Conférence débat : La non épuration en France – par Annie Lacroix-Riz
12 octobre 2019 – Parsi – Café Marxiste (JRCF et PRCF ile de France)
Vidéo réalisée par « Les Films de l’An 2 » que nous remercions. _ _ Dès 1943 et jusque dans les années 1950, les élites impliquées dans la Collaboration ont cherché à se « recycler ». Y a-t-il vraiment eu, en France, une politique d’épuration ? Annie Lacroix-Riz est venu dans le cadre de nos cafés marxistes nous présenter son nouvel ouvrage « La non-épuration en France – de 1945 aux années 1950 » paru le 28 août 2019 chez Armand Colin. Ouvrage tout au long duquel elle traite cette question et démontre que l’épuration criminalisée ayant suivi la Libération (femmes tondues, cours martiales, exécutions) a cherché à camoufler la non-épuration, aussi bien de la part des ministères de l’Intérieur et de la Justice que de celle des milieux financiers, de la magistrature, des journalistes, des hommes politiques, voire de l’Église. De nombreux anciens collaborateurs ont ainsi bénéficié de « grands protecteurs ». Le poids des États-Unis a également participé de cette non-épuration. L’auteure nous livre sa version des faits basée sur les archives et prend le contrepied des ouvrages d’histoire de l’épuration parus ces vingt dernières années, selon elle aussi unanimes que fantaisistes, se concentrant exclusivement sur l’épuration (dite) sauvage, systématiquement confondue avec celle de la Résistance armée.
la recension de l’ouvrage par Gisèle Jamet
Annie Lacroix-Riz, La Non-épuration en France de 1943 aux années 1950, Armand Colin, Paris, 2019, 664 p.
Le dernier ouvrage d’A. Lacroix-Riz jette une lumière glaçante sur les dernières années de la deuxième guerre mondiale en France, le comportement de nos « élites » et la pseudo-épuration. Fidèle à sa démarche scientifique, l’auteur explore minutieusement les archives françaises, allemandes et américaines pour en faire émerger les écrits indiscutables et les faits prouvés qui battent en brèche les allégations insidieuses des historiens académiques cherchant, depuis une vingtaine d’années, à dénigrer la Résistance et à réhabiliter Vichy. ALR montre en particulier que, contrairement à une doxa désormais bien en place, l’épuration sauvage à la Libération est un mythe : non seulement elle ne fut pas sauvage, mais en réalité, à quelques exceptions (notables) près, il n’y a pas eu d’épuration du tout. Les exemples abondent, de Couve de Murville, haut fonctionnaire des finances dans le gouvernement Laval, qui devient secrétaire aux Finances du CFLN, et sera plus tard l’inamovible Ministre des Affaires Etrangères puis Premier Ministre de de Gaulle, au « père » de l’Europe Robert Schuman, ex-sous-secrétaire d’État aux réfugiés ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain, contre lequel toutes poursuites seront abandonnées sur instruction du ministre SFIO de l’Intérieur, Adrien Tixier ; ou encore de Jean Prouvost, Haut-Commissaire à l’information, anglophobe et antigaulliste, dont sa condamnation à l’indignité nationale est levée par un non-lieu accordé en 1947, pour le plus grand bénéfice de son puissant groupe de presse, à Bousquet, secrétaire général de la police, organisateur des grandes rafles au Nord comme au Sud, dont « l’activité complexe » et « contradictoire » lui évite la dégradation nationale, lui permettant ainsi de commencer sa nouvelle carrière à la direction de la Banque d’Indochine.
