un acteur politique national et international central de l’histoire, comme un sujet conscient de lui-même et luttant pour cette société sans classes que Paul Eluard appelait « une foule enfin réconciliée »…
- Actualité des orientations dégagées par le VIIème congrès de l’Internationale communiste (1935)
Encore faut-il saisir que la constitution d’une nouvelle Internationale communiste ne viserait nullement à susciter un « repli » rouge vif sur la classe ouvrière, un ouvriérisme dénué de souffle historique: cette nouvelle I.C.O. (« de nouveau, Hissez haut le drapeau rouge » !) doit permettre au contraire au mouvement des travailleurs d’animer et de coordonner une série de fronts plus ou moins concentriques de plus en plus larges visant à isoler et à vaincre successivement, voire simultanément s’il se peut, cet ennemi principal de l’humanité que sont devenus l’hégémonisme euro-atlantique et, à sa suite, l’ensemble des forces réactionnaires du monde. Il importe alors de mesurer l’exceptionnelle actualité stratégique du VIIème congrès du Komintern dont l’année 2025 coïncidera avec le 90ème anniversaire. Pour cela, il faut réfuter l’interprétation à la fois sectaire et opportuniste qui présente anti-dialectiquement ce congrès comme la « victoire » des lignes « front-populistes » sur la traditionnelle ligne rouge « classe contre classe » du Komintern, les opportunistes de droite préférant l’ « union » au combat de classe frontal tandis que les sectaires célèbrent ce dernier tout en dénigrant l’idée de rassemblement populaire majoritaire, ou en ne parlant d’alliance majoritaire qu’en refusant aussitôt d’en construire patiemment les conditions politiques. Si l’on relit au contraire le rapport introductif présenté par Dimitrov au VIIème Congrès, et si l’on étudie aussi les écrits concomitants et concordants (et pour cause !) de Thorez portant sur le Front populaire en France, on s’aperçoit que la ligne Dimitrov-Thorez de Front populaire, antifasciste et patriotique n’était nullement conçue comme un frein à l’élan socialiste du prolétariat (contrairement aux calomnies trotskistes récurrentes), mais bien comme un moyen d’affronter plus durement encore le grand capital fasciste en l’isolant et en lui ôtant tout espoir de se présenter en chef de file des combats démocratiques très larges pour la nation, la paix, la démocratie, etc. Au contraire, placer le monde du travail au centre de la vie nationale et internationale, donc en faire le barycentre des fronts antifascistes et anti-impérialistes, et de nos jours, « contre-hégémoniste » et anti-exterministe, est un excellent moyen d’affirmer le rôle dirigeant des prolétaires dans les luttes démocratiques tout en rapprochant l’heure du socialisme mondial.
Il n’est du reste que de constater les résultats quasi expérimentaux de la politique audacieuse prônée par Dimitrov et Thorez à la fin des années 1930 : elle s’est brillamment traduite par la constitution, fût-elle éphémère par la faute des USA, d’une grande Coalition antihitlérienne centrée sur l’URSS, avec en complément en de nombreux pays (dont la France, la Tchécoslovaquie, l’Italie, la Yougoslavie, voire la Grèce, la Belgique, l’Albanie, la Corée, le Vietnam… et la Chine) la mise en place de larges rassemblements, forcément fluctuants et quelque peu instables initialement, autour du parti communiste local. Des rassemblements qui débouchèrent, en fonction du rapport de forces localement construit à l’issue de la guerre, soit sur la transformation socialiste radicale du pays (et in fine sur l’émergence du camp socialiste mondial, par ex. en Tchécoslovaquie), soit sur de grandes avancées sociales dans lesquelles les communistes belges, français ou italiens, jouèrent un rôle décisif. Certes, une telle politique dégénéra ici ou là (y compris en France) en quête opportuniste de l’union à tout prix avec, ou plutôt, derrière les sociaux-démocrates, c’est-à-dire à ce qu’on appelle en France depuis 1972 l’ « union de la gauche » et qui, depuis les années 1970, s’est systématiquement effectuée sur des bases de plus en plus atlantico-compatibles. Mais cette déviation de droite du front populaire antifasciste et patriotique que furent l’ « union de la gauche » faisant bloc derrière Mitterrand, ou derrière la « gauche plurielle » regroupée derrière l’euro-gouvernement privatiseur de Jospin, etc. n’était aucunement un effet nécessaire de la politique du VIIème Congrès puisque Dimitrov mettait déjà en garde en 1935 contre de tels dérapages stratégiques qui n’incarnent pas, mais, au contraire, dévoient la ligne à la fois unitaire et révolutionnaire fixée par le VIIème Congrès. En outre, la condition centrale pour que cette dégénérescence ne pût se produire, c’étaient explicitement, comme l’expliquait aussi Dimitrov, la force des partis communistes et celle de l’Internationale : car encore une fois, il ne suffit pas de bâtir un front, encore faut-il qu’il soit animé sur des bases justes par les communistes alliés aux syndicats de classe : on revient donc toujours à l’objectif léniniste constant consistant à construire le rôle dirigeant du prolétariat au sein de l’alliance anti-oligarchique.
On peut à ce sujet regretter fortement, sinon que l’Internationale communiste de première génération ait été dissoute en 1943 pour inciter les Occidentaux à soulager l’Armée rouge en ouvrant enfin le second front contre Hitler, du moins qu’aucune tentative soutenue n’ait été faite au cours des quatre-vingt-dix années (!) qui suivirent cette dissolution pour reconstituer l’I.C. sur des bases tenant compte des données nouvelles de la lutte ainsi que de l’expérience historique (positive ou négative) du Komintern ; en effet, cette situation de désorganisation internationale des partis communistes dans le temps long n’aura certes pas été pour rien dans l’aggravation ultérieure des divisions du Mouvement communiste (« titisme » yougoslave, prétendue « révolution culturelle » maoïste, eurocommunisme de Berlinguer et Cie, « com-nationalismes » divers…) et dans l’incapacité de la classe ouvrière organisée de reconquérir internationalement l’initiative historique qu’elle avait durement gagnée au fil des luttes antifascistes et antiimpérialistes de la première moitié du XXème siècle. Mais trêve de nostalgie, l’heure est plutôt à dresser le bilan objectif des forces et faiblesses du Komintern et à reprendre à l’international la réflexion sur la manière de reconstituer l’Internationale rouge sans se perdre dans les impasses symétriques de fronts anti-impérialistes décommunisés, de IVème(s) Internationales fantôme(s), de « Vème Internationale » fourre-tout propre à noyer les forces ouvrières dans le nationalisme bourgeois tout en restreignant le périmètre potentiellement large des luttes antiimpérialistes. N’est-il pas vain en effet de prétendre réunir sous un même « toit organisationnel » la Renaissance communiste internationale et les contre-attaques mondiales larges, anti-impérialistes, antifascistes, contre-hégémoniques et anti-exterministes au risque de passer à la trappe la question du rôle dirigeant de la classe laborieuse ? Retenons seulement à ce stade que jamais la confusion idéologique et le télescopage organisationnel n’auront aidé à construire l’unité d’action nationale et internationale : toutes deux impliquent au contraire la délimitation claire des forces de classe nationales et internationales avec un effort rigoureux d’articulation de ces forces.
- « Fronts » – Nous avons déjà parlé ci-dessus de la stratification objective des différents fronts anti-exterministe, contre-hégémonique, antiimpérialiste, antifasciste, et de leurs spécificités objectives irréductibles. Pourl’efficacité politico-militaire maximale de chacun d’eux,il est indispensable d’y combattre avec vigueur l’anticommunisme et cette forme exacerbée d’anticommunisme qu’est dans nos pays l’antisoviétisme à retardement. En effet, l’anticommunisme dissimule toujours l’hostilité à la classe ouvrière et à l’affirmation de son rôle dirigeant dans les luttes. En outre, qui, dans le « front » anti-impérialiste, tend à considérer le communisme comme un ennemi radical (par ex. le Guomindang chinois d’avant 1949) ne pourra jamais combattre l’impérialisme sans arrière-pensées annonciatrices des pires trahisons. C’est à ce type de revirement, voire de changement brutal de camp que sert en grande partie la notion confuse d’« antitotalitarisme » : elle permet le scandaleux renvoi dos à dos du communisme historique et du nazisme, ce qui revient à mettre à égalité les héros de Stalingrad et les tortionnaires d’Auschwitz pour mieux criminaliser les premiers tout en réhabilitant insidieusement les seconds : on le vit déjà en 1991 avec le honteux procès revanchard intenté à l’antifasciste Erich Honecker à Berlin dans le but de criminaliser la RDA… et de remettre en scène mondialement la Grande Allemagne impérialiste « réunifiée »…
Cependant, combattre l’anticommunisme ne signifie pas non plus rabattre vers le communisme d’une manière étroite et il convient de traiter chacun de ces fronts en fonction de sa nature de classes objective, de son périmètre sociologique et territorial optimal comme de ses objectifs stratégiques propres : sans cela, impossible de donner à chaque « vague d’assaut » de l’offensive anti-hégémonique nationale ou internationale sa pleine puissance de percussion militante/militaire et, pour finir, sans chercher à forcer vainement les rythmes objectifs des campagnes visant tel ou tel objectif, sa plus haute portée in fine anticapitaliste. Par exemple…
- il ne faut pas « craindre » d’animer pour lui-même un très large front anti-exterministe, y compris – s’agissant de la France – en suscitant le regroupement, fût-il ponctuel, de personnalités – y compris celui de personnalités partiellement impérialistes et social-impérialistes – qui n’en redoutent pas moins, en tant que personnes privées redoutant de mourir, en tant que pères et mères de famille soucieux de leur progéniture, etc., la marche vers une guerre exterminatrice mondiale dont aucune famille et aucun pays ne sortirait indemnes. Du reste Lénine parlait déjà au début des années 1920, à l’époque où se réunissaient les Conférences internationales de Cannes et Locarno, de l’absolue nécessité pour les bolcheviks d’engager des pourparlers avec ce qu’il nommait, non sans quelque ironie, la « bourgeoisie ‘pacifiste’ ». Certes, Lénine usait ici des guillemets puisqu’il incluait alors dans ladite bourgeoisie « pacifiste » des dirigeants impérialistes momentanément « modérés » comme Lloyd George ou Briand qui avaient eu le mérite de s’opposer, fût-ce momentanément et insuffisamment, aux jusqu’au-boutistes à la Clémenceau, et dont certains, comme le radical français Edouard Herriot, envisageaient, par réalisme, de reconnaître la nouvelle Russie rouge. Et surtout, intelligemment stimulée par une avant-garde marxiste, la dynamique latente d’un tel front anti-exterministe peut parfaitement, en s’approfondissant, déboucher sur des prises de position contre-hégémoniques. N’est-il pas clair en effet que c’est l’euro-atlantisme occidental flanqué du régime israélien génocidaire qui forme le cœur sans cœur de l’exterminisme contemporain ?
- Il faut redire aussi quele front contre-hégémonique qui se cristallise autour des BRICS n’est pas nécessairement et surtout, n’est pas initialement ni même conséquemment, un front « anti-impérialiste ». Sans entrer ici dans le débat sur la nature de classe de la Fédération russe dirigée par Poutine, qui ne voit par ex. qu’il serait aberrant de classer dans la mouvance franchement anti-impérialiste l’Indonésie, où les interdits sanglants sont maintenus contre les communistes, ou plus encore un pays comme l’Arabie saoudite néo-féodale qui fait pourtant désormais partie des « BRICS + » ? Cependant, si la lutte contre-hégémonique est menée avec esprit de conséquence, sans suivisme aucun à l’endroit de Poutine, de N. Modi et de leurs pareils, mais sans insupportable pédantisme politique conduisant à mépriser politiquement les dirigeants bourgeois des BRICS, alors cette lutte d’envergure mondiale ne peut que déboucher sur des affrontements plus ou moins ponctuels avec l’impérialisme dans son ensemble, voire, à la marge, avec le capitalisme, le néonazisme et le fascisme eux-mêmes ; on le voit quand la logique de sa lutte anti-hégémonique contre l’UE-OTAN alliés aux bataillons nazis ukrainiens conduit Poutine à brandir le drapeau soviétique frappé des outils ouvrier et paysan pour mobiliser son peuple et pour abattre l’hégémonisme US ; lequel est symétriquement forcé de s’allier aux pires exterminateurs fascistes, du génocideur Netanyahou aux héritiers syriens grossièrement misogynes d’Al Qaida en passant par les nostalgiques de Bandera, le pogromiste ukrainien d’odieuse mémoire ?
- Par ex., le front antifasciste, systémiquement indissociable du front anti-impérialiste, doit être établi sur un périmètre très large comme on le voit au Liban où le Hezbollah chiite s’est à juste raison allié au PC libanais pour tenter de repousser l’envahisseur israélien. Mais en définitive, comme le montre l’expérience des mouvements nationalistes bourgeois du XXème siècle, type FLN algérien, OLP (Palestine) ou mouvement patriotique serbe, les exigences politico-militaires du front antifasciste/anti-impérialiste ne peuvent être victorieusement traitées si, comme tels, la classe ouvrière, ses partis et ses syndicats, voire un jour futur l’Internationale reconstituée, n’influent pas sur le mouvement anti-impérialiste pour lui imprimer une orientation juste dont il peut s’écarter à tout moment s’il tombe en des mains franchement anticommunistes43. Et en sens inverse, la condition pour que les P.C. nationaux déjà existants et l’I.C.O. à venir puissent reconquérir une influence hégémonique dans les futurs combats antifascistes et antiimpérialistes nationaux et mondiaux, c’est qu’ils acceptent de rompre avec le gauchisme qui, porté par les surgeons trotskistes et anarchisants émanant de la petite-bourgeoisie « intellectuelle », poussent à mépriser la défense des souverainetés nationales, celle du produire en France industriel et agricole, voire à abandonner ces batailles vitales aux racistes qui les dévoient et les discréditent… Comment par ex. exalter à longueur d’antenne les « travailleuses et des travailleurs », comme le fait publicitairement la principale oratrice trotskiste de Lutte ouvrière tout en refusant de défendre l’outil industriel national systématiquement sabordé par le CAC 40 ? Un outil de travail sans lequel, si les choses continuent ainsi, la classe ouvrière de France (française ou immigrée), sans parler de la paysannerie laborieuse, pourrait bientôt finir dans le dénuement et le déclassement complets. Ce qui, finalement, ne pourra que faire les choux gras électoraux du Rassemblement lepéniste…
- Ranimer les « lucioles »– Nous rappellerons aussi, en référence à une expression imagée du cinéaste italien Pier-Paolo Pasolini, l’impérieuse obligation incombant aux progressistes, et parmi eux, aux marxistes, aux féministes, aux amis de l’esprit scientifique, aux artistes d’avant-garde ainsi qu’aux syndicalistes de lutte de tous pays, de combattre l’obscurantisme, de promouvoir la laïcité institutionnelle (la séparation des Etats et des Eglises), d’affronter les idéologies patriarcales (et, s’il y a lieu, leur double inversé matriarcal !), de refuser l’ « idéologie beauf » en promouvant la mixité et l’égalité des sexes ; en de promouvoir à l’inverse l’instruction publique et laïque, de soutenir la recherche scientifique et la pensée philosophique, de propager la, donc de réélaborer (tâche éminemment philosophique et scientifique !) la conception rationaliste-progressiste du monde, d’affronter l’intégrisme religieux et les conceptions néo-magiques (si puissantes à notre époque !), bref, de diffuser activement de nouvelles Lumières universellement partageables. Plus spécifiquement s’agissant des marxistes, il s’agit de relancer sur des bases sans cesse réactualisées le matérialisme dialectique, la dialectique de la nature affleurant dans les sciences, l’approche dia-matérialiste de la connaissance, le matérialisme historique dans les sciences sociales, etc. Ce front des Lumières aujourd’hui très affaibli, voire carrément affaissé, dont Lénine traita naguère dans l’article De la portée du matérialisme militant, ne coïncide pas entièrement, loin s’en faut, avec le front antiimpérialiste étant donné que ce dernier peut et doit inclure ici ou là des forces patriotiques bourgeoises ou petite-bourgeoises d’inspiration religieuse, voire des forces patriarcales et « sociétalement » réactionnaires qu’il faut aussi combattre sur d’autres plans, tous les lieux n’étant pas propres à y dire la même chose et de la même façon. Et en effet, la coopération de ces composantes hybrides est parfois indispensable aux luttes antiimpérialistes, principalement dans les pays du Sud et de l’Orient : car lorsque les forces populaires affrontent l’impérialisme nord-occidental, cet ennemi principal de la paix mondiale, donc, à notre époque nucléaire, de toute l’humanité, elles le font forcément « avec les moyens du bord » : il n’est que de penser à la manière dont les forces bourgeoises révolutionnaires du XVIème siècle européen ont su prendre appui sur la Réforme luthérienne et calviniste pour déstabiliser l’ordre féodal et susciter l’éclosion de l’ « humanisme » foncièrement laïque des Erasme, Rabelais et autre Montaigne… Pour autant, il ne faut jamais capituler idéologiquement devant ces forces partiellement ou sectoriellement rétrogrades, fussent-elles momentanément anti-impérialistes, et il faut aussi bâtir, parallèlement à l’édification du front anti-impérialiste, et parfois en opposition partielle avec lui, un large « front pour les lumières communes » : car ne pas le faire serait trahir cette émancipation des femmes qui constitue le « principal gradient du degré d’émancipation de toute société » (Marx) tout en reniant le mot d’ordre lumineux de L’Encyclopédie de Diderot-d’Alembert : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ! ». Inutile de dire que dans un tel front laïque pour les lumières et la mixité, il importe que les marxistes tendent la main à tous les scientifiques, à tous les philosophes, à tous les artistes, à tous les enseignants et à tous les étudiants humanistes, rationalistes et sincèrement universalistes de la planète !
Bien entendu, le plus grand tact politique est alors de rigueur car il ne faut jamais rallier, sous couvert, ici de féminisme, ici de défense laïque, les oppresseurs impérialistes comme le font celles et ceux qui, par ex., soutiennent l’invasion de tel ou tel pays musulman (Irak, Iran, Libye…), ou qui s’immiscent dans ses affaires intérieures sous couvert d’y « libérer » les femmes (comme si l’impérialisme avait jamais « libéré » qui que ce soit de quoi que ce soit !). A l’inverse, la défense résolue des pays saccagés par l’impérialisme ne doit jamais signifier qu’il faille abandonner, de manière platement « campiste », par ex. en Iran, la défense du droit des femmes, celle des libertés syndicales ou celle de la libre recherche, pour peu que ladite défense ne s’effectuât pas au prix d’une alliance indécente et contre-productive avec les pseudo-forces « démocratiques » locales (en réalité atlantistes) qui, en réalité, exploitent le combat féministe ou laïque pour conforter l’impérialisme occidental. Des forces dont le « démocratisme » de parade n’est du reste qu’un oripeau passager et qui ne manqueront jamais de pactiser à nouveau avec les intégristes religieux et l’idéologie patriarcale une fois que leur pays aura rallié le camp pro-américain.
- Reconstruire le Front rouge mondial – On l’aura compris, le seul fédérateur possible des diverses strates du combat émancipateur national et international est le front « rouge » mondial, le prolétariat étant la seule force objectivement à même, pourvu qu’il se dote d’organisations solides s’appuyant sur une approche scientifique du réel, de mener jusqu’à leur triomphe final les luttes antifascistes, anti-impérialistes, anti-hégémonistes et anti-obscurantistes en construisant leur synergie, en cultivant les passerelles entre elles et en évitant qu’elles ne se heurtent ruineusement les unes aux autres : ce qui est pourtant fatal si ces forces restent aux mains de mouvements bourgeois ou petit-bourgeois ne maîtrisant qu’une partie de la problématique géopolitique et uniquement intéressés par un intérêt chauvin ou corporatiste. Comme nous l’avons déjà montré, cette synergie implique, non seulement la relance de la théorie dia-matérialiste, non seulement son fusionnement avec l’organisation indépendante des prolétaires en puissantes avant-gardes politiques (la nécessaire fusion de la théorie révolutionnaire et de l’organisation de combat sous la forme d’organisations communistes étant l’apport principal de Marx/Engels), mais la reconstruction internationaliste de grands syndicats de classe animant les combats sociaux à grande échelle en plaçant le monde du travail au cœur des luttes antifascistes, anti-impérialistes et anti-obscurantistes : ce type de regroupement a du reste largement commencé à se mettre en place avec la reconstruction de la Fédération Syndicale Mondiale, la reconstruction politique du mouvement communiste mondial étant hélas très à la traine au niveau mondial par la faute du révisionnisme international et de son meilleur allié et rabatteur répulsif, le gauchisme sectaire.
En définitive, il ne s’agit, ni de télescoper platement, ni de séparer métaphysiquement les « fronts » de l’émancipation car ils interfèrent en permanence à la manière des ondes lumineuses et c’est tout l’art d’une politique marxiste-léniniste que de leur permettre d’avancer de concert à la manière dont un habile chef d’orchestre amène chaque pupitre à tenir sa partie en s’accordant aux autres instrumentistes : tel devrait être respectivement le rôle d’une future Internationale communiste dans le monde, et celui d’un futur Parti franchement communiste dans notre pays, voire dans chaque pays où une telle organisation a disparu ou fait encore défaut.
D’autre part, il ne faut jamais perdre de vue le « point focal » en lequel se rejoignent tous ces fronts à la fois stratifiés et interactifs : fascisation, impérialisme, hégémonisme, obscurantisme, exterminisme n’étant pour finir qu’autant de métastases du mode de production capitaliste en phase agonisante (donc rendu d’autant plus agressif !), toutes ces formes débridées de l’hyper-réaction mondiale ne pourront reculer, puis disparaître, qu’avec la victoire progressive, mais irréversible, sur toute la Terre du socialisme se construisant d’emblée, comme dans la Cuba de Fidel Castro et du Che, dans la visée obstinément poursuivie du communisme au plein sens du mot. C’est si vrai que lorsque l’on scrute, comme l’a fait l’historienne Annie Lacroix-Riz, les fondations historiques et géopolitiques de la « construction » européenne, ou quand on en décrypte les bases juridico- institutionnelles (comme l’a fait la commission juridique du PRCF dans un récent numéro d’Etincelles), on vérifie sans conteste que cette « construction » effroyablement… destructive s’est structurée de A à Z, de l’époque des compères Monnet-Schuman-de Gasperi-Spaak à celle de von der Leyen en passant par Delors et Barroso, autour d’un double projet contre-révolutionnaire de refoulement du socialisme passé (celui qui résultait d’Octobre 17 et des effets différés de Stalingrad) et de prévention du socialisme à venir : c’est du reste ce qu’indique subrepticement l’antienne despotique qui rebondit de traité européen traité européen, selon laquelle « l’UE est une économie de marché ouverte (sur le monde) où la concurrence est libre et non faussée » : une formule totalitaire au seul sens intelligible de ce mot (au sens du slogan thatchérien « Il n’y a pas d’alternative ! ») qui prohibe d’avance toute avancée vaguement socialisante, et a fortiori toute construction nationale ou internationale authentiquement socialiste en Europe ; donc aussi en France…
C’est du reste la raison pour laquelle la social-démocratie internationale définitivement dégénérée en social-eurocratie, ainsi qu’une bonne partie de sa nébuleuse gauchisante et de son vase d’expansion associatif et syndical, sont entrées en crise politique et idéologique irréversible. Dans un tel cadre en effet, la social-démocratie naguère « réformiste » ne peut plus guère « vendre » au monde du travail que des contre-réformes de moins en moins enveloppées de gaze « sociale », quand ce n’est pas tout simplement une marche social-fascisante à l’Etat policier doublée d’une course social-hégémoniste, voire social-exterministe à la Troisième Guerre mondiale… En un mot, le social-réformisme traditionnel a « mangé son pain blanc », voire sa barbe-à-papa rosâtre, et le « bon vieux temps » des Olof Palme (Suède), des Willy Brandt (RFA) et autre Bruno Kreisky (Autriche) est depuis longtemps révolu en Europe occidentale. Si bien que nous n’avons plus à « espérer » de ce côté-là que de nouveaux Noske (le ministre social-démocrate allemand qui, avec ses compères Ebert et Scheidemann, commandita l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Liebknecht), de nouveaux Jules Moch (le ministre SFIO qui fit tirer sur les mineurs du Pas-de-Calais en grève en 1948) et de nouveaux Tony Blair « modernes » comme l’Anglais Stamer. Les choses en sont désormais au point que lorsqu’un social-démocrate un peu moins pourri que d’autres prend par surprise la tête d’un parti ou d’un gouvernement européen « de gauche », il est presque toujours voué, soit à se faire récupérer très vite comme ce fut le cas honteux du Grec euro-rallié A. Tsipras, soit à se faire « démocratiquement » expulser de son parti comme c’est arrivé aux travailliste anglais jugé trop « pro-Pal » Jeremy Corbin !
C’est pourquoi, quitte à nous répéter sur ce point stratégique, voire anthropologique (il y va de la survie de notre espèce !), nous réaffirmerons ici la pertinence du mot d’ordre castriste-guévariste qui résume, en quelque sorte, à une infime modification près destinée à universaliser et à pluraliser ce juste slogan cubain, les tâches et le sens profond de notre époque :
« La (les) patrie(s) ou la mort, le socialisme ou mourir, nous vaincrons ! »
2°) Rompre avec le capitalisme exterministe et penser le socialisme-communisme de nouvelle génération
« L’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre » (Marx. Contribution à la Critique de l’économie politique).
Sous réserve de penser le concept de projet communiste à la lumière du marxisme-léninisme, c’est-à-dire en partant des tâches que l’histoire impose objectivement au camp du Travail, et non pas de manière utopique et abstraction faite des luttes existantes, il faudra donc réaffirmer et préciser, au plan international comme à l’échelle nationale, les linéaments fondamentaux de ce que notre camp sociopolitique se doit de substituer au capitalisme-impérialisme-hégémonisme-exterminisme contemporain sous le nom de socialisme-communisme de nouvelle génération. Avant d’en recenser à gros traits le contenu de principe, qu’il faudra bien sûr retravailler de manière collective, il convient d’apporter ici plusieurs précisions de contenu et de méthode :
A) rappel des tâches générales du socialisme-communisme de nouvelle génération
- Le socialisme-communisme de l’avenir doit d’abord être… un socialisme ! Pas question notamment, sous couvert de « modernité », d’abandonner l’idée
- D’exproprier le grand capital,
- De nationaliser-socialiser les moyens d’échange et de production stratégiques,
- De substituer à la dictature oligarchique travestie en « démocratie » (en réalité, en ploutocratie d’apparence élective) le pouvoir du peuple travailleur et
- De remplacer le mode de développement (et/ou d’étiolement !) capitaliste, à savoir la recherche du profit maximal, par un nouveau mode de développement démocratiquement planifié et fondé sur la satisfaction progressive des besoins populaires (même s’il laisse une part plus ou moins importante au « marché »).
- Le socialisme de l’avenir doit être un socialisme-communisme ! Comme nous l’avons montré dès 1997 dans Mondialisation capitaliste et projet communiste, le communisme ne peut pas plus se passer de la révolution socialiste que le socialisme ne peut croître et prospérer, voire se maintenir face aux dangers de restauration bourgeoise contre-révolutionnaire, sans tenir d’emblée le cap du communisme, c’est-à-dire pour faire court, sans rester tangiblement fidèle aux yeux des masses à la lutte des classes prolétarienne pour une société sans classes : en permanence, le socialisme devra donc être comme « aimanté » par et vers le communisme si bien que le socialisme à venir ne sera (moins encore que le socialisme passé) une « étape » figée et close sur elle-même, encore moins une « troisième voie » social-démocrate entre capitalisme et communisme, Capital et Travail. N’en déplaise aux mânes du philosophe Lucien Sève, lequel avançait hélas une perspective faussement radicale en jetant aux orties l’idée même du socialisme (dont la nationalisation des secteurs-clés de l’économie et la dictature du prolétariat sont les clés de voute !) au profit d’une séduisante, mais invertébrée « visée communiste » (donc, en pratique, et dans le contexte des années 1990/2000, au profit d’un possibilisme mitterrando-compatible rebaptisé communisme44), le socialisme doit tendre d’emblée et en permanence vers le communisme comme l’indiquait déjà Lénine dans ses Thèses d’avril 1917. Non pas en brûlant infantilement les étapes sous le prétexte d’afficher un « anti-étapisme » puéril, mais en ne cessant à tout moment, fût-ce en louvoyant, voire en reculant quand les rapports de forces l’imposent, de viser l’objectif régulateur d’une société des « coopérateurs civilisés » (Lénine) dépassant toute forme d’aliénation sociale, technique, générique, religieuse, etc. A tout instant, et c’est là une condition essentielle de leur mobilisation permanente et de leur initiative créatrice, les travailleurs construisant le socialisme doivent pouvoir visualiser et matérialiser par des actes et des pratiques collectivement posés le but final poursuivi, à tout instant il leur faut combattre leur enlisement possible dans le rassurant « salariat » (c’est-à-dire dans un rapport de subordination et de passivité), dans la « protection » étatique (le socialisme vise, non pas à l’ « Etat-Providence » keynésien mais au dépérissement de l’Etat et à ce que Marx appelait l’ « autogestion nationale d’ensemble »), dans l’aliénation cultuelle persistante à un chef charismatique (drôle d’ « insoumission » !) ou à des dogmes, dans le suivisme à l’égard des dirigeants politiques (fussent-ils « communistes »), et plus globalement dans tout ce qui maintient l’homme (et la femme davantage encore, suite à des siècles de paternalisme !) dans l’hétéronomie et dans la passivité sociales. Sinon, la contre-révolution guette, sinon le retour du « socialisme » mensonger propre aux sociaux-démocrates menace ; sinon – et on l’a vu en URSS quand Gorbatchev et Eltsine ont trahi leur pays sans se faire botter les fesses par les masses et par les communistes soviétiques –, les travailleurs ne descendront pas dans la rue quand il leur faudra défendre leur Etat (qu’ils ne ressentent plus comme tel) contre la restauration capitaliste, voire contre l’annexion impérialiste (RDA) et néocoloniale (les ex-pays socialistes d’Europe orientale annexés par l’UE-OTAN et redevenus des colonies de main-d’œuvre comme avant 1945).
