Une famine fabriquée par Staline pour génocider les Ukrainiens. C’est cela la thèse qui est répandue par certains milieux extrémistes directement issus des milieux collaborationnistes du IIIe Reich, prenant leurs racines aux demeurant pour l’essentiel dans des régions de l’actuelle Ukraine occidentale qui n’appartenaient pas à l’Ukraine soviétique des années 1930… C’est cette thèse qu’un récent film de A Holland « l’ombre de Staline » largement financé par le régime d’extrême droite au pouvoir à Kiev répand sur les écrans de cinéma ces derniers jours. Une thèse qui s’appuie de fait sur la campagne de propagande menée à l’époque notamment sous l’égide du magnat de la presse anticommuniste américain Hearst. Qui ne sera lui non plus pas le dernier à apporter sa sympathie à Hitler. Propagande largement développée également par les réseaux nazis.
Une thèse qui est cependant balayée par les travaux historiques les plus récents qui à l’opposée de la propagande établissent les faits suivants :
- la famine de 1933 intervient dans un contexte de menaces extérieures (crises de 1929, agressivité du Japon, montée du nazisme) qui expliquent les actions du gouvernement soviétique pour tenter de faire des stocks de céréales et son impossibilité de stopper totalement ses exportations, à la fois en raison de la guerre économique qu’il devait affronter de la part du monde capitaliste, à la fois en raison de la nécessiter d’industrialiser rapidement le pays pour faire face à la guerre contre le fascisme déjà évidente au début des années 1930.
- Avec la crise économique de 1932, l’URSS n’a pas pu importer la totalité des centaines de milliers de tracteurs qui devaient équiper les fermes collectives- ces tracteurs n’étant pas livrés par l’Occident – tandis que les bêtes de somme sont en constantes diminution, notamment du fait du manque de soins accompagnant la collectivisation.
- Elle se produit également dans un contexte de tensions intérieures avec une mutation rapide du monde agricole, la création des kolkhozes, qui perturbe le cycle de rotation des cultures, et dont les changements ne se font pas sans opposition ou difficulté d’organisation.
- la famine touche la plupart des régions soviétiques, et pas seulement l’Ukraine et les zones rurales, mais bien différentes régions de Russie, du Kazakhstan, de Sibérie, ainsi que les villes, de 1931 à 1933. Il est donc faux de dire que la famine a été dirigée contre l’Ukraine
- la famine de la fin 1932 jusqu’à l’été 1933 est principalement expliquée par les très mauvaises récoltes de 1931 et de 1932, celles-ci ne permettent pas d’assurer l’autonomie alimentaire de l’URSS pour la soudure du printemps / été 1933
- En 1931, une sécheresse redoutable frappe, avec de terribles épisodes de sukkovei. Dans la Volga centrale les vents chauds et secs soufflent durant 35 jours ! La situation météo est bien pire que celle causant la famine de 1921. Dans certaines régions, la situation est aggravée par des pluies exceptionnelles sévissant au moment de la moisson. Alors que le plan avait évalué à 97 millions de tonnes la récole, celle-ci n’aura atteint que 69 millions de tonnes. Soit une quinzaine de millions de tonnes de moins qu’en 1930. En conséquence le Politburo, le 28 octobre, sous la direction de Staline, décide la réduction du plan de collecte des régions les plus touchées de plus de 2 millions de tonnes (pour la Volga, l’Oural, la Sibérie et le Kazakhstan), augmentant celles des régions moins touchées de 0.49 millions de tonnes. À noter que le quota de l’Ukraine ne fut pas touché.
- Avec cette mauvaise récolte, les paysans des régions touchées voient leurs revenus baisser avec pour conséquences une baisse du travail réalisés dans les champs en 1932 par les exploitations privées, tandis que dans les fermes collectives en construction, la discipline au travail est encore faible. En conséquence, le Politburo décide de l’allocation d’aide en nourriture en 1931/1932 aux paysans. Également une avance sur la récolte de l’été 1932 est consentie dans les fermes collectives, sur la base des jours travaillés.
