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Débat – Une réflexion proposée par Georges Gastaud, philosophe et responsable du Secteur « Études et Prospective » du PRCF* – Article dédié à la mémoire de notre camarade Simone Nicolo-Vachon, Résistante, architecte, co-fondatrice du PRCF, militante de l’association « Droit à mourir dans la dignité ».
Suivi d’une réflexion d’Antoine, médecin et animateur de la commission Santé du PRCF
« Le soin de bien mourir est indissociable du soin de bien vivre. »
Désireux de faire diversion à l’impopularité massive que lui vaut sa politique antisociale (maintien de la contre-réforme des retraites, coupes budgétaires massives sur les services publics, blocage de fait des salaires…), antinationale (« saut fédéral européen » en cours, feu vert de Bruxelles à l’accord UE/Mercosur au mépris des paysans français), belliciste (marche de l’UE-OTAN vers la guerre continentale contre la Russie) et xénophobe (alignement de B. Retailleau, le ministre de l’Intérieur, sur les exigences barbares du RN), le régime macroniste à l’agonie tente d’exploiter les questions « sociétales » pour feindre d’échapper aux antagonismes de classes. Vivant sous la crainte permanente d’une motion de censure parlementaire et craignant en réalité un soulèvement populaire, le fragile gouvernement Macron-Bayrou tente en effet de s’offrir une « union nationale » controuvée en rouvrant, de manière tronquée du reste, le débat parlementaire inachevé et suspendu sur les « fins de vie ». Une question que le bloc gouvernemental chapeauté par F. Bayrou prétend même vouloir « dépolitiser »…
Il s’agit pourtant d’un problème sociopolitique bien réel et socialement clivant: en effet, les personnes très malades et/ou très âgées sont trop souvent malmenées, voire abandonnées ou franchement maltraitées dans une société où l’hôpital public périclite, où des zones rurales ou périurbaines entières sont devenues des déserts médicaux, où des millions de personnes âgées (notamment des femmes) survivent bien plus qu’elles ne vivent, où les liens de solidarité traditionnels sont distendus et où les maisons de retraite et autres EHPAD livrées aux chasseurs de profit sont souvent hors de prix et où les familles pauvres, voire des familles « moyennes », n’ont pas toujours les moyens de garder correctement, quand elles le désirent, et sans se tuer à la tâche, leurs très vieux parents à la maison. En outre, de nombreux départements français ne disposent même pas de « services de soins palliatifs » permettant aux personnes en fin de vie d’achever leur existence avec un minimum de sérénité pour eux et leurs proches. Or cette grave carence relevant d’une forme de maltraitance par omission ne provient pas principalement d’un « vide législatif », comme voudrait le faire croire le gouvernement, mais bien des politiques d’euro-austérité continûment et inhumainement appliquées depuis des décennies aux secteurs de la santé et du soin sous l’impulsion des directives européennes. Il faudrait aussi parler… du prix prohibitif des obsèques puisque dans nos pays capitalistes où tout s’achète et se vend, la mort reste un commerce fort lucratif !
Il faut donc redire avec force qu’une bonne part du problème des « fins de vie », du moins dans la dimension légale et budgétaire qu’ont à traiter ès qualités des parlementaires, est clairement de nature sociopolitique. En effet, non seulement cette grande question « sociétale » n’est nullement indépendante du très inflammable débat budgétaire actuel, mais sa résolution est inséparable d’une lutte résolue contre cette « intégration européenne » qui constitue la stratégie principale du MEDEF et des politiciens à sa dévotion, des LR aux « socialistes » maastrichtiens en passant par le MODEM et par les députés macronistes. C’est en effet leur politique de désintégration nationale et sociale qui asphyxie froidement la protection sociale, strangule les services publics, et détourne vers les grands actionnaires les gains de productivité et les avancées technologiques qui devraient servir au bien commun. C’est du reste la même politique qui dope les euro-privatisations (SNCF, EDF, télécoms…), les délocalisations industrielles et la destruction de l’agriculture paysanne, et qui dévoie vers le surarmement les milliards d’euros qui manquent pour mieux prendre soin des anciens et des malades. S’il est donc une « fin de vie » que « managent » activement les euro-gouvernements capitalistes successifs, c’est bien, en réalité, et c’est affreux à dire, celle de la République sociale, de la France indépendante, voire de la paix continentale que le bloc euro-atlantique en mal d’hégémonie planétaire s’évertue à « euthanasier » au pire sens que prend parfois ce terme.