Une preuve a contrario de ce que nous avançons là a du reste été tristement fournie par les déprimantes années contre-révolutionnaires 88/93 : alors que les travailleurs soviétiques (mais aussi tchèques, est-allemands, etc.), hélas trop accoutumés à suivre leurs dirigeants en maugréant (ou à les critiquer en catimini) ont quasiment laissé passer la contre-révolution sans bouger, y compris quand des partis ouvriers comptant des millions d’adhérents se sont dissouts à l’unanimité des congressistes (cas du SED est-allemand, du PSOH magyar, du POUP polonais ou, en Occident, du PC italien), Cuba socialiste a tenu bon en 1991 et lors de la première « période spéciale » très difficile qui a suivi la fin de l’URSS et du Marché commun socialiste. En effet, sous la conduite de Fidel, l’île initialement lâchée par la Russie décommunisée d’Eltsine a continué de cultiver l’internationalisme militant (Afrique du Sud, Angola…) et d’avancer un projet de société articulant la santé pour tous, l’ouverture à tous de l’Université, la création de micro-brigades de travailleurs dotées de marge de manœuvre économique ainsi qu’un développement industriel axé sur une recherche biomédicale partagée avec les pays du Sud : c’est-à-dire à maintenir visible par tous ce but final du socialisme qu’est le communisme, à savoir une société fondée sur le principe seul digne de l’homme « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».
- Le socialisme-communisme de nouvelle génération devra assumer, continuer et « dépasser », au sens dialectique du mot, et surtout pas renier, l’héritage du socialisme de première génération, celui qui naquit d’Octobre 17 (et qui s’élargit et commença de se mondialiser après Stalingrad, la Révolution chinoise, les Révolutions cubaine et indochinoises), sans oublier le pré-communisme encore balbutiant des « Communes » insurrectionnelles de Paris-Lyon-Marseille (1871) et les grands exploits trop souvent réprimés du mouvement révolutionnaire français des XVIII et XIXème siècles, de Babeuf à Jaurès en passant par les Trois Glorieuses et par le « Printemps des peuples » hélas avorté de février-juin 1848 ;
- Le socialisme-communisme de nouvelle génération devra à la fois prendre ancrage dans un contenu universel de principe, faute de quoi il ne sera qu’une variante de social-démocratie ordinaire, et assumer une forte dose de variabilité nationale liée aux conditions locales de la production, aux traditions populaires, aux savoir-faire prolétariens, techniciens et paysans, à l’histoire diverse des peuples, aux langues nationales, l’inter/nationalisme prolétarien de nouvelle génération étant par nature équidistant du repli national particulariste comme du supranationalisme capitaliste uniformisant. Il ne s’agit pas là d’une « pieuse intention », mais d’une condition impérative du succès à l’heure où s’affrontent, d’une part, l’ « unilatéralisme » euro-atlantiste, cette tentative d’américaniser l’Europe et toute la planète en leur imposant un (contre-)modèle unique terriblement pauvre, et, d’autre part, ce que l’on appelle par ailleurs le « multilatéralisme » fortement lié aux BRICS. Or, abandonnée aux bourgeoisies contre-révolutionnaires qui n’en dirigent pas moins certains Etats membres des BRICS+, Russie poutinienne par ex., Arabie saoudite ou Inde « modienne », soit ladite « multilatéralité » mondiale avortera, soit elle enfantera à terme un nouvel hégémonisme mondial ; car seule la classe ouvrière peut mener à bien ce processus hautement contradictoire qu’est le multilatéralisme en raison des forces de classes bourgeoises, voire proto-impérialistes pour certaines, qui copilotent le multilatéralisme et qui l’empêchent de se délier à 100% de l’impérialisme proprement dit, et a fortiori, du capitalisme. Cette réalité de classe impose donc de mettre le cap dès maintenant, et au moins en principe et à titre d’ « idéal régulateur », sur une multilatéralité franchement socialiste analogue à celle qu’avait initialement dessinée, sous l’influence de Cuba, l’Alternative bolivarienne des Amériques (l’ALBA). Mais cela est impensable si le socialisme à venir n’assume pas lui-même sans réserve, non comme un boulet au pied transitoire mais comme une chance historique, la diversité mondiale, la non-ingérence politique comme méthode et le respect des diversités nationales et culturelles dans la manière de construire le socialisme dans chaque pays. C’est, peut-on penser et espérer, dans cet esprit respectueux de la diversité planétaire que la Chine affirme vouloir mettre en place ses « nouvelles routes de la soie ». L’avenir dira vite si ce cap audacieux sera tenu tant il est évident que la réponse à la question sera tranchée, en Chine même, par l’évolution des rapports de classes entre les forces populaires (classe ouvrière et paysannerie en tête) et les forces bourgeoises éprises de restauration capitaliste qui se sont manifestées lors des évènements contre-révolutionnaires de Tiananmen (1989) quand des étudiants pro-américains ont érigé une statue de la Liberté pour demander l’alignement de la Chine sur les réformes contre-révolutionnaires promues en URSS par Gorbatchev (alors en visite à Pékin…).
- La question n’est pas centralement « mondialisation ou démondialisation ? ».D’une part parce que, à notre époque, la socialisation de la production portée par la révolution technico-scientifique (l’internet, les satellites, les câbles sous-marins, l’IA, les infrastructures de pointe liées aux « nouvelles routes de la soie », l’ordinateur quantique, etc.) constitue un phénomène objectif irréversible dont le déni, sauf s’il est très temporaire, serait porteur de guerres sans fin (pour s’ouvrir des marchés par la force !) et de régressions sociales considérables. D’autre part parce que le capitalisme peut mondialiser (inconvertibilité du dollar et fin de Bretton Woods) et/ou démondialiser les échanges (retour de Trump et de son « MAGA » hyper-dominateur) en fonction des intérêts sans cesse variables de sa fraction dominante, notamment, des intérêts propres aux principaux trusts étatsuniens qui sont eux-mêmes en compétition permanente dans l’orbe américaine. On voit bien que l’actuelle démondialisation qui se dessine sur fond d’unilatéralisme politico-militaire nord-américain est tournée contre la Russie et la Chine, de même que la mondialisation néolibérale chère à Reagan-Thatcher-Blair était orientée contre l’URSS et la RDA (avec l’aide initiale apportée aux USA par la Chine maoïste, puis « denguiste », dans la stratégie d’isolement géopolitique de l’URSS). Or, d’un point de vue dia-matérialiste et classiste, la question n’est pas de mondialiser « ou » de démondialiser l’économie car en réalité, les deux pôles néolibéral et protectionniste du turbo-capitalisme contemporain ont toujours marché l’amble, fût-ce avec une dominance provisoire d’accent affectant l’une ou l’autre des deux orientations. Idéologiquement parlant, la « mondialisation » capitaliste a en outre toujours carburé… au nationalisme bourgeois et a toujours eu besoin, voire de plus en plus besoin, de la montée, si possible universelle, d’extrêmes droites xénophobes arrimant au capitalisme les éléments retardataires de la classe ouvrière spoliée ; de même, la démondialisation trumpiste en cours ne serait-elle rien sans les « lois extraterritoriales » mondiales portées par Trump et avant lui déjà… par MM. Obama-Clinton-Biden et par l’UE et ciblant à la fois la Chine, l’Iran, la Corée du nord, Cuba, voire… quand cela arrange l’Oncle Sam, les « alliés » occidentaux et japonais de Washington (cf. la scandaleuse annulation du « contrat du siècle » entre l’Australie et la France en matière de sous-marins français).
- « Libre-échange » libéral-mondialiste et/ou « protectionnisme » national-bourgeois ? A propos d’un débat faussé – Retour sur l’euro – Du reste,le néolibéralisme proclamé, cette variante habilement déguisée du capitalisme monopoliste d’Etat désormais trans-continentalisé, a toujours été sciemment faussé à l’avantage (inégal, instable et fluctuant) au bénéfice du pôle nord-américain taxant à sa guise tout ce qui entre chez lui, mais n’en exigeant pas moins l’ouverture sans contrepartie du reste du monde à ses produits (pour obtenir cette asymétrie commerciale, l’Oncle Sam dispose d’énormes « gourdins » planétaires : le dollar inconvertible en or, les manigances de la CIA, l’espionnage consenti et sans limite des Européens et… l’US Army disposant de 720 bases à l’étranger !), mais aussi parfois du pôle euro-germanique : nous avions ainsi pu démontrer dans Etincelles que la zone euromark gérée par la BCE de Francfort (laquelle feint pourtant de pratiquer un libéralisme flamboyant) a initialement été conçue comme une zone monétaire à la fois libre-échangiste (à l’intérieur d’une zone euro relativement réduite) et comme une zonecrypto-protectionniste : le double but stratégique de la monnaie unique européenne adossée au deutsche Mark est en effet, ou du moins était initialement, de permettre à la RFA capitaliste d’écouler les produits de sa grande industrie dans toute l’Europe sans que les pays du Sud européen (Portugal, Italie, Grèce et Espagne, les néo-colonies de l’Est européen hors zone euro ne comptant guère…), France incluse, puissent procéder à la « dévaluation compétitive » de leurs défuntes monnaies nationales respectives ; dans ce cadre, c’est la BCE qui gère de fait à l’avantage moyen global de Berlin l’ensemble de la politique budgétaire et monétaire européenne ; avec en sus, excusez du peu, celle de l’Afrique francophone via le franc CFA… Celui-ci est en effet calé, non sur le défunt franc français, mais sur l’euro, donc, en définitive… sur le deutsche mark qui donne en réalité le la en matière de « monnaie unique ». Cerise empoisonnée sur ce gâteau infect, la Françafrique à bout de souffle reste chargée d’assurer à grands frais, au moyen de son armée néocoloniale sans débordée, et cela, sans la moindre participation euro-germanique aux frais militaires (à moi, RFA, les bénéfices commerciaux, à toi, France en déclin structurel, les frais militaires… et les déculottées géopolitiques !) la police de l’euro-austérité induite en Afrique tout en encaissant en prime la juste colère des peuples africains spoliés !
- d’interdire à la RFA de percuter trop fort le « libre » marché nord-américain avec les produits de sa grande industrie mécanique ; en effet, l’euro fort (et le franc fort qui, derrière l’apparence d’une monnaie partagée avec Berlin, ruine notre pays au moins depuis 1983 et le prétendu « tournant » deloriste de la rigueur) autorise le dollar faible et flottant à continuer de régner mondialement, permet aux USA de payer son énorme dette au monde en monnaie de singe et n’en limite pas moins la libre entrée des productions mécaniques allemandes sur le marché US…
Bref, l’euro fut conçu en réalité par Delors et Schäuble pour protéger le marché ouest-allemand (après arasement de l’industrie est-allemande colonisée) des produits industriels de l’Europe du sud et pour garantir le marché nord-américain des produits allemands si bien que l’Europe du Sud, France incluse (bref, les « P.F.I.G. ») et l’Afrique francophone, pourtant zone économique la plus dynamique d’Afrique, étaient voués par avance à devenir les dindons de cette farce inégalitaire typiquement inter-impérialiste45. Du moins était-ce là l’accord inavouable que l’Europe allemande avait subrepticement conclu avec les financiers d’Outre-Atlantique et que, bien entendu, l’un des deux « partenaires » ne pouvait manquer de violer rapidement, l’inégal développement capitaliste dictant toujours son invisible loi en empêchant les accords inter-impérialistes de tenir dans la durée ; car en réponse à la crise financière mondiale de 2008, la BCE a changé sa politique sous l’impulsion de Draghi : elle a abaissé ses taux directeurs et inondé l’Europe d’euros dévalués, les produits allemands vendus en euros sont devenus plus compétitifs mondialement et ont envahi l’Amérique en aggravant les difficultés de l’industrie mécanique américaine. Le résultat, nous l’avons sous nos yeux et il s’appelle… Donald Trump, son mouvement MAGA et sa ligne protectionniste anti-européenne et antichinoise, les exigences fortes de Trump (et avant lui du « gentil » Obama) en matière de refinancement européen de l’OTAN, les menaces complémentaires contre le Canada, etc. A cette fin, l’Amérique a notoirement utilisé l’Ukraine, non seulement comme un moyen pour torpiller et encercler la Russie, mais pour couler aussi l’industrie allemande et renchérir structurellement ses prix en privant la Ruhr de l’accès au gaz russe bon marché !
C’est assez dire que l’alternative socialiste n’a pas à s’enfermer dans l’alternative piégeuse opposant « le » libre échange capitaliste mondial au « protectionnisme » bourgeois, ces deux bornes de l’alternateur capitaliste étant complémentaires et également destructives pour les peuples et avantageuses pour les dominants selon les pays et le moment considéré. En réalité, la construction du socialisme futur n’aurait pas à opter principiellement46 entre le protectionnisme national-capitaliste de Trump et l’« ouverture » néolibérale sur le monde type CETA via l’UE et son insertion dans l’ « Union transatlantique » chère au MEDEF. En effet, comme l’avait initialement ébauché l’ALBA – avant d’être réduite aux acquêts par le sabotage en pleine mer de l’Oncle Sam – l’alternative socialiste de l’avenir n’obligera nullement à choisir entre un repli national frileux et une « concurrence libre et non faussée » de type maastrichtien. Il s’agirait plutôt de favoriser l’avènement d’une dialectique vertueuse entre nations souveraines et coopérations internationales d’Etat à Etat mutuellement avantageuses et coplanifiées à l’image de celle qui unit déjà aujourd’hui les pays européens, non pas au sein de l’UE, cette foire d’empoigne, mais au sein, par ex., de l’Agence Spatiale Européenne (interétatique et non euro-concurrentielle) productrice de la fusée Ariane. Ainsi le Venezuela bolivarien a-t-il longtemps fourni du pétrole bon marché aux Cubains, Cuba envoyant en contrepartie des médecins et des instituteurs volontaires aux Vénézuéliens… On veut croire encore une fois que c’est aussi ce que signifie le projet dit « gagnant-gagnant » intitulé « Ceinture et routes », la Chine fournissant, contre matières premières africaines et latino-américaines, non pas de coûteux produits manufacturés, mais des infrastructures productives modernes : ports, aéroports, routes, voies ferrées…
Car si la mondialisation/démondialisation capitaliste écrase les nations faibles au profit des Etats forts (non sans exciter concurremment le nationalisme arrogant des empires capitalistes et le souverainisme exaspéré des nations dominées !), le socialisme-communisme du futur sera impossible sans la coopération durable, voire sans le progressif fusionnement démocratiquement consenti des nations, chacune apportant au pot commun de l’humanité en voie d’unification ce qu’elle possède de meilleur et de plus universel, et toutes renonçant peu à peu, et sans drame, à ce que leur histoire ne peut manquer de charrier aussi de cruel et de préhistorique. Telle est déjà du reste, depuis Hegel, la dialectique vertueuse articulant l’universel concret au particulier abstrait (droit d’autodétermination pour toutes les nations !) à cent lieues du cercle vicieux associant pour le pire le particularisme rance du national-racisme à l’universel abstrait de l’américanisation galopante, de la « non-langue » unique mondiale et du dollar-roi !
- Résister à la non-langue et à la sous-culture uniques mondiales ! – Il importe notamment que la marche au socialisme-communisme s’opère dans le strict respect des cultures nationales et/ou multinationales et qu’en l’occurrence, les peuples résistent ensemble au rouleau compresseur de l’américanisation-uniformisation de nos langues, de nos modes de consommation et, à travers eux, de nos modes de pensée et de vie : partout, c’est une bataille éducative de chaque instant que de refuser la planétisation morbide d’Halloween et du « Black Friday », de condamner l’érection de l’anglais en seule langue de travail des exécutifs européens, de refuser qu’en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Belgique, etc. des colloques universitaires se tiennent de A à Z en anglais, et non pas en français, en espagnol, en allemand, en italien, en polonais… Il convient en particulier d’expliquer à la jeunesse d’Europe que l’on dresse à la servitude volontaire par le moyen en apparence « fun » du « soft power » américain, que l’internationalisme culturel n’a que faire de l’uniformisation linguistique qui en est e déni direct. Du reste, l’écrivain italien Umberto Eco a prononcé une parole profondément internationaliste quand il a écrit que « la langue de l’Europe, c’est la traduction », c’est-à-dire en fait l’équivalent du multilatéralisme dans le domaine linguistique.
Difficiles à lancer, car elles se heurtent à l’arme idéologique redoutable de la « mode » et de l’ « entertainment », mais impossibles à arrêter quand elles auront franchement démarré, les résistances linguistiques et culturelles, qu’il faut sans cesse associer aux résistances sociopolitiques dont elles constituent un volet structurant, prennent de l’ampleur. S’agissant du français, on pense à l’élan du Québec francophone vers sa pleine souveraineté en lien avec les luttes socioculturelles de la Belle Province. Quoi qu’on pense de Modi, il faut aussi saluer les efforts de l’Inde pour promouvoir chez elle le hindi (voire d’autres langues très parlées de la fédération indienne, tamoul, bengali, etc. ?) en lieu et place de l’anglais, applaudir l’insistance du gouvernement chinois à défendre le mandarin contre l’invasion du globish, ou encore la volonté du gouvernement russe de défendre la langue de Pouchkine contre l’anglais envahissant le métro moscovite en pleine tentative d’encerclement de la Russie par l’OTAN. Car, soyons-en conscients, l’avenir socialiste de la planète se dira en plusieurs langues ou ne se dira pas tant le projet globalitaire porté par les tenants du tout-à-l’anglais est porteur de culture unique, de pensée, de politique et d’économie uniques, en un d’unilatéralisme culturel !
B ) Retour sur le contenu de principe du socialisme-communisme à venir
- Socialisation des moyens de production, pouvoir des travailleurs, quelles formes et exigences contemporaines ?
a) Des exigences socialistes objectivement posées par le développement des forces productives – Il reste plus indispensable et vital que jamais de procéder à l’expropriation capitaliste, d’accomplir la nationalisation démocratique, puis la socialisation en profondeur des secteurs stratégiques (banques, énergie, grande industrie, infrastructures de transport et de communication, grande agriculture capitaliste, commerce international, commerce de gros et grande distribution) et d’engager un processus de replanification globale d’économie, non pour obéir à l’on ne sait quel « dogme marxiste », mais parce que l’explosive contradiction dès longtemps détectée par Marx entre la socialisation galopante de la production capitaliste et l’appropriation de plus en plus spoliative des richesses, des capitaux et des Etats par une infime minorité d’oligarques, pulvérise désormais tous les records historiques en matière d’accaparement des biens créés par tous. Le fait est si bien documenté que nous nous passerons de donner des chiffres, mais est-il longtemps tenable sans que l’humanité n’en meure que la production moderne hyper-socialisée oblige à une division du travail mondiale pour produire et commercialiser quelque marchandise que ce soit alors que, par ailleurs, la concentration de richesses et de capitaux au profit de quelques monopoleurs (pensons aux GAFAM !) atteint un niveau plus que « pharaonique » ? Pour comprendre que cette socialisation objective sans précédent de la production, mais non de son appropriation sociale, devient pour l’humanité une question de vie ou de mort, il suffit de se demander s’il sera jamais possible d’engager vraiment l’urgente transition écologique mondiale – sans laquelle la course au profit aura tôt fait d’assécher les sources de la vie ! – sans planifier nationalement et coplanifier internationalement les actions globales urgentes et vigoureuses qu’il convient de soutenir dans la durée pour refonder rationnellement le rapport des sociétés humaines à l’eau, à l’air, au sol, aux énergies, aux non humains, voire à l’écosystème global que constitue « Gaïa » aux dires de maint éco-biologiste ? Or, comment planifier quoi que ce soit de durable, de collectif, d’efficace et de grande échelle si les grandes entreprises, les peuples et les individus se font la guerre chaque jour au nom du tout-profit (et d’une concurrence totalement faussée au profit des trusts !) en empêchant le genre humain d’avancer dans une même direction? Aux dires de Darwin, le genre humain s’est initialement acquis un puissant avantage sélectif dans le struggle for life général quand il s’est mis à coopérer systématiquement tout en se divisant le travail (ce qui nécessitait par ailleurs de passer par la case du langage articulé, de mythes partagés donnant sens au vivre ensemble, etc.). Or cet avantage, les sociétés de classes l’ont momentanément vicié et dévoyé en multipliant et en aggravant les antagonismes entre les humains ; ce qui, du reste, et dans des conditions historiques en voie de totale péremption rapide, fut initialement un puissant facteur momentané d’accélération du progrès technique comme le reconnaissait le Manifeste du parti communiste. Nous pourrions ainsi parvenir aujourd’hui, soit à l’autodestruction du genre humain (exterminisme accompli), soit à une salvatrice négation de la négation de ce processus multimillénaire : il faut en effet, pour que les humains survivent en réorganisant méthodiquement leurs rapports avec la nature, qu’ils éliminent de la société elle-même cette résurgence inaperçue de la nature sauvage qu’avait rétablie, au moins depuis le Néolithique et l’installation de l’agriculture sédentaire, la barbarie esclavagiste-servagiste-capitaliste au sein même du corps social : le capitalisme, c’était en effet la restauration paradoxale de la naturalité brutale et de l’inconsciente « force des choses » au sein même de la « civilisation », cela prenant la forme d’une jungle capitaliste… organisée… Le socialisme-communisme à venir devra donc, s’il veut triompher durablement et définitivement du capitalisme (donc éviter un nouveau retour de balancier contre-révolutionnaire…), réconcilier du même mouvement l’homme avec la nature, l’homme avec l’homme et les nations avec les nations. Symétriquement, cette exigence nécessitera que soit structurellement expulsée de la vie sociale la naturalité brute qui, tel le refoulé freudien, y faisait monstrueusement retour sous la forme inconsciente de la loi de la jungle impérialiste et néolibérale, la barbarie n’étant autre chose que la sauvagerie faisant retour en société ou que la société s’avérant incapable de gérer son rapport à la nature. Socialisme ou barbarie ? demandait déjà jadis Engels lucidement suivi, en 1914, par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg…
b)les formes et modalités de cette socialisation doivent évoluer en tenant compte des données socioéconomiques et culturelles propres à notre temps. Sans nous engager ici à être exhaustif, nous pouvons déjà recenser les exigences formelles suivantes :
- Contenu anti-exterministe et authentiquement « pro-vie » de la transformation sociale à venir : le socialisme-communisme de l’avenir devra assumer, non seulement les tâches élémentaires classiques dévolues à toute espèce d’expérience socialiste (à savoir développer la production à l’avantage de tous et liquider méthodiquement l’exploitation de classe, l’oppression nationale, l’arriération culturelle, l’inégalité hommes-femmes, l’aliénation et l’arriération idéologiques…), mais il lui faudra en outre prendre la tête de l’entreprise universaliste géante visant à sauver la vie humaine et à la relancer sous toutes ses formes. Cela signifie notamment sauver, construire et consolider la paix mondiale en infligeant une défaite sociopolitique, voire militaire si ce dernier en venait au pire, à l’impérialisme-hégémonisme, et en la refondant sur des bases nationalement et internationalement équitables. La reconstruction d’un véritable droit international excluant l’existence de « doubles normes »47, la réparation, y compris financière, des énormes injustices endurées par tant de peuples ex-colonisés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, à commencer par le peuple palestinien martyr, par les peuples syrien, libyen, sahraoui, yéménite et irakien dévastés, par le Soudan divisé et déchiqueté, par le Congo démocratique inlassablement meurtri, par Cuba socialiste et le Venezuela bolivarien assiégés, par les peuples de l’ex-URSS séparés contre leur gré par Eltsine48 : tout cela doit faire partie du programme réparateur et d’esprit largement anti-exterministe de la révolution socialiste-communiste à venir. En effet, la classe travailleuse au pouvoir demain, et la contre-offensive prolétarienne qui germe déjà aujourd’hui, devront et doivent déjà prendre en charge dans les luttes la survie, la relance, voire le « grand rebond » de l’humanité ; là est le sens neuf et proprement anthropologique que prend désormais la prophétie laïque avancée par Eugène Pottier et selon laquelle L’Internationale sera le genre humain… Nous sommes ici aux antipodes de ce capitalisme exterministe avant la lettre dont Marx soulignait déjà l’avènement tendanciel quand il expliquait déjà dans Le Capital que la course au profit maximal engagée par les capitalistes ne pourrait engendrer « la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur ».
On l’aura compris, la paix mondiale (et locale) ne consiste pas seulement en une « absence (toute provisoire !) de guerre », c’est-à-dire au mieux en un armistice, au pire en une nouvelle guerre froide menaçant à tout instant de dégénérer (équilibre de la terreur) en guerre d’extermination : conçue au positif, la paix mondiale se conçoit au contraire comme un système international de sécurité collective librement consenti et destiné à organiser politiquement, économiquement, culturellement et juridiquement la concorde entre les Etats et (dixit Spinoza), ce que Kant appellera plus tard, et d’un terme souvent mal compris, la « paix perpétuelle » entre les nations. En effet, les relations entre Etats-nations (et autres Etats multinationaux) relevant spontanément de l’ « état de nature » (c’est-à-dire des rapports de forces armés et non juridiquement cadrés entre les peuples), l’humanité devra mettre en place de toute nécessité, du moins si elle veut survivre à une époque de mondialisation irrépressible des échanges, une nouvelle forme de contrat social ou d’« état civil »49 réglant juridiquement les rapports entre les Etats-nations (droit international contraignant), entre les individus vivant au sein d’une nation (= émergence partout de républiques démocratiques tournées vers des échanges équitables, refus des ingérences et des regime changes dans les affaires internes d’un autre Etat), voire entre nations constituées et individus ou groupes nomades informels (accueil organisé des travailleurs étrangers ou bien, au négatif, rejet méthodique des colonisateurs-envahisseurs)50.
Cela signifie qu’il faudra tôt ou tard bâtir une nouvelle ONU démocratique soustraite à l’arbitraire du cartel d’Etats impérialistes qui dévoient aujourd’hui à leur profit le Conseil de sécurité en imposant un « deux poids-deux mesures » antinomique de tout droit international. Cette exigence de refondation démocratique de l’ONU, donc de mise au ban de l’unilatéralisme euro-israélo-américain, monte désormais de toutes parts comme une clameur immense, car l’humanité n’en peut plus, dans son immense majorité, de l’injustice globale qui lui est faite. Cette légitime aspiration est du reste principalement méprisée et bloquée par les Etats occidentaux et par leur hyper-agressif « proxy » israélien : on voit notamment combien les USA ou Israël sont systématiquement isolés quand l’Assemblée générale de l’ONU condamne à répétition et à la quasi-unanimité le blocus barbare imposé à Cuba ou le génocide peu dissimulé que l’Etat-voyou israélien inflige au peuple palestinien en s’abritant derrière les porte-avions étatsuniens croisant en Méditerranée. Le socle socioéconomique mondial de cette révolution contre-hégémonique et anti-impérialiste devrait notamment s’accompagner de la substitution méthodique à la concurrence asymétrique inhérente aux traités néolibéraux51 (luttes prolétariennes, paysannes et anti-impérialistes à l’appui) d’un régime de coopération interétatique égalitaire intervenant dans le cadre d’une refondation coplanifiée du rapport des sociétés humaines avec leur environnement52.
