Comme on le verra, le député Chassaigne, que d’aucuns nous présentent comme le chef de file d’une alternative à Pierre Laurent, est incurablement euro-constructif. Et l’on voit du même coup que l’idée des quatre sorties (de l’euro, de l’UE, de l’OTAN et du capitalisme) que porte le PRCF n’est pas du tout identique, à quelques « pinaillages » près, à l’idée qu’il faut abroger les traités (comme dit la France insoumise) ou qu’il faut « remettre en cause les traités », comme dit bien plus timidement encore, André Chassaigne.
En gras, nous soulignons certaines phrases dans les questions du Point ou les réponses d’André Chassaigne.
En italique gras, en dessous des citations, le commentaire de la rédaction d’IC.
Chassaigne à Mélenchon : « Ni dieu, ni César, ni Tribun »
Source: Olivier Pérou, Le Point le 09/03/2019
La femme d’André Chassaigne n’est pas communiste, mais il lui arrive de sermonner son mari sur le sujet : « On ne vous entend plus, vous les communistes, on a l’impression que vous n’existez plus. » Il faut dire que les onze députés du PCF ne courent pas les médias. Sans doute sont-ils moins braillards que Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis, leurs voisins sur les bancs de l’Assemblée nationale. Les deux hommes ont d’ailleurs quelques divergences… Qui sont-ils, finalement, ces communistes de 2019 ? De l’aveu même de Marc Fesneau, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, « les députés communistes forgent le respect car ils amènent beaucoup de hauteur aux débats dans l’hémicycle […] Tout le monde aime les communistes ». Un commentaire qui flattera les députés du groupe et leur moustachu de chef de file. Au Point, l’élu du Puy-de-Dôme livre sa vision de l’Europe et de la France, tout en égratignant macronistes et Insoumis.
Le Point : Quel regard portez-vous sur la tribune d’Emmanuel Macron sur l’Europe ?
André Chassaigne : Il y a une très grande ambiguïté dans le comportement du président de la République. Il veut porter le débat au niveau des grands enjeux européens, mais il en fait, in fine, un instrument de politique intérieure. La contradiction, c’est que lui et le gouvernement font l’inverse de la plupart des objectifs qu’il fixe dans ce texte. Il parle d’un salaire minimum européen, faisant sienne l’une de nos propositions, mais lui-même en France refuse de tirer vers le haut le smic. Il l’a fait de façon artificielle début décembre avec la hausse de la prime d’activité. Il évoque un bouclier social pour chaque travailleur européen alors qu’il remet en cause le fondement de la sécurité sociale, l’un des emblèmes de solidarité à la française au niveau mondial en supprimant les cotisations sociales et en augmentant de manière injuste la CSG, etc. Ce qu’il dit du progrès social, c’est quasiment mot pour mot ce qu’il y avait dans le traité de Lisbonne en 2008. Autre exemple : il nous parle de la défense européenne –et c’est salutaire
On croit rêver : A. Chassaigne a-t-il entendu parler de la lutte que le PCF de Jacques Duclos et les gaullistes menèrent parallèlement dans les années 50 pour faire échec à la Communauté européenne de Défense, ce faux-nez de l’impérialisme allemand résurgent ? Sait-il que dans les rapports de forces actuels, l’armée européenne ne peut être autre chose qu’une remise en selle du militarisme allemand le plus arrogant ? et que Berlin a dit et redit qu’elle ne concevait cette armée que :
- comme le pilier européen de l’OTAN, auquel TOUS les pays européens sont intégrés, et
- comme un moyen d’accéder, via la force de frappe française, à une capacité stratégique géopolitique ?
Sait-il que la revendication de cette armée européenne sert aussi de prétexte à Merkel et à sa dauphine désignée, la présidente de la CDU, à revendiquer de fait la substitution du siège français au conseil de sécurité, ce résultat de la seconde guerre mondiale, d’un siège européen, faux-nez de l’Allemagne ? Comment peut-on ne pas être clair sur un tel sujet ? Que les communistes et les patriotes républicains qui veulent une véritable défense nationale signent la pétition lancée sur ce site et sur change.org par l’ancien député Pranchère et par Michel Debray, ancien président de l’Académie du gaullisme).
