(À propos du documentaire d’ARTE, Goulag, une histoire soviétique, de P. Rotman, N. Werth et F. Aymé, février 2020)
Nous avons visionné les près de trois heures du documentaire d’Arte à propos du Goulag, avant tout parce que les communistes ne doivent pas se voiler la face. Ce récit ne porte pas sur un pays lointain mais sur ce qui fut longtemps la seconde patrie de tout progressiste et antifasciste conséquent, l’URSS. Ce pays, né du refus de la boucherie impérialiste, premier pays socialiste de l’histoire puis principal vainqueur de Hitler, a lancé le signal de la révolte pour tant de peuples colonisés, a mis fin à la barbarie nazie, mais a aussi connu ses pages bien sombres et des formes d’organisation sociales inconsciemment issues de siècles d’oppression capitaliste : et cela d’autant plus que l’encerclement capitaliste en longue durée de l’URSS, puis du camp socialiste, n’a pas permis ce « dépérissement de l’État » qu’envisageaient les classiques du marxisme (la dictature initiale du prolétariat s’effaçant peu à peu devant l’autogestion sociale d’ensemble propre au communisme achevé) ; cet encerclement a au contraire nécessité un renforcement de l’appareil d’État chargé d’assumer de manière hypercentralisée un développement industriel à marche forcée et un renforcement prioritaire des capacités militaires indispensables face au fascisme (presque toute l’Europe occidentale, mais aussi le Japon sur le flanc Est de l’URSS), puis à la menace américaine, ouverte à Hiroshima, d’une extermination nucléaire de l’URSS, voire de l’humanité tout entière (le « plutôt morts que rouges » des réactionnaires occidentaux ne concernait pas que l’URSS et prenait en otage toute l’humanité).
Nous devons le reconnaître et le reconnaissons. En revanche, nous ne pouvons pas rester muets devant un certain nombre d’assertions, de non-dits et de manipulations de ce documentaire coécrit, notamment, par l’un des auteurs du Livre noir du communisme. Les millions de morts du communisme, ce n’est pas l’échelle des décès dans les camps du Goulag (1,6 million dont 900 000 en temps de guerre) ni même ceux des Grandes Purges (700 000 morts) : les millions de morts, ce sont ceux qu’on a infligés aux communistes (27 millions de victimes durant la Seconde Guerre mondiale), point de comparaison qui n’est jamais abordé dans le documentaire. C’est aussi pour cela que l’amalgame scandaleux entre nazisme et communisme, en plus d’être factuellement intenable, politiquement criminel en ces temps de fascisation et mensongèrement oublieux du lien étroit entre capitalisme et fascisme, est aussi moralement odieux.
Constatons tout d’abord que ce documentaire est financé par un fonds européen (Creative Europe – média de l’Union européenne), au moment même où le Parlement européen, s’alignant sur les gouvernements polonais, baltes et ukrainien, entend interdire toute activité communiste, et ce au nom d’une comparaison scélérate entre nazisme et communisme, laquelle ne peut se faire qu’avec des amalgames ignobles et en occultant les responsabilités du Capital dans l’éclosion du fascisme.
La tonalité du documentaire ne laisse aucun doute sur la profonde syntonie avec la répression anticommuniste en cours, lorsqu’il est dit, par exemple, à propos de Staline en 1945 : « Étrange paradoxe, le dictateur sanguinaire figure au côté des démocraties comme l’artisan de la victoire sur le totalitarisme nazi« . On l’aura compris : il y a pour les auteurs du documentaire d’un côté les totalitarismes (nazi et stalinien), de l’autre les « démocraties », comme si ces dernières, elles aussi en voie de fascisation (y compris en France malgré le coup d’arrêt très provisoire du Front populaire) n’avaient pas encouragé les nazis, de la « non-intervention » en Espagne (au détriment des Républicains) au « choix de la défaite » de 1940 en passant par Munich et bien d’autres « bonnes manières » à l’égard de Hitler, de Franco et de Mussolini…
Pourtant, ce que montre ce documentaire, ce sont des camps de travail, extrêmement sévères, épouvantables parfois, une exploitation dont nous avons eu de nombreux équivalents dans l’Occident, sur son sol et ses colonies. Mais en aucun cas, il ne s’agit de camps d’extermination comparables à ceux mis en place par les nazis. Anne Applebaum, correspondante de The Economist et auteur d’un livre sur le Goulag qui fait autorité dans les milieux néo-conservateurs états-uniens, dit elle-même, noir sur blanc, que ces camps n’étaient pas destinés à tuer (cf. l’appendice de son ouvrage Gulag: A History).
Dites TOUTE la vérité
Selon le documentaire, environ 20 millions de personnes ont connu le Goulag. Anne Applebaum parle, elle, de 18 millions, Nicolas Werth de 15 millions dans son dernier livre, Le Cimetière de l’espérance, alors qu’il est pourtant co-auteur de ce même documentaire. Ces chiffres sont très élevés. Ils sont aussi à mettre en parallèle avec le fait que le Goulag n’a jamais compté plus de 2 561 351 de prisonniers par an (chiffre de 1950), ce qui implique donc que les prisonniers n’étaient pas tous condamnés à de lourdes peines et que beaucoup sortaient du Goulag : ainsi, Nicolas Werth, dans son même ouvrage, rapporte qu’au 1er janvier 1940, on trouve 60,7 % des détenus purgeant des peines de moins de cinq ans.