- La culture de blé d’hiver semé en 1931 pour être récolté en 1932 est frappée lors des semages d’automne en septembre et octobre par un froid précoce. Pour les semages de printemps, la mauvaise récolte de 1931 conduit à une tension sur les semences. En mars 1932, les exportations sont stoppées, une aide d’1 million de tonnes de semences accordées aux régions touchées par la sécheresse de 1931. Une aide de 110 000 tonnes de semences est accordées dès la mi-mars à l’Ukraine. Des aides supplémentaires sont accordées au mois d’avril, alors que le Politburo suit avec attention la situation de l’Ukraine. Une mission d’urgence dépêchée sur place à la fin mai obtient une aide supplémentaire de 41 000 tonnes de semences. Au total, c’est 1.3 million de tonnes de semences qui sont dispatchées comme aide d’urgence depuis les réserves gouvernementales au printemps 1932.
- Les difficultés résultants de la mauvaise récolte de 1931, de la désorganisation liée à la collectivisation, de la baisse du nombre d’animaux de traits – aggravée par une épidémie de méningites, mal compensée par l’équipement en tracteurs aboutissent à des retards dans l’ensemencement du printemps 1932 affectant les rendements.
- La situation climatique de 1932 est également très mauvaise avec un mois de mars très froid tandis que le mois de juin est particulièrement chaud. Pire même qu’en 1931 en Ukraine. Les champs sont également, comme en Europe de l’est, touchés par une violente infection fongique.
- Alors que la récolte prévue devait atteindre 90 millions de tonnes, avec un rendement de 850 kg à l’hectare, dès le mois de juin, il apparaît que le rendement sera moindre et la récolte est ré-estimée à 75 millions de tonnes. D’après l’expertise menée à l’été 1933, elle n’aura été que de 65 millions de tonnes avec des rendements faibles de 670 kg/ha. Témoignant d’une récolte encore plus mauvaise qu’en 1931.
- Dès le mois d’août, des réductions de la collecte de céréales sont décidées. par exemple, en Ukraine, le plan de collecte est réduit à plusieurs reprises, de 655 000 tonnes ; au total, le plan de collecte de 1932 aura été réduit de 3 millions de tonnes à 17,53 millions. Soit le quart de la récolte. À la fin de l’année 1932, le gouvernement prend des mesures drastiques de réduction des exportations, et réduit les attributions en céréales et fourrages de différents secteurs y compris pour l’Armée Rouge.
- Le déficit cumulée de 1931 et 1932, atteint la moitié d’une récolte annuelle. Expliquant pleinement la crise de famine de 1933, qui pris fin avec la bonne récolte de l’été 1933.
- Cette bonne récolte, alors que la campagne agricole de 1933 est marquée par les difficultés très importantes de 1932 et du printemps 1933 illustre le rôle indubitablement majeur des variations climatiques très défavorables de 1931-32 dans ces mauvaises récoltes et la famine en résultant, même si ce n’est pas la seule cause.
- le gouvernement soviétique a fait des choix difficiles compte tenu de cette situation dramatique : mais une aide significative (plus de 3,5 millions de tonnes en deux ans, soit rapportés à la population des secteurs touchés environ 40 kg de grains par habitant pour chacune des années) a été apportée aux régions touchées, y compris à l’Ukraine rurale.
- de façon parallèle à la pénurie de nourriture, une violente épidémie de typhus a sévi durant les années 1932 et 1933 avec 1 millions de cas déclarés contribuant à la mortalité.
- la surmortalité de 1930 à 1933 est parfois estimée entre 4 et 6 millions de morts, sur la base d’une simple analyse du déficit démographique correspondant à cette période. Observons que sur la même période, d’après les recensements publiés par les USA, c’est un déficit de 10.3 millions de personnes dans la décennie suivant la crise de 1929. Avec les même calculs que ceux de Conquest et de ceux prétendant que la famine de 1932-33 aurait fait 10 millions de morts en Ukraine, on conclurait qu’une famine similaires a fait 10 millions de morts aux USA.
- Les récents travaux du professeur canadien John Paul Himka sur la base de recherches démographiques évaluent à 2,5 à 3,5 millions le surcroît de mortalité en 1933 pour toute l’URSS. Les travaux des démographes français France Mesle et Jacques Vallin publié en 2002 dans Population Studies, évalue à 2,6 million de décès l’accroissement de la mortalité pour cette épisode de famine. L’ouverture des archives a également permis d’avoir accès au nombre de décès en Ukraine en 1932 et 1933 : 668 000 personnes pour 1932 et 2,1 millions pour 1933 toutes causes de mortalité confondues. Démontrant l’absolu impossibilité du chiffre politique de 10 millions de morts. En réalité, si l’on consulte les chiffres de la mortalité enregistrée – désormais disponibles en anglais via les travaux de Wheatcroft (cliquer ici) – il apparaît que la surmortalité survenue en 1933 pour la totalité de l’URSS a été de l’ordre de 2 à 2,5 millions de décès. Un ordre de grandeur catastrophique – qui comme le souligne l’historien Himka n’a pas besoin d’être gonflé – et qui, quoi supérieur, n’est pas très différent de celui des famines précédentes ou de la fin du XIXe siècle résultant elles aussi des mêmes types de calamités agricoles. Et Himka également spécialiste de l’holocauste d’alerter sur l’instrumentalisation de ces chiffres, par ces même partisans de l’UPA et de l’OUN collaborationnistes et antisémites… pour relativiser l’Holocauste.