A. C. :mais dans le même temps il précise bien que ce sera en lien avec l’Otan
Encore une fois, dans les rapports de forces et dans le cadre de l’UE actuelle, il ne pourrait en aller autrement puisque l’UE est « partenaire stratégique de l’OTAN » et que l’affiliation à l’OTAN, par ex. de l’Ukraine, est une condition d’adhésion à l’UE. Raison pour laquelle il faut sortir de l’UE/OTAN et non faire espérer une « défense européenne » qui ne peut être aujourd’hui qu’un outil de plus du militarisme atlantique, du recyclage e l’impérialisme allemand, de la perte totale de souveraineté de notre pays et d’agression contre le peuple russe, voire de revanche impérialiste sur Stalingrad. Il est incroyable de devoir dire cela à un député « communiste »… Et cela ne signifie nullement que le PRCF ait renoncé en quoi que ce soit à l’armée nouvelle prônée par Jaurès : simplement, il se souvient aussi du mot de Jaurès, que les dirigeants actuels du PCF ont oublié : « la souveraineté nationale est le socle de l’émancipation sociale ».
A. C. :Une défense européenne qui, de fait, resterait sous l’indépendance des États-Unis. Moi aussi, je suis opposé au repli sur soi, au populisme et au nationalisme, mais encore faut-il remettre en cause le tout marché qui brise tout.
M. Chassaigne a-t-il jamais entendu parler de la différence entre le patriotisme républicain et populaire, celui des Soldats de l’An II, des Communards et des FTP, et le nationalisme réactionnaire et du reste, euro-compatible, des Le Pen, Orban et Cie ? Sait-il que le patriotisme populaire est le complément de l’internationalisme prolétarien comme l’a prouvé toute l’histoire glorieuse du PCF tant que ce dernier s’est réclamé du marxisme-léninisme et avant qu’il ne rallie la « construction europeénne » en adhérant au PGE ?
A. C. :Tant que l’on restera dans une politique aussi libérale, avec une compétitivité infra-européenne aussi brutale, les peuples européens ne s’y retrouveront pas.
On ne peut faire plus faible critique à l’UE : le problème n’est pas que les « peuples ne se retrouvent pas » dans la politique, brutale, autoritaire, néolibérale (et non « libérale », alors que jamais le capitalisme monopoliste d’Etat n’a fait rage en Europe avec autant d’agressivité !), le problème c’est que cette Europe est de A à Z une machine de guerre contre Airbus, contre Ascoval, contre l’EDF, contre la SNCF, contre l’Education « nationale, » contre l’ensemble des acquis démocratiques, laïques et sociaux de notre peuple, particulièrement contre les réformes mises en place en 45 par Thorez, Croizat et Marcel Paul.
A. C. :Je suis d’autant plus étonné de voir que lui, l’un des chefs d’État européens le moins populaire dans son propre pays, s’arroge ce leadership européen.
Rien d’étonnant surtout à ce que le PCF actuel, qui a appelé à voter Macron le 6 mai 2017, ne mette pas en question la légitimité nationale de ce président qui détruit méthodiquement l’héritage social et l’indépendance de notre pays tout en réprimant sauvagement le mouvement populaire.
Le Point : Pourtant, l’Europe n’avance plus. Il faut la réformer, c’est un constat partagé de tous. Certains, à droite comme à gauche, prônent parfois l’Europe à deux vitesses. Ne serait-ce pas là une porte de sortie pour changer l’Europe ?
A. C. : Quand certains disent qu’il y a d’un côté la politique agricole compétitive et la politique agricole de proximité et des circuits courts et que les deux ne doivent pas interagir ensemble. Je suis pour une Europe ambitieuse.