De fait, dès avant le débarquement américain en Afrique du Nord, la directive Roosevelt de septembre 1942 assure la permanence des élites et de l’appareil d’État français. Jusqu’à l’arrivée de De Gaulle le 30 mai 1943, le statu quo vichyste est maintenu en Afrique du Nord, les juifs persécutés, les communistes internés : l’élite politico-économique vichyste devient vichysto-résistante et ne fait que changer de patron. Pour de Gaulle, le maintien de l’ordre (établi) est une priorité de même que la sauvegarde « des ‘’compétences’’ indispensables à la France nouvelle ». La Commission d’épuration d’Alger a pour consigne de s’opposer à toute sanction : l’impunité est pré-acquise, ce sera le grand « pardon œcuménique » pour l’armée, les magistrats et la Justice, les hauts fonctionnaires, la police, les collaborationnistes économiques, ecclésiastiques, politiques et mondains, presse comprise. Tous se muent en « gens très bien », tant à Alger qu’en métropole, passant du maître allemand au tuteur américain au tournant de 1943 pour les plus précoces. En tout état de cause, être véritablement patriote, n’était-ce pas se dresser, dès l’avant-guerre pour la plupart, contre le PCF laquais de l’URSS et qui donc, au moins jusqu’en 1941, pacte de non-agression germano-soviétique oblige, aurait été le traître à la patrie ? Les ordonnances du ministère de l’Intérieur de juin 1944 limitent les poursuites d’une part à la stricte période vichyste, du 16 juin 1940 au 19 août 1944, et d’autre part à l’intelligence avec l’ennemi ou la trahison, intentionnelles ; la collaboration et la préparation de la guerre et de la défaite en sont exclues et, dans la réalité, la police – celle qui a sévi sous Vichy – ne fait guère de zèle pour rechercher les prévenus et étoffer les dossiers à charge. Au nom de la raison d’État, l’armée et la police, la préfectorale et la magistrature (celle qui juge aujourd’hui ses pairs et amis d’hier, après avoir prêté serment à Pétain en 1941), tous ces corps sont intouchables. C’est ainsi que sont pardonnées au directeur général de la Préfecture de Police, organisateur du service juif, responsable du fichier, du camp de Drancy, de la rafle du Vel d’Hiv, ses quelques « négligences » : de façon générale, la police de Vichy n’a été que victime de sa culture d’obéissance et de discipline et, de haut en bas de la hiérarchie, la sanction est l’exception, l’acquittement et la réintégration, la règle.
Pire, avec des pièces à charge minimisées, les pièces à décharge valorisées, ce sont les vrais résistants qui, comme F. Grenier au procès Pucheu, deviennent les criminels. C’est une épuration à l’envers qui se met en place contre les FFI considérés coupables d’actes délictueux et passibles de la justice militaire ! Des articles de presse dénoncent cette supercherie: ils sont immédiatement vus comme des actes répréhensibles, la remise en cause de la chose jugée ou des injures faites au chef de l’État de droit, peu enclin à promouvoir les libertés fondamentales. Les « terroristes » d’hier restent des « terroristes qu’il faut mettre hors d’état de nuire ». À l’inverse, les collabos, munis de tous les certificats de faux résistants dans de faux réseaux deviennent des opposants de la première heure…contre la menace communiste ! Comme le dira en 1948 le philosophe V. Jankélévitch: « […] demain la Résistance devra se justifier pour avoir résisté ».
Quant à la collaboration économique et financière, elle est totalement occultée : bien que consentantes et serviles, les entreprises bancaires comme Paribas, ou industrielles comme Kuhlman n’ont rien à craindre : elles sont vues d’abord comme des victimes. Les chefs d’entreprises sont évidemment trop indispensables à la reconstruction de la France nouvelle pour qu’on leur tienne rigueur d’avoir « sauvegardé » les biens aryanisés. Ainsi tous les grands patrons, ceux de Schneider-Westinghouse, de Kuhlmann ou de Francolor, première société mixte franco-allemande dès avant-guerre ; de F. Dupré, directeur des Grands Hôtels associés (Plazza…), au baron Empain, lié financièrement à la famille royale belge, en passant par Lehideux, neveu de Louis Renault, ministre de la Production industrielle (février 1941-avril 1942) et, entre autres, chef du « Comité européen de l’automobile » avant de recevoir, en 1949, la présidence de Ford-France, tous conservent leur rôle et leur influence.
La ligne directrice de la pseudo-épuration est anticommuniste et pro-américaine. L’affaire René Hardy, mort dans son lit en 1987, dont A. Lacroix-Riz démontre la trahison et l’évidente implication dans l’arrestation de Delestraint et Jean Moulin mais néanmoins acquitté à l’issue de deux procès bidonnés, est exemplaire à cet égard. Comme l’est le rapatriement rapide des « déportés d’honneur » pendant que mourraient, dans des conditions épouvantables, (les mêmes que durant la guerre, le travail en moins), les déportés politiques et raciaux décimés par le typhus, par exemple au camp de Dachau sous administration américaine.
Les voix de ceux qui ont lutté
hier, les armes à la main durant l’Occupation et jusqu’à la Libération contre nos
« élites » politiques, économiques, militaires, culturelles,
religieuses qui ont massivement et activement collaboré et n’ont jamais été
inquiétés, s’éteignent aujourd’hui. Annie Lacroix-Riz, par son travail
scientifique approfondi et sans préjugés, poursuit ce combat pour la vérité,
pour leur dignité et leur légitimité, pour leur idéal et le nôtre, pour des
« Jours heureux [1]».
[1] Titre du manifeste-programme du CNR.