Les objections « marxistes » à cette proposition relèveraient par avance du maximalisme théâtral propre aux éternelles mouches du coche gauchistes : il ne sert à rien en effet de répéter doctement cette évidence première que, tant que l’impérialisme existera, voire tant que l’Etat subsistera (comme disent les anarchistes), la concorde internationale ou nationale ne sera que chimère ; après quoi l’on appelle à la « révolution mondiale », on constate alors qu’elle n’advient toujours pas, on accuse alors les peuples de passivité et… l’on constate en jouant les Cassandre que le monde court à la guerre mondiale… De vrais progressistes, et a fortiori des marxistes-léninistes et des républicains progressistes sérieux devraient au contraire s’emparer de l’aspiration de masse à la paix par et pour la justice en les portant haut et fort l’une et l’autre comme fait sans trêve à l’ONU la diplomatie cubaine. Car en vertu de l’égale dignité absolue inhérente aux personnes humaines, il importe que chaque peuple compte lui aussi pour un sur la scène internationale, que des milliards de dollars ne soient plus dédiés à la guerre mondiale alors que des milliards d’humains manquent de tout, et il convient que tous les pays du monde soient soumis, sans « deux poids deux mesures » outrageant, au même droit international égalitaire et librement consenti et non à l’« ordre mondial fondé sur des règles »… imposées par l’Axe Washington-Berlin-Tel-Aviv à coups de « lois » extraterritoriales, de dollar inconvertible, d’ingérences étrangères, d’apartheid néocolonial et de « révolutions oranges bricolées par la C.I.A… On ne verra là une « utopie » que si l’on ne fait pas de ce programme, déjà passionnément désiré par l’écrasante majorité des peuples, un puissant levier de mobilisation anti-hégémonique et si l’on refuse d’associer ce programme anti-exterministe fédérateur au mot d’ordre proprement plus fondamental encore que nous avons promu et rappelé ci-dessus : « le socialisme ou la mort, nous vaincrons ! ».
- Cette orientation anti-exterministe et délibérément pro-vie implique aussi que le socialisme de nouvelle génération dispose au centre de sa lutte la refondation révolutionnaire des relations entre l’homme et la nature. Pour cela, il ne suffit pas de « verdir » à la marge le programme socialiste de la révolution prolétarienne et populaire du XXIème siècle. Il faut pour le moins se pénétrer de deux idées rectrices :
* la transition écologique n’est pas, d’un point de vue marxiste, un à-côté verdâtre de la révolution prolétarienne, une sorte de correctif daltonien au rouge éclatant du drapeau prolétarien. Héritier matérialiste, scientifique et prolétarien de la grande philosophie idéaliste de l’histoire (Vico, Rousseau, Kant, Condorcet, Hegel, Comte…), le marxisme conçoit la révolution éco-communiste de l’avenir53 comme le résultat d’une négation de la négation de portée anthropologique concluant une suite de vastes transformations multimillénaires. Initialement noyées dans la nature et dominées par elle – ce qu’expriment de diverses manières les religions de la nature ancêtres du paganisme avec leur culte du soleil, des volcans, des animaux-totems, etc. –, les sociétés humaines initialement dépourvues d’exploitation de classe systématisée et d’Etats proprement dits subiront, notamment au Néolithique, de profonds bouleversements inégalitaires qui vont les conduire à promouvoir l’Etat comme tel, les grandes Cités (Sumer, etc.), les grandes religions associées à la fois à l’Etat et à l’Ecriture54, le renforcement de l’oppression pesant sur les femmes en lien avec la propriété privée du sol, donc aussi l’exploitation méthodique de l’homme par l’autre homme et des peuples par d’autres peuples : parallèlement à cela, l’agriculture/élevage s’est substituée au système chasse-pêche-cueillette et le comble de cette transformation en longue durée des rapports hommes-nature fut l’apparition de la révolution capitaliste et de la grande industrie donnant lieu à une exploitation intensive de l’environnement au moyen d’un mode de production échappant totalement au contrôle des producteurs. Il s’est agi là, en réalité, d’une auto-négation de la nature via la culture car l’homme producteur, ce que Bergson appelait en latin l’Homo faber, est lui-même un produit dérivé de l’évolution naturelle et c’est ce qu’a montré jadis, en fonction de l’état des connaissances propre à son époque, le brillant article d’Engels intitulé Du rôle du travail dans la transformation du singe en homme. N’en déplaise à nombre d’écolos modernes qui croient naïvement que l’homme, dans sa bêtise extrême et quasi surnaturelle (car nous sommes tous pécheurs…), a quasiment « choisi » de polluer la nature au lieu d’admirer les pâquerettes, c’est bien la nature et son évolution darwinienne spontanée qui ont inconsciemment produit, non seulement Homo sapiens et son dispositif anatomique caractéristique55, mais l’histoire elle-même, cette négation au long cours, non seulement de l’environnement naturel par la démultiplication infinie des artifices humains, mais de la nature humaine brute peu à peu contenue, labourée, niée et policée par le langage, par l’éducation, par l’invention et par l’héritage se surajoutant, non sans frottements, à l’hérédité biologique propre aux règnes animal et végétal ainsi qu’à l’homme en tant qu’il ne peut cesser d’être lui-même aussi un animal. Dès lors, la problématique centrale de notre temps, en tant qu’elle reste celle du passage révolutionnaire du capitalisme au socialisme, est objectivement dessinée par le fait anthropologique majeur suivant : parvenue au point actuel de son développement, l’histoire humaine doit à son tour se nier dialectiquement elle-même (négation de la négation) si elle veut éviter la catastrophe environnementale globale agrémentée de la destruction finale de l’homme par l’homme qui peut résulter du capitalisme-impérialisme devenue vecteur d’exterminisme militaire, mais aussi environnemental. Encore une fois, cela ne peut être qu’un seul et même processus historique que d’en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme et que d’éliminer la destruction de la nature par l’Homo capitalisticus, les retrouvailles de l’homme avec la nature faisant corps avec la capacité de l’humanité à purger en elle-même ce retour du refoulé naturel qu’était, au cœur de la société, la domination de la barbarie (capitaliste notamment), ce retour de flamme de la nature sauvage déniée au sein même des relations humaines devenues déshumanisantes.
* de ce fait, la production communiste du futur ne devra pas se concevoir en termes de réparation pure et simple par la culture des dégâts infligés par elle à la nature sous l’impact du tout-profit capitaliste même si c’est là un prérequis incontournable au point où en sont arrivées les choses : car d’abord, on ne peut pas plus restaurer la nature préhumaine qu’il n’a jamais été possible à quiconque de redevenir vierge : comme le montrent les études de l’ethnologue Philippe Descola, l’Amazonie elle-même n’était déjà plus une « forêt vierge » avant la conquête européenne de l’Amérique du Sud. Mais surtout, il faut saisir que l’objectif de la production communiste de l’avenir est objectivement déterminé par la nécessaire négation de la négation dont nous avons dégagé le concept : la négation de premier degré ayant en effet consisté à affronter… sauvagement la nature pour rendre l’homme, comme l’a écrit Descartes (et à son époque c’était progressiste) « comme maître et possesseur de la nature », la négation de second degré devra consister à assumer culturellement la reproduction scientifiquepar l’homme des conditions environnementales de la production, qu’il s’agisse de la maîtrise et du renouvellement méthodique des énergies, de l’apurement des sols, de l’assainissement de l’air et des eaux, voire de la reconstitution de la biodiversité et des écosystèmes mortellement menacés. Parmi ces conditions environnementales figure au premier chef le soin global accordé au corps humain, en particulier à ce « dispositif anatomique de l’Homo Sapiens » (comme disait Leroi-Gourhan) que mine la marche capitaliste à la marchandisation du corps, des gamètes, voire de l’ADN humains ; une marchandisation qui fait du génie génétique une arme terrifiante pour la domination oligarchique de l’avenir (on pense par ex. au « transhumanisme », anticipé par Huxley, ou au projet post-humaniste de court-circuiter partiellement ou totalement toute forme de reproduction naturelle engageant des vivants). Conjurer ce globalitarisme terrible, dimension émergente et « de basse intensité » de l’exterminisme capitaliste, impose donc de décaler, si l’on peut dire, la production au second degré en reproduisant savamment ce qui permet « naturellement » de produire et en détruisant symétriquement ce qui détruit systémiquement ces conditions, qu’il s’agisse des conditions naturelles-environnementales ou des conditions naturelles-anthropiques relatives au corps humain. Tant il est vrai que, comme il est indiqué dans L’Idéologie allemande, l’histoire humaine nécessite, non seulement « l’existence d’êtres humains vivants », mais tout autant l’existence si l’on ose dire d’ « êtres vivants… humains »…
Outre la survie et le développement qualitatif de l’humanité au XXIème siècle, l’enjeu suprême de cette maîtrise renforcée et de second degré (pas du tout « amich » et primitiviste, donc) est de relancer globalement l’aptitude humaine à s’émanciper collectivement. En effet, la différence essentielle entre l’humanité et la pure animalité consiste avant tout, par le biais de la production des moyens d’existence, de l’organisation civique et de l’héritage partagé, à produire extérieurement au corps humain et à son ADN changeant très lentement, ce produit initial de l’évolution naturelle aveugle qu’est notre monde d’objets artificiels, de relations sociales, de langages, d’aptitudes physiques et mentales. Celles-ci sont induites, par l’entremise et la maîtrise consciente et collective de ces moyens extérieur à son corps et à ses gènes, l’humain peut tendre à s’autoproduire peu à peu lui-même, c’est-à-dire à accroître asymptotiquement sa liberté : c’est en quoi réside l’essence de l’historicité, a fortiori quand elle est consciemment dominée par l’ensemble des humains et qu’elle vise à permettre le développement plénier et solidaire de tous les humains, ce qui est l’objet final du communisme. C’est pourquoi il ne s’agira pas seulement demain de produire mieux, plus proprement et moins dispendieusement – ce serait déjà un grand pas mais qui ne suffira pas –, mais de se donner pour but de reproduire consciemment les conditions géologiques et environnementales générales qui ont permis et qui permettent encore à l’homme de produire sa propre histoire ; en clair, de dominer l’autoproduction de l’essence humaine alors que jusqu’ici les hommes n’ont évolué naturellement, voire avancé historiquement (sauf durant quelques brefs épisodes historiques, ceux des révolutions démocratiques bourgeoises, puis prolétariennes-populaires), que de manière aveugle, chaotique et constamment très précaire et réversible.
Cette reprise de la nature dans et par l’histoire qui a pour contrepartie l’apurement des relations humaines de cette naturalité brute que Hobbes résumait par l’expression « guerre de tous contre tous », n’aura donc rien à voir avec une replongée dans le primitivisme des robinsonnades chères au XVIIIème siècle : bien au contraire, cette maîtrise à double hélice croisée par l’homme des conditions sociales (communisme) et des conditions naturelles (écologie) permettant l’arrachage définitif de l’humanité à sa bestialité d’origine et de statut proprement préhistoriques nécessitera un déploiement sans précédent des sciences et des techniques, et plus précisément encore, des recherches fondamentales en logique, en hautes mathématiques, en sciences cosmo-physiques et cosmochimiques, en sciences bio-environnementales (voire en exobiologie !), et bien entendu, en sciences économiques et sociales, en linguistique, en sciences de la cognition, de la subjectivité et de la personnalité, voire en « sciences de la science », pour reprendre une stimulante expression de l’épistémologue soviétique Boniface Kedrov56 ; car comment planifier la production socialiste de l’avenir si l’on n’est pas un tant soit peu capable de dégager philosophiquement et de diriger politiquement, au sens noble et large de cet adverbe, la production du savoir scientifique lui-même de manière à le soustraire au double règne de l’accumulation capitaliste et de la course impérialiste aux armements ?
Encore une fois, comme l’écrivait Marx en substance, l’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre et à bien y regarder, l’émergence consciente du problème suppose la présence latente objective des conditions de sa résolution. A condition de les soustraire au capitalisme et de viser l’institution d’une démocratie socialiste d’envergure inédite, la technologie moderne et ses moyens extrêmement performants (informatique, robotique, « I.A. », ordinateurs quantiques…) qui se mueront certainement en terribles menaces sous la domination vampirique du capital, peuvent devenir de commodes moyens de gestion collective égalitairement partagés dans une société pratiquant la planification démocratique et ayant définitivement inscrit sur ses drapeaux l’Article I de notre première Constitution républicaine (1793) : « le but de la société est le bonheur commun » : un objectif tellement banal et si platement évident que le fait même qu’il puisse encore passer aujourd’hui pour une utopie fumeuse suffit pour prendre la mesure de la glaciale inhumanité et du caractère quasi « pré-historique » du capitalisme contemporain !
*A propos des forces « productives » et de leur contradiction actuelle avec les rapports de production – C’est à la lumière de l’inextricable dialectique des aspirations communistes et des exigences écologiques devenues proprement vitales qu’il faut repenser la contradiction explosive anticipée par Marx entre l’essor des forces productives et les rapports de classes qui finissent par le bloquer (ou par le dévoyer) si la révolution ne survient pas à temps pour éliminer ces derniers. On a longtemps conçu à juste titre les forces productives comme des moyens d’action socialement neutres, indifféremment exploitables à merci par le capitalisme ou par le socialisme, par la bourgeoisie ou par le prolétariat, et dont le seul enjeu de classes était de savoir, en aval de leur propre production (au second degré, donc), quel serait le sujet final de leur appropriation juridico-politique, le camp du Capital ou celui du Travail. A raison, par ex., les grévistes français de juin 1936 ou de mai 1968 occupaient les usines et entretenaient les machines avec l’espoir qu’un jour elles appartiendraient enfin à toute la société. Il en va différemment aujourd’hui où c’est a priori, en amont de la production des moyens de production et de consommation, que l’usage dévoyé du produit est très souvent comme « préfixé » dans l’objet vendu (songeons à l’aberrante « obsolescence programmée ») ou dans le « service » marchandisé, tout cela en fonction du parasitisme économique inhérent au capitalisme impérialiste ; et cela, qu’il s’agisse des armements destinés à la future guerre mondiale, de la production quasi gadgétisée propre au « capitalisme de la séduction » dénoncé par Clouscard, ou encore de la 39ème « appli » insérable dans un iPhone pour amuser MM. les « geeks »… Pendant ce temps, un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim, n’accèdent pas à l’eau courante, au logement salubre ou à l’électricité tandis que des millions d’enfants dans le monde, voire en Europe ou aux USA, n’ont pas d’accès gratuit garanti à une école, à une crèche, à un toit sûr ou à des soins médicaux de qualité…
On voit donc que l’appropriation sociale et démocratique à venir des moyens de production stratégiques par les travailleurs et, à travers eux et indirectement, celle des moyens de consommation par les usagers du système économique, n’auront pas seulement à faire changer de mains ces moyens de production et de distribution, mais aussi à les faire peu à peu changer de conception et de destination sociale intrinsèques. En effet, le contenu et la conception des moyens de production, leur usage en tant qu’il est de plus en plus surdéterminé et comme écrasé par la valeur d’échange (marchandisation destinée à l’accumulation de la plus-value57) n’est, à terme, nullement indifférent à leur mode d’appropriation lui-même. Il ne s’agit donc ici de rallier théoriquement, ni le « productivisme » bourgeois qui a marqué les « Trente Glorieuses », ni certaines thèses « décroissantes » platement conçues dont le naturalisme nostalgique propre aux nantis n’a que faire, ni de la misère de milliards d’individus survivant tant bien que mal dans le monde, ni de la sous-consommation chronique qui afflige des millions de nos compatriotes « non solvables » au sein même de nos métropoles impérialistes gorgées de richesses. Il ne conviendra donc pas seulement de reconstituer demain des capacités industrielles, halieutiques et agricoles hautement performantes et démocratiquement dirigées en France même, d’y relancer la recherche publique fondamentale et biomédicale, d’œuvrer pour que, dans le monde, les termes de l’échange Nord/Sud et Est/Ouest soient entièrement refondus (à moyen terme, la balance commerciale de chaque pays devrait en permanence osciller faiblement autour de l’équilibre), mais de recalibrer et de requalifier démocratiquement les productions et les consommations existantes de manière consciente, instruite, collectivement débattue et volontaire. En un mot d’introduire en grand la raison, inséparable d’une très large démocratie, dans la gestion de la production et de la consommation. Sans cela, c’est l’aveugle marché et ses « tendances » inconscientes assorties de l’infantilisme, de l’individualisme (« après moi le déluge ! ») et du consumérisme inculqués aux petits d’homme dès l’enfance, qui continueront d’orienter à l’aveugle les rapports entre l’homme, son prochain et son environnement. Or, l’humanité ne peut plus se permettre ce luxe désuet (et barbare !) à notre époque car une telle « navigation à la godille » n’est plus possible sans suicide collectif, que ce soit sur le plan écologique, sur le plan économique ou sur le plan militaire (sous le régime capitaliste, toutes les grandes crises longtemps irrésolues finissent toujours par se trancher par la guerre).
Une réorientation révolutionnaire de l’économie nationale et, si possible, globale, impliquera aussi, soyons-en conscients – comme c’était déjà le cas dans les ex-pays socialistes européens (pas toujours très adroitement, hélas, faute d’une démocratie socialiste vraiment large et dénuée de paternalisme)– de refuser catégoriquement à l’avenir l’hypertrophie délétère de la « com », de la finance, du très polluant tourisme pour nantis, de la surconsommation ostentatoire des riches, de l’infantilisme des nantis refusant de distinguer entre les besoins prioritaires, qu’il faut d’abord satisfaire pour tous, et les débilitants « coups de cœur » consuméristes (« Envy ! », « Enjoy ! ») cultivés par la pub et qui dilapident le travail des hommes (voire celui des enfants !), les ressources finies de la planète et les recherches scientifiques détournées de finalités plus nobles et urgentes.
- Modalités de la socialisation des moyens de production
Tant pour s’ajuster à la période historique présente que pour tirer les leçons positives et négatives de la première expérience socialiste de l’histoire, et sans renier cette expérience permettant à tous d’y voir désormais plus clair sur les difficultés de l’entreprise, le socialisme-communisme de nouvelle génération ne pourra faire l’économie d’une dialectique approfondie de la planification socialiste, de l’autogestion ouvrière et de l’utilisation régulatrice partielle par le marché, au moins au début des nouvelles expériences socialistes.
*De la planification socialiste à venir. Non seulement elle n’est pas par nature un obstacle rédhibitoire à la démocratie mais, intelligemment conçue, elle en constitue une composante axiale. Comment en effet une nation pourrait-elle maîtriser son devenir, donc s’autodéterminer vraiment, si son développement s’opérait à l’aveugle (le « libre marché » et sa loi obscure de l’offre et de la demande signifient seulement, en fait de liberté, « que le plus fort gagne ! » et « malheur au vaincu ! »), et si ce mixte de rationalité scientifique (apprécier les besoins, les confronter aux moyens disponibles, se projeter dans l’avenir…) et d’autogestion d’ensemble de la société qu’est la planification ne l’emportait pas demain sur les forces obscures et inconscientes de l’ « ici et maintenant ».
Encore faut-il bien sûr que cette planification soit éclairée par la science, elle-même dégagée de ses chaînes capitalistes/impérialistes actuelles, et contrôlée de A à Z par une démocratie socialiste de masse fortement ramifiée.
*De la dimension « autogestionnaire »58 de la production future.
Cependant, produire, de même que consommer, engage le corps même de chacun d’entre nous et pas seulement les décisions politiques prises en amont par le peuple travailleur, si libres et éclairées soient-elles. Pour que les travailleurs deviennent les maîtres effectifs et pas seulement les possesseurs formels de la production, il faut aussi que, dans le cadre concret de leur travail, dans son organisation et ses process eux-mêmes, ils se sentent subjectivement et qu’ils deviennent pratiquement, non seulement les décideurs, mais les co-initiateurs et co-entrepreneurs de leur activité laborieuse. En effet, l’appropriation collective du travail et de ses outils restera purement formelle tant que les individus ne vivront pas concrètement cette appropriation : il ne suffit donc pas que la révolution les ait seulement fait passer du rôle de salariés exploités par le capital au rôle, quelque peu empreint de passivité lui aussi, de fonctionnaires ou de quasi-fonctionnaires de l’Etat, fût-il socialiste59. L’appropriation collective et personnelle du travail par les travailleurs de la société socialiste signifie que, tendanciellement au moins, le travailleur devient co-constructeur, voire idéalement, coconcepteur de l’objet ou du service produit par lui de manière que, comme l’avait rêvé Marx, et avant lui Fourier, le travail lui-même, aujourd’hui souvent corvée, voire torture, et surtout simple moyen de gagner sa vie, devienne « le premier besoin humain » : c’est déjà le cas comme on sait, de l’artiste ou du chercheur60. Cela donnerait à la société de demain – comme c’était déjà du reste un point fort des socialismes de première génération – de lourdes mais stimulantes responsabilités en matière de formation permanente et continue, voire de recherche partagée, voire de transmission des savoir-faire et de surplomb historique par les vieux travailleurs.
Cela signifierait aussi, comme s’y efforçait Ernesto Guevara quand il dirigeait le ministère de l’Industrie à Cuba, articuler la production socialiste à la consommation non moins socialiste en réfléchissant aux stimulants moraux et matériels collectifs permettant de motiver les ateliers et autres équipes de travail (par ex. quand la récompense promise par l’Etat socialiste pour la réalisation qualitative et quantitative du Plan est la construction d’un cinéma de quartier, d’une crèche d’entreprise ou d’un dispensaire, voire l’attribution d’un voyage collectif pour des enfants ayant bien travaillé à l’école, etc.) pour combattre cette mort lente du socialisme à long terme : la passivité et l’aliénation de l’homme au travail.
Cela signifierait enfin, comme l’avait prôné Lénine à l’encontre du grand démocrate Trotski (qui voulait « militariser » les syndicats au début des années 1920), mais aussi contre Alexandra Kollontaï et l’Opposition ouvrière qui projetaient de confier aux syndicats le management des entreprises (ceux-ci devenant patrons de fait des entreprises, comme ce fut un temps le cas en Yougoslavie à l’époque de Tito, avec des effets délétères), proposer le soin aux syndicats des pays socialistes de « défendre l’Etat socialiste, tout en se défendant contre l’Etat socialiste », en clair, contre le bureaucratisme : ce dernier est en effet toujours possible tant que l’on n’a pas encore surmonté cette contradiction objective que constituer, en pays socialiste, le paradoxe d’une classe dominante – la classe ouvrière – qui est initialement une classe d’exécutants et de subalternes. On éviterait ainsi le double écueil qui a, par ex., plombé le développement de la Pologne populaire, celui qui consista à faire des syndicats rouges des courroies de transmission passives de l’Etat, mais celui aussi qui, à l’inverse, vit le « syndicat » polonais réactionnaire Solidarnosc servir de machine de guerre contre-révolutionnaire à l’Eglise et à la CIA.
A propos du « marché » en régime socialiste
Enfin, du moment que les moyens macroéconomiques et politiques sont aux mains de l’Etat populaire et que le peuple est armé dans les quartiers et les entreprises, du moment aussi que le Parti, que le Front patriotique et populaire, que les associations de masse socialistes qui l’accompagnent et que les syndicats rouges qui défendent le socialisme tout en l’aiguillonnant, jouent pleinement leur rôle, il n’y a pas lieu de craindre que, durant la période transitoire plus ou moins longue qui suivra l’avènement du pouvoir populaire, le marché, enfin affranchi de la tutelle des trusts et régulé par des normes sociales, civiques et écologiques strictes, n’ait à jouer pleinement son rôle de micro-régulation et d’ajustement « sur mesure » entre l’offre et la demande, entre l’état évolutif des besoins sociaux et la dynamique propre aux forces productives, elles aussi toujours en devenir : bienvenue, donc, dans le socialisme à venir, aux petits entrepreneurs hardis et débrouillards, aux petits commerçants dégourdis, aux professions libérales expertes61 et au libre choix entre eux des clients potentiels, tout au moins aussi longtemps qu’il apparaîtra qu’une socialisation plus approfondie de ces secteurs ne pourra pas s’avérer plus efficace qu’eux, et de manière telle que les artisans, paysans et professions libérales, qui jusqu’à preuve du contraire vivent de leur travail et rendent service à la société, n’aient eux-mêmes clairement, et sans contrainte s’exerçant d’en haut, à y trouver avantage pour eux-mêmes.
Ce serait en effet pur idéalisme que de s’imaginer que « le Plan » socialiste pût prévoir et régler d’avance toutes les situations économiques et techniques : comme le savent tous les jeunes architectes d’aujourd’hui, le « chantier » et ses novations de terrain, ne cessent ni ne doivent cesser de rétroagir sur le « projet » architectural, sans parler des aléas inhérents à toute production qui relève toujours d’une interaction non totalement maîtrisable d’avance entre l’homme et l’autre homme, entre le producteur et le consommateur, entre l’homme et la nature : c’est ce que sait d’expérience n’importe quel travailleur industriel, n’importe quel ouvrier forestier, n’importe quel agriculteur ou pêcheur, n’importe quel chef de chantier s’adaptant aux imprévus, n’importe quel ingénieur de production inventant, voire bricolant des solutions « ingénieuses », voire n’importe quel enseignant ou soignant œuvrant aux interfaces directs entre le projet initial et l’outillage in fine disponible, les rugosités de la « matière première », fût-elle humaine, les à-coups du prétendu « flux tendu », les (non-)complémentarités toujours fluctuantes des équipes de travail, voire l’évolution des besoins et des goûts du public. Prévoir intelligemment, c’est toujours du reste savoir dialectiquement que l’on ne peut tout prévoir et qu’il est prudent de laisser du « jeu », au sens quasi mécanique du mot, ainsi qu’ « une part de jeu », au sens plaisant et créatif du mot, dans le déroulé du travail, sans quoi celui-ci ne saurait être vécu comme une œuvre. Comme l’indiquait Mao, à une époque où il était encore pleinement marxiste et matérialiste, « les idées justes viennent de la pratique et y retournent »…
Enfin et surtout, il ne faut pas fétichiser le socialisme-communisme lui-même comme le faisaient les socialistes utopiques d’avant Marx : le socialisme n’est pas une religion et il n’a de sens, comme l’a montré Marx, que pour autant qu’il permet effectivement de résoudre les problèmes sociaux venus objectivement à maturité ; si par ex., il est indispensable de socialiser sans retard et en profondeur les grands moyens de production, c’est parce qu’ils sont déjà largement présocialisés de fait et que la propriété bourgeoise des infrastructures nationales (rails, routes, ports, centrales nucléaires…), des usines stratégiques et des banques est depuis longtemps devenue un obstacle rédhibitoire à un développement social soutenable et équilibré. Il se peut du reste – et la chose est à voir au cas par cas sans lunettes dogmatiques – qu’un secteur économique donné, par ex. celui de la réparation informatique, ou telle production halieutique – fonctionne telle quelle correctement et à l’avantage de tous à l’abri de la grande production socialiste : par ex., s’agissant des marins-pêcheurs ou des petits et moyens agriculteurs, qu’ils puissent fonctionner tels quels à la satisfaction générale et à l’abri de la future nationalisation démocratique du commerce de gros, du commerce extérieur et de la grande distribution : dans ce cas, nationaliser les petits et moyens agriculteurs apparaîtrait à tous comme contre-productif, punitif, dangereux politiquement et inefficace pour la société dogmatiquement privée de la souplesse et de la micro-adaptation au terrain, au terrains et aux aléas productifs que comporte tel ou tel type de micro-entreprise, tout au moins dans des conditions d’espace et de temps données. Il serait même sage de prévoir que, dans la société socialiste future, une part peut-être irréductible de la main-d’œuvre ne se fera pas rapidement à la discipline productive d’une production planifiée et, à l’admiration de Marx, Charles Fourier avait même prévu que ses futurs « phalanstères » fissent une place aux travailleurs aventureux épris de nomadisme et porteurs de cette « passion » gaie qu’il appelait joliment la « papillonne »…
Il faut alors plutôt, non pas imposer, mais proposer aux petits producteurs de se constituer en coopératives dotées par l’Etat socialiste à venir des moyens technologiques dernier cri de manière à créer des passerelles entre la petite production et la grande, entre les petits entrepreneurs et la classe ouvrière, sans forcément créer des mastodontes inefficaces ni rejeter impolitiquement des millions de gens dans l’opposition sociale larvée, voire dans le sabotage et le coulage discret de la production. L’essentiel étant, on l’aura compris, que les grands moyens de production, ceux qui sont historiquement stratégiques car leur maîtrise ou leur non-maîtrise peut permettre d’orienter la société, soit vers la satisfaction des besoins sociaux (mode de production socialiste-communiste), soit vers le tout-profit. C’est par ex. ce qui s’est passé à Cuba où, malgré l’élargissement du domaine ouvert à l’entreprise privée individuelle, l’essentiel de l’économie est demeuré propriété d’Etat tandis que le secteur des très petites entreprises était largement rendu au marché, quitte à faire ou pas ses preuves au service de tous. Bien entendu, il ne faut nullement idéaliser cette situation qui comporte sa part de contradictions si, par ex., l’argent obtenu par les petits producteurs leur permet de se lancer dans l’accumulation capitaliste ou s’il sert à corrompre des fonctionnaires pour détourner des matières premières utiles au secteur d’Etat en les déroutant vers le privé : en l’occurrence, et dans l’intérêt même des petite producteurs et de leur concurrence… non faussée, les fonctions générales de la dictature du prolétariat devront donc rester vigilantes et en bon état de marche…
De manière très générale et principielle, que ce soit dans le cadre des secteurs-clés nationalisés de l’économie, du marché de détail s’articulant aux PME, PMI et autres TPME, voire des « ateliers » industriels et autres services autogérés s’insérant souplement dans les objectifs généraux du Plan (à la manière, combien plus démocratique cependant, du « management participatif par objectifs » en usage sous le capitalisme..), il faut garder à l’esprit que le socialisme-communisme n’a jamais été conçu par Marx, Engels ou Lénine comme une pesante machine à brider l’initiative populaire, encore moins à brimer l’initiative individuelle, ni, a fortiori, la créativité artistique ou scientifique partout où elle peut s’avérer efficace : c’est l’inverse qui est vrai, comme y insistaient du reste les derniers articles écrits par Lénine déjà malade et intitulés La grande initiative, Mieux vaut moins mais mieux, De la Coopération. Car le socialisme de l’avenir ne sera irréversiblement prémuni des tentatives de restauration capitaliste que lorsqu’il sera pleinement établi que les ex-prolétaires devenus « coopérateurs civilisés » (Lénine) ou « producteurs associés » (Marx) ressentiront profondément au quotidien que la propriété sociale des moyens de production (ou que leur propriété individuelle s’abritant sous le parapluie socialiste) leur offre plus d’opportunités d’entreprendre et de créer collectivement, donc de s’accomplir, que ne pouvait le permettre la société capitaliste néo-libérale (quoique de moins en moins… libérale !) réduisant de plus en plus l’autonomie des travailleurs précarisés, surexploités et caporalisés.