Le PRCF n’est certainement pas pour une « Europe ambitieuse », cette manière d’idéaliser le potentiel d’une construction complètement mortifère pour les classes populaires et moyennes ; quant à l’internationalisme prolétarien, il n’est pas spécifiquement « européen » et notre fraternité doit aller à tous les travailleurs du MONDE, à commencer par ceux du monde dominé, que l’UE exploite impitoyablement avec l’impérialisme américain et en concurrence avec lui)
A. C. :et dont certains pays tirent vers le haut les normes sociales de l’union…
Franche stupidité politique : cette UE a été construite pour les tirer vers le bas vu que depuis Rome et Maastricht, toute la construction européenne est bâtie sur le dogme hyper-capitaliste et totalitaire selon lequel « l’UE est une économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée ». Pour qu’un pays retrouve la voie du progrès social, et surtout, celle du socialisme et du communisme, il faut qu’il sorte de l’UE qui interdit de fait les nationalisations démocratiques et la reconstruction planifiée d’une économie tant soit peu harmonieuse. Il faut aussi promouvoir l’Europe des luttes. Pas dans et avec l’UE, mais CONTRE elle !
Le Point : Des premiers de cordée européens ?
A. C. : (Rires) Il faut que certains tirent les autres vers le haut, aussi la politique environnementale, la politique d’immigration, etc. L’Europe, on la sauvera ensemble
Ce qu’il faut sauver, car elle fond comme beurre en broche, c’est la souveraineté du peuple français, ce sont les libertés démocratiques menacées par la fascisation de l’UE, par l’interdiction des PC d’Europe de l’Est, par la présence de francs nazis aux gouvernements ukrainiens, baltes, autrichiens, etc. ; et c’est l’héritage social de 36 et de 45 construit par les militants franchement communistes d’alors qui étaient PATRIOTES et INTERNATIONALISTES et qui n’adhéraient pas à un parti de la Gauche européenne grassement subventionné par Bruxelles !
A. C. :en étant extrêmement ambitieux mais surtout en ne lâchant pas les autres
Ce sont les autres communistes et syndicalistes de classe de l’UE qu’il ne faut pas lâcher et cela s’appelle l’Europe des luttes ; en revanche, si nous pouvions couper l’arrimage de la France à l’écrasante domination de la « République de Berlin » et avec le super-tuteur étasunien, nous mettrions notre classe laborieuse en bien meilleure posture pour revendiquer et pour combattre pour le socialisme.
A. C. : Car c’est ce que l’on a fait avec l’Italie.
Qui ça, « on », M. Chassaigne ? Nous, militants franchement communistes ne partageons aucun « on » ou aucun « nous » avec Macron.
A. C. : On les a lâchés sur les questions d’immigration. Les Italiens ont dû supporter une crise européenne, sans l’aide des alliés de l’Union. Et on voit ce que cela a donné.
Le Point : Sur bien des plans, les pays membres parviennent de moins en moins à tisser des accords à l’unanimité. Prenez la taxation des Gafa : l’Irlande dit non et cela risque de faire tomber le texte à l’eau. Que faut-il faire ? Une politique de la chaise vide à la De Gaulle ?
A.C. : Non, au contraire. Il faut de la sévérité. On ne peut pas accepter que la Hongrie gère ainsi la politique d’immigration tout en bénéficiant de certaines aides financières européennes.
Il faut évidemment combattre le fascisant Orban et pour cela soutenir franchement les communistes hongrois persécutés. Mais il ne faut pas demander à « On », c’est-à-dire à la commission européenne et au tandem impérialiste Macron-Orban de « mettre au pas » les pays qui déplaisent à M. Chassaigne, cela s’appelle défendre, comme y appelait Lénine, le « droit des nations à disposer d’elles-mêmes ». La proposition de M. Chassaigne est proprement social-impérialiste et elle pousse à renforcer dangereusement la supranationalité dictatoriale de l’UE : cela donnerait quoi avec une « défense européenne », même dégagée de l’OTAN ? En outre, qu’il est aberrant politiquement de compter sur l’UE, qui n’a cessé de criminaliser le communisme et de flirter avec des régimes fascisants (une UE dominée par la RFA où 90 députés racistes siègent désormais au Bundestag !), pour ramener quelque pays que ce soit à la démocratie. M. Chassaigne sait-il par exemple que l’UE soutient totalement le gouvernement Porochenko (Kiev) dont le « parlement » exclut les députés communistes et est présidé par un néonazi avéré ? Et c’est cette Europe-là que M. Chassaigne trouve « laxiste » ? Cela fait froid dans le dos et Lénine n’eût pas manqué de qualifier un tel positionnement de « social-impérialiste », socialiste en paroles, impérialiste en fait.
