Le projet scientifique et culturel du Palais de la Découverte est ambitieux et riche de détails de prime abord.
Quelqu’un d’optimiste peut y trouver matière à se réjouir.
Comme le pessimiste n’est jamais déçu, on peut ici évoquer la méfiance d’un personnel d’Universcience et spécialement du Palais de la Découverte ayant un lien professionnel et affectif très fort avec ce dernier.
Avec un peu d’histoire, on peut comprendre cette méfiance, absolue.
Cela fait 30 ans, sinon plus, que le ministère de la Culture, quel que soit sa couleur politique, a vu, voit sans doute encore, le Palais de la Découverte – du moins tel qu’il est aujourd’hui – d’un mauvais œil, dans l’enceinte du bâtiment du Grand-Palais.
Le Palais de la Découverte jusqu’à sa fusion avec la Cité des Sciences et de l’Industrie était un établissement public à caractère scientifique culturel et professionnel régi sous la seule tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et dont les personnels étaient majoritairement – sont toujours d’ailleurs – mais en voie de raréfaction – des fonctionnaires de l’Éducation Nationale. Les contractuels de droit public d’hier sont devenus des salariés de droit privé dans l’EPIC, EPPDCSI.
Il y a bientôt 20 ans que les menaces, que nous allons caractériser un peu plus loin, en provenance du Ministère de la Culture et de la Communication, ont commencé à se préciser quand le bâtiment du Grand Palais, après longtemps d’abandon, a vu sa cote remonter, eu égard à son emplacement en plein cœur de Paris et avec ses mètres carrés les plus chers de la capitale.
Dans le même temps, et dès la création de la Cité des Sciences et de l’Industrie, la 4e travée était, semble-t-il, promise au Palais de la Découverte, avec l’objectif toujours inavoué, non-assumé, d’un seul établissement scientifique à Paris et plutôt en périphérie qu’au centre…
Las ! Il y a désormais un centre commercial dans cette 4e travée, et pas tellement vaillant, d’ailleurs.
Revenons dans le 8e.
Qui, à la manœuvre derrière ?
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, tutelle unique du Palais et tutelle tierce de la Cité (le 3e étant l’industrie) a – c’est un fait – peu à peu abandonné l’affaire des deux côtés, laissant le manche entier au ministère de la Culture.
Qui a d’ailleurs récupéré en propre, derrière l’affreux acronyme LOLF, la ligne budgétaire de la culture scientifique.
Mais si la guerre a un nerf qui est l’argent, elle ne se fait pas sans combattants au front, pugnaces et obéissants et avec des capitaines pour qui penser c’est désobéir. C’est ça une bonne armée.
En ce qui concerne le combat rapproché, les deux bras désignés pour mettre à bas le Palais seront la Cité des Sciences et de l’Industrie d’une part, le Grand Palais renaissant d’autre part.
L’encerclement pouvait débuter.
La menace, sourde depuis longtemps, a fait place en début de quinquennat du président Sarkozy au lancement, en 2008, de la Révision Générale des Politiques Publiques. Sa mesure 34 était de fusionner le Palais à la Cité. Cette mesure a attendu la mort en 2007 de Pierre-Gilles de Gennes, défenseur acharné du Palais et opposant déclaré à cette fusion.
L’hommage du président Sarkozy à ce grand homme dans le Hall même du Palais reste, pour nombre de personnels du Palais, un moment d’une ambivalence inouïe…
La fusion a eu lieu.
Sous le régime d’un EPIC, celui qui était déjà celui de la Cité.
Dans les faits, une absorption du plus petit par le plus gros.
La constitution de l’organigramme de tête et intermédiaire ne laisse statistiquement pas de place au doute : l’encadrement de la Cité des Sciences et de l’Industrie a pris en charge le Palais, le mettant à son pas. Les manières de faire si différentes, ont vu celles de la Cité s’imposer, parfois sinon souvent, violemment, à celles du Palais.
Les personnels du Palais ont d’ailleurs vu, à ce moment, l’extrême souffrance des personnels non-encadrants de la Cité, assujettis à une gouvernance managériale éloignée au possible de l’enthousiasme des débuts…
Cela fait maintenant presque 10 ans que le Palais de la découverte a été placé sous coupe réglée, tout en lui laissant une certaine autonomie et visibilité vis-à-vis du public pour laisser croire qu’il est encore pleinement en vie.
Mais voilà maintenant le 2e acte, la mise en branle de la 2e pince, pour étouffer le Palais de la Découverte.