- « Inter-patriotisme » prolétarien et populaire contre cosmopolitisme capitaliste mâtiné de nationalisme bourgeois
Parce que l’opposition abstraite entre « le » patriotisme » et « le » mondialisme est une fausse fenêtre dissimulant l’antagonisme objectif mettant aux prises le Capital et le Travail, il nous faut réapprendre à opposer, comme surent le faire jadis le PCF et l’Internationale communiste, le cosmopolitisme capitaliste flanqué de ses succursales xénophobes (voire fascistes !), au patriotisme démocratique et populaire allié à l’internationalisme prolétarien de nouvelle génération tel qu’il ne peut que résulter de la transnationalisation galopante du capital. Du reste, le philosophe communiste Georges Politzer expliquait déjà en 1939, à la veille de l’invasion hitlérienne de la France, qu’il n’existe aucune contradiction antagonique entre le peuple travailleur et la nation (« la nation, c’est le peuple »), entre la classe laborieuse de France ralliant potentiellement autour d’elle tous les patriotes antifascistes du pays et le prolétariat antifasciste des autres pays, Espagne républicaine en tête. Comme le faisaient à la même époque le Français Thorez et le Bulgare Dimitrov, Politzer voulait mettre en synergie la nation populaire et l’Internationale communiste et il prétendait opposer, selon une ligne de classe matérialiste, l’internationalisme prolétarien au cosmopolitisme capitaliste, de même qu’il invitait chacun à opposer le patriotisme populaire et antifasciste au nationalisme xénophobe et réactionnaire.
Il ne s’agit pas là seulement d’un retour obligé au mode de raisonnement dia-matérialiste que devrait maîtriser tout militant se réclamant du marxisme, mais bien d’une réalité de fer qu’a validée mille fois l’expérience historique et que confirme encore aujourd’hui l’expérience des luttes : on voit en effet chaque jour les partis « nationalistes » bourgeois (Rassemblement lepéniste, ultra-droite néo-mussolinienne de Meloni…) rallier à grand pas la « construction » euro-atlantique en raison d’irrésistibles pesanteurs de classe pesant sur l’extrême droite ; en sens inverse, les partis euro-mondialistes conduits par les Macron, les U. von der Leyen et autres Mario Draghi tendent la main à l’ultra-droite au Parlement européen, voire collaborent avec de francs admirateurs des nazis de l’Ukraine aux pays baltes en passant par l’Autriche. On peut affirmer la réciproque à propos du prétendu « nationalisme intégral » cher à Charles Maurras : ce « nationalisme » étrange n’aura pas tardé à jeter le chef de file de l’Action française dans les pattes du nazisme (ce qui lui a valu l’ « indignité nationale » en 1945…) tandis qu’à l’inverse les ouvriers et paysans communistes, que les anticommunistes qualifiaient de « mauvais Français », sont vaillamment « montés de la mine » et « descendus des collines » quand il l’a fallu pour créer les Francs-Tireurs et Partisans de France, les FTP-MOI, puis créer le Front National pour l’Indépendance de la France qui dégagea la voie du futur CNR… Comment oublier par ailleurs que toute la tradition communiste du XXème siècle, de la contre-offensive soviétique qui mena l’Armée rouge de Moscou à Berlin à la Révolution chinoise, et de la victoire du Vietnam socialiste au triomphe de la Révolution cubaine en passant par les révolutions populaires d’Afrique (de l’Angola au Burkina Faso) a constamment su combiner les luttes internationalistes aux luttes patriotiques. Cette alliance invincible qu’avait déjà appelée de ses vœux Jean Jaurès (« L’émancipation nationale est le socle de l’émancipation sociale », affirmait-il) reste un levier émancipateur majeur à l’heure où, pour conjurer la guerre mondiale qui menace à nouveau sur fond de fascisation, d’escalade généralisée et d’euro-dissolution des nations souveraines, il faut que convergent le grand élan gréviste résurgent du prolétariat mondial (cf. supra) et le vaste mouvement contre-hégémonique du Sud et de l’Eurasie momentanément groupés derrière les BRICS sur le mot d’ordre, du reste encore bien flou, de « multilatéralisme » ?
- Révolution sociopolitique et révolution anthropologique
La dimension exterministe envahissante et proliférante du capitalisme-impérialisme contemporain soumet objectivement l’humanité à la lancinante question d’Hamlet : « Veux-tu être ou ne pas être ? » et, si tu veux être, « que veux-tu donc être et à quelle fin le et te veux-tu ? ». Portant à la fois sur l’existence et sur l’essence, ce questionnement d’ampleur shakespearienne porte sur le sens de l’histoire, voire sur celui de la vie en général. Les enjeux de classes n’ont donc jamais été aussi radicaux et, symétriquement, les questionnements existentiels n’ont jamais comporté une telle dimension de classe(s) – sans parler de leur impact pratique brûlant ; car si rien n’est fait à temps, il y va à court terme de la vie de chacun, ce qui rend d’avance dérisoire toute tentative de dépolitiser ces questions de sens en les rabattant ridiculement sur le « coaching », sur le « développement personnel » ou sur la « philosophie » au rabais des vendeurs de « Traités des petites vertus ». En effet, si l’on suit jusqu’au bout la ligne de classe que dessine objectivement le capitalisme-impérialisme « moderne », on se dirige sans s’en douter, soit vers la fin de l’humanité par extermination (par ex. à l’issue d’une guerre nucléaire et de ses effets directs ou différés) ou bien par exténuation (par ex. par épuisement et gaspillage irréversible des ressources terrestres), soit vers cette autre forme de « mauvaise » fin de l’humanité qui résulterait de la déshumanisation radicale des Homo Sapiens présents ou à venir. Celle-ci pourrait en effet intervenir, soit par la chosification-marchandisation massive des ex-êtres humains (du type du Meilleur des mondes anticipé par Huxley), soit par le bouturage et la modification irresponsables du génome humain (« transhumanisme », « hommes augmentés » ou… diminués, comme l’envisageaient déjà sous une forme plus rustiques les eugénistes du Troisième Reich…), soit par la destruction hasardeuse de tous les fondamentaux biologiques, anatomiques et culturels qui, pris dans leur cohérence, permettent l’émergence du phénomène humain en général et celle de l’historicité en particulier, cette condition générale de l’émancipation humaine.
Bien entendu, il serait stupide de prohiber a priori tels ou tels « cisaillages » biogénétiques strictement encadrés dont le but fût uniquement de permettre à certains humains, et notamment à de malheureux enfants, d’échapper aux terribles handicaps radicalement contraires à leur liberté et à leur épanouissement que leur infligerait telle maladie génétique lourde ; gardons-nous pour autant de manière générale, et gardons-nous plus encore sous l’actuel régime capitaliste en phase dégénérative et toxique, d’ouvrir la voie au bouleversement à l’aveugle (par ex. en suivant ces « lois du marché » qu’annonce toujours insidieusement le mot « libéralisation »…) du socle génético-anatomique général de notre espèce : en effet, sa consolidation aura permis, au fil de centimillénaires d’évolution biologique, à un embranchement de primates africains de devenir franchement bipèdes, d’affranchir leurs membres antérieurs de la plupart de leurs ex-tâches locomotrices, de libérer leur « gueule » devenue face puis « visage », des fonctions agonistiques ou préhensiles, d’articuler et de combiner des sons, de connaître, dans la foulée de leur redressement vertébral et du déplacement concomitant de leur trou occipital, un fort développement encéphalique, de donner progressivement naissance à des rejetons structurellement prématurés (ce qui leur permet de jouir d’une enfance relativement très longue, donc propice aux transmissions culturelles et aux apprentissages sociaux), tout cela résultant pour chaque petit d’homme du croisement initial aléatoire d’un ovule et d’un spermatozoïde issu de sujets différents. En effet, c’est globalement l’émergence du « dispositif corporel de l’Homo sapiens », et sans doute avant lui, du Néandertalien, qui aura permis à nos ancêtres, au fil d’une hominisation multimillénaire, de décaler l’axe principal de leurs transformations, disons, « éthologiques », du seul régime de l’évolution biologique lente et aveugle qui caractérise les animaux non humains, au mode de développement proprement humain, mieux, humanisant, plus rapide et potentiellement contrôlable qui caractérise le progrès technique potentiellement cumulatif ; et avec lui l’émergence en grand de l’héritage socioculturel cumulable car extérieur aux corps individuels et totalement transmissible hors ADN. Bref, ne laissons pas le grand capital et ses mercantis jouer des ciseaux ou des « crispers » génétique de manière précipitée en touchant au dispositif hominisant qui porte les bases génético-anatomiques, sinon de l’historicité proprement dite, du moins de sa possibilité biologique générale…
Pour peu que l’on ait pris toute la mesure de ces données anthropologiques à la fois contraignantes et virtuellement libératrices, on conviendra alors qu’il serait immoral de qualifier automatiquement de « liberté nouvelle » telle ou telle technologie nouvelle qui fût conçue de façon telle qu’elle eût toutes chances de saper les conditions générales de la culture, de l’héritage et de l’historicité (en entendant par ce mot l’aptitude que possède l’homme à se transformer lui-même tout en transformant le monde), ou qu’elle soit telle qu’elle pût menacer et très gravement corseter a priori l’exercice même de la liberté individuelle d’un enfant à naître : par ex. on ne devrait jamais rien admettre, ou tout du moins, il faudrait très fortement encadrer a priori, toute espèce de « traitement » qui pût permettre de programmer génétiquement (ou épigénétiquement) tel embryon humain en vue de l’exercice exclusif d’une fonction sociale dégradante (tel est le lot des nourrissons notés Epsilon et couvés dans des machines spécifiques dans le Meilleur des mondes d’Huxley). En la matière, le principe éthique devrait strictement rester conforme à l’impératif catégorique qu’a dégagé Kant dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs et que Marx a validé par la suite sous une forme moins abstraite et plus sociopolitique dans le Manifeste du parti communiste62, à savoir : Traite toujours autrui, et traite-toi toujours toi-même « comme une fin, jamais seulement comme un moyen ». C’est-à-dire traite-toi et traite autrui comme une personne et non comme une simple chose programmable et marchandisable à merci !
On peut également dégrader radicalement l’humain, voire à terme, déshumaniser (en essence et dignité) massivement l’humanité (considérée comme « multitude ») en s’attaquant aux fondamentaux anthropologiques de la culture dans sa capacité structurelle illimitée de variation et de réinvention. Songeons d’abord à la tendance générale du capitalisme, dès longtemps soumis par sa logique intime à la baisse tendancielle du taux de profit moyen, à expulser l’homme du cœur de la production, qu’il se soit d’abord agi des paysans, des éleveurs, des artisans, puis des ouvriers de l’industrie et du transport, mais qu’il s’agisse demain aussi des salariés du commerce, des employés des « services » (écoles par ex.), des professionnels du soin ou de la masse des cadres moyens, en déclassant massivement, moyennant un recours massif à l’IA et à la robotique, la grande majorité des salariés y compris pour finir des salariés hautement diplômés. Déjà largement engagé, ce dévoiement capitaliste des technologies, que tant d’intellectuels sociaux-démocrates ont justifié hier au nom du « progrès » tant que ce dernier ne les affectait pas personnellement, permettrait à terme aux oligarques de transformer des milliards de prolétaires, de petits fonctionnaires et de petits patrons en une immense foule de plébéiens à la romaine (qui plus est « inutile » et « surnuméraire » au goût des néo-patriciens oligarchiques !) tout en produisant une crise de surproduction sans précédent, plus personne n’ayant les moyens d’acheter les productions effectuées dans l’intervention des travailleurs. Cela permettrait certes du même coup au capital de surexploiter sans limites les prolétaires très minoritaires qui continueraient à générer une énorme plus-value tout en subissant des conditions de travail accablantes. Bref, et au nom du « progrès » s’il vous plait, exclusion sociale massive pour les uns, esclavage de fait pour les autres, réduction de principe au statut d’objets jetables et indéfiniment substituables pour presque tous…
Il ne serait certes pas moins imprudent d’entreprendre de bouleverser, au nom d’une « liberté » caracolante et débridée, les fondamentaux anthropologiques de notre espèce avant même d’avoir occis le capitalisme et éliminé irréversiblement l’exploitation de l’homme par l’homme ; en effet, ce type d’entreprise plus « faustien », au sens goethéen du mot, qu’authentiquement prométhéen, reviendrait à mandater l’aveugle « marché » capitaliste (travesti pour l’occasion en « liberté totale de l’individu ») ainsi que le capitalisme exterministe (fût-ce sous un masque « progressiste » et « sociétal ») pour dégrader, amputer ou liquider au petit bonheur les bases anthropiques de la condition humaine et pour, en fait, nous faire tous régresser vers une condition globalement bien plus… inhumaine ou post-humaine. Prenons l’exemple à ce sujet de la reproduction sexuée63 qui est depuis toujours l’une des bases de notre humaine condition : son existence garantit par ex. à tout nouveau-né humain la possibilité d’être unique sur Terre (sauf gémellité monozygote, et encore !) ; en clair de n’être ni le clone de sa mère ni la sœur de sa propre fille ; bref d’accéder, contrairement à d’innombrables espèces de microbes chez qui la reproduction sexuée n’existe pas ou n’existe pas de manière développée, et où la reproduction s’opère surtout par la mitose d’une seule et même cellule, à une individualité vraie (en tant que la personnalité humaine est censée reposer sur un minimum d’originalité, donc d’irremplaçabilité ontologique). Surtout, le salutaire aléa inhérent à la reproduction sexuée (deux gamètes non prédestinés l’un à l’autre, l’un mâle, l’autre femelle, se rencontrant au hasard, du moins en règle générale, et mélangeant leurs gènes) permet à chaque individu humain (et en amont de l’humanité, à chaque espèce d’animaux un peu complexes : mammifères, oiseaux, voire reptiles, etc.) de se distinguer principiellement de l’existence pseudo-individuée qui caractérise les éléments d’une collection d’objets interchangeables.
Dans le cadre au contraire d’une future reproduction quasi-industrialisée de vivants formellement « humains », l’objet final du procès de production (le futur produit-marchandise) serait entièrement planifié, tel Athéna jaillissant tout armée du cerveau de Zeus, par telle ou telle agence productive agissant sur commandes mercantiles au moyen d’un appareillage approprié. Bref, la production d’enfants remplacerait alors la reproduction avec ses aléas parfois tragiques, mais souvent charmants : rencontre amoureuse, plaisir d’amour, enfantement, etc.64 Car l’enfant à naître, que le défunt Dr Claude-Emile Tourné, médecin communiste et obstétricien d’avant-garde, appelait « le Naissant », est toujours pour partie une surprise, voire, si l’on ose dire, un « heureux avènement », dont on ne peut même pas prédire avant qu’il ne soit formé la plus grande différence qui puisse distinguer en moyenne deux humains en bonne santé : son sexe65.Imaginons qu’à l’avenir – et l’on peut aller très vite vers cela, notamment aux USA où l’argent décide de tout et où les comités d’éthique sont rares et impuissants – l’on puisse intégralement opérer la reproduction in vitro et par présélection préalable des gamètes et/ou des ADN parentaux : la naissance cesserait alors d’être un évènement. Au pire, les bébés à naître, que l’on pourrait, pourquoi pas, fabriquer en fonction de tâches hiérarchisées et préassignées, ne seraient plus des sujets, sauf par l’apparence (ils parleraient, comme font déjà les robots), mais des objets « de série » hautement sophistiqués. Comme tels, leur valeur proprement personnelle, et plus seulement professionnelle, serait du reste amenée à fluctuer sur le marché de la force de (non-)-Travail. En conséquence, de tels enfants « produits » quasi industriellement (ou artisanalement s’agissant des couples, voire des individus riches qui voudraient un enfant « cousu main » et « fait sur-mesure »…) deviendraient logiquement achetables, donc évaluables, dans leur être et plus seulement, comme c’est déjà tristement le cas dans le capitalisme actuel, dans leurs qualifications professionnelles évolutives et par la cotation modulable de leur force de travail. On aurait ainsi, très « progressistement » et très « sociétalement », et au nom même de la Liberté avec un « L », viré l’humanité et… rétabli subrepticement l’esclavage consistant à vendre de la chair fraiche sur un marché !
Ce n’est pas tout : établi séparément par Freud (exploration psychanalytique de l’inconscient) et par l’école ethnologique de Lévi-Strauss (le créateur de l’anthropologie structurale), l’un des acquis des sciences humaines du XXème siècle aura consisté à mettre en évidence le rôle socioculturel universel de la sexuation dans la transformation du petit d’homme en un sujet social parlant (ce rôle fût-il sans cesse modulé et remodelé par l’ordre symbolique et idéologique propre à chaque groupe humain). Par ex., pas de société humaine connue sans mise en place de la double parenté, consanguine et par alliance, sans « échange » structuré et structurant d’hommes et de femmes entre des groupes humains divers (donc sans exogamie et refus de l’entre-soi), sans « arrachage » symbolique de l’enfant au risque de son enfermement dans une relation purement duelle avec le père ou la mère. Conséquemment, pas d’humanisation du petit d’homme par l’intercession du langage et l’immixtion salutaire du tiers dans la relation entre l’enfant et le monde, pas de « jeu » permanent de la nature et de l’interdit66 qui en résulte avec le risque du parricide(et du matricide : le deuil ne sied pas à Electre !), pas de prohibition de l’inceste67, et conséquemment, pas de forme indéfiniment variable de « refoulement » structurel permettant à chacun/e de se délier de son origine naturelle et d’errer, tel l’Œdipe de Sophocle, sur les routes non balisées de l’existence. Un Œdipe devenu définitivement aveugle à son point-origine (le point aveugle est requis pour n’être point aveugle !), mais avançant par lui-même sur les chemins de l’existence en abandonnant père, frères, sœurs et mère pour chercher à son tour l’autre qui lui convient au risque de recevoir et de donner à son tour (ou non s’il choisit de ne « procréer que selon l’esprit », comme disait Platon) la vie en toute ingratitude, « pardonnant » leur mauvaise blague à ses parents et provisoirement méconnu de ses enfants, comme il est de règle chez les humains…
Qu’il s’agisse ici de combattre les préjugés antiques privilégiant l’homme aux dépens de la femme (patriarcat) ou aboutissant à criminaliser (ou, à l’inverse, à valoriser dans certaines sphères sociales…) le célibat définitif, la virginité à vie, ou, sur un autre plan, l’homosexualité, la bisexualité voire la transsexualité (cf. les héros grecs mythiques Tirésias ou l’Hermaphrodite), etc., ce serait faire injure au lecteur éclairé que d’en débattre ici : l’égale dignité des personnes et de leurs penchants intimes, pour peu qu’elles n’attentent pas à la vie ou à la dignité d’autrui, n’est pas pour nous, un « sujet »… c’est le cas de le dire ! Cette égale dignité pour tous qui découle de notre statut de sujet parlants (car, structurellement et à tout moment, le Je parlant peut s’inverser en un Tu écoutant) est au contraire la condition même d’une subjectivité consistante et d’une intersubjectivité accomplie. Nous nous contenterons donc ici d’inviter le lecteur à ne pas réduire précipitamment le sexe au genre comme c’est souvent le cas aujourd’hui à la suite des travaux idéalistes et conceptuellement confus de Judith Butler68 au point que désormais, dans nombre de syndicats, on croit judicieux de remplacer systématiquement le mot sexe par le mot genre dans les statuts de l’organisation. Mais, d’une part, il convient de ne pas réduire le genre à de purs effets langagiers et superstructurels tout en ignorant les données socioéconomiques de la différenciation générique, d’autre part, de ne pas dématérialiser et dé-biologiser indûment le concept de sexe au risque de dissoudre les revendications proprement féminines dans celles, liées à elles mais distinctes d’elles, des luttes contre l’homophobie et la transphobie.
En effet, s’il convient de « déconstruire » impitoyablement les stéréotypes culturels et socioéconomiques liés au genre en tant que certains d’entre eux oppriment à la fois l’homme et la femme, il n’en faut pas moins défendre spécifiquement les femmes comme telles contre la maltraitance directe ou insidieuse qu’elles subissent encore massivement au travail, dans le rapport aux enfants ou dans le cadre familial, ou, plus directement encore, dans le rapport à leur propre corps : qui ne voit par ex. que la prise en compte (par ex. syndicale) de la menstruation, de la grossesse, de l’accouchement, de l’allaitement, de la ménopause, des cancers du sein et de l’utérus, etc. et les revendications sociales y afférentes qui n’ont cessé d’accompagner de manière pressante les luttes du prolétariat féminin (ou la mise en place d’un sport féminin spécifique), ne peuvent se satisfaire d’un concept de genre entièrement découplé du concept de sexe ?
Pas plus qu’il ne convient de rabattre le genre socioculturel sur le sexe biologique comme s’y évertuent les idéologues réactionnaires refusant d’entendre le(ur propre ?) « trouble dans le genre » (Butler) au risque d’essentialiser et de naturaliser les oppressions génériques historiquement formées, il ne faut symétriquement nier la réalité biologique des sexes pour lui substituer celle des genres socioculturels comme si la nature (la génétique, l’anatomie, la physiologie, voire la chimie des hormones…) n’existait pas, ce qui constitue une démarche immatérialiste caractéristique de nos temps nihilistes empreints d’idéologie néo-magique (« Je suis ce que j’affirme être », comme si les mots changeaient d’eux-mêmes les choses : « que la lumière soit ! »…).
Non seulement rappeler ces évidences premières ne signifie en rien dévaloriser les personnes dites transgenres ou mépriser leur souffrance et leur « dysphorie », mais c’est l’inverse qui est vrai : le fait que certains individus génétiquement constatés XX ou XY69 se sentent pleinement de l’autre sexe et qu’ils veuillent, non seulement changer leur identité juridique et sociale conçue stricto sensu, mais qu’ils souhaitent aussi changer, souvent au prix d’épreuves physiques pénibles (ablation des gonades abhorrées ou des glandes mammaires, traitements hormonaux durables), de sexe anatomique visible (et, si cela devenait un jour possible, on ne sait comment, de sexe chromosomique…) prouve au contraire que pour ces personnes, changer de genre socioculturel ne saurait suffire si elles ne changent aussi de « sexe » proprement dit dans la foulée. Loin de signifier un quelconque mépris à l’encontre de ces personnes, ce constat démontre irréfutablement que le genre social ne se réduit pas plus au sexe biologique que ce dernier ne se réduit au premier : au contraire, loin de s’opposer et/ou de se télescoper, les deux termes s’articulent conceptuellement, dynamiquement et historiquement : et c’est bien ce que, à sa manière et en recourant au concept de division du travail, a jadis tenté d’établir Engels dans son livre d’avant-garde L’origine de la famille, de la propriété et de l’Etat70.
- L’exemple de la bioéthique : défendre en l’homme cette finitude naturelle qui permet l’ouverture infinie de la culture vers l’historicité
D’extension en apparence très limitée et de portée statistiquement ultra-minoritaire (la masse des individus, homosexuel(le)s inclus(es), s’accommode de son sexe de naissance, ou du moins, « fait avec »), la question du transsexualisme ouvre en fait sur un questionnement anthropologique bien plus global, si ce n’est vertigineux : elle nous force en effet à concevoir théoriquement, à baliser éthiquement et à cadrer politiquement à partir de principes objectivement universalisables le pouvoir virtuellement illimité et d’aspect quasi magique que les techniques médicales et chirurgicales modernes, et plus encore, les fulgurantes biotechnologies émergentes, pourraient permettre à notre espèce d’exercer à l’avenir sur son propre capital génético-anatomique et, plus gravement, sur le capital génétique ci-devant commun de l’espèce. Pourtant, et à bien y réfléchir, serait-ce donc un si grand « cadeau » pour notre espèce et pour chacun des individus qui la composent que d’avoir désormais le pouvoir de répudier, de trier, de découper, voire de court-circuiter ad libitum l’héritage évolutif commun d’Homo Sapiens en fonction de besoins à court terme, voire, dans certains cas-limites (homme augmenté du transhumanisme, dystopies « bioniques » telles que la science-fiction les cauchemarde depuis longtemps…), au gré des fantasmes les plus pervers de chacun, tout cela dans l’espoir quasi luciférien et empreint d’hubris de nous diviniser (ou de diviniser tel ou tel…) en nous « recréant » et en nous dilatant à volonté et sans « lignes rouges fixées a priori », comme dirait Macron évoquant les guerres en cours, la course à l’hégémonie mondiale et au profit maximal demeurant par ailleurs, comme c’est le cas présentement, l’horizon global de l’humanité ? C’est du reste ce type de mauvais infini, pour parler comme le dialecticien allemand Hegel, voire de démesure passablement affolante, qu’expérimente en sa chair depuis des décennies l’auto-sculptrice Orlan au moyen d’interventions esthétiques opérées sur son propre corps et consciemment dirigées par l’autrice placée sous anesthésie locale… Au fond, ne sommes-nous pas en présence d’une forme d’aboutissement logique à la célèbre thèse de la philosophe existentialiste Simone de Beauvoir affirmant dans Le deuxième sexe que l’« on ne naît pas femme, on le devient » ? On sait en effet que cette citation-culte des classes terminales a tenté d’ajuster au féminisme moderne la parole très générale d’Erasme, ce co-fondateur de l’humanisme moderne avec Martin Luther et François Rabelais, selon lequel on ne naît pas être humain, on le devient (sous-entendu : par la culture) ; Blaise Pascal a osé par la suite radicaliser le propos en affirmant dans la préface de son Traité du vide que « l’homme n’est produit que pour l’infinité » ? De tels questionnements ne sauraient laisser indifférents les militants et les intellectuels œuvrant pour l’émancipation universelle et il faut savoir gré à la réflexion sur le transsexualisme, et plus généralement, à la pensée humaniste pluriséculaire qui a suscité ce trouble général, non pas « sur le genre » seulement, mais sur la « nature humaine » en général, d’inviter l’ensemble des membres du « genre humain », dont le concept moral excède largement celui de l’espèce humaine biologique, à prendre position sur ce qu’il faut bien nommer la dialectique du finitude et de l’infinitude en matière d’auto-transformation future de l’humanité.
En effet, le questionnement portant sur l’autodéfinition de l’humanité que soulèvent la bioéthique et la biopolitique ne peut que tendre à brouiller davantage les limites qui séparent et fusionnent à la fois les perspectives sociopolitiques (donc la stratégie géopolitique…) et les perspectives anthropologiques plus radicales encore que dessine en pointillés (pour l’instant, mais les choses iront vite !) l’accumulation précipitée des mutations biotechnologiques. Celles-ci pourraient ainsi permettre assez vite aux « individus libres » du « marché libre », voire aux monstrueux Etats impérialistes bousculant, compactant et pulvérisant tous les rythmes historiques, de percuter durement les bases biologico-éthologiques régissant depuis des millénaires la ci-devant « condition humaine » d’ores et déjà placée en état de lévitation… Sans qu’il soit permis de les amalgamer l’un à l’autre, le « trouble dans le genre » porté par l’existence du transsexualisme et, plus problématiquement, la question combien plus générale encore du transhumanisme nous forcent en effet à ne plus concevoir seulement la « nature humaine », voire la « condition humaine » qui s’en déduit pour partie, comme le cadre biologique précontraint d’une « destinée » préétablie, voire comme une forme de fatum à l’ancienne ; en effet, ces mutations technologiques en déploiement rapide débouchent sur la vertigineuse possibilité d’un déconfinement générique illimitédes rapports entre la structure générale du corps humain, le « dispositif corporel de l’Homo Sapiens » cher à André Leroi-Gourhan, et les vertigineuses transformations biomédicales que le XXIème siècle permet froidement d’envisager à propos de notre complexion physique d’ensemble : quitte à nous répéter, il ne s’agit plus alors seulement du « trouble dans le genre » cher aux amateurs de Gender Studies made in USA, mais d’un « trouble dans le genre » plus radical encore puisqu’il met en cause le devenir du genre humain confronté à la question de sa possible auto-(re)définition en droit illimitée. Avec, non pas à long, mais bien à moyen terme, la possibilité d’une révolution anthropologique (pourquoi pas du reste ?), mais aussi hélas, d’une contre-révolution politique complète, voire d’une totale autodestruction générique, surtout si ces bouleversements devenant peu à peu techniquement possibles doivent s’effectuer… en catastrophe sous l’égide de la course au profit maximal menée sous l’égide du capitalisme-impérialisme empreint d’exterminisme… Ainsi, même si les « études de genre » nourrissent souvent de sottes outrances contre-productives propres à nourrir de sinistres réactions essentialistes à la D. Trump (« il y a deux sexes, point final ! »), elles n’en ont pas moins le mérite de révéler l’existence sous-jacente de dynamiques historiques vertigineuses dont les racines remontent à dire vrai jusqu’à la Renaissance, à la Révolution copernicienne71 et à l’Âge classique ; car le projet humaniste global tel qu’il s’est dessiné à l’extrême fin du Moyen Âge comportait déjà la tentation de répudier l’idée, essentielle à la « sagesse » antique des Platon, Aristote, Epicure, Diogène et autre Zénon de Chypre, d’une nature humaine immuable, et ne faisant qu’un avec la « condition humaine », en lui opposant très concrètement un accès direct et ô combien tentant à l’infinitude (technique, mais pas seulement…). Or qui peut voir sans un frisson d’horreur que cette situation proprement vertigineuse ne pourra déboucher que sur le pire tant qu’elle gardera pour toile de fond l’accumulation capitaliste dénuée de tout sujet véritable72 comme de toutes finalités ou « lignes rouges » rationnellement débattues et démocratiquement arrêtées par l’ensemble des travailleurs devenus vraiment citoyens ?