Surtout, ce documentaire passe sous silence le nombre de décès enregistrés au Goulag. Car aussi terribles que soient ces destins brisés, on n’atteint certainement pas les chiffres de la propagande habituelle de la guerre froide : en effet, 1,6 million de personnes sont décédées au Goulag. Autre fait que cache savamment ce documentaire : la plupart de ces décès (près de 900 000) ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, dans des circonstances évidemment exceptionnelles puisque, à cette époque, l’Union soviétique subit la perte de 27 millions de ses concitoyens : le mot d’ordre d’alors, alors que le pays se battait pour sa survie collective, étant « tout pour le Front, tout pour la victoire ». On dénombre ainsi 115 484 morts en 1941, 352 560 en 1942 (en plein cœur de la guerre totale menée par l’Allemagne nazie et de l’héroïque résistance soviétique), 267 826 en 1943 (année de la fin de la bataille de Stalingrad et de la bataille de Koursk), 114 481 en 1944 et 81 917 en 1945 ; soit un total de 932 267 sur 1 606 748 pour la période 1930-1956 (chiffres rapportés par A. Applebaum).
Un autre « oubli » du documentaire
Le documentaire montre, certes, une mortalité très élevée sur les chantiers des camps du Goulag. J’ai relevé toutes les occurrences :
1) « Les détenus se tuent littéralement à la tâche. Cette mort programmée répond à l’objectif d’épuration sociale, politique, ethnique décidée par le pouvoir soviétique. »
2) « 12 000 meurent sur le chantier (Baltique / Mer blanche), soit 10% des effectifs »
3) « Le taux de mortalité dans les camps de la Kolyma atteint en 1937-1938 10% par an. »
4) À propos du canal Moscova/Volga : « À son apogée, près de 200 000 détenus travaillent sur le chantier, 30 000 y perdent la vie. »
5) À propos du chantier du second transsibérien (ligne Baïkal-Amour) : « À la fin des années 1930, le chantier exploite la force de travail de près de 200 000 détenus, dont 10 000 perdent la vie, 1 mort tous les 150 mètres. »
Dans son livre sur Staline, à paraître prochainement en français aux éditions Delga, et où il commente notamment des chiffres similaires avancés par l’historien Stephen Kotkin, Grover Furr montre bien que l’information essentielle n’est jamais donnée : la plupart de ces décès ont eu lieu en 1932-1933, c’est-à-dire les années de famine et de typhus, car la famine n’a bien entendu pas uniquement touché l’Ukraine, contrairement à ce que disent les nationalistes ukrainiens.
En effet, pour le canal Belomor (Baltique / Mer Blanche) sur les 12 318 décès enregistrés sur le chantier du canal Belomor, 8870 proviennent de l’année 1933 (1438 en 1931, 2010 en 1932) (A.I. Kokurin, IU. N Morukov, dir. Stalinskie Stroiki GULAGA 1930 – 1953. Dokumenty. Moscou: MDF – “Materik” 2005, 33-4.)
Dans son livre qui, visiblement, reprend les mêmes méthodes que le documentaire d’Arte, Stalin : Waiting for Hitler, Stephen Kotkin ose écrire : « Plus de 126 000 travailleurs forcés ont fait le travail [sur le canal Belomor], presque entièrement sans machines, et probablement au moins 12 000 sont morts en le faisant, tandis que des orchestres jouaient en arrière-plan. (p.134) »
Grover Furr commente donc ainsi, dans son livre sur Staline qui est conçu comme un anti-Kotkin : « Les prisonniers ne sont donc pas morts « en faisant cela », c’est-à-dire dans des conditions de travail médiocres ou brutales. Ils sont morts de la famine et de la maladie, ainsi que d’autres causes naturelles. Les orchestres faisaient partie des programmes culturels et éducatifs destinés aux prisonniers. Je n’ai pas trouvé d’activités culturelles similaires pour les prisonniers américains pendant cette période. En fait, les conditions brutales et la mortalité élevée dans les « chain gangs » constituaient un problème majeur aux États-Unis à l’époque. Et comparer les horribles – en fait, fascistes – abus et meurtres de prisonniers noirs aux États-Unis après la guerre civile dont parle Douglas Blackmon (Douglas Blackmon. Slavery By Another Name. The Re-enslavement of Black Americans from the Civil War to World War II. New York: Anchor Books, Random House, 2008 (Voir aussi l’excellente page web http:// http://www.slaverybyanothername.com/)
Et voici ce que nous apprend Grover Furr, toujours dans son livre à paraître à propos des travailleurs du canal Moscou/Volga :
« Kotkin écrit en page 404 de son livre : Le 22 avril, Staline a effectué sa troisième visite sur une partie du canal de 80 miles reliant les rivières Moscou et Volga… Le canal a été construit par les ouvriers du goulag, dont plus de 20 000 ont probablement péri.