Il fut magnifiquement présenté dans le salon d’honneur, longtemps occupé par la physique nucléaire : voici venu le temps de la rénovation d’un Grand Palais des arts et des sciences et d’une fusion fonctionnelle, de fait, entre d’une part ce qu’on va continuer d’appeler le Palais de la Découverte et d’autre part un Grand Palais s’appelant étrangement RMN-GP.
Oui, voilà le Palais de la Découverte qui va se retrouver écartelé entre une gouvernance hiérarchique située à la Cité dans le 19e arrondissement et un assujettissement géographique et fonctionnel à son bailleur et gros voisin : le Grand Palais de la RMN-GP…
Ce Grand Palais aura une rue des Palais avec, en venant par le square Jean Perrin – que d’hommage en façade au Palais de la Découverte et à son père fondateur ! – à sa gauche la partie artistique et à sa droite la partie scientifique, toujours dans ce Palais d’Antin qu’occupe aujourd’hui et depuis 1937 le Palais de la Découverte.
Une nouveauté en sous-sol : une galerie des enfants, mêlant arts et sciences, à leur mesure ; ou plutôt à celle des parents, laissant là une progéniture en bonne garde, pour déambuler sans gêne dans les étages supérieurs…
Le Palais de la Découverte va donc fermer au public le 31 août 2020 pour rouvrir en 2024 sans précision du mois.
Passons sur l’incertitude, encore à ce jour, du Palais éphémère, hors les murs, avec incubateur, et qui va couvrir la période 2020-2024.
Arrivons à ce projet scientifique et culturel destiné à poser le Palais de la Découverte de 2024.
Déjà, et ce n’est pas le cœur de son propos mais le caractérise quand
même : il est contraint en superficie, les mètres carrés sont âprement
discutés.
Il n’y aura que 80 postes de travail contre plus de 160
aujourd’hui. Cela n’a pas eu l’air de faire réagir la direction
d’Universcience qui semble l’avoir pris pour donnée et pas comme un
élément pouvant être négocié avec la RMNGP qui l’a imposé.
On voit là clairement le caractère si peu combatif de la direction d’Universcience pour placer le nouveau Palais de la Découverte dans le Grand Palais des arts et des sciences.
Faut-il s’en étonner ? On se répète : nous n’avons là que des capitaines d’établissements aux ordres du ministère de la Culture, lequel ne veut pas assumer l’assassinat pur et simple du Palais et se rabat donc à le rabougrir au possible, pour éviter toute levée de bouclier de ses soutiens fidèles, et il en compte pourtant encore dans une communauté scientifique qui l’affectionne, mais malheureusement bien maladroite à le défendre efficacement.
Concrètement 80 postes sur 160 ça donne quoi ?
Si les services techniques du Palais vont migrer et être positionnés
très majoritairement à la Cité, il s’agit d’abord d’une première
caractéristique fondamentale du Palais qui meurt : l’idée de
présentations de manips et d’éléments d’exposés, fruits de la cogitation
en commun de médiateurs et d’ingénieurs-techniciens. Ce modèle de
fonctionnement a existé pleinement jusqu’à récemment. Il existe encore !
Et il le faut, pour que les éléments face public ou nécessaires aux
médiations fonctionnent correctement chaque jour.
Demain, ce sera
fini, et au final, ça tombe plutôt bien : ce n’était pas le modèle
organisationnel de la Cité des Sciences ; laquelle privilégie la
conception d’expositions plutôt sans présence humaine et qui externalise
la production des éléments d’exposition.
Donc les services techniques du Palais seront sinon liquidés du moins reconvertis.
Restent les médiateurs.
Ils sont valorisés moult fois dans ce projet scientifique et culturel
mais le diable se niche dans les détails. La pensée dominante est forte
et tue une deuxième caractéristique du Palais et de la définition même
des missions qui incombent aux médiateurs scientifiques fonctionnaires
et de leurs homologues salariés. Ils sont des responsables et chargés de
médiation scientifique de la BAP (branche d’activité professionnelle) F
(Culture, Communication, Production et diffusion des savoirs) des ITRF
(ingénieurs techniciens de la recherche formation): ils devront demain
faire du présentiel, faire accoucher le public de questionnements et lui
répondre.