Eh bien paradoxalement, il nous faudra ici pasticher une formule de Jean Jaurès relative aux rapports dialectique unissant le patriotisme à l’internationalisme : si un peu de prométhéisme sauvagement « infinitiste » peut nous éloigner d’une sage acceptation de notre finitude, une meilleure compréhension de ce que Hegel appelait le « bon infini » doit au contraire nous rapprocher de ce que nous avons par ailleurs dénommé la « Sagesse de la révolution »73. C’est en effet Platon, dans le « mythe » technicien qu’il expose dans son dialogue Protagoras, puis surtout, et sur des bases bien plus scientifiques, Friedrich Engels d’abord, André Leroi-Gourhan ensuite, qui ont solidement établi ceci : si une prise en compte superficielle de notre illimitation technico-culturelle quasi magique peut nous conduire à déchirer sauvagement (voire suicidairement !) les limites naturelles de la « condition humaine » et de l’ « ordre cosmique » qui lui est lié (cf. le mythe goethéen de l’Apprenti-sorcier), une compréhension plus dialectique de cette illimitation native devrait nous conduire au contraire à respecter, à ménager, à protéger prudemment, voire à reproduire sciemment et scientifiquement ces « limitations naturelles » elles-mêmes, dès lors librement posées et acceptées pour autant qu’elles conditionnent l’ouverture humaine en effet illimitée à l’historicité, et à travers elle, la possibilité générale de l’émancipation humaine au moyen d’une transformation révolutionnaire consciente, volontaire et collectivement assumée. Par ex. Platon indique (toujours dans son Protagoras) que, si l’homme avait été d’emblée doté par Zeus des « armes » dont la nature a obligeamment et anatomiquement équipé le corps des animaux non humains, crocs, griffes, fourrure, ailes, écailles, cornes, bec, venin, sabots, etc., alors l’obligeante intervention du Titan Prométhée allant dérober le feu des volcans pour aider l’homme nu à se chauffer, à éclairer sa nuit et à forger le métal, fût alors demeurée sans objet ; dès lors, ni la technique, ni les Cités livrées à l’historicité, ni le langage indispensable à l’homme pour « accorder les violons » avec ses compatriotes (en gros, la politique, qui vient boiteusement suppléer l’instinct…) ne fussent devenus nécessaires et possibles. C’est pourquoi symboliquement, Zeus condamnera Prométhée à être torturé sans fin pour avoir fait montre de démesure en extrayant l’homme nu de la pure nature au risque de le précipiter dans l’orbe périlleuse de la technique… et de la politique. Armé du matérialisme historique, de la dialectique de la nature et… du darwinisme, Engels expliquera par la suite, dans son remarquable article Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, comment l’évolution naturelle se dépassant dialectiquement elle-même a produit un être apte à produire un outillage stockable, améliorable et transmissible de génération en génération, ce qui aura permis à Sapiens de se munir d’un nouveau « corps » extra-biologique fait d’innombrables outils inséparablement assortis de leurs techniques de production et de leur mode d’emploi verbalement transmis. Dès lors, l’homme devient capable de produire les modifications rapides de sa propre essence (entretemps devenue irréductible à sa nature biologique et prenant ancrage dans « l’ensemble des rapports sociaux », comme Marx l’a exposé dans sa VIème Thèse contre Feuerbach) : en un mot, des modifications socioéconomiques et historico-culturelles qui forment en réalité le substrat de l’histoire prenant le relais de l’évolution naturelle. Quant à Leroi-Gourhan, qui fut à l’anthropologie et à la science préhistorique ce qu’un Lavoisier aura été à la chimie scientifique ou ce qu’un Maxwell aura été à l’électromagnétisme, il n’eut de cesse de montrer, nous l’avons vu, comment le dispositif corporel de Sapiens, lui-même pur produit de l’évolution naturelle, l’aura révolutionnairement arraché à l’ « ordre phylétique » de l’évolution naturelle pour le catapulter et le relancer dans l’ « ordre technique » des outils, des langages, des savoir-faire appris, transmis et éventuellement améliorés de génération en génération, bref, dans l’orbe de ces forces productives qui, en interaction dynamique (ou stationnaire selon les conditions locales) avec les rapports de classes, forment la base concrète de cette historicité qu’étudie le matérialisme historique.
La conséquence en est qu’il ne faut pas s’empresser de répudier, au nom d’un modernisme plat, ces « limitations » naturelles de l’humaine condition que du reste, les fondateurs même de l’humanisme, Erasme ou Montaigne notamment, n’ont jamais reniées. Souvenons-nous plutôt que, comme l’affirmait déjà le philosophe grec Anaxagore, « c’est parce qu’il dispose de mains que l’homme est intelligent » : sans elles en effet, pas de « production des moyens de production », pas d’ouverture au long cours, fût-ce en puissance, sur l’illimitation scientifique, technique et artistique, pas d’homme pascalien « produit pour l’infinité », pas de possibilité au long cours pour l’homme de se « faire soi-même » (au risque irréductible de s’autodétruire, bref, de faire de l’être ou bien du néant des choix et non un destin, comme l’est la vie des abeilles, celle des batraciens, ou comme le serait celle d’un « homme » ovinement programmé pour « faire le bien »). Là serait du reste la différence irréductible entre l’ « homme nouveau » d’une société communiste suscitant le libre épanouissement solidaire de chacun et le « néo-anthropien augmenté » (et/ou diminué !) d’une future non-société hyper-capitaliste qui aurait résolu de jeter l’humain par-dessus bord dans l’espoir de conjurer d’inéluctables mutineries prolétariennes…
La possibilité de l’historicité conçue comme auto-transformation collectivement assumée de l’essence humaine (ce qui constitue la plus haute visée du communisme révolutionnaire) comporte donc aussi paradoxalement un projet… conservateur au sens noble et hautement rationnel que comportait déjà la phrase subtilement dialectique du poète Arthur Rimbaud, pourtant rebelle entre les rebelles, selon laquelle…
« … il faut être résolument moderne : tenir le pas gagné ».
Car il n’est pas en soi vilain d’être « conservateur » (si et seulement si ce que l’on conserve est bon, voire… progressiste, qu’y a-t-il de honteux à le défendre comme on défendla Sécurité sociale, les retraites par répartition, la souveraineté de son pays ou la continuité de sa langue maternelle?) pas plus du reste qu’il n’est en soi intelligent de changer pour changer (si c’est pour aller vers le pire, par ex. en transformant l’homme en bête de somme, en automate ou en surhomme néo-hitlérien, quel intérêt, et surtout, quel intérêt pour qui ?). De manière plus sage mais pas moins révolutionnaire, il faut au contraire conserver ce qui, en l’humaine condition en tant qu’elle est attachée à une « nature », voire à « la » nature en général, permettra encore aux Sapiens présents et à venir de s’affermir dans l’historicité au long cours, c’est-à-dire de préserver à tout moment, pour lui-même et pour ses descendants, les conditions ci-devant naturelles de l’infinitude et de l’autocréation de l’homme par l’homme74. « Agis donc toujours, dirons-nous alors en pastichant l’impératif catégorique de Kant, de manière telle que la maxime de ton action ne détruise jamais les bases naturelles (à la fois environnementales et anthropiques) rendant possible la liberté de ton action ». Si bien que la bioéthique et la biopolitique, notamment celles qui veulent œuvrer à la préservation du vivant humain comme tel, sont régies par les mêmes règles formelles et régulatrices globales que celles que nous avions dessinées plus haut en étudiant la dialectique du communisme à venir dans son interaction avec le combat environnemental : désormais en effet, la nature, de même que « notre » nature, ne peuvent plus se présenter comme de simples données brutes préfixées et implicitement acceptées par tous à l’instar d’un « fatum » antique, comme ce fut le cas chez nos ancêtres « préhistoriques » (« religions de la nature », mythes premiers fixant d’avance et sans appel notre pauvre petit destin…). Au contraire, ces ci-devant « données naturelles » sont appelées, soit à disparaitre en entraînant à leur suite l’humanité, soit à devenir en droit des produits sociaux, des éléments « voulus » ou mieux encore, des conditions ci-devant naturelles « consciemment-reproduites » et agencées par l’action humaine : et cela quand bien nous n’y aurions matériellement et volontairement rien changé, l’acte productif humain consistant plutôt ici à détruire les forces de destruction desdites conditions ! Lesdites « données » naturelles changeraient alors révolutionnairement de statut en devenant des produits de la volonté humaine bien qu’en apparence, rien n’eût changé en elles, l’action consciente des « producteurs associés » du communisme futur devant viser, entre autres, à les conserver « telles quelles »…
Il y a en effet belle lurette qu’hélas, le naturel ne revient plus au galop après qu’il a été délogé de sa niche écologique par une intervention humaine (comme ce fut le cas durant des centaines de millénaires quand les humains ne pesaient pas encore bien lourd face à une « nature » archi-dominante et luxuriante). Aujourd’hui au contraire, pour que nature demeure… ou renaisse, il nous faudra sans trêve « cultiver notre jardin » terrien, que ce soit scientifiquement, techniquement ou politiquement : car si l’on laisse paresseusement agir la « force des choses » telle que nous la lègue le capitalisme dévastateur, ce qui reste du « jardin » sera vite remplacé par un mixte invivable de jungle, d’incendies… et de désert torride comme le montre emblématiquement l’autodestruction en cours de Los Angeles ou d’autres modernissimes « Mégalo-Pôles », s’il m’est permis de récrire ainsi ce mot galvaudé.
Il est cependant possible, nous l’avouons bien volontiers ici, que cette dialectique philosophique de portée très générale, ne soit pas politiquement « parlante » et efficiente à elle seule étant donné notamment qu’elle ne saurait prévoir tous les possibles que pourraient faire surgir au petit malheur le foisonnement des « progrès » à venir (sociaux, sociétaux, scientifiques, artistiques…). Du moins serait-il prudent de ne pas « mettre la charrue avant les bœufs » comme prétend le faire la « gauche » occidentale démarxisée et déprolétarisée qui proclame puérilement : menons d’abord à notre gré la révolution « sociétale » et anthropologique dont nous rêvons ; quant à la révolution populaire et aux fastidieuses revendications sociales, remettons cela à plus tard… Or, sous l’égide du tout-profit régissant jusqu’aux modes les plus anodines en apparence, notamment dans la jeunesse, la « révolution » anthropologique pourrait bien n’être que le double masque « sympa » de la contre-révolution sociopolitique et d’une contre-évolution anthropique inaperçue, si ce n’est celui de l’auto-destruction exterministe s’avançant à pas feutrés sous l’égide du « capitalisme de la séduction ». A l’arrivée, une dose de « conservation révolutionnaire » des conditions générales de l’hominisation pourrait donc s’avérer indispensable pour contrecarrer la « révolution conservatrice » véritable, celle, sombrement suicidaire et déshumanisante qu’ont engagée il y a quarante-cinq ans Thatcher et Reagan, et que ne manquera certes pas d’aggraver l’inquiétant Dr Trump…
C) Des outils de classe à reforger
- De l’incontournable reconstruction des avant-gardes
L’air pseudo-libertaire des temps présents est au spontanéisme, au « mouvementisme », aux « mobilisations numériques » et aux « mouvements gazeux », ces parangons de démocratie et de modernité en comparaison desquels le concept d’avant-garde éclairée (promu initialement par la philosophie des Lumières, de Diderot à Rousseau en passant par Condorcet) et le centralisme démocratique issu des révolutions jacobine (Robespierre) et bolchevique (Lénine) font tous figure d’épouvantails autoritaires (surtout quand ils sont caricaturés à plaisir par la gauche établie !). Après tout, le commandisme vertical assumé du « communisme de guerre » léninien précédant la NEP, la « brutalité » assumée de Joseph Staline, le dogmatisme philosophique, artistique et scientifique répulsif et policier d’un Jdanov ainsi que le concept paternaliste de « parti-guide » tel qu’il s’est imposé en France dans l’immédiat après-guerre75, sont d’autant moins propres à séduire la jeunesse que, depuis cinq décennies, les directions politico-syndicales du mouvement populaire, pas seulement en France, n’ont généré à la chaîne que des défaites cuisantes mâtinées de trahisons éhontées. Comment s’étonner alors si prédominent désormais en maint pays occidental le refus indiscriminé de la « délégation de pouvoir », le culte de la « démocratie directe » (Gilets jaunes) et l’exaltation romantique de l’ « insoumission » privilégiant le militantisme électronique censé encourager l’ « horizontalité » (apparente…) des décisions… Or, même si l’aspiration à la démocratie directe est très saine et légitime (Lénine appelait déjà à bâtir une société où « la cuisinière pût diriger l’Etat »), les illusions spontanéistes sont pires encore que le mal qu’elles prétendent traiter. On l’a vu à grande échelle avec les « Printemps arabes », des mouvements faisant parade de leur inorganisation et de leur spontanéité peuvent tout au plus lancer, voire accompagner telle ou telle insurrection provisoirement victorieuse (Tunisie), mais ils sont condamnés ensuite à la récupération par les forces réactionnaires (Syrie, Libye), à l’enlisement, à l’émiettement, voire à l’écrasement final par les forces hautement centralisées de la classe dominante organisée en Etat (Egypte par ex.). C’est encore plus flagrant dans notre période historique marquée par la fascisation et par les « révolutions orange » pilotées par la CIA sur fond de marche à la guerre mondiale ! Du reste, quand des mouvements du type « France insoumise » parviennent à prendre des décisions politiques ou électorales rapides, c’est parce que, comme l’a ingénument avoué Jean-Luc Mélenchon, leur groupe parlementaire (voire un quarteron de courtisans proches du leader charismatique) s’est employé « par défaut », indique naïvement JLM, à « jouer le rôle d’un Bureau politique »… Ne parlons pas de la manière étrange, voire oxymorique, dont de tels « mouvements gazeux » soi-disant dénués d’organisation, de statuts clairs et de direction formelle, purgent périodiquement avec pertes et fracas une partie de leurs leaders historiques (hier François Cocq ou Georges Kuzmanovic, aujourd’hui Clémentine Autain, François Rufin ou Alexis Corbière76…) « coupables » d’avoir exprimé un désaccord avec l’inamovible « présidentiable » du mouvement : qui ne voit alors que, en réalité, ce sont les institutions présidentialistes de la Vème « République » imposent subrepticement leur rythme et leur agenda à la gauche établie ou censément insoumise s’ajustant aux comportements prescrits par les institutions ?
Il y a en outre une raison de fond qui fait qu’un parti d’avant-garde souplement associé à de puissants syndicats rouges, demeure indispensable à notre époque pour combattre le capitalisme, la fascisation, l’impérialisme, l’hégémonisme et l’exterminisme, ces armes de mort scientifiquement maniées aux échelles nationale, continentale et planétaire : c’est que, comme l’avait vu Marx et Engels, le prolétariat en particulier et les classes populaires en général ont vitalement besoin d’un parti de classe bien à eux en l’absence duquel les classes laborieuses ne peuvent qu’être le jouet de telles ou telles fractions de la classe dominante77, voire de l’impérialisme étranger se disputant la direction des Etats constitués. Longtemps dépourvu de parti révolutionnaire disposant d’une théorie et d’une organisation bien à lui, se contentant encore de suivre les intellectuels bourgeois républicains, le prolétariat parisien a payé de son sang l’insurrection des Trois Glorieuses qui, en 1830, n’ont conduit qu’à la mise en place en catimini de la « Monarchie de Juillet » par La Fayette, et qui ont laissé les travailleurs insurgés sans pain, sans travail et sans « République sociale ». Dix-huit ans plus tard, les ouvriers parisiens toujours dépourvus de parti à eux se sont fait tuer pour la Seconde République… bourgeoise qui ne les a pas moins massacrés dès le mois de juin 1848 avant de se muer elle-même en un Second Empire durement répressif. Sans parti révolutionnaire pour l’éclairer, la Commune parisienne de 1871 n’aura pu se maintenir plus de 70 jours contre Versailles secrètement alliée à Bismarck si bien que le mouvement ouvrier français a alors été noyé dans le sang et plongé dans l’impuissance politique pour trois décennies. Sans la solidité organisationnelle et l’esprit de décision du Parti bolchévique mis en place par Lénine, Sverdlov, Kroupskaïa, Inès Armand, Babouchkine et quelques autres, la révolution populaire russe de février 1917 n’aurait de même pu que tanguer fortement puis s’effondrer entre désorganisation générale et probable reprise en main par la contre-révolution blanche, ces fascistes antinationaux avant la lettre qui mangeaient dans la main des impérialistes, tantôt allemands, tantôt occidentaux. Sans parti révolutionnaire fortement organisé, la Russie n’aurait pu de même devenir la seconde puissance industrielle mondiale capable, le moment venu, d’écraser Hitler à Moscou, Leningrad, Stalingrad, Koursk et Berlin. De même, sans un P.C. de combat fortement organisé et capable d’entrer efficacement en clandestinité, la France se serait définitivement effondrée devant l’impérialisme allemand en 1940-45 car la vérité impose de dire que la Résistance hautement disciplinée des FTPF et des FTP-MOI fut la force principale, voire la force unique en certaines régions, de la Résistance intérieure armée, et l’on pourrait en dire autant dans leurs pays respectifs des Résistances grecque, yougoslave, italienne, ou, en Extrême-Orient, des Résistances communistes chinoise, indochinoise et nord-coréenne. Or, le PCF clandestin a été dirigé de main de maître durant toute la guerre (et avec la poigne alors indispensable !) par le trio clandestin formé par les ouvriers révolutionnaires Jacques Duclos, Benoît Frachon et Charles Tillon, ces trois héros de l’ombre restés constamment en contact, via la filière rouge de Bruxelles, avec Maurice Thorez replié à Moscou (comme de Gaulle s’était, à raison, replié à Londres). En dépit des retards culturels initiaux et de l’arriération économique, des défauts, des carences, des déviations, des étroitesses politiques, des limites pour partie tragiquement inévitables de la première expérience socialiste de l’histoire, celle qui, s’étendant triomphalement de Berlin à Vladivostok et de Mourmansk à Saigon, alla jusqu’à couvrir un tiers des terres émergées !), résulta bel et bien des révolutions d’inspiration bolchévique de Russie, de Yougoslavie, de Tchécoslovaquie, de Chine, de Corée, du Vietnam, voire, bien plus qu’on ne le croit ordinairement78, de Cuba. Sans une telle Internationale et sans de tels partis ouvriers nationaux, le monde du travail n’aurait pas pu se constituer mondialement, des décennies durant, en un grand sujet politique faisant bloc autour du drapeau rouge frappé des outils ouvrier et paysan et/ou autour des différents drapeaux de la libération nationale, alors qu’en 1914, l’effondrement subit de l’Internationale « ouvrière » avait subitement révélé au monde l’impuissance du prolétariat censément mondial à « faire sujet commun », donc à parler d’une voix, lors d’un tournant décisif de l’histoire universelle. De même, sans un PCF de combat se référant au marxisme-léninisme, à savoir un parti discipliné et fraternellement allié à la CGT de classe, les plus grandes victoires du prolétariat français, celles du Front populaire de 1936 impulsé par le PCF-SFIC et celles dues aux ministres franchement communistes de 1945-47, notamment à Ambroise Croizat (Sécu, retraites par répartition, généralisation des conventions collectives, comités d’entreprise, Code du travail protecteur…), à Marcel Paul (nationalisation d’EDF-GDF, acquis de référence de ses agents…) et à Maurice Thorez (nationalisation des Mines, statuts du fonctionnaire et du mineur, première forme du SMIG national…), mais aussi à Henri Wallon (relance de l’école républicaine) ou à Joliot-Curie (fondation du C.E.A.), n’auraient jamais pu voir le jour ; chacune d’entre elles avait en effet pour arrière-plan le rapport des forces européen et national progressiste que dessinaient en 1945 les grandioses victoires remportées par l’Armée rouge, sans oublier le prestige national immense du « Parti des Fusillés » qui avait porté la plupart des maquis paysans, la grève héroïque des mineurs du Nord (mai-juin 41), le sabotage des usines d’armement (Renault…), la « Bataille du rail » menée par les cheminots, la guérilla urbaine des FTP-MOI, la bataille idéologique clandestine (menée par l’Huma clandestine, mais aussi par les Lettres françaises dirigée par Louis Aragon, ou encore par la revue théorique La Pensée libre lancée par le philosophe Georges Politzer, le physicien Jacques Solomon et le germaniste Jacques Decour79), sans oublier l’insurrection parisienne victorieuse (Paris soi-même libéré ! s’écrira Aragon) pilotée par les dirigeants FFI, alias FTP, André Tollet et Henri Rol-Tanguy.
On voit du reste a contrario ce qui advient de la classe laborieuse, de la nation française et des peuples opprimés du monde entier (notamment de cette avant-garde objective des peuples opprimés qu’est le peuple palestinien victime de génocide) quand l’URSS, trahie et ignoblement livrée par Eltsine et Gorbatchev, quand la RDA phagocytée par la RFA, quand le Mouvement communiste international écartelé entre l’opportunisme et son jumeau inversé, le sectarisme, cessent durant des décennies de montrer clairement la voie et que des forces (contre-)réformistes usurpatrices érigeant en méthodes de domination la désorganisation et la démarxisation en viennent combler le vide laissé par le communisme léniniste et par le syndicalisme de classe mondialement organisés : se déchaînent alors sur le monde, sur fond de contre-réformes généralisées, les souffles potentiellement exterminateurs de la fascisation, de l’euro-dissolution nationale, des guerres impérialistes, du retour en force des obscurantismes sur fond de réaction globalisée et de recolonisation rampante des peuples de l’Est et du Sud. Nul ne dit certes que le bilan de la première expérience socialiste mondiale ait été intégralement positif même si, compte tenu de l’énorme pression impérialiste subie par elle sans relâche, et du fait qu’il s’agissait là d’une « première » expérience forcément « brute de fonderie »80, tous les citoyens du monde un peu lucides devraient saluer aussi, voire surtout, les aspects grandioses qu’a comportés ce premier essai en faisant montre à son endroit de la hauteur de vue qui était celle de Victor Hugo quand il écrivait son grandiose roman épique Quatre-Vingt-Treize consacré à l’An II de la Révolution française81. Du moins chacun peut-il constater, sauf accablante mauvaise foi, le bilan catastrophique de la défaite stratégique – et non de l’« échec du socialisme » – qu’a mondialement essuyée le primo-socialisme au décours des années 1980-90.
Quant à l’argument d’inspiration spontanéiste selon lequel, « l’émancipation des travailleurs » devant « être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » (telle était, nous l’avons rappelé, la devise de la Première Internationale), il serait superflu que les exploités s’unissent en partis d’avant-garde, voire en syndicats de classe, il n’est pas seulement antimarxiste, il procède en outre d’un irréalisme navrant. Antimarxiste car Marx n’a pas coécrit avec Engels le « Manifeste communiste », comme on l’écrit souvent par erreur, mais bien le Manifeste du Parti communiste, et la leçon principale de ce texte plus subtil qu’on ne croit souvent, n’est pas seulement qu’il faut substituer le communisme au capitalisme, mais que, pour y parvenir, la classe laborieuse doit absolument s’organiser en un Parti bien à elle, en un parti de classe, en un parti communiste. Pour le comprendre, il faut faire un détour par L’Idéologie allemande, le texte fondateur du matérialisme historique (1846) ; Engels et Marx y expliquent en effet ceci :
« Dans toute société divisée en classes sociales opposées, les pensées dominantes sont les pensées de la classe dominante car la classe qui possède les moyens de production matériels possède du même coup les moyens de production spirituels ».
Si bien qu’il ne suffit pas au prolétariat d’être le groupe humain le plus nombreux de la société pour parvenir à agir en future classe dominante, ni même pour passer du statut passif de classe objective – on dit aussi de classe en soi – au statut dynamique de classe-sujet (ou de classe pour soi) ; car en réalité, la masse éparpillée et accablée qu’est initialement le prolétariat n’a pas spontanément conscience d’elle-même en tant que classe sociale particulière ; privée des moyens de comprendre les causes profondes de son exploitation et de percer à jour la logique contradictoire de la société capitaliste (les médias bourgeois font tout pour que cette méconnaissance de masse s’incruste !), le prolétariat ignore d’abord tout du combat mené par ses frères et sœurs d’autres pays, d’autres régions ou d’autres professions ; bref, la classe exploitée a alors toutes chances, en dehors de quelques explosions de colère insurrectionnelles et de grèves sur le tas vite retombées et écrasées, de subir tristement son exploitation, voire de combattre ses propres intérêts (par ex. en votant pour des partis racistes…), bref, de se conduire en masse servile éternellement vouée au malheur comme l’étaient pour l’essentiel les esclaves antiques ou les serfs médiévaux. Pour sortir de cet état misérable et devenir sujet de son histoire, voire sujet principal de la grande histoire en menant sans relâche cette lutte des classes pour une société sans classes qui définit dialectiquement le communisme au sens marxiste du mot, la classe laborieuse a besoin de ces armes tranchantes que sont, d’une part, la théorie scientifique (il faut étudier les mécanismes de l’exploitation et il ne suffit pas pour cela de respirer l’air vivifiant de l’usine…), d’autre part le mode d’organisation révolutionnaire qu’est le centralisme démocratique. Mais on se tromperait si l’on croyait que ce centralisme fût principalement destiné à discipliner l’action prolétarienne. Il l’est aussi bien sûr, mais ce n’est pas là sa fonction première : toutes les règles organiques qui fondent le centralisme démocratique sont largement le résultat historique quasi expérimental…
1°) de la révolution jacobine de 1793, cette brève fusion de l’avant-garde bourgeoise révolutionnaire robespierriste et des masses Sans-culottes par l’entremise du journal de Marat L’Ami du peuple,
2°) de l’expérience ouvrière des luttes victorieuses : vote des grèves en A.G., puis application par tous de la décision prise, donc soumission de la minorité à la majorité (ce qui est normal si chacun compte vraiment pour un : le pouvoir de la minorité signifie immanquablement que de grands seigneurs dominent…), interdiction, manu militari s’il le faut (= piquets de grève) des « jaunes » et autres briseurs de grève, et
3°) du parti léniniste et de la révolution bolchévique, à savoir : ancrage primordial dans le monde du travail en général et dans la classe ouvrière (notamment industrielle) en particulier, débat démocratique le plus large avant la prise de décision politique, discipline d’action implacable suivantla prise de décision, soumission sans murmure des organisations locales aux organisations centrales (« centralisme »), refus de laisser les « hautes personnalités » du Parti, « grands élus », dirigeants connus, rédacteurs de la presse du Parti, s’exempter des décisions prises ou s’organiser en fractions détruisant l’unité du Parti, nécessité régulatrice de faire régulièrement le point critique et autocritique sur les décisions et sur leur exécution, et bien sûr, liaison constante entre le parti et la classe ouvrière (notamment via les cellules d’entreprise), tout cela découle de l’exigence démocratique que chaque militant du prolétariat soit véritablement pris en compte. En clair, la partie se subordonne démocratiquement au tout après débat, le Parti n’est pas fait pour soutenir tel « grand homme » ou telle écurie électorale, mais à l’inverse, ce sont les dirigeants, les élus, les organes de presse qui sont subordonnés au Parti et, à travers lui, à la classe ouvrière en lutte. Sans ce dispositif global, c’est invariablement, comme c’est le cas dans les partis sociaux-démocrates ou dans les groupes trotskistes indéfiniment fragmentés en tendances rivales et toujours à la veille d’une scission, la bourgeoisie, grande, petite, moyenne, qui peut « faire son marché » à sa guise lors de chaque congrès socialiste ou communiste, qui peut choisir l’ « écurie » qui lui agrée, qui peut même la financer ou la valoriser dans les médias dominants et qui, finalement, n’a aucun mal à déposséder au moment décisif le simple travailleur de la direction de son propre parti, comme cela s’est toujours produit dans les partis sociaux-démocrates, anarchistes ou mencheviques refusant le principe de la centralisation démocratique.