Bien entendu, le « problème de la fin de vie » comporte aussi une dimension qui n’est pas directement politique et qui concerne plus précisément ce qu’on appelle l’éthique générale, et, plus spécifiquement encore, la déontologie médicale: il s’agit de la signification que chacun est appelé à donner, en son for intérieur, à l’expression « sens de la vie », donc aussi, à l’expression « fin de vie », ou « fin de l’existence terrestre » pour celles et pour ceux qui croient à un au-delà personnel. Chacun peut en effet avoir, voire se doit d’avoir un point de vue personnel à ce sujet, puisque nous sommes tous mortels et que nos êtres les plus chers le sont tout autant. Si bien que le rôle du philosophe n’est pas de prétendre stérilement dicter une « attitude standard » à ses concitoyens en ces matières archi-délicates, mais seulement de fournir humblement aux citoyens les tenants et aboutissants de ce grand débat « existentiel », l’enjeu étant que chacun puisse, en cohérence avec ses choix de vie consciemment assumés, se positionner librement à ce sujet. Dans cette perspective, il n’y a évidemment aucune difficulté pour permettre aux croyants de tenir ferme et « jusqu’au bout » sur leurs convictions: libre à eux par exemple d’estimer que, la vie étant un « don divin », il n’appartient pas à l’homme de l’écourter, ce qui implique une condamnation de ce que l’on appelle l' »euthanasie », et a fortiori, du « suicide assisté ». Symétriquement, et pour peu qu’il souscrive à l’égalité de principe entre tous les humains, un croyant véritablement républicain devra reconnaître sans réserve au non-croyant, son frère et son égal en République, le droit de recourir légalement au suicide, voire au suicide assisté, ou celui de demander (par avance ou sur le moment) une euthanasie pour lui-même si telle est la décision qu’il aura cru devoir prendre après mûr examen. Décision bien évidemment révocable jusqu’au bout car, en ce domaine plus qu’en tout autre, « la vérité est toujours concrète« , comme l’affirmait Lénine…
Ajoutons que, pour tous ceux, croyants ou incroyants qui tiennent au principe laïco-républicain de séparation de l’État et des cultes (« la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte« , dispose l’article II de la Loi du 9 décembre 1905), il convient (comme pour cela a été le cas pour le vote du PACS ou pour celui de la mal nommée loi autorisant le « mariage pour tous » (brrr!)) de laisser le peuple souverain délibérer et construire la loi sans se soumettre a priori aux exigences de tel ou tel culte.Nul ne doit évidemment forcer la main aux croyants en matière d’euthanasie et, a fortiori, de suicide assisté, ni bien entendu aux personnes athées ou agnostiques, mais il ne s’agit pas d’exiger pour autant que la loi s’aligne sur quelque commandement religieux que ce soit (cela s’appellerait, non pas respecter la « liberté de conscience » mais faire tristement acte de cléricalisme). Impossible également, a fortiori, qu’une future loi sur ces sujets complétant ou dépassant la « loi Léonetti » prétende imposer de tels interdits religieux, non seulement aux athées, mais même à ceux qui, se disant croyants aujourd’hui, pourraient choisir le moment venu de changer totalement de position pour eux-mêmes si, par exemple. leurs souffrances ou leur angoisse