UN LIVRE POUR L’ÉTÉ : Jack London, Le Talon de fer, éd. Libertalia, Paris, 2016
Vous n’avez pas lu Marx mais vous n’osez le dire. Qui ne se sentirait pas bien petit devant un tel monument, devant une œuvre aussi emblématique ? N’ayez pas honte : le « grand » économiste Thomas Piketty est bien capable d’écrire près de 1000 pages sur « Le Capital au XXIè s.»[1], d’y critiquer Marx et d’avouer dans le même mouvement ne pas l’avoir lu !
Vous êtes amateur d’uchronie, de dystopie, d’anticipation, de science-fiction…précipitez-vous sur Le Talon de fer. Ici la fiction dépasse la réalité de la vraie vie. Ici, l’anticipation décrit notre présent et notre avenir. Ici, l’uchronie est double.
Soit un historien vivant en 2632 ap. J-C. Il découvre un manuscrit caché, écrit par une femme, entre 1910 et 1930. Et c’est la voix de cette femme amoureuse d’un leader socialiste assassiné pendant la lutte anticapitaliste que fait entendre l’écrivain J. London, phénomène rare dans la littérature. Par ailleurs, le livre a été écrit en 19O6 (publié en 1908 aux États-Unis). Donner à lire ce manuscrit du début du XXè s. à des lecteurs du XXVIIè exige bien entendu des commentaires pour donner à comprendre aux contemporains le mode de vie étrange de ces ancêtres qui nous ressemblent beaucoup.
Et Marx alors ? J’y viens. Vous comprenez bien le concept de plus-value mais cela reste un concept. Plongez dans le récit et vous vivrez la fabrication de la plus-value à travers un épisode de la lutte du héros. La lutte des classes, c’est déjà plus accessible apparemment. Mais comme moteur de l’histoire, comme construction d’une conscience de classe… À travers les révoltes et révolutions plus ou moins éphémères, écrasées dans des bains de sang, elle reprend toujours de plus belle jusqu’à la victoire finale du prolétariat mondial faisant advenir la société de la Fraternité De l’Homme : plus de vols ni de crimes, là où la propriété privée est abolie et où seul règne l’intérêt général pour le bien commun. C’est en l’an 419 de la FDH que le lecteur découvre le manuscrit, soit trois siècles après l’écrasement définitif du Talon de fer comme London nomme l’oligarchie capitaliste.
Dans les discussions et les débats, la question des classes moyennes est bien difficile à aborder : à la fois antirévolutionnaires, partisans de l’ordre (ancien), pleines de contradictions et pourtant acculées à disparaître face aux grandes surfaces, aux GAFA, aux multinationales… Vous cherchez à comprendre, vous cherchez à les convaincre, lisez le roman.
Le FMI, le G7, le club de Rome et la Tricontinentale, autant d’institutions à travers lesquelles les trusts et les milliardaires semblent soudés pour exploiter toujours plus et mieux. Et pourtant leurs antagonismes mènent à des guerres mondiales et régionales. Ce n’est qu’en 1916 que Lénine en donnera une analyse magistrale dans « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme »[2]. Les prémices sont dans le roman de London.
Nos dirigeants syndicaux abandonnent l’intérêt des salariés, trahissent la classe ouvrière pour des prébendes, se transforment en « partenaires » sociaux négociant le non-négociable : J. London nous en fait comprendre les mécanismes. Comme il parvient aussi à le faire pour les crises économiques systémiques, de celle de 1929 jusqu’à celle de 2008 lui qui vit alors la toute première crise industrielle précédant la Première guerre mondiale. Les plus forts continuent de s’enrichir sur les dépouilles des sacrifiés, le prolétariat relève la tête (Révolution de 1905 en Russie sans parler de toutes les grèves insurrectionnelles aux États-Unis même), l’oligarchie capitaliste se sentant fragilisée ne recule devant aucun stratagème mortifère, déploie toute sa capacité de nuisance en lançant les fascismes aussi bien que les communautarismes ethniques ou les fanatismes religieux (déjà). Peu importe la méthode pourvu que le résultat soit l’anéantissement des libertés et de la pensée, l’écrasement du « peuple de l’abîme » [3]: c’est cela le « Talon de fer ».
Et pourtant nous sommes les
lecteurs du Vè s. de l’ère de la Fraternité : parce que c’est le sens de
l’histoire tel qu’analysé par Marx, parce que l’oligarchie capitaliste ne peut
que périr des contradictions qu’elle génère comme la baisse tendancielle du
taux de profit, parce qu’ « Un jour dans notre vie _ Le printemps
refleurira […].Ô terre d’allégresse, _ Où nous pourrons sans cesse_ Aimer,
aimer »[4]
[1] Seuil, Paris, 2013.
[2] https://www.initiative-communiste.fr/wp-content/uploads/2016/10/Limp%C3%A9rialisme-stade-supr%C3%A8me-du-Capitalisme.pdf
[3] Expression créée par H.G.Wells et reprise en titre de récit par J.London en 1903
[4] « Chant des Marais » aussi appelé « Chant des déportés », paroles écrites en 1933 par Johann Esser et Wolfang Langhoff, communistes allemands détenus au camp de concentration de Bögermoor.
par GJ pour www.initiative-communiste.fr