À travers une revue de trois publications de référence sur le sujet d’historiens qui font autorité quant à la connaissance de cet épisode tragique, nous vous proposons d’illustrer l’état du savoir historique, sur cette catastrophe. Cette période tragique de l’histoire soviétique, et les victimes, ne mérite évidemment pas l’instrumentalisation politique à des visées de réhabilitation du nazisme et de ses collaborationnistes d’extrême droite et d’alimentation de la croisade impérialiste de l’Axe USA-UE qui en est actuellement fait en Ukraine sous l’égide de ses parents de l’Axe euro- atlantique dans la confrontation contre la Russie, suivant la guerre permanente menée contre l’URSS.
- À lire : les vrais chiffres du Goulag
- À acheter : le numéro spécial histoire de la revue Étincelles.
Mark B. Tauger est un historien spécialiste des questions agricoles. Il s’est penché dans un article publié en 1991 sur la famine de 1933 en URSS. Et son étude minutieuse des archives lui a permis de mettre en évidence la réalité de la récolte de 1932, une mauvaise récolte, expliquant en totalité la famine de 1933 qui a frappé villes et campagnes de toute l’URSS, touchant avec plus de virulence certaines régions agricoles. Cela malgré la réduction massive des exportations et les programmes d’aides alimentaires – notamment vers l’Ukraine – déclenchés par le gouvernement soviétique. À lire son Famine et transformation agricole en URSS dont la traduction est récemment parue aux éditions Delga.
extraits
La récolte de 1932 et la famine de 1933
in Slavic Review volume 50 issue 1 printemps 1991 -70-89
extraits:
sur l’ampleur de la mauvaise récolte de 1932 :
sur les effets de la collectivisation.
C’est un lieu commun largement répandu par la propagande anticommuniste, la collectivisation aurait été responsable de la famine, les kolkhozes nouvellement créés étant censés ne rien produire, tandis que les paysans auraient chercher à conserver leur grain. L’analyse des chiffres produites par Tauger fait pièce à cette interprétation douteuse.
» Selon les chiffres des archives, les kolkhozes en 1932 ont fourni 66.9% de la production de céréales ; le reste a été fourni par les sovkhozes (9.5%) et 23.66 par les paysans individuels. Les preuves de rendements démontrent que ceux des sovkhoze et des edinolichnik n’étaient pas meilleurs que ceux des kolkhozes ».
Sur la réponse du gouvernement soviétique :
« Le déclin de la récolte a également réduit les réserves du régime pour l’exportation de céréales. Cette diminution des réserves commença avec la récolte réduite à cause de la sécheresse en 1931 et les approvisionnements consécutifs, qui amenèrent la famine dans la région de la Volga, en Sibérie et dans d’autres régions. Les dirigeants soviétiques furent obligés de rendre les approvisionnements de grains à ces régions en 1932. La mauvaise révolte de 1931 et les ré-allocations de céréales pour les zones frappées de famine ont forcé le régime à couper dans les exportations de céréales réduites de 5.2 millions de tonnes en 1931 à 1.73 million en 1932. Elle déclinèrent à 1.68 millions en 1933. Les céréales exportées en 1932 et 1933 auraient pu nourrir beaucoup de monde et réduire la famine : les 354 000 tonnes exportées durant la première moitié de 1933 par exemple aurait pu approvisionner 2 millions de personnes avec une ration de 1 kilo par jour durant six mois. (…) Même si les dirigeants n’ont pas stoppé les exportations , ils ont essayé de remédier à la famine. Le 25 février 1933, le décret du Comité central alloue des prêts de semences de 320 000 tonnes pour l’Ukraine et 240 000 tonnes pour le Caucase nord. Des prêts sont également consentis à la Volga inférieure et à d’autres régions. Kul’chysts’kyy à partir des archives du parti ukrainien montre que le total de l’aide accordée à l’Ukraine en avril 1933 dépasse 560 000 tonnes, incluant plus de 80 000 tonnes de nourritures. La seule aide apportée à l’Ukraine était de 60% plus importante que la totalité des exportations à la même période. La totalité des aides apportées aux régions touchées par la famine était de plus du double que les exportations durant la première moitié de 1933. Il apparaît ainsi qu’une des autres conséquences de la mauvaise récolte de 1932 a été qu’une aide plus grande ne pouvait pas être apportée : après les mauvaises récoltes de 1931, 1934 et 1936 les céréales collectées ont été rendues aux paysans au dépens des exportations ».