Mais ils ne vont plus exercer ce qui sont les lignes
premières de leur métier caractérisé par leur emploi-type : organiser et
concevoir des projets et éléments d’expositions…
Ce n’est pas grave. Ces missions, ils ne les exercent déjà plus dans Universcience depuis la « fusion ». Cela ne changera pas grand-chose demain car les îlots de curiosité du Palais de demain échapperont tout aussi grandement à leur regard ; tout se fera dans la direction des expositions.
Ne parlons pas des petites mains de l’accueil-billetterie, et d’autres
services supports. Il n’y aura pas de place pour eux dans le nouveau
Palais. On se veut évidemment rassurant à la direction : pas
d’inquiétude à avoir ; tout le monde sera recasé, à la Cité.
La paye
à la fin du mois, c’est bien ça qui vous préoccupe le plus, n’est-ce
pas ? Il y a là quelque part, même si c’est involontaire, un mépris à
comprendre les personnels attachés au Palais.
C’est facile de faire un projet scientifique et culturel qui laisse de fait sur le côté des gens qui parfois ont travaillé des décennies dans un établissement qui continuera demain, mais sans eux et les entretiens qui ont lieu en ce moment entre les hiérarchies de la Cité et les personnels du Palais donnent des échos effarants de ce point de vue-là.
D’un point de vue plus conceptuel, on peut également critiquer beaucoup d’aspects évoqués dans ce PSC, et ils ne seront pas exhaustifs, nous allons en relever trois :
– l’aspect technologique mis en avant. S’il s’agit de manipuler des concepts de science fondamentale, la technologie risque plus sûrement – pas toujours – de rater sa cible plutôt que de l’atteindre. Au moment de la fusion, les personnels du Palais insistaient pour que le Palais ne fasse pas de la Cité, du point de vue de l’incorporation de toute cette technologie de présentation « multimédia », laquelle est évidemment différente de toute cette technologie de conception – nécessaire aujourd’hui à la recherche – et qui donc doit faire bien sûr l’objet de médiation scientifique.
– Formellement contraint par l’injonction dogmatique de la réintroduction de la lumière naturelle conforme au bâtiment de 1900, on peut d’ores et déjà dire adieu à la salle Lumière, en physique. Eh oui, pour voir la lumière du point de vue de la physique, il faut évidemment se plonger dans la pénombre. Nous voyons là l’exemple le plus frappant de la forme qui contraint le fond. D’ailleurs tous les clichés d’architecte pour le projet du futur Grand Palais, en ligne et consultables depuis plus d’un an, et concernant le Palais de la Découverte, prouvent une méconnaissance crasse de ce qu’est le Palais de la Découverte, représenté dans le futur par des espaces quasi-vides, avec des galaxies en posters, des éléments d’exploration spatiale et des illustrations murales de dinosaures…. Si ce n’est que ça, il n’y a lieu de fustiger que cette ignorance. Si c’est une intention avouée, et cela n’est pas impossible, c’est beaucoup plus grave.
– Chaque discipline n’aura qu’un exposé-phare. Toujours en physique, le choix sera donc : « électrostatique » ou « quelques expériences d’électromagnétisme » ? « On » a décrété que l’électrostatique était emblématique du Palais (avec son public participatif et emblématique du ressort narcissique, qui plait). A priori les chances que les « quelques expériences d’électromagnétisme » perdurent dans le nouveau Palais sont donc minces. C’est dommage. Nombre d’entre nous pensons que c’est là l’exposé le plus spectaculaire du Palais, et qui ne manque pas de spectateurs à chaque représentation. Oui, voilà un ensemble de 4 manips extrêmement spectaculaires, condamnées à disparaître au nom d’un rabougrissement imposé, de fait et sans le dire formellement, de l’offre au public.
C’est peut-être là le véritable révélateur de ce projet scientifique et
culturel du Palais : beaucoup de concepts novateurs manipulés et
d’idées ambitieuses voulues pour le nouveau Palais.
Dans les faits :
une diminution des équipes et des espaces de conception et une
diminution des offres au public, ravalées au rang de présentations se
voulant à l’écoute du public, au risque, jamais évoqué, de se perdre.
La question d’un parti-pris volontariste et ambitieux de médiation
scientifique, de manipulations et d’expositions est difficilement
lisible dans ce projet fourre-tout.
Qui trop embrasse, mal étreint et finalement n’est-ce pas là le but recherché ?
Le mot d’introduction du PSC commence par les premiers vers connus d’un poème de Verlaine :
« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. »
Les derniers vers de ce même poème semblent plus propices à
caractériser le sort fait au Palais, qui pourra alors dire au 31 août
2020 que :
« Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues. »