Dans un entretien fracassant accordé à The Economist, Macron déclare que l’OTAN est en « mort cérébrale » à la suite des évènements de Syrie : car d’une part Trump a décidé de retirer ses troupes du Nord de la Syrie, donc de laisser Erdogan attaquer et massacrer les Kurdes de la Rojava ; et ce retrait a été décidé sans même que soient informés ses partenaires de la coalition impérialiste (dite anti-Daesh) – notamment français – présents sur le terrain ; de son côté la Turquie capitaliste, membre de l’OTAN, ne s’est pas privée pour attaquer les Kurdes sans se soucier autrement d’informer ses « alliés » de l’OTAN. Aussitôt paru cet article-choc de Macron, Merkel et d’autres dirigeants de l’UE ont sèchement désavoué Macron qui, dans ce même entretien, proposait d’accélérer la mise en place d’une armée européenne permettant d’affirmer la dirigeance française de l’Empire européen en gestation, du moins sur le plan militaire, donc de distendre – au moins dans les mots – les liens militaires européens (donc allemands !) avec l’OTAN.
Il n’est pas question ici de nuancer le diagnostic somme toute réjouissant que dresse Macron, non pas de la « mort cérébrale » de l’OTAN, mais de sa crise de gouvernance bien réelle ; celle-ci est intimement liée à l’unilatéralisme de plus en plus prononcé des Etats-Unis (et ça n’a pas commencé sous Trump !) et à la rivalité non déguisée de l’impérialisme US et de l’impérialisme allemand. Ce dernier fut énormément renforcé par l’annexion de la RDA (pardon : par la « réunification allemande ») et par la quasi-recolonisation de l’Europe de l’Est opportunément rebaptisée « élargissement de l’UE aux pays de l’Est ». Et tout en demeurant dans le sillage des USA à l’échelle géopolitique, Berlin s’est d’abord servi de l’euro, ce clone du deutsche Mark, pour étouffer les pays d’Europe méridionale sous l’austérité ; puis, quand ces derniers eurent été économiquement lessivés, Berlin appuyé par Bruxelles et par Mario Draghi s’est servi de la BCE pour modifier la politique monétaire et pénétrer le marché américain (qu’était censée préserver la politique de l’euro fort, calé sur le DM, et qui abandonnait l’Europe au deutsche Mark fort et le monde au dollar faible). Il y a donc des contradictions réelles entre l’impérialisme états-unien et l’Europe allemande néo-impériale, où néanmoins les Usa gardent de très fortes positions via les ex-pays socialistes de l’Est, dont les dirigeants contre-révolutionnaires sont fanatiquement antirusses (Pologne, Pays baltes, Ukraine notamment).
Pour l’instant les prudents dirigeants allemands désavouent Macron : ils préfèrent rester dans la mouvance de l’OTAN, augmenter massivement dans ce cadre les dépenses dévolues à la Bundeswehr, jouer double jeu avec la Russie autour de la question des gazoducs indispensables à l’industrie allemande, et… ne pas donner trop d’importance à l’impérialisme français : d’accord pour récupérer au nom de l’UE (ce faux nez de Berlin) le siège français au Conseil de sécurité de l’ONU, d’accord pour accéder via une armée européenne inféodée à l’OTAN un droit de regard direct sur le nucléaire militaire française, mais pas d’accord pour partager la gouvernance d’une armée européenne avec l’impérialisme gaulois jugé économiquement et culturellement décadent. Lequel accepte déjà (cf les travaux d’Yvonne Bollmann) un début de dépeçage des marches Est de l’Hexagone avec la création d’un « euro-département » de Moselle ou avec la mise en place d’une collectivité unique d’Alsace tournée vers l’Axe rhénan. Ainsi va la très dissymétrique « fraternité franco-allemande » au monde sinistre des relations inter-impérialistes, n’en déplaise aux intellectuels qui, faute de défendre l’enseignement de l’allemand en France ou celui du français en RFA (ces deux langues sont sacrifiées au tout-globish…) se grisent aux mots de « Carolingie » et de « Françallemagne »…
N’empêche : la création d’une armée européenne, y compris si elle est dirigée par l’impérialisme français (désormais seul détenteur de l’arme atomique en Europe en raison du Brexit) serait une aussi mauvaise nouvelle pour la classe travailleuse (de France et d’Europe) que pour la souveraineté de la France. Si jamais elle devait servir à la réaffirmation militaire de l’impérialisme français à l’échelle continentale, à la manière de ce qui se passa brièvement sous Bonaparte (Napomacron s’en va-t-en guerre ?), il est évident que les communistes devraient combattre ce projet impérialiste à boulets rouges ; que cette armée soit inféodée à l’OTAN et s’associe à elle pour combattre la Russie et prendre une revanche ultraréactionnaire sur Stalingrad, ou qu’elle serve à construire les moyens durables d’une confrontation inter-impérialiste avec les USA, cela n’aurait rien à voir avec un projet d’indépendance nationale et de défense de la paix mondiale : car ceux-ci passent par le Frexit progressiste, par la rupture avec l’OTAN, par la coopération avec tous les pays du monde et d’Europe dans la visée du socialisme pour notre pays. Si par contre, comme c’est le plus probable, une telle armée européenne ne sert qu’à réarmer en douce l’impérialisme allemand, qu’à lui ouvrir tous les canaux des moyens militaires et diplomatiques français existants, qu’à réduire la fracture encore existante entre la superpuissance économique qu’est l’Allemagne et la puissance encore modeste qu’elle demeure sur les plans diplomatique et guerrier (en raison du naufrage historique de Hitler), la « solution » euro-macroniste au prétendu « retrait » américain d’Europe serait un remède pire que le mal. Du moins si l’on se place du côté des couches populaires et de l’indépendance de notre pays.