A. C. : On ne peut pas concevoir qu’il y ait, d’un côté, un très grand volontarisme européen pour lutter contre les produits phytosanitaires et les pesticides et que, d’un autre côté, des pays s’arrangent pour pouvoir utiliser le glyphosate pendant encore dix ans, voire plus. Il faut de la sévérité.
La sévérité de qui ? de Junker qui a institué un paradis fiscal dans son pays, le Luxembourg ? Assez de contes pour enfants sages !
A. C. : sur les paradis fiscaux à l’intérieur de l’Union. Comment peut-on imaginer aujourd’hui que l’Union européenne ne mette ni l’Irlande, ni les Pays-Bas, ni le Luxembourg dans la liste des paradis fiscaux ? C’est du laxisme !
Sans commentaire devant tant de naïveté, pour être optimiste !
A. C. : Par ce comportement-là, on accompagne un délitement de l’Europe et son rejet par les peuples. Les discours d’Emmanuel Macron sont bien beaux, mais s’il ne saisit pas plus sérieusement les dossiers fondamentaux, le rejet va s’accentuer et le nationalisme prendra le dessus. Cela passe aussi par la remise en cause des traités.
Au moins, Mélenchon, contre lequel A. Chassaigne n’a cessé de tonner lors des présidentielles, parle d’ « abrogation des traités », ce qui de toutes façons, « ne fait pas le compte » puisque pour les abroger, il faut, soit sortir de l’UE comme y appelle le PRCF (fût-ce unilatéralement : car la souveraineté ne se négocie pas, elle se prend !), soit avoir l’accord des 27 pays, ce qui n’est qu’un vœu pieux ou qu’une escroquerie politique.
A. C. : Un point de discussion que l’on a avec Benoît Hamon. Dans l’appel pour une liste de rassemblement, il ne remet pas en cause les traités.
Plus vague, on meurt !
A. C. : On n’arrivera pas à réformer l’Europe sans cela. Car au fond, je crois qu’en ces temps de crises, le sentiment d’appartenance à la communauté européenne peut l’emporter dans beaucoup de pays. Le Brexit, c’est une leçon de choses.
Qui « on », quelle classe sociale M. Chassaigne ?
À l’instar de Ian Brossat, adjoint d’Anne Hidalgo et candidat du PCF-PGE aux européennes, M. Chassaigne semble compter sur la « peur de l’inconnu » pour fixer les peuples à cette construction hideuse qu’est l’UE. Et il se réjouit à grand bruit du fait que la grande bourgeoisie anglaise, secondée par l’UE (qui veut « punir » le peuple britannique pour son vote de classe anti-UE) , fait tout pour torpiller le Brexit. On attendrait ce type de phrase d’un conservateur bien plus que d’un « communiste »…
Le Point : En France, la crise des Gilets jaunes et le grand débat national qui le suit révèlent une forte demande démocratique. Le fameux RIC révocatoire est une des mesures-phares sorties des débats – voulue notamment chez les Gilets jaunes les plus radicaux. Y êtes-vous favorable ?
A.C : Le sujet de la démocratie active me tient particulièrement à cœur. Régulièrement, je fais l’élaboration de projets de loi avec des citoyens de la circonscription. Mais même ceux qui ont la volonté politique de les associer – comme je le fais – le font mal. L’appétit est plus grand. Il faut que se créent de véritables mécanismes qui permettent d’intégrer le citoyen dans la prise de décision. Tout le monde fonce sur le RIC comme un taureau sur la muleta en considérant que c’est le summum de la démocratie. Nous y sommes favorables, mais pas au RIC révocatoire. Quand on regarde la proposition des Insoumis sur la question, il y a du souci à se faire !