devenaient intolérables. En la matière, la loi ne doit pas prescrire ce que chacun doit faire, mais seulement créer les conditions d’un vrai choix. Pour le comprendre, il suffit de penser à la loi sur le divorce qu’a instituée la Révolution française: cette loi a permis à celles et à ceux qui le voulaient de se séparer légalement mais elle n’a évidemment pas prescrit, ni même conseillé à quiconque, et surtout pas aux personnes croyant à l’indissolubilité du mariage, d’avoir à le faire. La loi doit en outre offrir à chacun les moyens matériels, hospitaliers et institutionnels de décider s’il le souhaite des modalités de sa fin de vie pour lui-même, comme le font déjà nombre de pays voisins de la France. En la matière, la règle doit être aussi le libre choix des soignants car il n’y a sans doute pas qu’une manière d’interpréter et d’actualiser le Serment d’Hippocrate: l’expérience pluridécennale des lois sur l’IVG montre du reste que la coexistence pacifique est parfaitement possible entre croyants, agnostiques et incroyants dès lors que les moyens existent vraiment partout de pratiquer l’IVG, du moment qu’elle reste le dernier recours (développement de la contraception et de l’éducation sexuelle) et surtout… du moment que chacun(e) est de bonne foi.
Toutefois, même ces clauses de sauvegarde sociopolitiques et institutionnelles ne sauraient régler entièrement la question. En effet, même si la loi était parfaite et qu’existassent par ailleurs tous les moyens matériels de l’appliquer, et même si, comme c’est une condition majeure pour avancer sur ces sujets, des soins palliatifs de qualité étaient enfin institués partout (et partout où ils fonctionnent, les « demandes » de suicide assisté diminuent fortement), nous n’en vivons pas moins dans une société capitaliste, c’est-à-dire in fine dans une jungle sociale où les rapports d’argent règlent fortement les choses, que ce soit consciemment ou… plus insidieusement. On comprend dès lors qu’il faille faire très attention à ce que peut signifier en réalité une demande de suicide assisté ou bien celle d’une euthanasie dans une société où, non seulement la volonté rationnellement fixée, mais le désir réellement senti et vécu sont forcément cadrés, préorientés, voire formatés en amont, souvent de manière inconsciente, par l’offre réellement existante; c’est-à-dire en définitive par les rapports de forces économiques (« Ma famille peut-elle vraiment s’occuper de moi? », « Si je continue de vivre encore un peu, ne vais-je pas pourrir la vie de mes enfants? », « Comment vont-ils payer mes soins ou mon maintien en EHPAD? », « Tout mon petit héritage et ma maison vont y passer, je ne leur laisserai rien« , etc.). Bref, tout ce qui relève de la pression sociale multiforme qui pèse surtout sur les pauvres, mais qui touche aussi parfois, d’une autre façon car nul n’échappe à l’humaine condition, les personnes riches en fin de vie dont la progéniture attend rapacement l’héritage (voir les romans de Simenon, de Giono ou d’Agatha Christie). Ajoutons à cela que la sociologie a dès longtemps établi (travaux pionniers d’Émile Durkheim sur la sociologie du suicide) que les tendances suicidaires ressenties par un individu étaient d’autant plus prégnantes que ce dernier était, ou du moins se sentait, socialement esseulé*.