Or, aucune preuve n’est fournie pour cette déclaration. Notez le mot « probablement » ! Kotkin ne connaît pas le chiffre mais en met un quand même. La source principale pour ce type d’information est A.I. Kokurin, IU. N Morukov, dir. Stalinskie Stroiki GULAGA 1930 – 1953. Dokumenty. Moscou : MDF – « Materik » 2005, 30-102. Les chiffres de mortalité cités ici ne concernent pas les ouvriers du canal mais l’ensemble du camp de « Dmitlag ». Le total des décès enregistrés dans le camp entre le 14 septembre 1932 et le 31 janvier 1938 est de 22 842. Le nombre de décès de loin le plus élevé – 39% du total – est enregistré pour 1933 – 8873 (p. 77). Ce fut l’année de la famine dans une grande partie de l’URSS, et aussi d’une grave épidémie de typhus. Le taux de mortalité était très élevé dans toute l’Union soviétique au cours de ces mêmes années. Omettre cette information donne l’impression que ces personnes ont été « travaillées à mort » ou sont mortes de mauvaises conditions. Mais ce n’est pas le cas. Selon la même source (p. 63), la journée de travail était de 10 heures. Le petit déjeuner durait 45 minutes, le dîner deux heures, et trois heures le soir étaient consacrées à des activités culturelles et éducatives. Ces conditions étaient meilleures que celles qui existaient pour des millions de travailleurs dans le monde capitaliste, sans parler des colonies des pays impérialistes occidentaux. Et bien meilleures que celles des prisonniers dans les prisons de l’Occident. Même Kokourine et Morukov, super anticommunistes de la société « Memorial », incluent ces informations. Kotkin ne le fait pas ! »
Comparaisons dérangeantes
Ensuite, il faudrait comparer ces chiffres avec d’autres chantiers dans le camp capitaliste, on peut voir que le creusement du canal de Panama a fait, lui aussi 22 000 victimes ; et l’on parle là de travail salarié, pas de travail pénitentiaire… Quant aux voies de chemin de fer dans les pays coloniaux, on compte aussi en morts par mètres entre 1921 et 1934, la construction de la ligne Congo-Océan (reliant Brazzaville à Pointe-Noire) a coûté la vie à 17 000 personnes, exploitées et déshumanisées par la logique colonisatrice (source : geo.fr, 20/16/2016). On retombe donc sur des chiffres du même ordre de grandeur. Et s’agissant des travaux forcés imposés par le colonialisme, ils frappaient sur la base de leur « indigénat » des individus qui n’avaient été condamnés par aucun tribunal, quoi qu’on pense par ailleurs de ces condamnations.
On peut certes tout à fait regretter que l’URSS, en raison sans doute d’un contexte d’encerclement épouvantable et de la nécessite de sortir du sous-développement d’Ancien Régime pour faire du pays une puissance industrielle en mesure de rivaliser avec les puissances capitalistes et/ou fascistes, n’a pas su échapper à ce type de développement économique à marche forcée qu’a connu également l’Occident capitaliste, qui, lui, n’avait pas l’excuse de subir une guerre pour sa survie, qui a disposé de plusieurs siècles pour s’industrialiser et qui avait à sa main les ressources humaines et naturelles de colonies impitoyablement pillées (combien de millions de morts africains, sud-américains, amérindiens du nord, asiatiques ?). Mais l’amalgame avec le nazisme et ses camps d’extermination, ses génocides, sa Shoah par balles et la race des seigneurs vouant des peuples décrétés « inférieurs » à l’esclavage infini n’est pas valable, d’autant qu’il sert à masquer le fait que le fascisme n’était qu’un stade de développement du capitalisme, sa partie la plus sauvage, l’impérialisme « ordinaire » continuant à exterminer de manière invisible par ses guerres coloniales et plus encore, par son pillage quotidien « invisible ».
2,7 millions de prisonniers à l’apogée du système du Goulag, cela constitue cependant, humainement parlant, un scandale. Le scandale dans le scandale me semble aussi le fait que les condamnations ont crû très sensiblement après la guerre pour stagner vers 1950. L’afflux de prisonniers de guerre, la suppression temporaire de la peine de mort, de 1947 à 1950, le fait que l’URSS ne vivait alors qu’une « paix » armée n’expliquent pas tout, et certainement n’excusent pas ce fait déchirant, pour nous communistes qui voulons le bonheur commun de l’humanité. Mais je rappelle que l’URSS a mis fin, définitivement, au Goulag, tandis que la population carcérale aux États-Unis (qui se sont historiquement illustrés dans la chasse aux « rouges », aux militants afro-américains et féministes, etc. : autrement dit, une répression politique pleinement assumée) était, en 2010, de 2,3 millions de personnes, soit environ le même nombre de personnes que le Goulag à son apogée ! Dans les deux cas, ces chiffres très anormaux s’expliquent aussi par des particularités nationales et l’histoire excessivement violente de ces deux pays que sont la Russie et les États-Unis.
Mais s’il s’agit de comparer des systèmes, on verra que les camps de travail du Goulag n’ont duré qu’une vingtaine d’années, années terribles pour l’URSS, qui connaissait aussi très réellement des tentatives incessantes de subversion interne, alors que le capitalisme triomphant ne compte nullement s’amender sur sa régulation sociale par l’emprisonnement. Au contraire, il nous prépare une autre guerre mondiale : depuis la disparition de l’URSS, la planète ne s’est jamais plus mal portée, les tendances à la fascisation des États bourgeois se sont accrues à peu près partout, notamment aux USA (avec le Patriot Act), y compris avec le retour institutionnel à la torture (Guantanamo, traitement indigne des prisonniers palestiniens…) et avec l’utilisation de l’arme de la faim contre des peuples entiers (embargos et blocus US) et ce n’est pas en persécutant les communistes qu’on améliorera son sort.