La FI va trop loin sur la démocratie directe ? A. Chassaigne sait-il que c’est la Commune de Paris qui a inventé la révocabilité de tous les élus pour interdire à ceux-ci de trahir leurs mandants une fois l’élection acquise ? Nous ne disons pas que la proposition de la FI soit bonne, mais de nouveau, M. Chassaigne en produit une critique DE DROITE, comme ce fut constamment le cas durant la présidentielle.
A. C. :Si dix habitants d’un village de 500 habitants demandent la révocation de leur maire, il peut s’en aller. Dans la proposition de loi que nous déposerons prochainement, nous présenterons un RIC qui permettra à un million de citoyens, s’ils le souhaitent, de soumettre une proposition de loi à référendum, après saisine a priori du Conseil constitutionnel, afin de s’assurer que le texte n’est pas contraire aux droits fondamentaux. Le mécanisme sera le même pour demander l’abrogation d’une loi. Nous voulons également que le CESE joue un rôle actif dans notre dispositif, puisqu’il sera chargé d’émettre un avis susceptible d’éclairer les débats. Ce bouleversement démocratique est nécessaire. Aujourd’hui, les socialistes tentent de le faire sur le rétablissement de l’ISF et il leur manque encore une vingtaine de signatures de parlementaires. Si on arrive à réunir les parlementaires, encore faut-il rassembler plus de 4 millions de signatures. Ce n’est pas une mince affaire et ça éloigne d’autant plus le citoyen du débat. Emmanuel Macron veut que les députés soient les intestins silencieux de la bouche élyséenne digérant uniquement ce que l’exécutif décide. Ce n’est pas le rôle du parlementaire.
Le Point : Autre demande populaire : la baisse du nombre de parlementaires. Et pourtant, vous vous y opposez. D’aucuns diraient que vous comptez rester agrippé à votre siège…
A.C : C’est une manipulation du gouvernement. Par le biais de l’exigence démocratique qu’expriment les Français, la macronie va répondre par des propositions qu’ils portaient déjà dans la réforme constitutionnelle bloquée par l’affaire Benalla l’été dernier. La proposition de réduire est fondamentalement antidémocratique ! Comment peut-on avoir davantage de lien entre la population et ses représentants si ces derniers sont hors-sol et n’ont plus aucun lien avec leurs administrés ? Je suis député d’une circonscription qui compte 130 000 habitants, 132 communes et qui fait une centaine de kilomètres de long sur en moyenne 40 de large. On est 5 députés dans le département du Puy-de-Dôme. Si on se retrouve à trois demain, comment je fais pour écouter ces Français-là ? Il n’y aura plus aucun lien entre le peuple et ses représentants. L’idée pour Emmanuel Macron, c’est d’éloigner les députés du terreau citoyen. Il veut que les députés soient les intestins silencieux de la bouche élyséenne digérant uniquement ce que l’exécutif décide. Ce n’est pas le rôle du parlementaire. On a une Ve République qui est à bout de souffle, c’est vrai, mais la réforme constitutionnelle d’Emmanuel Macron porte indéniablement un renforcement du pouvoir exécutif. Même De Gaulle n’aurait pas osé
Le Point : Et pourtant, il parle de République décentralisée…
A.C : Emmanuel Macron parle beaucoup. Il aime les effets d’annonce, mais la réalité sur le terrain est autre. Croyez-vous que les collectivités locales vont bien ? Non. Croyez-vous qu’elles soient en capacité de mieux diriger leurs dossiers ? Non. Je ne vois pas ce qu’on peut décentraliser, puisqu’elles n’ont plus de moyens pour fonctionner.
