Puisque, une fois n’est pas coutume, on fait l’honneur à certains communistes, de répondre à leur argumentaire et, qui plus est, au nom de Gramsci, rentrons dans le débat.
Rappelons les épisodes précédents :
- Pierre Laurent a récemment utilisé dans une intervention, avec de bien gros sabots, la phrase emblématique de La Guerre des étoiles (imposée partout par l’anglais Star Wars), actuellement ressortie sur les écrans : « Que la force soit avec vous ».
- Le site « Vive le PCF » lui reproche, entre autres et à juste titre, de faire de la démagogie avec de la sous-culture étasunienne.
- Le site « Slate » donne une leçon de subtilité gramscienne à ces « communistes orthodoxes » qui ne savent pas se servir de ce qui fait partie de la culture populaire et peinent à se faire entendre.
De l’auteur de ce dernier article, Gaël Brustier, nous apprenons par la connaissance du « premier genre » que fournit internet qu’il est : « Militant du Parti socialiste (PS) de 2006 à 2013, travaille pour Arnaud Montebourg au conseil départemental de Saône-et-Loire, puis est chargé de mission au cabinet de Julien Dray, vice-président du conseil régional d’Île-de-France délégué à la Culture, entre 2012 et 2015. »
On pourrait s’arrêter là et s’amuser qu’un conseiller du PS éprouve le besoin de voler au secours d’un secrétaire national PC décidément peu légitime.
Néanmoins, sur le fond, Brustier n’a pas tort de dire que Star Wars fait désormais partie du « sens commun », terme qui doit être compris dans toute son acception gramscienne (à gros traits ce d’où il faut partir pour amener les masses à la conscience de leurs intérêts de classe).
Mais le problème est d’abord politique. C’est celui de l’influence de l’impérialisme étasunien, ici dans son volet sous-culturel : impérialisme auquel le PS est complètement soumis à tout point de vue, et notamment au plan culturel depuis au moins les accords Blum-Byrnes qui ont « hollywoodisé » le pays.
Il s’agit par conséquent de la capacité des communistes à lutter pour une culture populaire qui émane du peuple et non pour une culture rendue populaire parce qu’imposée au peuple par la puissance de feu médiatique et financière.
C’est là l’essentiel. Mais d’autres questions théoriques se posent :
S’il s’agit de dire, comme l’avait bien fait naguère une Florence Dupont, que Homère fut aussi le Dallas de l’Antiquité, pourquoi pas.
C’est faire ici une analogie : Homère et à l’Antiquité ce que Dallas est aux années 70 et Star Wars à notre époque.
Mais non une comparaison : Dallas et Star Wars ne sont, évidemment, pas l’Iliade et l’Odyssée.
Et Marx – à rebours du péché d' »historicisme » qu’on lui prête souvent – posait subtilement la nécessité de trouver ce qui, dans les chefs-d’oeuvre de l’Antiquité, fait qu’ils ont encore la faculté de nous toucher, malgré leur éloignement. Or force est de constater qu’on ne pourra pas en dire autant dans quelques siècles, à cause du manque de profondeur humaine du propos, de ladite « guerre des étoiles ».
En effet, de ce « désert culturel qu’ils appellent pax americana » (pour paraphraser Tacite) et dont Star Wars est un des emblèmes, il ne restera rien de valable pour les générations futures, rien de ce qui fait participer à une vision humaniste et progressiste de la culture, de ce en quoi elle participe du développement humain.
C’est Lukács qui a amplement alerté sur le problème de la décadence idéologique (cf. Problèmes du réalisme) liée au fétichisme de la marchandise, à la réification induite par le développement/pourrissement du mode de production capitaliste, phénomène dont je ne sache pas qu’il ait été volontairement négligé par Gramsci, théoricien de vaste culture hégéliano-marxiste et donc bien conscient des avatars concrets de ce que le jeune Marx percevait encore sous le terme générique et par trop hégelien d’aliénation.
Voilà donc quelques suggestions de lectures complémentaires qu’on pourrait faire à M. Brustier, mais une simple
familiarisation, par exemple, avec les thématiques de l’Ecole de Francfort l’aiderait sans doute à ne pas se focaliser sur les aspects purement stratégiques et conjoncturels développés par Gramsci. Lequel, détaché ici de sa famille de pensée, fait une fois de plus (pensons auxdites cultural studies) l’objet de manipulations sociales-démocrates grossières.
Faut-il rappeler qui était Gramsci? Faut-il rappeler ce qui distingue Gramsci de Julien Dray ou d’Arnaud Montebourg?
Faut-il rappeler que Gramsci ne voulait pas seulement « gagner » (les élections, les « primaires à gauche » etc.) mais changer le monde?
Changer la vie, comme vous disiez, messieurs, citant Rimbaud, avant 81.
Aymeric Monville pour Initiative Communiste
(peut être cité et publié partout si repris dans son intégralité avec sa source)