Certes, des philosophes antiques aussi différents, voire aussi opposés que le furent en leur temps les Épicuriens et les Stoïciens, pouvaient considérer la capacité pour chacun d’assumer, si besoin était, une « mort volontaire » (Stoïciens) ou une forme d’eu thanein (un « bien mourir » comme on dit que se l’administra Épicure) le prérequis éthique permanent de l’inexpugnable maîtrise du Sage sur sa propre vie; car, comme le dira Montaigne alors encore stoïcien, Qui a appris à mourir, il a désappris à servir**. Mais les philosophes antiques vivaient dans une civilisation qui ignorait l’interdit judéo-chrétien du suicide; ils étaient en outre des « hommes libres » qui vivaient dans une société durement esclavagiste où l’esclave pouvait être « à raison » méprisé du seul fait qu’il acceptait de vivre sans liberté, donc lâchement, alors que le citoyen-soldat athénien partant pour Marathon inscrivait fièrement sur son bouclier la devise fameuse « Mieux vaut mourir libre que vivre esclave »! De ce fait, la capacité du Sage à se donner, si besoin, la mort volontairement comportait objectivement, surtout chez les Stoïciens, une certaine coloration « de classe », une forme de « distinction » radicale, comme eût dit Bourdieu. Il n’est pas dit en revanche que, dans une société capitaliste en décomposition avancée comme l’est la nôtre, et où le « potentiel » de chacun est sans cesse « objectivé », « pesé » et « évalué » (par le patronat, par l’État, voire par l’entourage direct), le sens que nous pourrions donner à cette terrible liberté d’en finir avec soi n’aurait pas une tout autre signification objective que celle que chacun aurait cru pouvoir lui attribuer subjectivement..: cette signification objective serait alors celle d’un inavouable « Bon débarras, cela n’avait que trop duré! ». En un mot, la noble reconquête d’une forme matérialiste de la sagesse* devrait alors prendre grand soin de jamais se laisser amalgamer au conditionnement idéologique sourdement subi par chacun de nous dès l’enfance (à l’instar des sociétés dites premières où le suicide des vieillards, ces « bouches inutiles », était de règle) et qui vise à accoutumer chaque personne à l’idée que, le moment venu, il faudra « savoir faire place aux jeunes » dès lors que l’on n’est plus soi-même en état de rien rapporter. On ne le voit que trop présentement quand les députés de la droite dure pseudo-catholique poussent des cris d’orfraie au seul mot d' »euthanasie » alors que, sans états d’âme, ces jocrisses crient « à l’attaque! » et tournent leur pouce vers le sol dès lors que sont proférés devant eux les mots « privilèges des boomers », « avantages » des retraités, « trou sans fond de la Sécu », « dette infligée aux jeunes générations » ou « déficit abyssal des retraites »…
C’est pourquoi, tout en agissant pour que chacun puisse décider, pour autant que cela dépende de lui in fine, des modalités de sa fin de vie, donc aussi pour que chacun soit doté aux frais de la République des moyens culturels de philosopher sur l’existence (et la France en voie d’euro-dissolution qui détruit son vieil enseignement philosophique d’esprit laïco-républicain ne va pas dans ce sens !), il faut aussi voir les dérives que peut comporter une certaine exaltation unilatérale du « droit à mourir dans la dignité » qui réserverait de fait la « dignité » humaine à l’homme ou à la femme performants, en bonne santé et… aptes à dégager du cash… tout en déniant sa dignité plénière à la personne en fin de vie: une personne qui, quoique parfois très dégradée dans l’exercice de ses fonctions quotidiennes, ne s’en accroche pas moins à la vie, se fiche de coûter des sous à la Sécu (bravo à elle!), continue, non sans quelque enviable force de caractère, de « jouir de l’existence » et d’y prendre encore quelques « petites joies » si précieuses en témoignant par là du fait que vivre (et même, dans certaines limites, vivre mal) peut constituer un bien en soi (comme l’ont aussi pensé de fait au cours de l’histoire des milliards d’exploités dont la vie, comme le chantait Brassens, fut « à peu près leur seul luxe ici-bas!« ). Une personne qui, de ce fait, « fait plaisir » à sa manière à son entourage, fût-il épuisé, en lui prouvant que, confrontée en situation au questionnement de Hamlet, elle n’en continue pas moins d’affirmer jusqu’au bout en première personne qu’il vaut mieux être que n’être plus… à tout jamais…
En résumé, ne laissons pas les tartuffes au pouvoir dissocier le débat « sociétal » et « éthique » du débat « social » et de son arrière-plan permanent: la pesée sur nos vies de l’exploitation capitaliste et la lutte hautement sensée visant à l’abroger. Battons-nous pour que l’argent aille à la mise en place partout d’unités de soins palliatifs publics et gratuits, et non pas aux marchands de missiles et à leur ‘ »OTAN-nazie » mortellement décomplexée; du reste il ne s’agit là qu’en apparence d’un méchant jeu de mots puisque déjà, dans la réalité, les forces de mort euro-atlantistes et les nostalgiques du Troisième Reich ont ouvertement fusionné, ces dernières années, de l’Ukraine aux États baltes…
Faisons en sorte aussi que, dans le strict respect de chacun, donc de ses croyances, y compris de la liberté de conscience des personnels médicaux, mais sans céder pour autant d’un pouce au cléricalisme (qu’il soit d’obédience catholique, juive, musulmane, « évangélique »…), la loi construise les outils institutionnels et financiers permettant à chacun, autant que faire se pourra pour lui « in extremis », de décider par lui-même des modalités de son trépas.