Ne pas désespérer Wall Street
Voilà pour le Goulag. Le Goulag n’était pas destiné à tuer, même si personne ne prétend qu’il n’y a pas eu d’exécutions politiques sous Staline. On connaît même le chiffre précis des condamnations à mort : 786 098 de 1934 à 1953, la plupart pour les deux années 1937 et 1938, chiffre également relayé par Anne Applebaum et qui provient de Zemskov toujours, dans un article de 1993 très connu des chercheurs puisqu’il est écrit en anglais et avec les chercheurs Getty et Rittersporn (J. A. Getty, G T. Rittersporn, and V. N. Zemskov, « Les victimes de la répression pénale dans l’URSS d’avant-guerre, » Revue des études slaves 65 (1993), pp. 631-670.)
Là aussi, Anne Applebaum se sent obligée, après avoir cité ces chiffres, d’ajouter sans logique un « en fait, on ne saura jamais vraiment », procédé qui lui permet sans doute de ne pas désespérer Manhattan et son public anticommuniste qui en attendait certainement davantage. Force est néanmoins de constater que là aussi, à défaut d’être médiatisé, le chiffre fait consensus.
Il fait, certes, froid dans le dos, surtout si l’on constate que la plupart des exécutions se concentrent sur les deux années 1937-1938. Mais la raison pour laquelle ce chiffrage est peu connu, encore aujourd’hui, est qu’il infirme la propagande des millions de morts de Medvedev, Conquest, Soljenitsyne et compagnie. Les causes historiques des « grandes purges » relèvent du débat historiographique, lequel est loin d’être terminé. Dans ses entretiens avec Felix Tchouïev, Molotov justifie ces exécutions par une volonté machiavélienne d’étouffer dans l’œuf toute potentielle cinquième colonne ; les autorités staliniennes avaient plutôt insisté sur la trahison de Ejov comme cause majeure de l’exécution de nombreux innocents (d’où le terme d’ejovchtchina pour caractériser la période). Les travaux d’historiens états-uniens, notamment John Archibald Getty, ont insisté, quant à eux, sur le fait que la volonté de répression et de contrôle provenait également de la base afin de châtier l’incurie bureaucratique. Assurément, la guerre d’Espagne, puis l’arrivée de Hitler au pouvoir avaient créé un sentiment de méfiance généralisée en URSS, d’autant que Hitler, vite adoubé par les « démocraties occidentales », promettait ouvertement dans Mein Kampf l’asservissement, voire l’extermination des Slaves et autres « sous-hommes » : l’analogie qui vient à l’esprit, dans ce cas, serait la réaction de la population parisienne, menacée d’extermination par le Manifeste de Brunswick de l’été 1792 et qui, combiné aux défaites de l’armée française alors mal préparée (de l’aveu même de Louis XVI, qui déclara volontairement la guerre à l’Autriche pour la perdre et ainsi écraser la Révolution française…), favorisa les massacres de septembre 1792 que Danton, bien avant Robespierre, voulut canaliser en leur donnant au moins une forme procédurale légale.
Quoi qu’il en soit, la question selon laquelle un État déjà attaqué à la fin de l’année 1917 par une coalition de quatorze pays capitalistes (États-Unis, France, Royaume-Uni, Japon et Allemagne en tête), se préparant à une guerre d’extermination fomentée contre lui, ayant à subir un conflit qui, même en obtenant la victoire, va lui coûter 27 millions de pertes civiles et militaires, peut se passer de police politique et d’une politique qui se réclamait d’une forme de « dictature de salut public », n’est pas intellectuellement illégitime mais reste principalement rhétorique.
C’est à ce contexte mental qu’il faut se référer si l’on veut essayer à tout le moins de comprendre ce qui s’est passé, et non à des analogies avec des contextes d’extermination génocidaire froidement planifiés comme tels, comme l’ont commis les nazis avec les juifs et les Tziganes (6 millions de morts) ou d’autres puissances coloniales ou impérialistes : génocides totalement accomplis (habitants de la Tasmanie par les Anglais) ou quasi accomplis (Arméniens, Indiens d’Amérique dont ceux du Nord qui, « jusque vers 1890 », furent « massacrés dans des proportions génocidaires » ; cf. Pap Ndiaye, « L’extermination des Indiens d’Amérique du Nord », in Marc Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 89).
Dans le même genre de « manip », auparavant, un autre procédé typique de la guerre froide consistait à jouer sur les mots et à suggérer par exemple que les autorités soviétiques, ne pouvant laisser sur les arrières de l’Armée rouge une nationalité ayant massivement collaboré avec les nazis, avaient « déporté » les Tatars de Crimée, avec le sous-entendu homicide que le terme « déportation » connote en Occident du fait des déportations juives vers les camps de la mort. Le fait est que sur 151 720 Tatars de Crimée envoyés en République socialiste soviétique d’Ouzbékistan en mai 1944, 191 personnes (0,13%) sont mortes pendant le transport, fait rapporté par Viktor Zemskov, source majeure d’Anne Applebaum, rappelons-le (Zemskov, V. N., К вопросу о масштабах репрессий в СССР // Социологические исследования. 1995. № 9. С. 118-127.)