Au fond, ce que réclame A. Chassaigne, c’est des moyens pour « décentraliser » alors que le pouvoir se réclame du « pacte girondin » pour casser la République une et indivisible, mettre en place des « collectivités uniques », comme en Corse ou en Alsace, dangereuse pour l’unité du territoire national, et qu’en réalité, il ne vise à « décentraliser » l’État nation que pour casser les communes et recentraliser autour des métropoles type Grand Paris, que cautionne d’ailleurs Ian Brossat.
Le Point : Comment le grand débat doit-il se conclure ? Par un référendum, de nouvelles mesures ou un changement de Premier ministre ?
A.C : La meilleure façon, c’est de retenir les cinq propositions des communistes de l’Assemblée nationale (rires). On a une proposition sur l’augmentation du smic qui accompagne en même temps les PME et des TPE en réorientant le CICE, le rétablissement de l’ISF et le passage de 5 à 9 tranches d’impôts, revoir sérieusement le calcul de l’allocation adulte handicapé, redirection du livret de développement durable pour qu’il ne finance pas l’économie carbonée ; et une dernière proposition pour sanctionner davantage les élus condamnés à des délits ou des crimes. Tous ces sujets remontent des discussions que les élus communistes ont eues avec les citoyens dans le cadre du grand débat national. Emmanuel Macron doit répondre sur tous ces sujets qui remontent du grand débat national : justice sociale, justice fiscale, justice environnementale et justice républicaine. Sans ça, le grand débat national risque d’être un échec mortifère pour la démocratie française dont personne ne se relèvera.
Espérons que M. Macron écoutera ce sage conseil car le contraire serait bien dommage pour notre grande « démocratie française ». Qui vient d’éborgner une vingtaine de Gilets jaunes. On se demande si M. Chassaigne a jamais ouvert un livre de Marx sur le contenu de classe de tout État, démocratie pour la classe dominante, mais dictature sur la classe exploitée comme le voient chaque jour les syndicalistes cheminots, les gilets jaunes réprimés, etc. Le but d’un communiste n’est pas de « sauver la démocratie française » (de plus en plus policière soit dit en passant), pas plus qu’il n’est de « sauver l’Europe », il est tout au contraire de faire la révolution et, pour s’y préparer, d’aider les travailleurs à s’émanciper des illusions inculquées à chacun dès le plus jeune âge sur l’idée que le capitalisme serait compatible avec une véritable démocratie. Sur ce point, le PCF est même très à droite, hélas, des progressistes non communistes qui parlent de « démocrature » pour qualifier le régime actuel bardé de lois liberticides…
Le Point : C’est quoi être communiste en 2019 ?
A.C : J’ai été conseiller régional pendant huit ans et j’ai siégé pendant deux ans avec Valéry Giscard d’Estaing. Il avait une forme de sympathie à mon égard et à celui des communistes de son assemblée. Il me convie un jour et me dit : « Monsieur Chassaigne, je voudrais vous poser une question. Pourquoi êtes-vous communistes ? » Je lui raconte mes racines ouvrières, mon enfance dans une cité Michelin à côté de Clermont-Ferrand et mon quotidien de lutte des classes. Et il m’écoutait, l’air passionné et avec beaucoup de respect, parler de la vie comme un combat quotidien pour faire avancer les revendications sociales.
Bien entendu il peut y avoir du respect entre les individus quels qu’ils soient ; mais étant donné ce que Giscard a fait à notre peuple, par ex. la casse géante de la sidérurgie, les insultes contre le « PCF totalitaire et fascisant » ou la réforme Haby, on ne peut que s’attrister de voir un député « communiste » regretter les bons moments de philosophie hors-sol passés avec lui…
A.C : Aujourd’hui, le mot communiste a pour moi un sens supplémentaire. J’aime le mot « commun » qu’il y a dedans. Je crois qu’il faut travailler collectivement, comme on tente tous de le faire avec le grand débat national
Merci au PCF d’avoir tout fait pour que cette opération de diversion visant à isoler et à diviser les Gilets jaunes réussisse !
A.C : Quelque part même s’il y a beaucoup de choses à redire. Prenez l’économie sociale et solidaire : j’y crois plus qu’aux nationalisations. L’image égalitariste du communiste comme Aragon le définissait derrière l’expression « l’homme communiste » n’a plus de sens.