N’oublions pas pour autant que, dans une société où la vie et la fin de vie sont implicitement traitées comme des marchandises, les personnes en fin de vie ne pourront pas être traitées systémiquement de manière parfaitement digne et respectueuse, du moins en règle générale puisque leur vie n’aura été respectée, au mieux, qu’en apparence. Si bien que le socialisme n’est pas seulement une manière de « changer la vie », comme disait Rimbaud, mais qu’il lui revient d’être aussi, comme le disait naguère le grand cancérologue et militant pacifiste qu’était le professeur Schwartzenberg, une manière de… « changer la mort ». Dès lors, ne séparons jamais le « droit de mourir dans la dignité » de celui de naître, de grandir, de travailler et de s’accomplir dignement dans une société juste et amicale; car, comme l’écrivait Épicure, ce grand penseur matérialiste du bonheur et de l’amitié, « le soin de bien mourir est indissociable du soin de bien vivre ». *
Bien entendu, il s’agit là de statistiques, de moyennes et de probabilités: on n’en peut rien déduire lorsqu’il s’agit d’interpréter le suicide d’un individu donné.
Ce texte présentant la réflexion personnelle de Georges Gastaud a été diffusé aux membres du secrétariat national du PRCF qui ont accepté qu’il figure en rubrique « Débats » du site national PRCF.
On lira ci-dessous la réflexion personnelle qu’a déclenchée le texte de Georges Gastaud chez Antoine, médecin et animateur de la commission Santé du PRCF.
Réflexions et vécu d’un médecin communiste
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Je remercie Georges de m’avoir adressé avant publication cette contribution intéressante et éclairée. Je profite de l’occasion pour y apporter quelques opinions personnelles en tant que médecin ayant eu affaire et ayant toujours affaire avec des situations de fin de vie, situations difficiles, toujours uniques, auxquelles on se fait, sans jamais s’habituer :
– Je n’ai pas d’opposition de principe à accéder à une demande de fin de vie de la part d’un patient, cela peut relever d’un constat rationnel et d’une décision mûrement réfléchie et acceptée au sein de la famille, et refuser d’accéder à cette demande en tant que médecin est un geste qui nécessiterait d’être solidement étayé. Mais de nombreuses considérations doivent être prises en compte avant d’aller trop vite.
- Tout d’abord, le suicide assisté est aujourd’hui et ici trop souvent une réponse capitaliste à un problème capitaliste. Certaines demandes de suicide émanent de situations désespérées, où le tissu social détruit par le mode de production individualisant ne permet pas une famille présente et des soins suffisants. La réponse n’est alors pas celle du plus de moyens mais celle du tant pis, comme l’a déjà dit Georges dans cet article. Le risque est bien entendu celui du très tristement célèbre système canadien qui pousse un peu vite les patients vers la (dernière) porte de sortie… La solution doit être, non pas seulement de donner de vrais services de soins palliatifs, mais de recréer, par la société socialiste, le tissu social collectif qui seul permet de prolonger la vie à domicile et sans souffrance lorsque c’est possible, ou d’envisager un suicide assisté si nécessaire dans les meilleures circonstances.