Un flou inadmissible dans la recherche historique
Pourquoi donc, alors que les statistiques sur le Goulag ne sont pas contestées, ne peut-on pas avoir accès à une information précise? Les lecteurs de la page wikipedia en russe sur le Goulag, dont on s’attend à ce qu’ils relaient, la plupart du temps, le consensus en cours, peuvent, eux, lire ces statistiques des décès du Goulag, année par année. Le chiffre de 1,6 million de morts est le seul fourni puisque personne ne les conteste. La référence donnée est celle-ci : ГУЛАГ (Главное управление лагерей). 1918—1960. Глава III // Составители: А. И. Кокурин, Н. В. Петров. — МФД, 2000.
Plus évasive, la page wikipedia en français se contente d’un « mais un à deux millions de personnes n’ont pas survécu » sans indication de source, flou qui constitue un véritable mensonge par omission vu qu’on dispose des statistiques. C’est ce flou qui autorise sans doute La Croix, relayant le documentaire de Patrick Rotman, à parler de « 4 millions de morts » du Goulag ; Paris Match de « plusieurs millions », etc. Il est vrai qu’au pays du « livre noir », on ne renonce pas si facilement à la propagande des « millions de morts ».
Quant à Anne Applebaum, celle-ci se déclare « reluctant » (réticente) à se servir des statistiques ; Werth, dans son dernier livre, arrondit, on ne sait pourquoi, le 1,6 million de Zemskov à 2 millions. Et dans ce documentaire, il conclut par un évasif « des millions de morts ». On se souvient des 110 millions de Soljenitsyne, les 40 millions de Roy Medvedev… À ce niveau, ce n’est plus de l’histoire, c’est de la propagande de guerre, laquelle avait déjà commencé sur ce thème avec un livre intitulé Mein Kampf.
En réalité, on le voit, les millions de morts du communisme, ce ne sont pas ceux du Goulag, ce sont ceux qu’on a infligés aux communistes. C’est aussi, factuellement, pour cela que la comparaison entre nazisme et communisme est tout simplement ODIEUSE. Mais de ces 27 millions, le documentaire d’Arte ne parle même pas. Il a même le mauvais goût de passer d’images en noir et blanc à des images en couleur au moment où il évoque… l’invasion nazie de l’URSS. D’autant que dans le même temps, on ne parle jamais du fait que dans un temps fort bref, la Russie est devenue une grande puissance industrielle et scientifique que la majorité absolue des Russes regrettent encore aujourd’hui, qu’elle a joué un rôle majeur dans l’émancipation des femmes (droit de vote accordé dès 1917, droit au divorce par consentement mutuel, etc.) et dans le soutien aux luttes de décolonisation et que, sans la présence du camp socialiste mondial, les avancées sociales des pays de l’Ouest (que la propagande occidentale attribue magiquement aux « Trente Glorieuses ») sont impensables, comme on le vérifie a contrario depuis la chute de l’URSS. Mais faut-il attendre un brin d’objectivité de la part des réviseurs patentés de l’histoire de la seconde guerre mondiale qui ne sont même plus capables de dire, comme le faisait De Gaulle en 1944, alors qu’il signait à Moscou le traité d’assistance mutuelle avec Staline, « les Français savent que la Russie soviétique a joué le rôle principal dans leur libération ». Il n’est que de poser incidemment une question fort gênante pour l’idéologie dominante : les juifs d’Europe n’eussent-ils pas péri jusqu’au dernier si l’Union soviétique n’avait pas vaincu les nazis – qui concentraient les 2/3 de leurs divisions sur le front Est – ? Rien que ce fait note la misérable indécence de ceux qui ravalent le premier pays socialiste de l’histoire – avec les terribles distorsions que lui a infligé l’histoire tragique du XXe siècle – et le IIIe Reich capitaliste sciemment et méthodiquement exterminateur !
Un documentaire sur la répression stalinienne en général
Le documentaire n’en parle pas parce qu’il faudrait rester dans le sujet ? Allons bon… En réalité, le documentaire n’hésite pas – et pourquoi pas ? – à faire un rappel de l’ensemble de la répression stalinienne. Mais là encore, il faut être précis. En l’occurrence, la mention des famines vise un plan politique précis : alors que ce sont les communistes qui ont fini par mettre fin au cycle infernal de famines que connaissait la Russie, et que cela passait nécessairement par la mise en place d’une économie planifiée et par le droit au travail pour tous, c’est la collectivisation, et non pas ses ratés et ses excès, dénoncés par Staline lui-même, qui va être incriminée par le documentaire. Pourtant, dans son article « Stalin, Soviet Culture and Collectivization », Mark Tauger, historien de l’agriculture spécialiste des famines russes, ne fait pas de la collectivisation la seule cause de la famine de 31-33 et montre, au contraire, les aspects positifs des bouleversements en agriculture sur l’ensemble de l’histoire soviétique, victoire en 1945 comprise (ce qui n’est pas une mince affaire alors que le pays vainqueur de Hitler était lui-même dévasté : chose inconnue des États-Unis, qui ne débarquèrent en Europe qu’en juin 1944).