En résumé, le centralisme démocratique n’est pas seulement, ni même principalement, de nature instrumentale (« comment » être le plus efficace dans la lutte contre l’ennemi de classe ? »), il constitue surtout un enjeu existentiel pour la classe prolétarienne car c’est largement à travers la question du centralisme démocratique, qui était au cœur des 21 conditions d’affiliation des ex-partis socialistes au Komintern en 1920, que se jouent la métamorphose du prolétariat en classe-sujet collectif de l’histoire et, pour chaque membre du parti de classe, son accession au rang de co-élaborateur et de co-acteur de la volonté générale de sa propre classe.
Enfin, il faut faire litière de l’opposition métaphysique confuse souvent pratiquée par le révisionnisme entre, d’une part, la nécessaire auto-organisation des masses au cours des processus insurrectionnels spontanés et, d’autre part, l’existence de solides partis d’avant-garde propres à conseiller la classe prolétarienne et à l’orienter sur des bases scientifiques. Notons d’abord que la présente discussion suppose que l’on sache au moins distinguer entre l’organisation interne de l’avant-garde et les modalités d’action de la classe et des masses elles-mêmes, les révolutions étant passablement imprévisibles dans leur déclenchement (que provoque souvent un évènement fortuit et d’apparence anodine surgissant dans la vie des masses lorsque ces dernières ont atteint un certain point d’exaspération : alors, leur lente fermentation pluridécennale franchit soudain le point d’ébullition…) comme dans leurs modalités d’intervention. En effet, contrairement à ce que rabâchent les révisionnistes de droite (sociaux-démocrates, bureaucrates syndicaux encroutés dans leur « dialogue social » bidon, gauche « communiste » euro-subventionnée, etc.), comme par les vibrions gauchistes amateurs d’aventures ridicules et sujets d’élite pour provocations policières, c’est toujours quand les masses se furent dotées de solides partis de classe (« parti » étant pris au sens large de « référence idéologique organisée et incarnée ») que les masses laborieuses ont atteint aussi leur plus haut degré d’auto-organisation et d’élan historique ; et surtout, c’est seulement en conclusion d’une telle interaction dialectique masses/avant-garde qu’elles ont pu capitaliser leur victoire d’un instant en échappant à la récupération bourgeoise ou à l’écrasement fasciste, voire en engageant la construction d’une société débarrassée des capitalistes et des féodaux. Par ex., sans la philosophie des Lumières (Diderot pour l’aspect matérialiste/scientifique, Rousseau pour la dimension politique teintée d’idéalisme), autrement dit sans la lutte pluridécennale pour l’hégémonie culturelle progressiste bourgeoise, et sans la formation du Club des Jacobins appuyé par les députés « montagnards » à la Convention, pas de révolution française débordant le cadre d’un plat compromis historique à l’anglaise ou à l’allemande entre bourgeoisie et aristocratie françaises s’accordant sur le dos des masses. De même, sans partis communistes, pas de victoire historique en Octobre 17, puis lors des révolutions tchèque, chinoise et vietnamienne. De même sans PC portugais ayant de forts relais jusque dans l’état-major militaire de l’armée fasciste (Colonel Vasco Gonçalvès), pas de Révolution des Œillets ni d’avancées vers l’indépendance et le socialisme de l’Afrique lusophone. Et sans la guérilla révolutionnaire soutenue dans les villes par le premier parti communiste de l’île (malgré ses limites), pas de révolution cubaine, non plus, etc. En réalité, les deux aspects, « de masse » et « d’avant-garde » de la Révolution populaire s’épaulent mutuellement : par ex., la dynamique Sans-Culotte poussa jadis en avant le Club des Jacobins et permit sa radicalisation théorique sous l’égide du trio Marat-Robespierre-Saint-Just. Radicalisation théorique armée du rousseauisme qui impulsera à son tour les puissantes interventions et « journées révolutionnaires » Sans-Culotte de l’An II (« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! », s’exclamera Danton fin 1792). De même le parti bolchevik de 1917 apparut d’emblée aux masses russes ouvrières et campagnardes comme le parti des masses en mouvement avec son audacieux mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » alors même que ces derniers étaient encore dirigés par les menchéviks votant la « non-censure » permanente du gouvernement provisoire bourgeois.
A l’inverse, quand les dynamiques populaires se figent et se « glacent » (l’expression est d’Antoine Saint-Just), il y a danger de mort pour le mouvement populaire, voire risque d’implosion des avant-gardes elles-mêmes, même s’il est constant que les partis de classe vraiment solides jouent alors le rôle d’un indestructible ADN populaire (l’anthropologue Elias Canetti eût dit d’un « cristal de masse »…) ; ces partis, pôle de renaissance révolutionnaire ou noyaux de parti, permettent en effet aux militants issus des masses les plus capables d’abnégation de tenir bon et d’ « entretenir la flamme » durant des décennies malgré cent mille avanies82, puis de contre-attaquer et de reprendre l’initiative historique perdue dès que les circonstances redeviennent favorables en favorisant le grand rebond de la révolution populaire. Pour cela, il faut permettre au mouvement de garder, d’accumuler et de méditer la mémoire des luttes passées, de leur histoire réelle, toujours occultée par l’ennemi, de leurs avancées, de leurs exploits, de leurs erreurs et de leurs défaites. Sans une telle transmission, le mouvement serait chaque fois obligé de repartir de zéro comme ferait Sisyphe avec son rocher et comme c’était hélas le cas chez nous des grandes et héroïques « jacqueries » des paysans médiévaux, Va-Nu-pieds normands, Croquants du Limousin, Bonnets rouges bretons, Mouchoirs rouges de Cholet, etc. A ce recollement analytique des luttes passées, y compris celui des luttes vaincues, Marx, ce grand passeur d’histoire et de « fil rouge », comme dirait le grand Résistant français Léon Landini, a jadis su s’atteler en expliquant la défaite de la Commune. Lénine fit de même à son tour quand il tira les leçons, au service de la révolution russe encore à venir, de la défaite essuyée en 1905 par le prolétariat pétersbourgeois, etc. A une échelle plus modeste, le mouvement ouvrier français est très redevable à Buonarroti, le compagnon de Babeuf qui survécut à la décapitation des Egaux et qui transmit à la postérité l’histoire de leur mouvement, à Lissagaray, qui écrivit l’histoire des Communards, à Camélinat, cet autre Communard survivant qui porta l’esprit du Temps des cerises de mai 1871 au Congrès de Tours ou, à notre époque, à ces figures de proue de la renaissance communiste française que furent Henri Alleg, Pierre Pranchère, Geo Hage, Jacques Coignard, Désiré Marle, Maria Delvaux, Jeanne Collette, Simone Vachon, Etorix de Angelis, qui portèrent jusqu’à nous, via la Coordination communiste du PCF, puis via le PRCF, l’esprit militant indestructible du grand Parti Communiste Français ultérieurement dénaturé et discrédité par la « mutation »…
Entendons-nous bien cependant : aussi bien parce que les modes d’existence et d’intervention de l’avant-garde ne sauraient être formellement identiques mais seulement analogues en tous temps et en tous lieux que parce qu’il faut tirer leçon des dégénérescences sociopolitiques subies par les avant-gardes passées (malheur au révolutionnaire qui sacrifie l’avenir à une fidélité mal comprise et purement répétitive aux temps révolus !), et surtout parce qu’il faut absolument que la prochaine tentative française ou mondiale de construction socialiste-communiste ne laisse plus aucun espace à la contre-révolution de plus en plus « agrémentée » d’exterminisme, il convient de réfléchir sans reniement ni passéisme à ce qui doit changer, non dans les principes nécessairement universels du mouvement révolutionnaire mondial et français, mais dans les modalités de son intervention militante sur la situation géopolitique contemporaine. Tant à propos de la Première que de la Seconde, voire, hélas, de la Troisième Internationale communiste (ne parlons pas de la « Quatrième » qui n’a jamais pris corps, ni de la « Cinquième », qui ne fut jamais qu’une fumée de l’imagination), il faut constater en effet que les ferments plus ou moins grands de centralisme démocratique qui y ont inégalement prévalu ont souvent dû se muer, soit en centralisme de type commandiste et paternaliste de trop longue durée, voire en un persistant culte contre-nature des dirigeants et en sclérose dogmatique forte (avec pour résultat sur le temps long le suivisme des militants et l’assoupissement de la démocratie populaire, cette passivité politique générale creusant le lit de la contre-révolution), soit (à l’Ouest surtout) en bureaucratie politico-syndicale complaisante envers le capital comme ce fut le cas de l’état-major du PC italien de Berlinguer légitimant tour à tour l’UE, l’OTAN, l’Internationale « socialiste » et… la collaboration vouée à l’échec avec la Démocratie chrétienne prétendument « modérée ».
C’est pourquoi, pour bien entendre le contenu de principe hautement démocratique du concept marxiste-léniniste d’avant-garde, il faut d’abord la distinguer de sa présentation caricaturale sous la forme d’un « parti-guide », même si cette expression pouvait avoir du sens en 1945 tant les communistes s’étaient comportés comme des phares durant la période ténébreuse de l’Occupation. La construction toujours en chantier de l’avant-garde est en effet indissociable du lien nourricier et de l’interaction constante que l’avant-garde nourrit avec les secteurs de pointe de la classe révolutionnaire, et plus globalement, avec l’ensemble des secteurs progressistes de la société, cela au prix de constants ajustements de trajectoires analogues à ceux par lesquels un skipper « garde le cap » en actionnant sans relâche sa barre de gouvernail. Lien avec la classe révolutionnaire, car l’avant-garde ne devient et ne demeure pas telle par quelque auto-proclamation relevant de la pensée magique : il ne s’agit pas pour elle en effet de clamer puérilement : « Je suis marxiste-léniniste, venez donc à moi ! », comme on dirait « Je suis chrétien, voilà ma gloire ! » car ce comportement puéril ne pourrait que provoquer les railleries des ouvriers et de la jeunesse des quartiers populaires. L’avant-garde ne mérite son nom qu’en tant qu’elle est l’avant-garde vive de sa classe et cela se mesure à la profondeur de ses liens actifs et vivants avec le monde du travail via les cellules d’entreprise, les syndicats rouges, les associations de défense du logement, le dialogue constant avec les travailleurs sur leurs lieux de vie, l’écoute respectueuse dont le parti (ou le pôle de reconstruction précédant et préparant le parti…) se montrent capables à l’égard de leur classe dans toutes ses composantes. Car la « courroie de transmission » dont parlait Lénine ne marche pas que dans un sens et son bon usage signifie de constants allers-retours et ajustements, non dénués de contradictions passagères, entre la classe et son avant-garde. Bref, ne jamais oublier que toute avant-garde est toujours l’avant-garde en mouvement de quelque chose…
Du reste, la langue russe ne possédant pas d’article, est-il sûr que l’expression bolchevique souvent rendue par la locution française « parti d’avant-garde » ne devrait pas plutôt, ou du moins, ne devrait pas « aussi » se traduire par l’expression « parti de l’avant-garde » (génitif subjectif et objectif à la fois). Le parti communiste est en effet une avant-garde objective qui ne cesse généralement pas d’exister à l’état latent, à l’image de braises couvant sous la cendre, lorsque le parti est momentanément détruit par la répression fasciste, par la dégénérescence bureaucratique ou par des déviations sectaires ou révisionnistes de longue durée. C’est déjà en ce sens que Marcel Paul83 déclarait jadis qu’ « il existe un noyau révolutionnaire indestructible en France ». L’avant-garde « cristallisant » et se consolidant sous la forme classique du parti révolutionnaire est ainsi à la fois l’avant-garde politique et sociale s’organisant en lien avec les luttes de la classe et l’avant-garde détectant, soutenant et organisant l’avant-garde initialement informelle qui émerge à tout instant des luttes de la classe. Il s’agit aussi concrètement d’aider le prolétariat à s’allier aux autres classes travailleuses, de reconstituer pas à pas les liens internationaux interrompus, d’accorder en permanence les « pupitres » politique, économique, culturel voire militaire souvent discordants de la lutte des classes. Lorsque la révolution sociale conçue stricto sensu est enfin accomplie, l’avant-garde dirigeant l’Etat socialiste sans jamais se confondre avec lui (comme cela s’est opéré méthodiquement – et catastrophiquement ! – en Roumanie sous Ceausescu au prix d’une dépolitisation massive du PCR) ne doit jamais perdre de vue sa visée globale : le communisme qui est une société sans classes et sans Etat dans laquelle toutes les aliénations économiques, techniques, culturelles, sont fermement combattues et dépassées. Sans cela, le risque est permanent de voir l’Etat, fût-il « socialiste », se muer en « Etat-Parti », voire… en Parti-Eglise substituant à la vie politique et à ses conflits inévitables des cérémonies compassées que les gens feignent de respecter tout en se susurrant à l’oreille, comme c’était jadis le cas en Pologne populaire : « Je suis pratiquant mais pas croyant »…
On peut même en un sens parler d’avant-garde des avant-gardes quand il arrive que le Parti se situe au zénith de son opérativité révolutionnaire : tel était le cas du Parti bolchévik des années vingt, ou encore du PCF de l’immédiat après-guerre quand la direction ouvrière éprouvée des Thorez-Duclos-Tillon était fraternellement liée à la CGT de classe des Frachon-Monmousseau-Krazucki-Séguy et quand le « Parti des Fusillés » dirigeait une flottille de revues et d’associations populaires diversifiées le connectant à tous les milieux socioculturels, des philosophes (La Pensée) aux amateurs de foot ou de cyclisme (Miroir du football, Miroir-Sprint), voire aux enfants (Vaillant) tout en demeurant le très prestigieux « Parti de l’Intelligence française », comme on disait alors. En effet, le PCF comptait alors dans ses rangs ou dans ses marges directes d’éminents scientifiques comme Langevin, Wallon, Audin, Vigier, Prenant ou les Joliot-Curie, des historiens comme Soboul, des peintres et des plasticiens comme Léger, Picasso, Fougeron ou Lurçat, des musiciens comme Wiener, Satie ou Auric, des écrivains comme Eluard, Triolet, Vailland, Guillevic et Aragon, des psys d’avant-garde comme Bonnafé (Lacan dialoguait alors avec Thorez !), des gens de théâtre comme Vilar ou Gérard Philippe, des cinéastes comme Daquin, Allio ou Vautier, des créateurs de langage télévisuel comme Bluwal ou Lorenzi, des artistes-photographes comme Ronis, des grands reporters intrépides comme Alleg ou Riffaud, des pédagogues comme Freinet ou de grands chanteurs populaires comme Greco, Ferrat, Aubret, Mouloudji, etc.
En effet, si de Marx à Gramsci en passant par Lénine, Lounatcharski et l’agitateur culturel Pierre Abraham, le marxisme-léninisme a eu raison d’appeler constamment, sans « populisme » aucun, à la fusion de la grande politique révolutionnaire avec le mouvement sociétal de pointe agissant pour de nouvelles lumières partagées (comme la Révolution française fut préparée par l’intense bataille culturelle menée par le « Parti encyclopédiste » des Diderot, d’Alembert et autre Condorcet), c’est parce qu’il n’y a pas de grande mutation historique et anthropologique durable sans l’élan disruptif préparatoire ou concomitant de la recherche philosophique, scientifique, artistique, pédagogique et technique : on l’a vu avec le foisonnement créatif des avant-gardes russes qui accompagnèrent la révolution russe et on l’a également constaté après-guerre avec l’efflorescence mondiale du mouvement culturel communiste que portent encore des noms lumineux comme Neruda, Jara, Brecht, Seghers, Guillen, Alberti, Hikmet, Ritsos, Amado, Kolmogorov, pour ne parler ici que des poètes, dramaturges et romanciers, sans parler des Tsiolkovski, Leonov et autres Gagarine dans le champ des technologies de pointe. La philosophie dia-matérialiste fournissant le socle logico-ontologique et cognitif de toute conception scientifique et progressiste du monde, la renaissance communiste nationale et internationale et la relance mondiale du socialisme sont donc impensables sans un grand rebond français et mondial des matérialismes dialectique et historique se manifestant en tous domaines, dialectique de la nature, théorie dia-matérialiste de la connaissance, anthropologie matérialiste et philosophie de l’histoire, philosophie politique et approche communiste de l’éthique, de l’esthétique et de l’axiologie. Une telle contre-offensive dia-matérialiste et dia-rationaliste aussi mondiale et nationale que possible étant elle-même inséparable du grand rebond des arts révolutionnaires, de l’appropriation démocratique et humaniste des technologies, du renouveau rationaliste des sciences, du grand retour de l’instruction publique et de l’éducation populaire. C’est ce grand mouvement d’ensemble, aujourd’hui étouffé par la réaction néo-obscurantiste et exterministe, mais qui n’en pointe pas moins dans une série de domaines, que nous avons appelé Lumières communes et qui est indissociable de la lutte politique pour un socialisme-communisme de nouvelle génération.
- En France.
Ces tâches historiques de portée mondiale ne seraient que songes creux si elles dédaignaient un tant soit peu l’engagement pour le changement révolutionnaire en France. Plus grand penseur politique depuis le Chinois Sun Zu et le Florentin Machiavel, Lénine n’a cessé d’insister sur l’idée qu’une chaîne vaut ce que vaut son maillon le plus faible. Or la France est aujourd’hui l’un des maillons faibles, si ce n’est le maillon faible de la chaîne euro-atlantiste mondiale. D’une part, elle reste, malgré son affaiblissement géopolitique vertigineux et sa débandade néocoloniale en Afrique, une pièce importante du dispositif hégémoniste européen et mondial ; en effet, la construction d’une armée euro-atlantique destinée à guerroyer contre la Russie et à « accompagner » la croisade trumpiste antichinoise dans l’Asie-Pacifique est impossible sans le dévoiement européiste par les pouvoirs maastrichtiens « français » de la force de frappe atomique initialement forgée par de Gaulle pour défendre initialement le seul territoire national. C’en est désormais au point que Macron est aujourd’hui le fer de lance de l’aventurisme euro-atlantiste avec son projet dément de déployer des troupes françaises destinées à faire de l’ « épaule contre épaule » en Ukraine et en Roumanie, voire en Moldavie, à l’encontre d’une armée russe dotée de missiles hypersoniques inarrêtables. D’un autre côté, Marianne ne consent pas, comme nous l’écrivions dans l’intitulé d’un essai récent que la presse bien-pensante a préféré « silencier » comme à son habitude. Entendons par là que la France populaire, qui avait déjà dit Non à la constitution européenne (2005), refusé le CPE antijeunes (2006), combattu les contre-réformes successives détruisant les retraites solidaires (2003, 2007, 2010, 2015, 2023…), soutenu le mouvement pré-insurrectionnel des Gilets jaunes, et que notre pays – demeuré plus « politique » et frondeur qu’on ne le croit -, s’est instinctivement débrouillé lors des dernières législatives de 2022 pour rendre le pays ingouvernable (et tant mieux puisque les gouvernants qui se succèdent ne songent qu’à nous nuire quand ils disposent d’un gouvernement stable !) en coupant l’Assemblée nationale en trois segments quasi-égaux et en réservant à Macron des sommets d’impopularité.
Bien entendu, la fausse gauche des Olivier Faure (PS), Fabien Roussel (PCF) et autre Marine Tondelier (LE) s’est aussitôt précipitée à l’Elysée puis à Matignon pour tenter de relégitimer ce président carbonisé et pour l’aider à remettre en place le « gouvernement-sérieux-et-constructif-attendu-par-nos-partenaires-européens-et-par-les-marchés-financiers »… N’empêche : l’arithmétique parlementaire demeurant ce qu’elle est, le Rassemblement lepéniste étant en gros écartelé entre son électorat ouvrier nordiste et son ancrage bourgeois méridional, entre sa xénophobie pseudo-patriotique et son euro-atlantisme récent, entre sa russophilie d’hier et sa russophobie bien-pensante et guerrière de demain, c’est bien Macron qui en est actuellement réduit à essuyer les tirs croisés des partis politiques, un secteur des forces bourgeoises « centrales », journal Le Monde en tête, étant en passe de lâcher ce président politiquement grillé et devenant de plus en plus dangereux pour la domination oligarchique…
Dans ces conditions, quoi de plus rationnel que de « tenir tous les bouts de la chaîne » comme s’efforce de le faire le PRCF en appelant les syndicalistes de classe (principalement CGT, mais aussi, et plus à la marge, FSU, FO, SUD…), voire les syndicalistes paysans vraiment combatifs à construire le « tous ensemble en même temps » pour bloquer toutes les contre-réformes, refuser les énormes crédits du surarmement, appeler à investir l’argent issu du travail, non sur la guerre et les milliardaires, mais sur les salaires, les services publics, la reconstruction planifiée du produire en France et sur la protection sociale. Sans hésiter bien sûr à refuser les crédits de surarmement et à affronter franchement l’UE-OTAN et l’ensemble des dispositifs de la domination capitaliste !
Quoi de plus rationnel par ailleurs que d’inviter les véritables syndicalistes de lutte, non pas à faire vainement « pression » de congrès en congrès sur les directions euro-formatés de leurs confédérations respectives, mais à se rencontrer nationalement et à l’inter-pro pour décider par eux-mêmes d’une plateforme revendicative et d’un programme de lutte comportant le blocage du profit capitaliste en France, voire en Europe (toute l’économie capitaliste à flux tendus de l’UE voyageant de Vilnius à Gibraltar passe par l’Hexagone !), et cela « hasta la victoria siempre ! », et pas seulement pour « manifester notre mécontentement »…
Quoi de plus indispensable dès lors que de se retrousser les manches pour reconstruire à temps un parti de combat se référant à la classe ouvrière, au léninisme, à la rupture par la porte à gauche de la France avec l’UE-euro-OTAN, à la solidarité avec toutes les forces anticapitalistes, antifascistes, contre-hégémoniques et anti-exterministes de la planète dans la visée fédératrice d’un socialisme-communisme de nouvelle génération pour notre pays et notre temps ?
Quoi de plus réaliste, en franche opposition au bloc macroniste, ce faux rempart au lepénisme qu’il cajole et nourrit, mais aussi au RN, ce ramassis pseudo-patriote vendu à l’UE-OTAN, et sans nulle illusion non plus sur une « gauche » établie et sur des confédérations incapables de rompre avec la « construction » européenne, que de construire une Alternative rouge et tricolore relançant les orientations de principe du CNR (« mettre le monde du travail au centre de la vie nationale »), sachant qu’à notre époque, où le capitalisme monopoliste d’Etat est devenu ostensiblement antinational, les principes programmatiques chers au CNR sont devenus incompatibles avec le maintien de la France dans le cadre fascisant du capitalisme oligarchique ?
Quoi de plus fédérateur enfin, tout en excluant à la fois du rassemblement à venir les forces libéral-racistes et leur pendant social-belliciste, quels que soient leurs masques du jour, que d’associer à nouveau, comme surent le faire jadis les militants communistes qui impulsèrent le Front populaire et la Résistance armée, le drapeau rouge du prolétariat international et le drapeau tricolore de la France républicaine et indépendante ?
Conclusion : « Compter sur nos propres forces ! »…
Une course de vitesse dont l’enjeu n’est rien moins que la survie… et le grand rebond socialiste-communiste du genre humain est engagée entre, d’une part, l’hydre de la fascisation, du saut impérial européen, de la régression sociale généralisée, de la catastrophe environnementale annoncée et de la guerre nucléaire en marche et, d’autre part, la relance mondiale annoncée du mouvement prolétarien de classe, la montée des résistances contre-hégémoniques et la réorganisation urgente des avant-gardes politico-culturelles de l’humanité laborieuse. Un soulèvement populaire salutaire provoquant une onde de choc salutaire à l’échelle l’internationale peut du reste encore avoir lieu dans notre pays et il s’agit pour les communistes, pour les syndicalistes combatifs, pour les progressistes et les autres patriotes antifascistes de France, de s’y préparer méthodiquement tant la France capitaliste en déclin, voire en déliquescence, est devenue le maillon faible de la « construction » euro-atlantiste. Si les éléments composant le second terme de l’alternative mentionnée ci-dessus ne s’unissent pas et ne rattrapent pas à temps le lourd retard que la séquence liquidatrice et contre-révolutionnaire des années 1990 a imposé au camp mondial du Travail, la situation de l’humanité, si ce n’est celle du vivant sur Terre, deviendront à brève échéance plus menaçantes qu’elles ne furent jamais ; en effet, à l’échelle géopolitique comme sur le plan national, les forces de mort et de réaction ont aujourd’hui l’avantage, du moins à court terme, sur les forces de paix et il ne faut pas se cacher que le camp du travail et de la vie part en position de challenger dans cette course pour l’existence… Mais c’est justement parce qu’ils savent que, à moyen et à long terme, « notre » camp ne peut que reprendre l’avantage – tant il porte seul l’avenir de l’humain, voire celui du vivant tout entier –, que l’état-major des exploiteurs, « neocons’ » américains et autres trumpistes en tête, semble prêt à jouer son va-tout, du moins si les peuples le laissent libre de ses mouvements, pour maintenir son hégémonie mondiale au prix de la plus folle des prises de risques qui se puisse concevoir. Le pire en l’occurrence serait de s’en remettre stratégiquement à tel ou tel grand maître du capital nord-américain, qu’il porte une cravate bleue « démocrate » comme Harris ou qu’il arbore une cravate rouge « républicaine » comme Trump. Pour veiller sur la paix mondiale, il vaut décidément mieux, communistes, syndicalistes de lutte, progressistes et patriotes véritables, internationalistes et anti-impérialistes, « compter sur nos propres forces », principalement sur celles du monde du travail… Bref, comme l’écrivait Aragon sous l’Occupation…
« Il faut libérer ceux qu’on aime / Soi-même, soi-même, soi-même ! »…
Il ne s’agit donc pas de se lamenter… et d’attendre en jouant, tels Cassandre, les « observateurs » résignés et atterrés : tâchons plutôt de nous faire stoïciens au noble sens de ce mot84 et réapprenons le distinguo cher aux Sages antiques entre ce qui dépend de notre propre intervention et ce qui n’en dépend nullement (du moins en première instance) et agissons indirectement sur ce qui ne dépend pas de nous en remodelant énergiquement ce qui dépend directement de notre action. Et ce qui dépend de nous, c’est de pousser à nouveau la recherche théorique (philosophie, économie, histoire, critique esthétique…), de reprendre la lutte des idées méprisée par les révisionnistes, de dialoguer avec la classe ouvrière sur les lieux de son exploitation (…et de ses résistances !), de rebâtir de dynamiques avant-gardes nationales et internationales, d’unir le mouvement ouvrier mondial résurgent aux forces anti-impérialistes, antifascistes et contre-hégémoniques. Sans oublier de susciter à toute occasion les retrouvailles des forces prolétariennes et démocratiques avec ces « lumières partagées » dont reste capable notre époque, la mieux armée scientifiquement qui fut jamais.
Au travail donc, avec foi en la classe laborieuse, en l’intelligence humaine et en la volonté de vivre et de bien vivre de la jeunesse populaire, amis, citoyens et camarades jeunes et moins jeunes !
Rédaction achevée à Lens le 8 janvier 2025
Texte dédié à la camarade Hermine Pulvermacher-Landini, décédée en décembre 2024,
Ancienne agente de liaison des F.T.P.-M.O.I.,
Ancienne secrétaire générale du Groupe parlementaire du P.C.F. à l’Assemblée nationale,
Membre du Comité national de parrainage du P.R.C.F.,
Chevalier de la Légion d’honneur au titre de la Résistance.
1 Capricieux, cyniquement impérialiste et grossier ne signifie pas, hélas… stupide. Bien plus que ses prédécesseurs « démocrates » Biden et Blinken, Trump semble enclin (mais nullement déterminé) à obtenir : a) une courte accalmie (et encore !) en Ukraine pour ne pas avoir à attaquer sur tous les théâtres à la fois, Donbass et Asie-Pacifique. Pour autant, Trump ne lâchera pas la proie russe dont il délègue le « containement » à l’UE, bien entendu aux frais, risques et périls de cette dernière, et sous réserve de rafler le lithium ukrainien pour les bagnoles américaines ! Dans tous les cas, l’Allemagne et la Russie sortiraient encore plus affaiblies du conflit, même s’il ne dégénère pas d’emblée en guerre nucléaire généralisée ; b) vouloir prendre un puissant élan à l’Ouest pour attaquer l’Est avec plus de vigueur et de moyens le moment venu (on pense aux projets d’annexion trumpistes du Groenland, du Canada et du Panama (cela ressemble à ce que firent jadis les USA, déjà ouvertement annexionnistes, avec la Californie et le « Nouveau Mexique », sans parler de l’Empire comanche, de la Louisiane française et de l’Alaska russe…).