- Il est à noter que si de nombreuses personnes souhaitent mourir à domicile, la réalité les rattrape parfois durement car la prise en charge demande des moyens que le milieu ne permet pas vraiment et les médicaments deviennent difficiles à manier correctement. La chambre d’hôpital n’est certes pas glamour, mais les patients font vite contre mauvaise fortune bon cœur devant le soulagement de thérapeutiques antalgiques et sédatives bien équilibrées et d’un personnel professionnel disponible à toute heure et quoi qu’il arrive au moyen d’une sonnette… si les moyens nécessaires, tant humains que matériels, sont accordés au système de santé.
- Les études faites là où le suicide assisté a été toléré voire légalisé montrent des liens complexes entre soin palliatif et demande de suicide assisté. Parfois, les soins psychothérapeutiques font se raviser des patients qui avaient d’abord demandé un suicide assisté, et parfois c’est au contraire ceux-ci qui poussent le patient à accepter la mort et demander un suicide assisté alors qu’il n’en était pas demandeur. L’acharnement thérapeutique porte en miroir le risque de “l’acharnement autonomique”; sachons prendre le temps de questionner le patient, de le laisser cheminer, laissons-le se poser les questions et y répondre, car la demande première n’est parfois qu’une réaction à l’anxiété, que cette réaction soit “faites votre maximum” ou “abrégez”, et sachons plutôt faire affleurer les volontés profondes du patient.
- Enfin, et non des moindres, la mort est souvent moins une question pour les morts que pour les vivants. En sont témoins les cérémonies de funérailles dont les morts se fichent bien puisqu’ils sont… morts, mais qui visent précisément à soigner les vivants éplorés. D’expérience (empirique, limitée), la mort ne se conçoit comme dépassement qualitatif qu’à travers un processus quantitatif long de pré-agonie et d’agonie, d’allers-retours, de petites améliorations, de moments où l’on croit que « cette fois c’est la fin », et finalement non, situation qui peut être difficile pour la famille, mais qui laisse le temps à chacun de trouver son rythme autour du malade, de maturer le deuil futur, de trouver sa place dans la mort, de faire un dernier au revoir, et finalement un deuxième dernier, et enfin un troisième dernier mieux que les précédents. Ceux qui vivent loin peuvent passer une fois, ceux qui ont à aimer ont un moment pour le faire, ceux qui doivent pardonner en ont un aussi, et ceux qui ne veulent pas entendre parler de « ce salaud qui a ruiné ma vie » ont le temps de peser cette décision, de revenir dessus peut-être… ou pas. Dans ce contexte, la solution « de facilité » a tendance à précipiter la chose à un rythme artificiel; le deuil doit se faire à posteriori, sans le mourant, voire carrément à retardement, plusieurs mois plus tard, avec le risque des regrets, qu’on ne peut jamais écarter quoi qu’on fasse. La chute est alors parfois plus brutale et la remontée plus lente… Enfin pas toujours. Si le suicide assisté doit alors s’envisager, il doit l’être après mûre réflexion, avec accompagnement, tant de professionnels que de proches, pour le patient mais aussi pour sa famille, qui participe nécessairement aussi à la décision, et la subit aussi nécessairement.
Après ces petites réflexions, il me semble que le suicide assisté peut-être un outil utile, mais seul il est bien loin de se suffire à lui-même, et il est difficile d’imaginer la place qu’il peut prendre dans une société capitaliste poussée dans ses contradictions et en plein projet de privatisation de l’hôpital public. Il semble évident que seule une société socialiste peut intégrer cette possibilité à la place qu’elle mérite.
Antoine, médecin, référent pour la sous-commission Santé du PRCF