Référence est également faite dans le documentaire aux massacres de Katyn. On ne peut arriver à la version « ce sont les Soviétiques qui ont commis ce massacre, et pas les nazis » qu’en donnant du crédit aux documents remis par Eltsine au gouvernement polonais, qui contient notamment un faux grossier : une lettre de Staline à Béria datant de 1940 avec le tampon du Comité central du PCUS, nom du parti communiste qui n’aura cours qu’à partir de… 1952. On ne peut arriver à la conclusion inverse qu’en niant les découvertes du charnier de Volodymyr-Volynskyï (2011-2012), lieu de massacre de populations d’Ukraine occidentale par les SS. Les chercheurs y ont ainsi exhumé deux badges de soldats polonais censés avoir été exécutés, selon la version dite officielle, à… 1200 kilomètres de là. Découverte qui a conduit immédiatement à l’arrêt des recherches par les autorités ukrainiennes et polonaises… On ne peut arriver à la conclusion inverse qu’en prêtant foi au rapport nazi, concocté visiblement avec une telle hâte qu’il fait, par exemple, état d’une lettre écrite en allemand à un directeur de camp par un soldat polonais, ce qui montre que les prisonniers polonais étaient passés par un camp nazi avant leur exécution. À ce sujet, l’auteur d’un livre récent sur Katyn (Grover Furr) – et son humble éditeur français (moi-même) – attendent les contradicteurs de pied ferme.
Pour ce qui touche aux « origines » du Goulag, notamment les îles Solovki, notons que le documentaire s’appuie sur le livre de Raymond Duguet, Un bagne en Russie rouge, republié avec une préface de Nicolas Werth en 2004. L’historien Jean-Jacques Marie avait pourtant fait justice de cet ouvrage de propagande et avait montré que les témoignages des anciens prisonniers contredisaient la description d’un camp d’extermination faite, depuis Paris, par le propagandiste Duguet (https://www.marxists.org/francais/cmo/n23-avr-mai-2004/O_Chronique_6_corr.pdf ).
L’URSS seul rempart contre la dictature terroriste de la bourgeoisie, le fascisme
On l’aura compris : l’enjeu de la campagne actuelle autour du Goulag relayée sur la chaîne fétiche de l’Union européenne n’a donc guère à voir avec le légitime accès à l’information scientifique, y compris lorsqu’elle nous fait mal, à nous communistes. Le Parlement européen, par ses positions, n’avait lui-même guère contribué à élever le débat.
En effet, par son avis du 19 septembre 2019, il entend établir une relation d’équivalence entre communisme et nazisme et fait du pacte de non-agression germano-soviétique le primum movens de la Seconde Guerre mondiale, procédé grossier permettant d’exonérer les forces capitalistes du financement avéré des fascismes, des capitulations à répétition devant l’expansionnisme nazi ainsi que de l’esprit munichois qui animait une bonne partie des élites des pays dits démocratiques. Lorsque le ministre des Affaires étrangères Bonnet disait à Ribbentrop à Munich en 1938 « Nous vous laissons les mains libres à l’Est », nous voyons pourtant à l’œuvre une collusion profonde entre puissances capitalistes et colonialistes pour le partage du monde. Hitler était avant toutes choses un partisan de la « white supremacy » anglo-saxonne et entendait réserver aux Slaves le sort qu’ont connu les Indiens d’Amérique. Devant cette volonté d’assurer à l’Allemagne cette « place au soleil » que réclamait déjà Guillaume II, les différentes bourgeoisies nationales hésitaient alors entre deux options :
– entériner un plan de partage colonialiste et raciste du monde : grosso modo, l’Amérique du Nord contrôle l’Amérique du Sud, la France une partie de l’Afrique et l’Indochine, l’Angleterre le reste de l’Afrique ainsi que les Indes et l’Allemagne se taille son empire colonial à l’Est. C’est l’esprit munichois.
– brimer les ambitions allemandes (et japonaises), en partant de l’idée, tout à fait plausible, que le partage munichois du monde aurait signifié à terme un affrontement entre puissances équivalent à celui de la Première Guerre mondiale, mais sur une plus vaste échelle. Dans ces conditions, l’empire colonial anglais ne devait pas tolérer de rival allemand. C’est l’esprit churchillien.
Le Parlement européen entend donc criminaliser la seule force politique qui se soit véritablement opposée de toutes ses forces non seulement aux fascismes européens (nazisme en tête), mais également à tout racisme et à tout colonialisme, car les fascismes et lesdites démocraties occidentales étaient tour à tour rivaux et complices (on connaît par exemple l’éloge de Mussolini fait par Churchill). Au regard des faits, la comparaison Hitler = Staline, outre qu’elle masque le lien profond entre Hitler et le capitalisme, est tout simplement irrecevable, en plus d’être répugnante.