sur la délirante qualification de génocide :
« La mauvaise récolte de 1932 signifiait que le gouvernement n’avait pas suffisamment de céréales pour les approvisionnements en nourriture des régions rurales et urbaines, les semences et les exportations. Les autorités réduisirent la totalité de ces usages, mais l’approvisionnement en nourriture des campagnes avait la dernière priorité. Les difficiles réquisitions de 1932 1933 n’ont fait que déplacer la famine des zones urbaines, qui auraient souffert d’une mortalité similaire sans les apports des réquisitions de céréales (et sans oublier que la mortalité urbaine augmenta aussi en 1933). La sévérité et le périmètre géographique de la famine, la baisse sévère des exportations en 1932-33, les approvisionnements en semences, et le chaos dans l’URSS de ces années, tout cela mène à conclure que même un arrêt complet des exportations n’auraient pas été suffisants pour prévenir la famine. Cette situation rend difficile d’accepter l’interprétation de la famine comme le résultat des réquisitions de grains de 1932 et un acte conscient de génocide. C’est la récolte de 1932 qui a essentiellement rendu la famine inévitable. «
Stephen G. Wheatrcoft est sans aucun doute l’historien le mieux documenté sur la période des années 1930 ainsi que le Goulag en URSS. L’historien australien est en effet de ces rares historiens à avoir fait l’effort d’étudier minutieusement les archives de l’État soviétique sur toute la période, à l’opposée des faux historiens mais vrais propagandistes – tel Robert Conquest issu d’une officine de propagande anticommuniste (IRD) – qui n’ont eu de cesse que de criminaliser l’Union Soviétique dans une histoire aux ordres faisant circuler les chiffres les plus fous et accréditant les thèses les plus sanglantes. Dans un article publié en 1999 (les victimes du stalinisme et de la police secrète soviétique : la comparabilité et la fiabilité des données des archives – ce n’est pas le dernier mot), une somme de 31 pages aux références très solide, Stephen G. Wheatcroft fait pièces à la propagande délirante de Conquest. Notamment sur la question de la famine soi-disant contrôlée survenue en Ukraine et dans le sud-ouest de la Russie en 1932/33. Voici la traduction depuis l’anglais de cet extrait.
Les idées reçues concernant le « contrôle » de la famine
in Europe Asia studies vol.51 No. 2 1999, 315-345 – p333-334
Conquest a initialement cité des éléments, reposant sur les rapports préliminaires d’un universitaire soviétologue hautement respecté (Danilov), pour affirmer que Staline et le Politburo ont accumulé des stocks de céréales durant la famine de 1932/33. Selon Conquest, le gouvernement aurait accumulé et stocké 4,53 millions de tonnes de céréales en réserve au pic de la famine, à la veille de la récolte. Une recherche détaillée dans les archives indique que c’est une affirmation trompeuse, reposant sur la confusion entre la projection des chiffres du plan et de la réalité[1]. Le Politburo avait certainement l’intention d’accumuler des réserves de grains en 1932/33, il avait plusieurs bonnes raisons de le faire :
- Le niveau des stocks au début des années agricoles 1932/33 étaient considérés comme dangereusement bas et pouvant potentiellement causer une rupture dans l’approvisionnement courant ;
- Le gouvernement était en train d’essayer d’accumuler une série de réserves dont il ressentait le besoin pour pouvoir les mobiliser en cas de menace de guerre. C’étaient les bien connus « fonds de mobilisation »
- Le gouvernement était préoccupé par l’invasion et l’occupation japonaise du nord de la Mandchourie, ce qui menaçait l’extrême- orient russe. Le gouvernement soviétique cherchait donc urgemment à construire des réserves en cas de déficit majeur dans la région de l’extrême-orient russe.