En procédant ainsi, le pillard «MAGAlomane » de la Maison-Blanche compte rendre à l’Amérique du Nord l’allant géopolitique, les ressources minières et l’initiative historique qu’elle était en passe de perdre face aux BRICS. Ne doutons pas que ce puissant élan ayant été pris à l’Ouest, où Trump sait qu’il ne rencontrera guère de résistance (on voit mal les bourgeois canadiens et danois bouter le yankee hors de Thulé ou du Manitoba…) ne serve finalement à attaquer… le Grand Est et le Sud global en prenant appui sur des USA territorialement, psychologiquement et géopolitiquement renforcés… C’est ce que signifie en réalité le slogan trumpiste « la paix (des cimetières ?) par la force » que certains naïfs de choc persistent à prendre pour un slogan pacifique…
2 Avant même de siéger à la Maison Blanche, Trump a déjà annoncé la couleur : forte augmentation des droits de douane frappant la Chine, l’Europe, le Mexique et le Canada, le tout assorti de la perspective, claironnée à la cantonade, de reprendre directement la main sur le canal du Panama, d’ « acheter » le Groënland au Danemark et, dans la foulée… d’annexer le Canada ! Encouragé par la conquête récente de la Syrie (hier encore amie des Russes) par un groupe islamiste proche d’Ankara, voilà par ailleurs que l’Azerbaïdjan de l’autocrate Aliyev annonce à son de trompe sa volonté d’engager une nouvelle guerre contre l’Arménie dans le but d’assurer la « continuité territoriale » de ce que le président azéri ami d’Erdogan appelle « les Etats turcs » d’Asie centrale : les Arméniens, qui ont eu grand tort de suivre le parti nationaliste et de déserter l’URSS en 1991 ont donc bien du souci à se faire pour la survie de leur nation, sans parler de la France macroniste qui s’est aventurée militairement du côté d’Erevan pour se venger de l’avancée russe en Afrique francophone et pour tenter d’apporter sa pierre à l’encerclement otanien de la Russie (mais qui va finalement encercler qui, dans le Caucase ?).
Résultat : à la fois incapable de défendre la « souveraineté européenne » et de rester totalement silencieuse face aux provocations étatsuniennes, l’élite européenne américano-formatée est prise à contrepied. Elle ne sait plus où se mettre et en est déjà à truquer un référendum moldave, à contester une élection géorgienne et à faire annuler une élection présidentielle roumaine par trop défavorable à l’UE-OTAN ! Dieu qu’elle est jolie « l’Europe souveraine » et démocratique que Macron et Ursula von der Leyen promettaient aux citoyens de l’UE en échange de leur engagement dans une suicidaire guerre continentale antirusse !
En réalité, les forces capitalistes-impérialistes étatsuniennes qui ont financé la campagne de Trump comptent sur lui,
a) pour effectuer une forme de démondialisation capitaliste au seul avantage des industries américaines à la ramasse, de Chrysler à Boeing,
b) non pour diminuer l’agressivité de l’Aigle américaine, mais pour la recentrer sur la lutte antichinoise frontale tout en percutant de biais l’Europe allemande (la grande industrie de la Ruhr notamment),
c) peut-être, mais seulement dans un premier temps, le temps de s’occuper des Chinois et des Iraniens, voire de Cuba, Trump va-t-il faire mine de relâcher la pression sur les Russes, voire de s’entendre avec eux ( ???) en profitant de ce semblant d’accalmie pour augmenter la pression sur la Chine et pour mener une série d’annexions sans frais aux dépens des alliés putatifs de Washington ? Histoire aussi de mettre l’électorat populaire de Trump en « appétit » pour de plus belles aventures impérialistes, nationalistes et hégémonistes ? Déjà l’état-major de Trump fait circuler une carte de l’Amérique du Nord entièrement recouverte par la bannière étoilée…
Bref, le trumpisme ne saurait être autre chose, compte tenu des forces oligarchiques qu’il représente, qu’une nouvelle manière, décalée ou pas, nous verrons bien, de préparer la guerre intercontinentale pour l’hégémonie globale (écrit le 9 janvier 2025). Il suffit pour le prédire de comprendre que l’élection d’un président ne peut changer la nature impérialiste-hégémoniste de l’Etat nord-américain et de ses principaux vassaux : c’est de quoi sont incapables les géopolitistes non marxistes.
3 « Make America Great Again » en anglo-américain, soit « Rendez sa grandeur à l’Amérique ! ».
4 Alors que les grandes lignes du la présente étude étaient déjà fixées, on apprenait l’effondrement incroyablement rapide du régime laïque du Parti Baas au pouvoir depuis des décennies en Syrie ; un « changement de régime » sur fond de négociations opaques et qui s’est opéré au profit d’un vassal d’Al Qaida armé par Ankara. Ce coup à la fois direct et indirect très grave porté à l’ « Axe de la Résistance » antisioniste et anti-impérialiste au Proche-Orient permettra désormais à Trump et à Netanyahou de frapper plus aisément l’Iran et les « rebelles » Houthis du Yémen, l’Etat prédateur israélien profitant de cette occasion inespérée pour coloniser ouvertement le Golan syrien, pour placer structurellement le Liban sous tutelle, voire pour annexer Gaza et la Cisjordanie avec la perspective génocidaire désormais avouée de liquider le peuple palestinien en tant que tel avec l’appui ouvert de Trump…
On mesure dès lors à quel point sont politiquement ineptes les dirigeants de la gauche française et internationale établie qui, après s’être réjouis de la chute d’El Assad, vont immanquablement se lamenter sous peu à propos de la liquidation devenue possible de la cause palestinienne, sur l’écrasement programmé du « Rojava » kurde par l’armée turque, sur la fin de la mixité en Syrie (le nouveau Guide El Jolani est un oppresseur de femmes revendiqué !) et sur le retour en force de l’oppression pesant sur les femmes en Syrie, voire sur la persécution probable des populations alaouites (donc chiites) et chrétiennes de ce pays, etc.
5 Alors qu’il n’est même pas encore en place (cette note est écrite le 28.12.2024) et qu’il ne dit rien de clair sur l’Ukraine, Trump multiplie « tous azimuts » les propos provocateurs! Sa démesure « américaniste » va-t-elle contribuer à scinder le bloc euro-atlantiste hégémonique, va-t-elle précipiter les tendances à la guerre mondiale hégémoniste ou va-t-elle nourrir, concurremment et complémentairement à la fois, ces deux perspectives funestes à la fois ?
L’irrationalité du système capitaliste-impérialiste sous hégémonie US est désormais devenue telle qu’elle aggrave l’imprévisibilité du système, du moins à brève échéance. Or, cette irrationalité possède, dialectiquement et « au second degré », des racines sociopolitiques hautement intelligibles, du moins pour qui a compris que l’exterminisme est devenu une dimension majeure du capitalisme-impérialisme moderne. Un « capitalisme agonisant et en putréfaction » que Lénine qualifiait déjà de « réaction sur toute la ligne » en 1916… Or, depuis lors, les choses n’ont fait qu’empirer, ce système vermoulu suant désormais la mort, la vulgarité et la folie par tous ses pores au point que l’humanité aura vite à choisir entre le maintien planétaire du mode de production capitaliste et la préservation d’une vive « vivable » sur Terre. En résumé, la planète n’aura une chance de redevenir verte et bleue que si l’humanité accepte elle-même de redevenir… rouge. Bref, pour pasticher Pascal parlant des mystères du « cœur », l’irrationnel capitaliste a des raisons que la raison connaît fort bien…
6 Qui parlent depuis longtemps déjà, par la bouche du général d’état-major, le légionnaire Thierry Burckard, d’un inévitable « conflit global de haute intensité ». Conflit sur lequel du reste, nos médias « démocratiques » n’organisent aucun débat citoyen alors qu’il renvoie à des enjeux humains sans égal…
7 Même en intégrant à la réflexion géostratégique le poids des redoutables missiles hypersoniques russes dans le cadre d’une éventuelle conflagration de moins en moins « conventionnelle », qui peut croire à un distinguo sérieux et durable entre nucléaire « tactique » et nucléaire « stratégique » ? Ce type de nouvelles armes introduit bien un palier démultiplicateur entre les armes de destruction massive nucléaires et « conventionnelles », mais du même coup, il abaisse le seuil nucléaire lui-même en permettant plus aisément la « glissade » continue entre l’utilisation des deux types d’armes.
8 C’est au contraire la France proto-impérialiste du XIXème siècle qui a alors participé à la colonisation et au partage impérialiste de la Chine et l’on s’étonne de la facilité avec laquelle le philistin européen moderne croit désormais au « nouveau péril jaune ». Quant aux incidents de frontière entre la Gaule chevelue et l’Empire du Milieu, ils ont, par définition, été fort rares dans notre histoire… Mais en cette affaire, qu’importe l’intérêt national français, fût-il conçu de manière « bourgeoise », comme c’était encore le cas sous de Gaulle, voire encore un peu sous la présidence très « industrialiste » d’un Pompidou ? Pour comprendre ce glissement de plus en plus antifrançais de l’élite hexagonale, il faut avoir en tête que le CAC 40 est désormais largement détenu par des capitaux américains et/ou allemands. Il y a quelques années, Le Monde avait enquêté sur les 40 PDG du CAC 40 : la totalité d’entre eux vivait alors à New York et élevait ses enfants en anglais…
9 A l’heure où ce texte est relu, de bonnes nouvelles parviennent, non pas, bien sûr, du régime fantoche de Séoul en graves difficultés, mais de sa contestation par le monde du travail et par la jeunesse qui ont placé ce régime fascisant sur la défensive à l’issue de plusieurs mois de grève (Samsung, hôpitaux) et de grandes manifestations forçant le président fasciste à démissionner. Comme quoi, tout peut bouger à grande vitesse, y compris en faveur des forces populaires, sur la ligne de fracture mondiale opposant les peuples aux USA, à leurs vassaux et à leurs fantoches. Et cela, nos ennemis de classe le savent mieux que nous !
10 Cf. sur www.initiative-communiste.fr l’article de G. Gastaud intitulé Force de frappe française : « parapluie » protecteur ou « paratonnerre » conducteur ?
11 Cf la récente validation par U. von der Leyen se rendant à Montevideo de l’Accord de libre-échange UE-Mercosur alors que, soumis à la pression du monde paysan français en effervescence, Macron et le Parlement français unanime venaient de s’y opposer solennellement (ou de feindre de s’y opposer ?). Décidément, sous la conduite des euro-oligarques atlantistes au pouvoir, la France bourgeoise devient le paillasson du monde, et les premiers à s’essuyer les pieds sur notre pays sont bien sûr ses grands « alliés » occidentaux, tant il est logique que la servilité n’attire que mépris, y compris et d’abord le mépris des « maîtres » pour les petits contremaîtres obséquieux !
12 Alors que la France disposait encore au sein de la Commission européenne, avant que le commissaire français Thierry Breton n’en fût brutalement « démissionné » par von der Leyen, d’une influence prépondérante en matière de diplomatie et de défense, deux commissaires européennes baltes fanatiquement bellicistes et russophobes, se partagent désormais les portefeuilles de la défense et des relations extérieures de l’Etat fédéral européen en gestation. Ce qui n’empêche pas la gauche établie, PCF euro-rallié et groupes trotskistes en tête, de continuer à mouliner leurs sottises sur la « réorientation progressiste » de l’euro, de l’UE, et de plus en plus… de l’OTAN (et des bataillons ukrainiens néonazis Azov et Aïdar, pendant qu’on y est ?). Les mêmes continuent leur radotage sur cette thématique euro-constructive ridicule alors que, le Parlement français ayant unanimement rejeté par avance l’Accord UE/Mercosur, U. von der Leyen a humilié la France en se rendant chez Lula pour signer le relevé de fins de négociation ! Déjà, Macron n’avait pas eu un hoquet de protestation quand, présidant alors le Conseil européen, U.v.d.L. l’a humilié en décrétant que l’anglais serait désormais l’unique langue officielle des exécutifs européens. Bref, l’ « Axe franco-allemand » est mort et enterré et aucun progressiste ne le pleurera.
13 Pour la France et sa population laborieuse, une Europe allemande ne serait pas meilleure qu’une Europe américaine et du reste, ces deux Europe réactionnaires s’additionnent pour le plus grand malheur industriel, agricole, social, culturel, linguistique et autre de notre pays… Nous exprimons donc ici la conviction, à la fois communiste et patriotique que, non seulement l’indépendance, mais l’existence nationale de la France ne seront plus possibles à moyen terme que dans un cadre socialiste. La classe ouvrière est objectivement catapultée vers la direction d’une future reconstruction patriotique de la France par le fait même que la grande bourgeoisie hexagonale des Bernard Arnault, Bolloré et Cie est devenue oligarchie financière condamnée à devenir chaque jour un peu plus une classe antinationale. Si bien que « le choix de la défaite » (Annie Lacroix-Riz) effectué par les « deux-cents familles » au cours des années 30 s’est désormais mué en « choix de la défaisance »
Dans une large mesure, la xénophobie ostentatoire et surjouée de toute une partie de la réaction « française » vise à cacher cette mise à mort d’une patrie française dont nos « élites » postnationales n’ont plus que faire maintenant que la concentration monopoliste se joue aux échelles continentale et transatlantique. Déjà en 1945, le projet du CNR largement inspiré par Duclos et Villon était de « mettre le monde du travail au centre de la Nation ». Ce projet, il faut aujourd’hui le traduire dans la langue moderne d’un Frexit révolutionnaire s’effectuant dans la visée d’un socialisme-communisme de notre temps.
14 Expression adoubée à la fois par le « socialiste » démonétisé Dominique Strauss-Kahn et par le non moins discrédité pornographe « libéral » Bruno Le Maire…
15 L’expression est de l’historienne Annie Lacroix-Riz.
16 Conduit notamment par les combatifs militants du Parti Démocratique Populaire, la classe laborieuse et la jeunesse de Séoul ont répondu de la meilleure manière possible à la tentative du président sud-coréen fasciste d’imposer la loi martiale. Il faudrait étudier de près les modalités et l’impact mondial de cette riposte victorieuse car elle contribue, pour le moment du moins, à freiner la fascisation de la Corée du Sud tout en ralentissant un peu la marche vers une nouvelle guerre de Corée…
17 Dans l’état actuel des techniques, mieux vaudrait chasser le dieu « Mars » de la Terre qu’espérer angéliquement coloniser la planète Mars dans les cieux…
18 Nous jouons ici sur les deux sens, du reste pôlairement interconnectés, du mot « fin » en français : à la fois « terme ultime » et « but ». Cf. le tome V de Lumières communes intitulé « Fin(s) de l’histoire ».
19 Cf. La situation de la classe laborieuse en France, Delga 2023.
20 De là le grand renouveau mondial des messianismes. « Dieu » n’a-t-il pas promis une « destinée manifeste » aux USA (Trump a repris cette risible expression le 20 janvier 2025) avec, en prime collatérale, le « Grand Israël » dévolu au nouveau Moïse (!) Netanyahou ? Et si tout le monde est anéanti, le Paradis n’est-il pas assuré d’avance aux ennemis de l’ « Empire du mal » russo-sino-cubano-communiste ? Alors que, asymétriquement et du point de vue du sens de la vie et de l’histoire, ce cœur « existentiel » de l’hégémonie culturelle prolétarienne, les communistes et le mouvement ouvrier n’envisagent d’autre salut que terrestre ; donc, ils ne disposent pas mentalement, pour assurer un sens à leur vie, de cet « abri antiatomique parfait » que serait leur pari néo-pascalien et parfaitement exterministe sur un rassurant ( ?) au-delà métaphysique. C’est pourquoi aussi, la défense de la paix mondiale ne saurait être aussi bien assumée, loin de là, par la Russie blanche de Poutine, ce pourfendeur acharné du « communisme athée », qu’elle pouvait l’être par l’URSS laïco-marxiste et d’inspiration universaliste de Brejnev. Contrairement à Brejnev, Gromyko et Andropov, qui tenaient à juste raison l’auto-anéantissement de l’humanité pour le mal suprême (en tant qu’il priverait même de tout sens rétrospectif ou prospectif toute activité humaine passée, présente et à venir : en effet « tout est mal qui finit mal »), le renégat du PCUS qu’est Poutine a déjà maintes fois déclaré glacialement qu’« un monde sans Russie est sans intérêt ». Au demeurant, une « oblation » dans l’histoire russe moderne, celle des Gorbatchev-Eltsine conduite au nom des « valeurs universelles de l’humanité » (sic), cela suffit grandement et le peuple russe n’en voudrait à aucun prix.
Bref, l’exterminisme principal, celui qui émane de l’Occident capitaliste, a par avance affaire à forte partie dans le contre-exterminisme dérivé et de seconde main d’une Russie capitaliste et néo-cléricale qui ne veut revivre à aucun prix la « catastroïka » gorbatchévienne provoquée par le dévoiement social-pacifiste, néo-munichois et capitulard de la nécessaire lutte révolutionnaire contre l’exterminisme telle que la résumait le mot d’ordre castriste de masse : « le socialisme ou mourir ! ».
21 Ne pas trop y croire cependant, et que signifie d’ailleurs l’expression « nouvelles » guerres alors que la « Thalassocratie » américaine compte 720 bases à l’étranger ?
22 Ne pas croire pour autant que l’analogie fonctionnerait à plein entre « sortie par la gauche de la mondialisation capitaliste » et « sortie par la gauche de l’UE » supranationale. L’ « espace » géopolitique d’une re-mondialisation socialiste-communiste de la production serait certes, fort complémentairement, celui du monde et celui des nations articulant souverainetés retrouvées et coopérations dûment coplanifiées entre Etats.
En revanche, le territoire de l’ « Europe » n’est pas géopolitiquement pertinent pour une reconstruction socialiste de la France dans un cadre international ne serait-ce que soutenable. Pas seulement parce que l’Europe, et notamment l’Europe occidentale, ne doit son semblant d’unité politique actuelle qu’au fait que la RFA, la France, l’Italie, l’Espagne, le Pays-Bas, l’Angleterre, le Portugal sont tous de vieux Etats colonialistes et que leur simple regroupement au sein d’une « maison commune » ouest-européenne ne pourrait manquer d’imprégner leurs politiques extérieures de vieux habitus néocoloniaux et (consciemment ou pas) suprémacistes : cela fait du reste longtemps qu’Einstein et sa Relativité générale nous ont a appris à ne jamais dissocier la matière, l’espace et le temps si bien qu’il est absurde de séparer l’histoire de la géographie, leur unité dialectique s’appelant précisément géopolitique. En réalité, une France s’adonnant au Frexit socialiste et abordant en pionnière les terres d’un socialisme-communisme de nouvelle génération devrait impérativement (sauf révolution socialiste survenant aussitôt en Allemagne ou en Grande-Bretagne !) contourner par le Sud et par l’Est l’Europe impérialiste dite « du Nord » (la RFA et son arrière-cour hollandaise et scandinave) ainsi que les inévitables ingérences et « sanctions », voire conjurations étatsuniennes : en clair, notre pays devrait opérer un renversement mondial d’alliances sans lequel une nouvelle France Franchement Indépendante (FFI) en marche vers le Frexit progressiste et vers le socialisme ne pourrait pas tenir plus de quelques semaines.
Ce renversement d’alliances imposerait alors de dialoguer, à l’Est, avec toute l’Eurasie, Chine, Russie et Iran inclus, au Sud avec le Maghreb et l’Afrique francophone en lutte contre notre ennemi commun, l’impérialisme (anti-)français d’autant plus agressif et aventuriste qu’il perd totalement pied dans son ex-« pré-carré » africain. Ce nouveau dialogue mondial des peuples soutenu, voire impulsé, par une FFI résistant à l’hégémon euro-atlantique et à ses relais internes passerait donc par un nouveau dialogue amical Sud-Nord. Le monde arabo-musulman fédéré autour de la Résistance palestinienne servirait alors de passerelle, à son propre avantage géopolitique, entre le « Grand Est » et le « Grand Sud » d’une nouvelle politique française créative et surtout, non alignée sur Washington.
Tout cela signifierait la liquidation sans restes de l’indigne « Françafrique » néocoloniale, la promotion d’un nouveau Trait d’union franco-africain sans opposer cette perspective à l’idée d’un panafricanisme ou d’un panarabisme laïques et socialisants : car à l’origine, et avant d’être travaillés et dynamités du dedans par l’impérialisme (qui a massivement misé sur la reconquête néo-islamiste du monde arabe), les mouvements anti-impérialistes égyptien, syrien, irakien, palestinien, libanais, yéménite, libyen, voire algérien et tunisien, étaient (plus ou moins) laïques et prônaient l’égalité des sexes et la mixité généralisée de la société. Idem pour la Perse dont les premiers grands mouvements révolutionnaires étaient laïco-démocratiques, avec même une touche prolétarienne et communisante. Souvenons-nous du Dr Mossadegh, ce Nasser iranien, qui fut assassiné sur ordre de la C.I.A. pour leur permettre de rétablir sur le trône le sanguinaire Shah d’Iran.
Ce retournement géopolitique commanderait aussi à une France nouvelle de relancer et de révolutionner (en alliance étroite avec un futur Québec souverain ?)sa politique francophone internationale, non seulement en soutenant partout la résistance au tout-anglais porté par l’Hégémon mondial, mais en conférant à la Francophonie nouvelle une orientation anti-impérialiste (pourquoi pas recentrée sur l’Afrique où se trouve déjà le barycentre démographique de l’actuelle O.I.F.).
En résumé, on ne saurait réorienter l’histoire sans redessiner la géographie politique et des contenus de classe nouveaux ne sauraient se reporter tels quels dans les vieux périmètres géographiques piégeux légués par l’impérialisme.
Bref, souvenons-nous « à l’envers » des leçons géopolitiques de la contre-révolution anticommuniste des années 1990 : pour changer la nature de classe de l’ex-URSS, de l’ex-RDA et des autres ex-pays socialistes, y compris par la suite celles de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie multinationales, il a d’abord fallu à l’impérialisme (et à ses valets russes comme Boris Eltsine) fracturer et redessiner de fond en comble la « territorialité » soviétique, rebattre toutes les cartes de la territorialité est-européenne (annexion de la RDA par la RFA, absorption des ex-Républiques populaires par l’UE-OTAN, trituration générale des frontières, notamment dans les Balkans, dépeçage de la Serbie, etc.). Demain, si l’Empire européen se consolidait, cela signifierait sans doute un surcroît de centralisation de l’ex-Allemagne fédérale, le sous-hégémon régional, mais aussi et symétriquement une fédéralisation de type néo-girondin, voire un big-bang territorial de l’ex-France jacobine, de la République italienne tiraillée entre la Ligue du Nord (riche) et le Mezzogiorno (pauvre), si ce n’est de l’Espagne, dont la problématique territoriale est assez différente de celle de la France en raison des histoires en quelque sorte symétriques des deux pays (en France, le jacobinisme représentait la gauche et le girondinisme la droite de la bourgeoisie révolutionnaire ; en Espagne au contraire, la réaction monarcho-franquiste était centraliste alors que les autonomies catalane et basque se sont historiquement alliées à la gauche républicaine).
En revanche, la réunification de l’Eire gaélique par absorption de l’Ulster, ou la fragmentation de la Grande-Bretagne au détriment de l’actuelle centralité anglaise (« indépendance » de l’Ecosse et du Pays de Galles) ne sont pas encore très clairement interprétables du point de vue de leur signification historique d’ensemble ; sans doute souhaitable en elle-même pour ce qui concerne la patrie de James Connolly, matrice, avec Haïti, des luttes anticoloniales modernes, l’implosion du Royaume « Uni » pourrait aussi affaiblir fortement le prolétariat britannique et aider l’eurocratie bruxelloise à annuler de fait le Brexit en réarrimant à l’UE, cette prédatrice mondiale absolue, la nouvelle Ecosse pas si « indépendante » que cela…
23 =White, Anglo-Saxon, Protestant. Arrimé à l’ « éthique » protestante messianique étudiée dès longtemps par Max Weber, le suprémacisme blanc plonge de profondes racines aux USA dont la puissance territoriale (la non-« frontière ») s’est accrue au rythme de l’expropriation des Mexicains, de l’annexion des terres indiennes (notamment de l’absorption de l’Empire comanche) et de l’extermination concomitante des autres Amérindiens.
24 C’est-à-dire une ruée vers l’Est, l’expression figurant dans Mein Kampf… Sa plus affreuse expression germanique moderne fut l’Opération Barbarossa lancée par Hitler contre l’URSS en 1941.
25 Voici quelques indicateurs repris pour une part à Jean-Michel Toulouse, dirigeant national du PARDEM : le pourcentage de l’industrie française dans notre P.I.B. a chuté de 23 % (avant la mise en place de l’euro en 2002) à 9 % fin 2024. Fierté de la France du C.N.R. et des « Trente Glorieuses », les services publics sont en pleine décrépitude (Hôpitaux, école publique, logement social, entreprises nationales privatisées ou semi-privatisées avec le résultat qu’on connait pour E.D.F.-G.D.F. (la filière énergétique publique française est quasi détruite), la S.N.C.F., la Poste ou France-Telecom…). Le taux de natalité du pays s’effondre, ce qui entraine un vieillissement rapide de la population. Le déséquilibre de notre balance commerciale s’est accentué parallèlement à l’endettement massif de la France auprès des usuriers financiers internationaux (la France, sujette de la B.C.E., n’ayant plus le droit d’emprunter directement à petit taux à la Banque de France) et les délocalisations massives ont dévasté le produire en France industriel pendant que les traités de libre-échange transatlantiques signés par l’U.E. pour élargir les exportations industrielles allemandes dévastaient symétriquement le produire en France agricole, cette monnaie d’échange transcontinentale. L’Etat-stratège et la planification ont disparu tandis que le C.A.C. 40 est passé sous le contrôle du Capital anglo-saxon et/ou allemand comme le montre l’actionnariat des grandes sociétés. La France est ainsi passée du rang de cinquième puissance économique mondiale en P.I.B. (mesuré en dollars en 1999) à la dixième place (en P.P.A. 2023) après la Chine, les U.S.A., l’Inde, le Japon, le Brésil, la R.F.A., la Russie, l’Indonésie et le Royaume-Uni. Tout cela s’est produit en moins de vingt-cinq ans ! On voit mal comment la situation de notre peuple, qui a vu son pourcentage de pauvres s’accroitre depuis dix ans (14,4 % de la population vit en situation de pauvreté en 2022, 1/3 des étudiants recourent aux associations de solidarité pour manger chaque jour et 1/3 des Français déclarent ne plus faire que deux repas par jour !), pourrait s’inverser tant que la bourgeoisie compradore « française » se maintiendra au pouvoir en dissolvant notre pays dans le vitriol de l’U.E. supranationale… Bref, l’euro-mondialisation capitaliste provoque la tiers-mondisation galopante de la France et la paupérisation à la fois relative et absolue de ses couches populaires et moyennes pendant qu’une minorité de nantis, grande bourgeoisie financière et couches parasitaires gravitant autour d’elle, se gave sans limites tout en souscrivant à l’ « économie de guerre » appelée de ses vœux par Macron. Bref, le baratin de la « gauche » établie sur la possible « réorientation progressiste » d’une U.E. intrinsèquement antipopulaire, si ce n’est antifrançaise, ne peut plus relever que du mensonge cynique.
26 Depuis la rédaction de ces lignes, que nous n’avons guère eu à modifier cependant, le gouvernement Barnier est tombé et Bayrou a été nommé par Macron à Matignon. Mais l’équation parlementaire à résoudre demeure la même, le programme réel du gouvernement est toujours cadré par l’UE-OTAN et par les marchés financiers internationaux et si Bayrou tombait à son tour, Macron serait sans doute forcé de démissionner ou mieux, il serait « démissionné » par le monde du travail. Car le choix serait alors entre une démission « noblement consentie » par Macron sous la pression de l’oligarchie, qui voit de plus en plus en lui une planche pourrie, et un « démissionnement » obtenu sous la pression du peuple travailleur reprenant l’initiative politique face à un régime détesté. La question étant alors de savoir si la gauche populaire, francs communistes, vrais « insoumis » et syndicats de lutte en tête, prendra l’initiative du soulèvement populaire (tout en osant contester l’UE-OTAN et pas seulement la « Macronie » en faillite) ou si la haute bourgeoisie, voire ses supplétifs racistes et fascistes, prendront la direction d’un changement vers le pire en confiant au RN flanqué de Zemmour et de Ciotti le rôle traditionnel d’arme ultime du grand capital.
27 A la manière dont la Troïka composée de la Commission européenne, de la BCE et du FMI a « plié » la Grèce avec l’aide du premier ministre grec « de gauche » Alexis Tsipras, un membre éminent de ce PGE auquel le PGE était alors affilié…
28 Titre du pamphlet que nous avons publié en 2023 pour montrer que les euro-gouvernants successifs de la France se conduisent en violeurs politiques de Marianne, chacun attendant odieusement qu’arrive son tour pour continuer le crime perpétré par ses prédécesseurs. A commander à gastaudcrovisier2@gmail.com
29 En effet, l’ainsi-dit néolibéralisme n’est pas une résurgence du libéralisme bourgeois du XIXème siècle. Les néolibéraux européens promeuvent certes la « concurrence libre et non faussée », mais dans la vraie vie, le néolibéralisme est lourdement associé à la construction d’Etats transcontinentaux puissants et c’est à toutes les échelles de la construction étatique bourgeoise, « métropoles », grandes régions à l’allemande, Etats nationaux en voie de ratatinement, et bien entendu, Etats supranationaux eux-mêmes, que s’effectue désormais, notamment par le biais de la course aux armements et du complexe militaro-industriel, le subventionnement public massif des monopoles capitalistes en proie à la course au profit.