On ne sait pas combien de victimes l’URSS aurait eu à déplorer si elle avait perdu, sans parler de ce que serait devenue la France, que Hitler voulait dépecer et transformer en pays « de grooms et de jardiniers ». Les déclarations de Hitler ne laissent aucun doute sur le fait que les peuples soviétiques étaient voués à l’esclavage et à la décimation. À ce sujet, rappelons que la comparaison Hitler = Staline est d’autant plus inadmissible que l’Allemagne était entrée sur le territoire soviétique pour y porter la mort et la désolation alors que l’occupation soviétique de la partie Est de l’Allemagne a créé la RDA, soit le pays le plus riche du COMECON. Tout cela, les peuples de l’ex-URSS qui ont vécu successivement et « expérimenté » les deux systèmes, socialiste puis capitaliste, l’affirment expérience faite et alors même que le régime contre-révolutionnaire mis en place par Eltsine et maintenu, sous des formes ménageant la fierté nationale par Poutine, ne cesse de vilipender et de noircir Lénine et la Révolution d’Octobre. Cela ne signifie nullement que les Russes, surtout les ouvriers et les paysans, ferment les yeux sur les répressions injustes et aveugles, cela signifie qu’ils font la part des choses avec la conscience du fait que l’histoire est tragique. Comme les Français font la part des choses à propos des personnages-clés de leur histoire, non moins tragique quand on la regarde d’un peu près, notamment pour les classes populaires et pour les ex-colonisés : faut-il pour autant condamner la Révolution française avec ses grandes lumières et ses ombres tragiques ? Il n’est que de lire le Quatre-Vingt-treize de Hugo pour voir comment on peut rendre justice à Danton ou à Robespierre sans pour autant applaudir aux débordements bien réels de la Grande Terreur. Et MOINS ENCORE aux coalisés contre-révolutionnaires qui alors, du dedans et du dehors, non pour abolir les privilèges mais pour les rétablir, tentaient d’étrangler notre pays.
On l’aura compris : quelles que soient les contorsions des anticommunistes de tout poil pour travestir l’histoire, la volonté d’établir un lien d’équivalence entre le communisme et le nazisme se fracasse sans cesse devant la réalité. Et nous attendons toujours un documentaire recensant les victimes du capitalisme, qui tue tous les jours dans de monstrueuses proportions : comme le rappelait Gilles Perrault dans sa recension du Livre noir du communisme dans le Monde diplomatique de décembre 1997, « de quel poids pèseront les 40 000 enfants qui, selon l’Unicef, meurent chaque jour de malnutrition dans le tiers-monde ? ».
Aymeric Monville, 17 février 2020
Appendice : Des statistiques incontestées
À ceux qui douteraient de la validité des chiffres que nous relayons, notons qu’on doit cet épluchage rigoureux des archives après la fin de l’URSS à Viktor Zemskov, historien décédé en 2015 à qui Werth rend – enfin – hommage dans son dernier livre sans le relayer entièrement : « Je rencontrai Viktor Zemskov, qui m’expliqua longuement par quels recoupements minutieux de sources il était parvenu à établir les chiffres qu’il proposait, avant de me recommander à l’archiviste responsable des fonds du Goulag, Dina Nokhotovitch, laquelle m’ouvrit l’accès à une partie de ces documents. Je réalisai d’emblée que les découvertes de mes collègues russes méritaient d’être largement diffusées par une revue d’histoire étrangère accessible à un large public et rédigeai, en 1993, « Goulag : les vrais chiffres » pour L’Histoire. »
Les statistiques fournies par Zemskov proviennent des archives étatiques centrales de la révolution d’octobre (TsAGAOR URSS), rebaptisées désormais Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF). C’est là que sont stockés les rapports statistiques de l’OGPU-NKVD-MGB-MVD pour les années 30-50.
Les déclarations de Zemskov ne laissent aucune ambiguïté sur la fiabilité des statistiques. Voici ce qu’il répondait dans une polémique avec l’historien Anton Antonov-Ovseïenko : « La question de la contrefaçon pourrait être envisagée si nous nous appuyions sur un ou plusieurs documents distincts. Cependant, il est impossible de simuler un fonds d’archives entier situé dans un stockage d’État avec des milliers d’unités de stockage, qui comprend également une vaste gamme de matériaux primaires (en supposant que les matériaux primaires sont faux, cela n’est possible qu’avec l’hypothèse d’une idée absurde que chaque camp avait deux bureaux: un qui effectuait une véritable paperasserie, et un second qui en effectuait une fausse). (…)
L’hypothèse selon laquelle cette documentation pourrait contenir des informations sous-estimées est indéfendable car pour les organes du NKVD il n’était pas rentable et même dangereux de sous-estimer la portée de leurs activités, car sinon elles risquaient de tomber en disgrâce vis-à-vis du pouvoir pour « activité insuffisante » (nous traduisons de son ouvrage « Заключенные, спецпоселенцы, ссыльнопоселенцы, ссыльные и высланны », Статистико-географический аспект) // История СССР. 1991, vol. 5. p.151)
Voici ce qu’écrit précisément Zemskov :
« Nous n’avons des informations absolument exactes que sur 20 ans (du 1er janvier 1934 au 1er janvier 1954), 1 053 829 prisonniers sont morts dans les camps de travaux forcés (ITL) du Goulag. Pour la période 1939-1951 (il n’y avait aucune information pour 1945), 86 582 personnes sont mortes dans les prisons de l’URSS. Malheureusement, dans les documents du Goulag, nous n’avons pas pu trouver de statistiques consolidées de la mortalité dans les colonies de travail forcé (ITC) du Goulag. Des informations fragmentaires distinctes que nous avons identifiées nous permettent de conclure que le taux de mortalité était plus faible en ITC qu’en ITL. Ainsi, en 1939, dans les camps, elle est restée au niveau de 3,29% du contingent annuel, et dans les colonies 2,30%. Cela est confirmé par un autre fait : avec un nombre et une circulation à peu près égaux des prisonniers qui partaient et arrivaient en 1945, 43 848 sont morts dans l’ITL et 37 221 dans l’ITC. Dans les années 1935-1938. il y avait environ 2 fois moins de prisonniers dans l’ITC que dans l’ITL, en 1939 – 3,7 fois, 1940 – 4 fois, 1941 – 3,5, 1942 – presque 4 fois, 1943 – presque 2 fois moins. Dans les années 1944-1949, le nombre de prisonniers dans ITL et ITC était approximativement le même, en 1950 dans ITL il est devenu 20-25% plus élevé que dans ITC, en 1951 – 1,5 fois et en 1952-1953 – près de 2,5 fois.