Les rédacteurs du « Point », qui appelaient à casser la CGT en mai 2016, doivent être ravis d’apprendre que le PCF ne veut plus toucher à la propriété privée des grandes entreprises alors que, dans les années 70 encore, la revendication du Parti était de nationaliser – sans indemnités pour les grands actionnaires – les « secteurs-clés de l’économie. Au fait, M. Chassaigne peut-il nous dire comment il construira une société sans classes (c’est ce que veut dire « communisme » chez Marx) sans VIRER LES CAPITALISTES, sans le pouvoir des travailleurs et sans la socialisation des moyens de production (qu’une nationalisation démocratique ne résume pas mais qu’elle peut préparer ?). En tout cas, Marcel Paul, qui « nationalisa la lumière » et construisit le joyau industriel qu’est encore EDF, doit se retourner dans sa tombe en lisant de telles palinodies qui font penser aux pires déclarations d’un Robert Hue.
A. C. : Alors il faut apporter une réponse collective à l’individualisme du capitalisme en réinventant des modèles comme les sociétés coopératives par exemple. Voilà une belle invention qui inspire les communistes.
Évidemment, les militants franchement communistes n’ont rien contre la coopération, mais réduire le socialisme à la coopération sans poser la question du pouvoir politique de classe et de la socialisation des grands moyens de production, ce n’est pas seulement se moquer du monde et donner des gages d’ « assagissement » définitif à la bourgeoisie et à la social-démocratie, c’est régresser vers le socialisme le plus vieillot, celui de Proudhon et du socialisme utopique et petit-bourgeois. C’est cela qu’avait dépassé le socialisme scientifique et prolétarien de Marx, d’Engels et de Lénine. Et dire que M. Chassaigne appelle cela une « invention »…
Le Point : Et être communiste aux côtés des Insoumis de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, occupe beaucoup l’espace politique et médiatique, est-ce difficile ?
A.C : Il faut qu’on joue notre basket. Le gros problème du Parti communiste français, c’est que depuis des années il joue dans l’ombre des autres. Il n’a pas porté sa propre politique : il a été à la remorque du Parti socialiste puis à celle de Jean-Luc Mélenchon pendant deux élections présidentielles, en 2012 avec le front de gauche et en 2017. En ne jouant son propre jeu, le PCF est devenu inaudible et est quasiment sorti du paysage politique. La grande responsabilité vient de nous. Il faut que l’on existe par nous-mêmes et plus dans l’ombre de Jean-Luc Mélenchon, puisque c’est votre question. Qu’on arrête de jouer le basket de La France insoumise. Ce n’est pas s’opposer à eux, c’est considérer que l’on ne pourra rassembler par la suite une gauche de transformation sociale que si chacun des partis reste lui-même. Nous avons bien fait de faire un groupe à part, car on s’exprime, on porte des propositions et on fait vivre notre courant de pensée. Jean-Luc Mélenchon a finalement compris cela et il respecte notre position.
Il est louable de vouloir exister indépendamment de Mélenchon. Mais ce serait déjà un pas en avant si le PCF cessait d’exister dans l’ombre du PS avec lequel il fait équipe partout, notamment à Paris, et qui est autrement nocif pour la République sociale et souveraine que les militants de la France insoumise. Encore mieux s’il cessait de flirter avec Hamon, mille fois plus euro-béat et réformiste que tous les insoumis réunis. Encore mieux si surtout, le PCF avait une politique réellement indépendante du réformisme et du capitalisme dans son contenu même : en un mot une politique d’euro-rupture progressiste, de dénonciation de la fascisation du pouvoir (et non d’appel à voter Macron présenté comme un « barrage antifasciste »), de nationalisation démocratique des grandes firmes et des banques, de défense de l’histoire du communisme (et non de soutien à Soljenitsyne et de condamnation de l’URSS), et surtout, de lutte pour le socialisme et pour le pouvoir des travailleurs. Si la politique du PCF est en réalité réformiste et euro-dépendante, si « indépendant » de Mélenchon qu’il se veuille, il n’est pas indépendant de la CLASSE capitaliste et de la social-démocratie dominante. Et il en est alors tristement réduit – et c’est bien dommage pour des milliers de militants communistes de terrain qui valent mieux que cela – à chercher des félicitations du Point ou des gentillesses de Giscard pour sa « modération » et son politiquement correct. Ce n’était ni le cas de Thorez et Duclos, ni celui de Marchais – malgré ses erreurs et ses dérives idéologiques : eux ne passaient pas pour des « sages » auprès des bourgeois, mais du coup, la CLASSE OUVRIÈRE se retrouvait pleinement dans leur action franchement communiste, 100% antifasciste et carrément anti-UE.