En dépit des ces facteurs pressant le gouvernement d’accumuler des céréales, et le désir clairement exprimé de le faire, le Politburo a été forcé à plusieurs reprise d’ordonner une fourniture d’urgence ( à la fois de nourriture et de semences) pour l’agriculture et les populations affamées. Cela a été documenté en détail par un article à venir de Davies & Wheatcroft[2]
Parce qu’il s’agissait d’un problème sensible, le gouvernement a entrepris différentes procédures de désinformation. Radek fit fuité à des diplomates occidentaux et à la presse occidentale qu’une partie des raisons du manque de grain en 1932/33 était la nécessité d’accumuler des réserves de grains dans l’Est[3]. Les archives militaires soviétique révèlent que de telles réserves de grain n’avaient pas été accumulées à cette époque contrairement à ce que disait un agent de désinformation Il apparaît également que même si le Politburo ne cessait d’accorder de la nourriture et des semences aux régions souffrant de la faim tout au long de 1932/33, il a interdit d’en faire mention. Il a probablement fait cela pour deux raisons : (a) pour contenir ce qui sans cela aurait pu devenir une vague de réclamations et (b) pour empêcher les ennemis potentiels de savoir que les réserves de grains n’étaient pas disponibles.
La conséquence de l’absence de constitution de stocks par le Politburo, et de sa distribution répétée d’aides en nourriture et en semences tout au long de 1932/33, à la fin de l’année agricole 1932/33 les stocks de grains étaient aussi dangereusement bas qu’ils l’étaient au début de l’année. Il n’y avait virtuellement plus de réserves et le stock opérationnel, i.e. le stock en circulation dans le système, était aussi bas que 1,9 tonnes, et même, en raison d’erreurs, il semble que les dirigeants à ce moment estimaient qu’il n’était plus que de 1,4 millions de tonnes. À ce moment, c’était considéré comme un niveau dangereusement bas. Bien que la collecte de la récolte dussent démarrer début juillet, la récolte ne battrait pas son plein avant la fin juillet. Même ensuite, cela prendrait plusieurs semaines de plus avant que le nouveau grain soit transporté à travers le pays, amené aux moulins pour être transformé en farine. Donc il est probable que la farine ne serait pas disponible pour que les boulangeries la transforment en pain avant août. C’était une période de transition critique d’un mois, un mois et demi. Le pays avait normalement besoin de deux millions de tonnes de grains pour garantir qu’il n’y ait pas de rupture de la chaîne d’approvisionnement et une famine massive, avant que le nouveau grain ne soit récolté, collecté et transformé puis livré aux consommateurs. Cela a été expliqué très en détail dans notre article.
Conquest, ayant fait l’erreur initiale de publier les chiffres préliminaires de Danilov d’une accumulation de grains de 4,5 millions de tonnes en réserves, désormais déforme notre correction, et démontre son manque de compréhension des détails du fonctionnement du système. Au lieu d’accepter qu’il n’y avait pas 4,5 millions de tonnes de grains en réserve mais seulement 1,9 millions de tonnes de stock de transition, il déforme notre propos comme si nous disions qu’il y avait 3 millions de tonnes, et il continue d’insister à les décrire comme si c’étaient des réserves ; contrairement à un stock de transition. Il a tort de suggérer que le système aurait facilement pu distribuer ce stock en circulation sans détruire totalement le système d’approvisionnement et causer une famine massive dans les villes.
[1]voir R. W. Davies, M. Tauger & S. G. Wheatcroft, `Stalin, Grain Stocks and the Famine of 1932±1933’ , Slavic Review, Fall 1995, pp. 642±57. Danilov is now himself aware of this error. But since he never put this preliminary ® nding into print he has nothing to withdraw.
[2] voir S. G. Wheatcroft & R. W. Davies, `The agricultural crisis of 1931±3’ , forthcoming (in Russian)
in Otechestvennaya istoriya, and in English in S. G. Wheatcroft (ed.), Challenging the Traditional Views of Russian History, forthcoming (Macmillan).
[3]Davies, Tauger & Wheatcroft, p. 642.
» Les années de la faim agriculture soviétique 1931-1933″
Les enseignements de la préface à l’édition révisée de 2009 de » Les années de la faim agriculture soviétique 1931-1933″ de RW Davies et Stephen G Wheatcroft – Plagrave Macmillan sont une très riche contribution à la compréhension historique de la famine de 1931-1933. Ils se saisissent des travaux les plus précis des deux historiens et des contributions de Tauger, tout en analysant et réfutant avec précisions les thèses de ceux présentant la famine comme un génocide, ou maximisant pour des raisons de propagande politique son ampleur.
