Impression immédiate après vision le 29 septembre 2018 d’« Un peuple et son roi » ou À bas le roi, vive le peuple!
Par Annie Lacroix-Riz – Historienne
- Pour voir le film : les cinémas et horaires avec Allociné
Je viens de voir le film de Schoeller. Certes, on peut lui reprocher des défauts dans l’exposé pédagogique des traits majeurs de années 1789-1793 : on peut regretter des manques, il y en, et, puisque le parti pris, d’ailleurs excellent, est très parisien, l’absence, notamment, de la référence au manifeste de Brunswick, à la Prusse donc (il est question de l’Autriche, de l’Espagne, de l’Italie, pas de la Prusse…), ou au conflit Jacobins-Gironde (évoqué par les seuls noms des protagonistes). Mais l’artiste est libre de ses partis pris, et le film, passionnant, permet de comprendre la logique de ce qui suit, c’est-à-dire la « Terreur » – en l’occurrence, des mesures de salut public au moment où la République est attaquée de toutes parts –, qui a permis à la France révolutionnaire de vaincre l’ennemi extérieur, en nourrissant le peuple combattant contre « les accapareurs » de farine affameurs.
Ce spectacle intelligent, dont les acteurs, tous remarquables, laissent éclater la satisfaction d’y avoir participé, montre comment se radicalise et se mobilise, vite et de plus en plus profondément, un peuple écrasé par la misère et la répression, voué au mépris de classe écrasant des nobles pour « les gens de peu », affiché à l’Assemblée, de plus en plus ouvertement partagé, au fil des mois, par les grands bourgeois à la Barnave, dont le discours du 15 juillet 1791 conjurant les élites sociales, les « propriétaires », de « finir la Révolution » est heureusement mentionné. Pour le coup, alors que la catégorie du « genre » est devenue si réactionnaire et si anti-« classe », il rend un extraordinaire hommage à l’intelligence et à l’action des femmes du peuple, à la fois « patriotes » et « révolutionnaires », en nous rappelant que c’est la Révolution française qui a créé ce double concept, si pertinent sous l’Occupation comme aujourd’hui. Enfin, un des aspects les plus puissants du film consiste à montrer en quoi l’exécution du roi qui conspirait depuis 1789 avec l’Europe monarchique contre son peuple a incarné et scellé la rupture révolutionnaire : plus rien du vieux monde ne demeure sacré.
On comprend que, en face, il « les » rende malades, et parmi eux l’ordonnateur des convenances et élégances historiques Laurentin qui peine à supporter l’obligation (rarissime) d’inviter des « dissidents » à prendre la parole dans sa « Fabrique de l’histoire », d’ordinaire si bien huilée, et que la citation, fidèle, de textes de Robespierre, Saint-Just ou Marat fait crier au « léninisme ». Quelle belle mise en valeur par Schoeller que Marat, le meilleur d’entre tous, celui qui comprenait si bien tous les enjeux, et que la bourgeoisie diabolise depuis l’origine ! Les gens qui nous gouvernent, économiquement, politiquement et culturellement, aiment mieux les veaux nourris au lait « européen », nourriture qu’ils dispensent eux-mêmes si généreusement. Ce qui fait horreur à ces Thermidoriens, c’est l’émergence du nouveau monde, le vrai, celui où le peuple, secondé par des délégués dévoués à ses intérêts, constate que ses intérêts sont antagoniques avec ceux des grands possédants, se prend en main, et balaie le mépris qu’ont aujourd’hui conservé intact les privilégiés, et plus que tous, au sommet de l’État, la petite cohorte des inspecteurs des Finances et assimilés qui, assurés de l’impunité, aiment tant insulter le peuple français.
Franchement, tout ça donne envie de reprendre ses manuels de la Révolution de Mathiez, de Lefebvre, de Soboul.
Vive la formation des militants! Vive le cinéma progressiste!
Annie Lacroix-Riz, historienne, qui a eu l’honneur de suivre comme agrégative les cours à la Sorbonne d’Albert Soboul, grand historien, communiste et juif, révoqué en 1942 par Vichy, résistant, brillant thésard du grand Georges Lefebvre.