Il ne s’agit pas pour autant de cultiver le statu quo militaire hexagonal qui voit l’armée française entièrement professionnalisée et coupée du peuple déserter les frontières nord-est de l’Hexagone (sur décision de Sarkozy), intervenir tous azimuts en Afrique pour servir les intérêts de Total et de Bolloré, pour déstabiliser la Syrie en utilisant des moyens occultes, pour accepter honteusement de travailler en anglais pour mieux complaire à l’OTAN et… réprimer notre peuple si la nécessité se faisait sentir pour la classe dominante de mater les « banlieues », les salariés des entreprises, les étudiants et les « périphéries » tentées par l’insurrection anti-oligarchique. Déjà des militaires sincèrement patriotes se demandent où va leur institution, même si, faute d’adresse forte et permanente du PCF aux milieux militaires (ce que faisait régulièrement le PCF d’avant la « mutation »…), ce patriotisme spontané n’est que trop souvent dévoyé, vu les traditions versaillaises, voire « vendéennes » trop réelles d’une partie des officiers, vers la droite dure et vers le RN.
Plus que jamais il faut donc que le PRCF œuvre pour une toute autre politique internationale et militaire : une politique articulée au Frexit progressiste, à la sortie de l’OTAN belliciste, au dialogue avec tous les continents, à la rupture avec la Françafrique néocoloniale, à la défense exclusive du territoire national : car une France franchement insoumise à l’UE-OTAN du capital et en marche vers le socialisme serait évidemment ciblée par toutes sortes d’ennemis intérieurs et extérieurs contre lesquels il est hors de question de rester bras ballants en prônant un social-pacifisme naïf. La question serait alors, sans opposer soldats de métier aux futurs conscrits et autres soldats-citoyens, en articulant fortement patriotisme, antifascisme et internationalisme, de développer une armée enfin invincible parce que n’attaquant personne et reposant entièrement sur le peuple en armes défendant sa souveraineté. Ce fut le cas des Soldats de l’An II qui, porteurs de l’idéal patriotique ET universel des Sans Culotte, battirent à plate couture, de Valmy à Fleurus en passant par Jemmapes, les mercenaires de l’Europe monarchique coalisée contre la France.
C’est dans cet esprit de principe à la fois républicain et révolutionnaire, patriotique et internationaliste (et non pas bien entendu dans des modalités techniques qui ont changé du tout au tout depuis le 20ème siècle commençant…) que le PRCF continue de lire avec intérêt le livre de Jaurès L’armée nouvelle, sans oublier les écrits militaires de Clausewitz ou ceux des classiques du marxisme-léninisme.
* Voir par exemple : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/bce-draghi-evoque-une-baisse-des-taux-trump-peste-contre-l-euro-faible-820836.html
Les réactions internationales aux propos de Macron
Si la Russie a salué les propos de Macron, ce dernier s’est fait séchement recadrer par ses maitres de Washington et Berlin. « Ce sont des paroles en or. Sincères et qui reflètent l’essentiel. Une définition précise de l’état actuel de l’Otan« , estime Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, sur Facebook
La chancelière Angela Merkel a sèchement taclé le locataire de l’Elysée, dans une une conférence de presse à Berlin commune avec le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg. «Je ne pense pas qu’un tel jugement intempestif soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir», indiquant ne pas partager les «termes radicaux» d’Emmanuel Macron.
Washington, par la voix de son ministre des affaires étrangère Mike Pompeo, de Leipzig en Allemagne, a souligné que l’Otan, restait «historiquement un des partenariats stratégiques les plus important» pour les USA tout en soulignant l’exigence de Donald Trump aux pays membres de l’Alliance de mieux «partager le fardeau» de son financement. Une fin de non recevoir pour le banquier de l’Elysée, qui signifie en quelque sorte, la France doit payer et obéir.