« Depuis que ce livre a été achevé, la famine soviétique de 1931-33 est devenue un enjeu de politique internationale. « c’est l’alerte lancée par les auteurs qui soulignent la campagne de propagande d’abord menée par la communauté ukrainienne au Canada, puis l’adoption d’une loi par le parlement ukrainien affirmant que la famine était un acte de génocide contre le peuple ukrainien en novembre 2006, avant d’approuver en 2007 une loi criminalisant le déni de l’Holodomor. Le Canada passant une loi similaire en 2008 suivie en octobre 2009 par le parlement européen qui toutefois n’a pas reconnu la famine comme un génocide mais comme » cyniquement et cruellement planifiée par le régime de Staline pour forcer la politique soviétique de collectivisation de l’agriculture ». Les historiens s’inquiètent que cette campagne se renforce par des estimations extrêmement élevées du nombre de morts de la famine. Affirmant la mort de 10 millions de personnes.
À l’inverse, les auteurs remarquent que la Russie, bien que condamnant le pouvoir soviétique, explique qu’ « il n’y a pas de preuves historiques que la famine aurait été organisée sur des bases ethniques ». Soulignant la diffusion des travaux de l’historien V.P. Kozlov très critique de cette politisation de la famine.
Davies et Wheatcroft soulignent que le très respecté historien ukrainien Stanislas Jlchitskii estime l’excès de mortalité lié à la famine à 3 à 3.5 millions de morts tandis que les démographes ukrainiens comptent un excès de mortalité pour toute la période 1926-1939 de 3.5 millions. En dépit de ces évidences, la propagande continue à affirmer le chiffre de 10 millions de morts en 1932-33.
Davies et Wheatcroft remarquent qu’à l’inverse, d’autres historiens attribuent les causes de la famine uniquement à des causes naturelles : une mauvaises récoltes en 1932 provoquée par des maladies en lien avec la sécheresse de 1931, et les pluies durant les phases de semage et de récoltes, tandis que le gouvernement soviétique aurait été mal informé de l’intensité de la famine. Davies et Wheatcroft soulignent que cette seule explication, défendue par exemple par Mironin, est incomplète. À l’inverse, ils contestent le point de vue de Danilov et Zelenin qui attribuent la totale responsabilité de la famine aux actions de Staline, reprenant ainsi la thèse forgée par Robert Conquest que la famine, avant que ce dernier lui-même ne soit forcé de reconnaître que cette famine n’avait rien d’intentionnelle.
Davies et Wheatcroft affirment que leurs recherches leur permettent de conclure que » ces historiens et Conquest sous-estiment le rôle du climat et des autres causes naturelles dans la production des mauvaises récoltes de 1931 et 1932, et se trompent quand ils affirment que la récolte de 1932 était une récolte moyenne et non une mauvaise récolte ». Mais les deux historiens mettent aussi en évidence les causes internationales qui expliquent les actions du gouvernement soviétique : » la politique d’agression du Japon contre l’URSS en 1931″, « la crise économique des années 1930 bouleversant les conditions du commerce d’exportation de l’URSS », et de rappeler que les dispositions du plan quinquennal ont été largement modifiées pour tenir compte de l’évolution de la situation : réduction des dépenses de défense malgré l’arrivée au pouvoir d’Hitler en janvier 1933, coupe dans les importations pour l’industrialisation, réduction des approvisionnements en céréales pour les villes, avec même à la fin 1932 début 1933 une réduction inédite de l’emploi en dehors du secteur agricole.
Quant à la polémique sur la politique de dékoulakisation, Davies et Wheatcroft observent : « Une politique d’industrialisation rapide ayant pour but d’établir une industrie lourde et de défense était incompatible avec la NEP de 1920, avec son économie mixte et ses relations de marché avec la paysannerie. Elle requérait un saut vers un contrôle plus centralisé de l’économie en général, de l’agriculture en particulier ». et de critiquer la prévision irréaliste d’un accroissement annuel constant des récoltes de céréales « alors que les conditions naturelles de l’URSS rendaient inévitables des récoltes pauvres périodiquement ». La bonne récolte de 1930 a ainsi fondée les décisions des exportations substantielles de 1931 et 1932
traduction de ces extraits depuis l’anglais, JBC pour www.initiative-communiste.fr