Le Point : Vous critiquiez un peu plus tôt l’envie autocratique d’Emmanuel Macron via la réforme constitutionnelle notamment. C’est un trait de caractère que l’on retrouve aussi chez Mélenchon avec sa passion pour les césarismes. Trouvez-vous que les deux hommes se ressemblent ?
A.C : Ces deux hommes ont une personnalité forte, c’est vrai. Même s’ils sont d’une culture politique différente, ils ont des caractères similaires. Chaque fois que j’ai eu le malheur de dire du mal de Jean-Luc Mélenchon, j’ai eu droit à des dizaines et des dizaines de coups de fil de journalistes et d’invitations sur les plateaux de télévision.
Aveu d’une incroyable candeur ! Demande-toi quelle bêtise tu fais quand tous les médias te tendent un micro !
Le PRCF a apporté à la candidature Mélenchon (et non pas à « la France insoumise » ou « à Mélenchon ») un soutien critique et circonstancié qu’il ne regrette pas au vu des résultats du 1er tour. Mais il a aussi apporté ses critiques chaque fois que Mélenchon semblait reculer sur la question de l’UE en cédant aux sirènes de la gauche européiste. Bref, il a critique Mélenchon de GAUCHE : et bizarrement, aucun micro ne s’est tendu vers nous…
A. C. : On m’a même catalogué pendant un temps d’anti-Mélenchon. J’ai mes divergences avec lui, mais on sait travailler ensemble. Il y a une forme de contradiction chez lui, je lui ai déjà dit. Il y a chez lui ce côté révolutionnaire bousculant tout et tout le monde et, en même temps, il a un ancrage viscéral à la République.
Phrase encore plus stupéfiante et qui prouve encore une fois que :
- a) Chassaigne critique Mélenchon DE DROITE, puisque manifestement il semble trouver très vilain qu’on soit un « révolutionnaire bousculant tout le monde », et
- b) qu’en bon réformiste, Chassaigne oppose l’ « ancrage viscéral à la République » à la passion révolutionnaire.
Comme si la République bourgeoise elle-même, sans parler de la République socialiste, à laquelle devraient aspirer tous les communistes, n’était pas née d’une révolution !
A. C. : Personne ne peut sérieusement cataloguer Jean-Luc Mélenchon car il est, au fond, très complexe. Sa personnalité fait que je ne sais pas ce qu’il sera demain. Très sincèrement, je ne suis pas certain qu’il sache, au fond de lui, quelle stratégie il veut engager. Lui considère que la prise du pouvoir ne peut se faire que dans la cadre d’un mouvement – en l’occurence La France insoumise – qui avale toutes les autres sensibilités de gauche. J’étais très favorable au Front de gauche, mais le gros problème c’est que le mouvement s’est cristallisé autour de sa personnalité. Or l’Internationale le dit très bien : « Ni dieu, ni César, ni Tribun. »
Oui, très juste, mais l’Internationale dit aussi : « Le monde doit changer de base ». Et cela, André Chassaigne semble l’avoir oublié.
Chassaigne est à l’image de son parti : il n est plus communiste au mieux on pourrait le taxer de responsable d une ONG qui dégouline d humanisme mais sans remettre en cause le système qui crée la deshumanite