30 Renforcées dernièrement par l’arrêt de travail massif des hospitaliers coréens, ces grèves furent le support socioéconomique du soulèvement populaire qui, en décembre dernier, a brisé la tentative du président fasciste de proclamer la loi martiale à Séoul. Ce type de mouvement combinant grèves de masse, soulèvement populaire et levée en masse de la jeunesse, apparaît comme l’une des meilleures manières pour les peuples d’enrayer la marche à la Troisième Guerre mondiale fomentée par le bloc hégémonico-atlantiste. De nombreuses leçons pourraient en être tirées, mutatis mutandis, en France…
31 Et « thermomètre » ne signifie pas avant-garde au sens propre… car dans certaines circonstances, la jeunesse peut aussi basculer vers l’extrême réaction…
32 L’expression est d’André Glucksmann, le papa de l’autre et plus exterministe et fanatique encore que son belliciste de rejeton…
33… hindouisme fanatique d’un Modi, « évangélisme » protestant illuminé des libertariens nord- et sud-américains, islamisme égorgeur d’Al Qaida… et, plus invisiblement, cohortes de consommateurs moutonniers se prenant pour des « individus » mais ne vivant en fait que pour la « bonne affaire »…
34 L’agnosticisme stérilise le doute méthodique indispensable au savant, lequel doute n’est que préparatoire (cf. Descartes), et nullement définitif. Descartes n’était pas sceptique !
35 Nous préparons un travail spécifique sur la dialectique du contenu et de la forme en économie politique marxiste. Il portera sur les notions de libéralisme, de néolibéralisme et de capitalisme monopoliste d’Etat, mais aussi de bourgeoisie, de prolétariat, de classe ouvrière et de travail productif, etc.
36 Cf. dans notre livre intitulé Dialectique de la nature, vers un grand rebond ? (G. Gastaud, Delga 2024) l’article intitulé Retour des grands récits.
37 Lénine employait déjà les guillemets à ce sujet tant l’expression « bourgeoisie pacifique » semble oxymorique. Mais en l’occurrence, c’est la réalité qui est contradictoire et non le discours constatant cette contradiction (car, disait Spinoza, « le concept de chien n’aboie pas »)…
38 Le maire radical de Lyon, Edouard Herriot, sera à l’origine de l’établissement de relations diplomatiques normalisées entre la France et la Russie soviétique. En rupture totale avec les tentatives d’ingérence armées de Clémenceau et Cie qui conduisirent aux mutineries de la Mer Noir.
39 L’auteur de ces lignes n’a rien d’un « marxiste en chambre » : militant de longue date (fût-il de plus en plus critique), du PCF et dirigeant de ce parti à l’échelle d’une ville moyenne (Lens), puis responsable local et départemental du PRCF, militant et élu syndical SNES durant des dizaines d’années, l’auteur a participé à de nombreuses luttes de masse (aux côtés d’enseignants, de parents d’élèves, de lycéens et d’étudiants, d’ouvriers d’usine, de cheminots…), et s’est maintes fois coltiné les problèmes concrets d’organisation, de présence sur le terrain, sans parler des nuits blanches passées à la porte d’une grande usine et à proximité de palettes en flammes… prière donc, aux révisionnistes à court d’arguments théoriques, de se la jouer « militants de terrain » face au prétendu « intellectuel coupé des luttes »…
40 Cf. l’éclairante brochure de Stéphane Sirot, historien du mouvement ouvrier français, intitulée Que sont-ils devenus ? – Elle montre que la plupart des hiérarques syndicaux, y compris souvent, hélas, d’ex-patrons de la Conf’ CGT, se sont vu attribuer des « parachutes dorés » lors de leur retraite syndicale parsemée de reculs sociaux, de MM. Chérèque père et fils à Bernard Thibault, de Le Paon à Le Duigou en passant par Notat et Mailly. Sans parler du tout jeune retraité Laurent Berger.
41 Le Parti social-démocrate allemand (SPD) a donné le branle lors du funeste congrès de Bad Godesberg où il préféra Schumpeter à Marx.
42 Cette bourgeoisie social- ou plutôt, libéral-impérialiste, se retrouvera sans peine dans l’ignoble texte belliciste cosigné par l’ « anarchiste » D. Cohn-Bendit, par la metteuse en scène A. Mnouchkine et par le général Desportes (St-Cyr et l’Anarchie marchant bras dessus bras dessous, il fallait le faire !), et intitulé La trahison de l’Ukraine signerait la fin du projet européen. Texte paru dans Le Monde fin décembre 2024. Ce titre a du moins le mérite (involontaire) de définir le « projet européen » comme clairement expansionniste et impérialiste…
43 On l’a vu par ex. en Egypte où la rupture de Nasser avec l’URSS et le PC d’Egypte (durement réprimé) a ouvert la voie au rapprochement d’El Sadate avec Israël.
44 Ou encore, comme croyait pouvoir le dire G. Marchais, au profit d’une improbable « avancée démocratique au socialisme autogestionnaire » : on a vu les résultats…
45 Les manitous « français » du CAC 40 se sont « rattrapés » en pillant les ex-monopoles publics et les infrastructures d’Etat français euro-privatisés (EDF, autoroutes, aéroports, bientôt Sécu et retraites capitalisables…), en délocalisant la grande industrie française (donc en érodant l’ex-classe ouvrière « rouge »), en mondialisant la banque privée française, en fusionnant mondialement avec les monopoles allemands (Alstom…) ou américains (Stellantis)…
Du reste, le politicien libéral-fascisant qu’était Alain Madelin avait dès longtemps vendu la mèche sur la signification de classe de la « construction » euro-atlantique quand il a déclaré que le Traité de Maastricht voulu à la fois par Chirac et par Mitterrand constituait une « assurance-vie contre le socialisme » (youpi !). La bourgeoisie (de moins en moins) française qui, depuis Babeuf, juin 1848, la Commune, le Front populaire, l’insurrection parisienne FTP/FFI de 1945, etc., a grand peur du prolétariat français et de ses éruptions périodiques assorties de soulèvements juvéniles, pense désormais pouvoir dormir sur ses deux oreilles à l’abri de l’Etat transnational européen, de l’armée européenne et de la gendarmerie européenne en gésine, sans parler du « rassurant » (pas pour la paix, mais pour la domination de classe bourgeoise !) retour en force de l’OTAN, cette hyper-gendarmerie américaine de réserve protégeant l’ « ordre mondial fondé sur des règles » de l’Atlantique au Dniepr ! L’oligarchie postnationale française a en effet fait l’expérience en Mai-juin 68, puis à un moindre degré lors des grandes grèves de décembre 1995, puis de la pré-insurrection plébéienne combative et résolue des Gilets jaunes, que dans le cadre national français, sa domination de classe et de caste est constamment en danger. C’était déjà le cas lorsque l’Etat bourgeois était présidé par un « homme fort » comme de Gaulle et tout le monde a vu en 1995 ou en 2019, que face à un peuple fermement décidé, un Juppé ou un Macron ne « feraient par le poids ». « Cette leçon vaut bien quelques grosses couleuvres euro-atlantistes, sans doute ! ».
46 Sauf entorses conjoncturelles à « jouer » au coup par coup en fonction des circonstances comme Lénine, à la fois maître de son cap stratégique et expert ès louvoiements tactiques, sut constamment le faire en naviguant sans jamais « perdre le Nord » du communisme de guerre à la NEP…
47 C’est l’impérialisme, pas les pays socialistes ni les BRICS qui torpille l’ONU, qui cherche grossièrement à la « frapper à la caisse », c’est Netanyahou, le vil chouchou sanglant de Washington et Berlin qui menace, bombarde et tue des officiels de l’ONU en mission et qui brave en ricanant les normes universelles auxquelles son pays a souscrit quand Israël a été littéralement créé… sur décision de l’ONU !
48 Les pays occidentaux qui montent sur leur grand chevaux à propos des modifications de frontières entre l’Ukraine et la Russie étaient moins regardants quand, sans aucune consultation référendaire de leurs populations respectives, et en s’asseyant sur le référendum soviétique de 1990 (78% des habitants s’y sont prononcés pour le maintien de l’URSS, les séparatistes n’ont obtenu d’appui majoritaire que dans les pays baltes), les nouveaux dirigeants pro-occidentaux de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine capitalistes ont dépecé la fédération soviétique. Ces mêmes dirigeants avaient béni, en réalité, préparé, l’annexion de la RDA à la RFA, la partition (sans référendum !) de la Tchécoslovaquie, le découpage impérialiste (forces d’occupation otaniennes à l’appui) de l’ex-Yougoslavie socialiste, puis la dislocation de la Yougoslavie capitaliste par séparation de la Serbie et du Monténégro, puis l’arrachage à la Serbie de sa province historique du Kosovo… Et les mêmes eussent été ravis de ratifier la sortie de la Tchétchénie de la Fédération russe, car cela eût donné le coup d’envoi du dépeçage général de la Russie. Divide et impera (divise et commande !) comme l’enseignaient les impérialistes romains… Bref, selon que vous serez le grand vainqueur ou le vaincu humilié de la guerre de classes mondiale, « les jugements de cour vous feront blancs ou noirs » ! – Mais comme le disait Rousseau, « qu’est-ce qu’un droit qui change lorsque la force change ? »…
49 Kant recycle à l’échelle internationale cette terminologie rousseauiste et se demande en somme comment un Contrat social est possible, non plus entre les individus d’un pays, mais entre les nations. Pour autant, Kant ne conseille nullement la mise en place d’un Gouvernement supranational mondial qui détruirait les nations au lieu de les fédérer, avec d’énormes risques pour la liberté de chacun. En termes modernes, le Projet kantien Zum ewigen Frieden est internationaliste et non pas supranationaliste. Quant aux « intellectuels antitotalitaires » à la Glucksmann, BHL et autres Cohn-Bendit, leurs exhortations permanentes à la croisade mondiale antirusse ou antichinoise ne préparent rien d’autre, au choix, qu’une guerre d’extermination ou qu’une domination proprement globalitaire sur l’humanité.
50 Cf. notre brochure intitulée Exterminisme et criminalisation, un commentaire marxiste du Projet de Paix perpétuelle de Kant. Cf. aussi sur le site www.georges-gastaud.com l’article publié en déc. 2024 et proposant une réflexion critique sur la pensée kantienne à l’occasion du 300ème anniversaire de la naissance de Kant.
51 Il faut moins y voir selon nous un avatar moderne du « libéralisme du XIXème siècle », c’est-à-dire d’une idéologie fleurant la naphtaline, qu’un moyen infrastructurel subtil pour les monopoles capitalistes transnationaux d’éliminer ou de se subordonner le petit et le moyen capital, tous deux structurellement incapables, par déficit d’échelle, de soutenir des appels d’offres mondiaux de la concurrence intra-nationale ou locale véritable : l’enjeu n’étant rien moins que l’élimination « en douce » des marchés national et local où les petits et moyens capitalistes « avaient leurs chances ». Bref, nous soutenons toujours l’idée que le néolibéralisme mondial, y compris sa ruse libre-échangiste, n’est qu’une ruse de la raison au service du capitalisme monopoliste d’Etat en voie de continentalisation, voire de trans-continentalisation. En réalité, les monopoles capitalistes continentaux et transcontinentaux raflent les appels d’offre (ils peuvent en effet, dans un premier temps, casser les enchères) puis, une fois qu’ils ont gagné le marché public, ils le sous-traitent à prix cassé aux PME qu’ils contraignent à reporter la surexploitation ainsi induite sur le dos de leurs salariés généralement exploitables à merci car non syndiqués.
52 Refondation qui passait, selon le philosophe français Michel Serres, par l’institution d’un « nouveau Contrat naturel ». Dénomination frappante mais conceptuellement inappropriée, ou du moins paradoxale ; car la signature d’un « contrat naturel » entre l’homme et la nature suppose le consentement d’un sujet libre, ce dont n’est évidemment pas susceptible « la nature » comme telle. Gardons-nous de régresser d’une technolâtrie triomphaliste à une resucée des vieilles religions de la nature sous la forme d’une adoration néopaïenne de « Gaïa » érigée en sujet de droit (et que des O.N.G. ventriloques et liées à l’impérialisme vont se charger de faire parler à leur profit !). Cependant, la ligne de crête est étroite car il faut aussi cesser de traiter la biosphère, ce subtil et fragile écosystème global, comme une simple « chose » disponible à merci et dont il conviendrait de se rendre « comme maître et possesseur ».
53 André Prone parle d’écomunisme. Nous avons exprimé nos doutes à ce sujet dans une préface qu’André a eu l’élégance de nous demander pour l’un de ses livres.
54 Cf. notre brochure Le marxisme et la religion, éditions d’Etincelles. Cf. aussi la brochure de G.G. Marxisme et féminisme.
55 Bipédie, redressement vertébral, déplacement concomitant du trou occipital et développement induit de la face et des lobes frontaux, rétraction des crocs et affranchissement des mains de toute tâche locomotrice, capacités anatomiques de phonation, développement crânien propice à la prématurité humaine associée à l’élargissement du bassin chez les femmes et à la longueur sans égal de l’enfance humaine, multiplication des circonvolutions cérébrales, tout cela étant hautement propice, dans des conditions environnementales appropriées, à l’essor des capacités techniques et du triangle héritage/transmission/éducation ; c’est-à-dire à la fixation des conditions naturelles qui ont permis à l’Homme premier, ce primate parmi les primates, de rompre à tâtons avec la pure naturalité – naturellement sans jamais pouvoir en sortir totalement. En effet, sauf à machiniser entièrement et « bioniquement » le corps humain, nous restons des animaux pour le meilleur et pour le pire. Du reste, la rupture avec l’animalité n’est pas « derrière » nous, et comme située dans un passé « préhistorique », il nous faut la reproduire à chaque génération, voire à tout instant, et cela est vrai pour tout nouvel individu humain appelé par Autrui à accéder au langage, à la Cité, au travail productif, etc.
Au passage, disons qu’il est stupide de reprocher à Engels d’avoir parlé de « transformation du singe en homme » pour tenir compte de l’interaction constante qui met aux prises l’évolution naturelle et les transformations sociotechniques : en l’occurrence, reprocher à Engels, qui écrivait à la fin du XIXème siècle, de dire « singe » au lieu de « primate », ou « branche de primates », relève mesquinement de ce que Chateaubriand eût appelé une « érudition de grimaud ».
56 Comment penser scientifiquement la planification du développement socialiste global si l’on est structurellement incapable de concevoir à long terme le sens objectif du développement scientifique lui-même ? Un sens aujourd’hui abandonné aux « commandes » directes du marché capitaliste, à celles, plus indirectes, de l’édition scientifique aux mains des Anglo-Saxons (ah « Science », à « The Lancet », ah « Nature »…), voire à celle des économies de guerre d’un monde capitaliste en proie au vertige guerrier. Cf. à ce sujet la seconde partie du Tome II de Lumières communes consacré à la classification des sciences.
57 Sous le très morbide capitalisme « moderne », les forces productives sont structurellement et, j’ose en risquer l’hypothèse, de plus en plus subordonnées à la domination de la valeur d’usage sur la valeur d’échange, donc au « fétichisme » marchand qu’a dénoncé Marx dans Le Capital. Comme les biens de consommation qu’elles génèrent, comme le « travail productif » lui-même en régime capitaliste, ces forces « productives » sont façonnées par et pour la course au profit maximal (on ne produit pas des pommes pour les manger mais pour les vendre avec profit ; et si leur vente ne rapporte pas assez, on les détruit en masse pour que les cours ne s’écroulent pas… alors même que les familles pauvres ne peuvent pas acheter de fruits…). Sous le socialisme au contraire, biens de consommation et forces productives ne mériteront ce nom que s’ils satisfont in fine les besoins humains intercompatibles, à commencer par le besoin de rester en vie, le socialisme organisant en somme la « coexistence pacifique des besoins ». Prière donc, de ne pas qualifier de forces productives des forces de destruction massive du la biosphère !
58 Nous nous résolvons à utiliser ce terme tout en sachant qu’il a été souvent brandi comme un drapeau contre la planification socialiste (Yougoslavie à l’époque de Josip Tito) ou contre la nationalisation des grands moyens de production (CFDT des années 70). Au rapport de L. Sève, Marx utilisait cependant ce mot (« autogestion nationale d’ensemble ») qui a le mérite d’évoquer cette idée-force : la capacité des travailleurs à se saisir collectivement sur place, dans l’entreprise, l’école et le service, du sens même de leur travail de manière à se sentir les créateurs de la production, et pas seulement ses exécutants passifs. Bien entendu, la revendication d’autogestion n’est qu’un leurre dangereux si on la coupe de l’action pour la socialisation des moyens de production et pour la planification démocratique. Car alors, elle n’a d’autre fin que d’insérer les travailleurs dans le processus d’exploitation capitaliste, que de les détourner de la révolution en les amenant à la collaboration de classes (la Mitarbeitung chère au SPD), que de tronçonner le prolétariat en autant de coopératives rivales entre elles au lieu de l’unir, et que d’organiser la compétition capitaliste avec le contentement empressé de ses victimes. Il peut donc y avoir débat sur le terme mais sa dimension évocatoire, qu’aucun autre mot disponible ne nous semble comporter, doit être prise en compte dans la discussion.
59 Cette demande d’initiative et de sens dans l’accomplissement de leurs missions émane du reste massivement des trois fonctions publiques françaises. Les fonctionnaires français veulent massivement être traités en citoyens-fonctionnaires, et tel est le sens du statut de la fonction publique créé par Maurice Thorez en 1946.
60 Bien que ce soit de moins en moins le cas à notre époque d’universelle course au profit venant polluer aussi l’art, la philosophie et la science !
61 Du moment bien sûr qu’elles n’exploitent personne, qu’elles soient hors d’état de s’engager dans l’accumulation capitaliste et qu’elles se montrent loyales au socialisme, ou du moins, pacifiques et si possible bien intentionnées à son égard…
62 Lequel définit le communisme comme la société où « le développement de chacun devient la clé du développement de tous ». Le but du communisme n’est pas de « soumettre » l’individu au collectif mais de susciter « le libre développement des puissances humaines » comme fin et moteur de la société. En bref, de permettre le développement, il est vrai solidaire d’autrui, de toutes les capacités personnelles de chacun en produisant ce qu’Hemingway appelait des « hommes complets ».
63 En y incluant la PMA telle qu’on la pratique aujourd’hui en France de manière humaniste (le philosophe communiste Lucien Sève, grand spécialiste mondial du concept de « personnalité », ainsi que le Comité national d’éthique qu’il a quelque temps animé et qui fut mis en place par Mitterrand en 1982, dans la phase très brièvement progressiste de son premier mandat, ne sont pas pour rien dans les orientations humanistes et globalement anti-marchandes de ce haut Comité d’Etat). Remarquons par ex. que la PMA à la française exclut toute marchandisation du don de sperme (ou du don de sang) et que, court-circuitant la conception in utero mais non la gestation utérine ultérieure, la PMA actuelle proscrit par principe le clonage reproductif, déjà devenu techniquement possible à propos des brebis. Bien entendu, ladite PMA recourt toujours à la fusion d’un gamète femelle avec un gamète mâle pour susciter la conception d’un futur individu humain.
64 Il va de soi que nous ne discutons nullement ici la légitimité de l’adoption, y compris par des couples homosexuels. Laquelle n’élimine nullement le préalable d’une reproduction sexuée et repose indirectement sur elle. Notons cependant que, de manière très générale, tout enfant qui naît doit aussi être adopté par ses parents (la loi dit « reconnu »), fussent-ils par ailleurs ses propres géniteurs. Il y a bien, en droit, deux temps dans toute naissance, naissance à la vie, naissance à la société.
65 Ou, pour parer aux éventuels pinaillages, l’indétermination non moins objectivement déterminée de son sexe dans un nombre réduit de cas.
66 Un sociologue bien superficiel a récemment déclaré sur France-Culture que Lévi-Strauss et Freud s’étaient tous deux trompés sur l’essentiel puisque l’homme n’est pas le seul vivant à contourner les relations consanguines et que d’autres espèces animales refusent l’inceste elles aussi. Ce sociologue n’a pas remarqué que dans l’espèce humaine, le contournement de l’inceste passe par le langage (les dénominations variées accordées à la parentèle distinguent ipso facto ce qui est permis de ce qui est défendu) et par la règle (et est donc, hélas, largement transgressé…). Le comportement instinctif est au contraire marqué par l’automatisme. De ce fait, la prohibition de l’inceste peut (et est, hélas) fréquemment violée chez l’homme, elle est une règle et non une loi de la nature, inviolable par définition.
67 … proclamée, sinon respectée par tous, comme l’est toute règle humaine, à la différence des lois naturelles !
68 Dans l’espèce humaine et chez tous les mammifères, voire chez les vertébrés, le sexe est une variable biologique, génomique et anatomique irrécusable – et non pas une « assignation » arbitraire « attribuée » à la naissance par les médecins, les vétérinaires ou les taxinomistes comme le prétend ingénument J. Butler. Encore une fois, le fait qu’il existe des formes d’intersexualité anatomiquement constatées n’annule en rien le fait biologique objectif de la sexuation spécifique, l’intersexuation elle-même étant une donnée anatomique objective et n’ayant rien à voir, à l’origine du moins, avec une « assignation ». Le changement de sexe lié à l’âge que subissent certains poissons comme les dorades (à vérifier, c’est un vieux souvenir d’une visite au Musée océanographique de Monaco) n’y change rien conceptuellement parlant puisque c’est objectivement et biologiquement que lesdits poissons changent de sexe, l’idée de « genre » socioculturel n’ayant évidemment aucun sens à leur sujet !
Plus généralement, l’existence de cas très minoritaires d’intersexualité objective plus ou moins prononcée chez les humains (hermaphrodisme, « testicule féminisant », etc.) nuance et dialectise, sans le supprimer ni l’atténuer, le constat objectif d’une sexuation en gros duale de notre espèce (en d’autres espèces vivantes, par ex., végétales, il peut y avoir jusqu’à quatre sexes ( !) intervenant dans la reproduction d’un spécimen). De même en physique, l’existence de particules électriquement neutres comme le neutron ou le neutrino n’élimine pas l’existence non moins objective de particules positivement chargées comme le proton et de particules négativement chargées comme l’électron : telle est la polarité objective qui détermine la loi des signes (les rapports du plus et du moins en électricité) régissant l’électromagnétisme et, à travers lui, la formation des molécules et le fonctionnement des réactions chimiques. De même la pénombre qui caractérise objectivement le crépuscule en zone tempérée n’annule-t-elle pas la différence objective existant entre le jour et la nuit : du reste, qu’y aurait-il d’étonnant pour un dialecticien matérialiste à ce que l’on pût passer en continu de l’un à l’autre des pôles de la contradiction matérielle ?
De manière plus générale, c’est un sophisme que de nier des différences conceptuelles objectivement fondées en invoquant des exceptions, des cas-limites, des zones intermédiaires, etc. C’est un peu comme si l’existence bien réelle de la petite-bourgeoisie (travailleurs possédant leurs moyens de production, par ex. les artisans) effaçait l’antagonisme objectif, et combien plus déterminant socialement, entre prolétaires et capitalistes. Ou comme si le médecin devait se priver de penser en termes de « santé » et de « maladie » (si l’on se prive de ces notions, que signifie le mot « guérison » ?) sous prétexte que cette différence n’est pas toujours « carrée » et qu’il existe évidemment en médecine, comme en toutes choses, une zone grise et indéfinie, entre ce qui est sain et ce qui est malade : c’est notamment le cas en psychiatrie où la normalité est souvent difficile à cerner mais où on ne peut pas, en dernière analyse, faire totalement fi de l’idée de santé mentale et de souffrance psychique. Et tant pis si ces propos ne sont pas à la mode auprès d’un éventuel lecteur foucaldien s’égarant à nous lire…
69 Plus les variétés d’individus dit atypiques ou anomiques : cf. à ce sujet la note n°68.
70 Bien entendu sans disposer des données et du vocabulaire propres à notre temps, et ce serait pure cuistrerie que de lui en faire reproche !
71 Qui, selon le titre saisissant d’un livre d’A. Koyré, nous a précipités « du monde clos » d’Aristote, dans « l’univers infini » de Bruno, Descartes, Pascal et Newton.
72 Comme le montre Marx dans Le Capital, ce n’est pas le capitaliste qui fait le capital, c’est le capital qui fait (et qui défait) les capitalistes. Y compris à notre époque les Musk, Zuckerberg, Gates et Cie… Méthodologiquement, le matérialisme historique est la seule vraie critique du conspirationnisme, cet idéalisme historique plat.
73 Sagesse de la révolution, G. Gastaud, Temps des cerises, 2011.
74 Là se trouve la vraie base matérielle d’une possible« auto-divinisation » de l’homme, en entendant par là sa marche par nature interminable mais fixant le sens lointain de ses luttes : celle qui tend asymptotiquement vers l’autodétermination de plus en plus plénière et solidaire à la fois de notre essence. N’en restons pas moins matérialistes et constatons gaiment que la nature garde à tout jamais un primat indépassable car même quand « l’esprit domine la matière », comme cela semble être le cas dans le domaine des nouvelles technologies, c’est seulement parce que ledit « esprit » a su prendre appui sur la nature et sur sa priorité ontologique indépassable de ses lois ; car, comme l’avait déjà compris le philosophe anglais Francis Bacon, « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant » : exit, donc, la pensée magique ! Ajoutons qu’il ne sera pas plus possible à l’homme futur, fût-il pleinement communiste, de se recréer totalement lui-même (en réalité, il n’y a pas de self-made-man !) qu’il ne serait possible au Seigneur Dieu, comme le montrait déjà le sulfureux théologien médiéval Abélard, « de se créer lui-même », ni à Samson lui-même de se soulever du sol en se tirant par les cheveux : l’idée d’un Tout-puissant divin ou humain se passant, ou finissant de se passer, de toute nature préalable est insoutenable !
75 L’article 1 des statuts du PCF de 1945 disposait que le PCF est le guide du peuple de France. Un triomphalisme très explicable dans le contexte de la Libération et du rôle central que le PCF venait d’y jouer, mais dont le caractère auto-proclamatoire et la faiblesse du contenu de classe, n’appellent aucun commentaire facile…
76 Ce qui ne signifie pas forcément que les « purgés » aient eu raison sur le fond. C’est là une tout autre question.
77 Ce fut toute l’enseignement du XIXème siècle révolutionnaire français ; une leçon tirée par Marx dans La guerre civile en France, puis par Lénine dans Que faire ?
78 Raul Castro était communiste et léniniste bien avant 1959, et Ernesto Guevara n’avait pas attendu la proclamation du « caractère socialiste de la Révolution cubaine » par Fidel pour s’intéresser de près au marxisme-léninisme et pour lire les écrits de Marx, Lénine, Staline…
79 Tous ont fini fusillés par les Allemands : or, qui connaît leur nom parmi les jeunes philosophes, parmi les jeunes physiciens ou parmi les jeunes germanistes, l’Université actuelle pratiquant de fait, à l’encontre de l’épopée communiste française un efficace négationnisme par omission…
80 « Nous tirons alors qu’il faudrait qu’on nous tire ! », constatait tristement Lénine au début des années 1920 à l’adresse du mouvement ouvrier européen défaillant…
81 Et, en sourdine contrapunctique, à… la Commune de Paris : Hugo jeta en effet ses dernières forces dans la lutte pour l’amnistie des Communards, dont il avait tenté en mai 1871 d’abriter certains militants pourchassés dans sa maison de Bruxelles, qu’incendia aussitôt la réaction belge.
Qui s’étonnera qu’ensuite, les funérailles de notre plus grand écrivain national, chef héroïque du parti républicain depuis le Coup d’Etat impérial de Décembre 1852, aient été suivies par deux millions de Parisiens venus se découvrir au passage du « Corbillard des pauvres » sur lequel reposait le cercueil ?
82 Cf à propos des rapports entre masse et « cristal de masse », le livre d’E. Canetti, Masse et puissance : juste descriptivement mais empreint d’idéalisme historique.
83 Pur produit de la classe ouvrière rouge et tricolore de France, ce pupille de la Nation devenu ouvrier électricien dirigea la Fédération CGT de l’Energie sous le Front populaire. Militant communiste clandestin sous l’Occupation, il fut pris et déporté à Buchenwald. Il y organisa alors un réseau de solidarité dans le camp hitlérien. Devenu ministre de l’Industrie après-guerre sous le gouvernement issu de la Résistance, M. Paul « nationalisa la Lumière » et construisit ce joyau social et industriel que fut longtemps EdF-GdF avant d’être ruiné et déstabilisé par la « construction » européenne…
84 Cf, dans Sagesse de la révolution, déjà cité, le chapitre intitulé Le Marxisme et les sagesses antiques (sur le stoïcisme, le cynisme, l’épicurisme, le scepticisme…).