Kaurismäki filme les hypermarchés, les chantiers, les usines où les travailleurs indifférents continuent leurs activités. Dans les bars minables on boit (beaucoup) et parfois on chante. Le plus souvent en finnois dans un cadre qui semble avoir préservé son identité nationale. Le tout dans un décor suranné. D’un côté, la radio traite de la guerre en Ukraine sur le mode propagandiste. De l’autre, l’ambiance d’Helsinki évoque d’avantage le 20e siècle que 2023.
Les scènes mêlent tendresse et humour et on reste à la limite de la caricature. Kaurismäki joue admirablement sur le décalage entre dialogue (d’une retenue parfois extrême) et image. Des procédés efficaces pour mettre le spectateur en situation de distanciation. On le suit moins dans son effort de souligner la banalité du quotidien par des plans systématiquement répétitifs… D’autant plus que le scénario manque un peu d’épaisseur et de surprises.
Il nous laisse le temps et le loisir de tirer les conclusions politiques de son propos. Certains peuvent regretter l’indifférence des personnages vis-à-vis du drame géopolitique et humain qui se noue. D’autres, plus proches de nous, constateront que l’entrée de la Finlande dans l’OTAN n’est pas dans leurs priorités. C’est le moins qu’on puisse dire !
L’exploitation se double ici d’une hypocrisie très luthérienne et dans les rapports sociaux, on est proche de Paasilinna. Une employée de rayon est virée pour avoir privé la poubelle de produits dépassés, un soudeur (ou assimilé) pour alcoolémie dans le cadre… d’un accident du travail. Le Pôle Emploi local porte des annonces pour des emplois au noir. Mais, bien que les envolées lyriques ne soient guère de mise au nord de la Baltique, la solidarité ouvrière est réelle et spontanée. Lieux et activités de travail sont très présents à l’image. C’est un des grands mérites de ce film, suffisamment rare dans le cinéma occidental pour être souligné ici. La Finlande se situe, il est vrai, très à l’Est !
Olivier RUBENS