En moyenne, pour 1935-1953, les colonies contiennent environ 2 fois moins de prisonniers que dans les camps et la mortalité par habitant y est plus faible. En utilisant la méthode d’extrapolation, il est possible d’affirmer avec un degré de confiance suffisant que dans les colonies en 1935-1953, pas plus de 0,5 million de personnes sont mortes. Ainsi, dans la période 1934-1953, environ 1,6 à 1,7 million de prisonniers sont morts dans les camps, les colonies et les prisons. De plus, ce nombre comprend non seulement les « ennemis du peuple », mais aussi les criminels (il y en avait davantage). Le rapport entre politique et criminel dans le Goulag à différents moments a fluctué de manière assez significative, mais en moyenne au cours des années 30 et au début des années 50. il était proche du niveau de 1à 3. Les données sont caractéristiques au 1er janvier 1951, lorsque le Goulag contenait 2 528 146 prisonniers, dont 579 918 étaient politiques et 1 948 228 condamnés pour des infractions pénales, c’est-à-dire dans un rapport de 1 à 3,3, y compris dans les camps – 1: 2,2 (475 976 et 1 057 791) et dans les colonies – 1: 8,5 (103 942 et 890 437).
Même en tenant compte des nombreuses preuves disponibles dans la littérature selon lesquelles le taux de mortalité parmi les politiques était plus élevé que chez les criminels, nous ne pouvons pas abaisser ce ratio en dessous du niveau de 1 à 2. Sur la base des statistiques ci-dessus, on peut affirmer que pour chaque responsable politique décédé en prison, il y avait au moins deux criminels morts. »
(nous traduisons de son article : Политические репрессии в СССР (1917-1990 гг.), «Россия XXI» 1-2 1994)
Ouf, merci à Aymeric Monville pour cet article juste et maitrisé. J’attendais une réaction avec impatience.
Je n’ai regardé que les deux premiers épisodes de « Goulag » : j’en suis sortie révoltée. Le ton, l’absence de remise en contexte historique, l’hyperdramatisation par, notamment le recours aux superlatifs, les mensonges par omission, pour moi qui ne suis même pas une historienne, m’ont sauté aux yeux et aux oreilles.
Tout ça parrainé par France Culture juste après – curieuse coincidence – mais on sait bien que Staline = Hitler – une série de treize émissions (du 13 janvier au 2 février) à l’occasion de l’anniversaire de la libération des camps nazis. A cette occasion, France Culture – « l’esprit d’ouverture » – en a consacré douze à la Shoah (bien entendu que le génocide juif a été une horreur, mais quid du génocide des Tsiganes ? La dernière émission de France Culture sur le génocide des Tsiganes date de … 2006). On préfère les victimes (même si bien des Juifs ont été AUSSI des résistants) aux combattants, la compassion à la révolte.
Mon grand père communiste a été déporté dès janvier 43 à Sachsenhausen, ma grand tante et mon arrière grand tante, épouse et belle mère de mon grand oncle communiste ont été déportées à Ravensbrück… Tout ça me révolte.
Au début de l’émission sur le Goulag, pendant la terreur rouge, c’est Lénine qui est le grand méchant bolchevik en chef. Pas de remise en contexte sur les conditions de la terreur rouge, pas un mot sur Trotsky pendant cette période, juste mentionné quand il est expulsé par les « staliniens ». Oserions nous penser que Rotman, qui a été à la LCR et a écrit dans « Rouge », n’est pas vraiment impartial sur ce coup là ?
Bref, après cette montée en puissance de mon énervement, je me suis apaisée en relisant la fin du discours de Jean Salem, en hommage à son père lors des obsèques de ce dernier. Je renvoie donc à l’ouvrage « Résistances » édité chez Delga pour en prendre connaissance.
Coup de colère, sentiment d’injustice : voilà pourquoi je sais gré à Initiative communiste d’avoir passé l’article.
Merci beaucoup pour cet article complet et dûment sourcé ! La propagande bourgeoise est tenace. Heureusement que vous êtes là.