La crise du coronavirus a frappé les pays de la zone euro. La question qu’on peut se poser et que l’on doit continuer à se poser est la suivante : où est l’Union européenne dans cette affaire ? En effet, aucune solidarité entre les pays de l’organisation supranationale ne semble avoir été mis en place pour faire face à la crise. Rien pour aller au chevet de l’Italie et de l’Espagne, pays les plus touchés du continent, ni bien entendu de la France[1]. Nous l’avons déjà assez évoqué[2], mais le vol de masques entre pays de la zone euro ont été fréquents et démontrent un égoïsme marqué. Ursula Van Der Leyen, la commissaire présidente européenne, a promis que la Banque Centrale Européenne donnerait 750 milliards d’euros pour soutenir l’économie (comprendre les grands patrons), sans promettre aucune aide pour lutter contre l’épidémie[3]. Le 13 avril 2020, l’UE a même choisi comme conseiller à l’environnement l’investisseur pétrolier BlackRock, aussi connu pour son rôle dans la contre-réforme des retraites française[4].
Tout le monde, en premier lieu les Italiens qui ont apprécié à leur juste valeur l’absence d’aide apportée, a pu voir le visage grotesque et lugubre de l’Union européenne. Au demeurant, même s’il s’agit d’une crise extrême, la vérité sur l’UE était déjà visible au regard de ses mesures antisociales privilégiant la privatisation des entreprises et la fameuse directive sur les travailleurs détachés[5].
Même Macron, l’ardent défenseur de la construction européenne, sentait dès 2019 à la faveur des élections approchant que celle-ci ne plaisait plus aux masses. Il proposa en conséquence une « Renaissance »[6]. Les propos de cette tribune sont contre tout attente d’une platitude, que l’on peut pasticher ainsi : « le nationalisme c’est mal, le statu quo aussi. Nous n’avons pas assez prévenu les Britanniques de l’horreur du Brexit en n’imposant pas un temps d’antenne de 26 heures sur 24 aux défenseurs de l’UE. Il faut relancer la construction européenne sur les trois concepts clairs de liberté, protection et progrès. Surtout pour nous protéger des infâmes Russes qui souhaitent nous espionner et nous influencer, ce qui déplaît à l’Oncle Sam ». Notons tout de même qu’il énonce que l’UE est une réussite car elle a réconcilié un continent dans un projet inédit de paix, de prospérité et de liberté… Je vous encourage à lire son texte et ensuite à le comparer avec le monde réel de la réalité véritable. Vous constaterez qu’à force de tordre la réalité dans ses paroles, les œuvres de Tolkien paraissent d’un réalisme hallucinant…
Cette année 2020, le 29 mai, nous fêterons les 15 ans du NON français au traité portant une constitution à l’Union européenne. Le PRCF avait alors participé avec ses maigres moyens à la campagne du référendum en se déclarant contre toute constitution européenne et pas seulement celle qui nous était proposée. Près de 70% d’ouvriers avaient voté contre le traité, parce qu’ils voyaient déjà depuis 20 ans la destruction de leurs lieux de travail, les privatisations et les délocalisations permises par le traité de Maastricht. A contrario, la classe dominante avait dans sa grande majorité votée OUI au référendum. Il y avait bien une question de lutte des classes dans cette histoire. Remarquons qu’à l’époque, la grande majorité des débats télévisés tournait entre le OUI au TCE et le OUI au TCE, à l’inverse des réseaux sociaux. C’était donc aussi une victoire de la démocratie sur les élites[7].
Nous connaissons bien entendu la suite, la majorité des éléments du TCE seront repris dans le Traité de Lisbonne (sans que celui-ci soit appelé constitution) en 2007, tandis que le gouvernement Sarkozy, pour le faire adopter, aura l’intelligence de ne pas demander son avis au peuple. Voilà comment on viole un choix démocratique !
Revenons donc à cette occasion sur le cas de l’Union européenne, que l’on essaye encore, contre vents et marées, de nous vendre, à l’instar du PCF[8], par l’intermédiaire d’une soit-disant Europe sociale mythique. Nous reviendrons sur ses origines souvent mythifiées et que plusieurs historiens ont tenu à démasquer (I). Ensuite, nous verrons ses institutions (II) et son droit (III). Enfin, il faudra bien parler de la nécessité actuelle de faire front contre cette organisation supranationale et le gouvernement Macron (IV).
1. Les origines de la construction européenne.
L’idée d’une union des pays européens est assez vieille et n’a pas forcément une connotation progressiste de prime abord. Au dix-neuvième siècle, où les guerres directes entre pays européens étaient encore fréquentes, des penseurs ont commencé à en discuter, mais il s’agissait plus d’une volonté de prétendre à une entente des pays européens mais pas sans rivalité : les rivalités économiques et politiques persistaient mais en adoucis. D’ailleurs, on peut dire que dans certains discours, cette alliance européenne avait une visée clairement impérialiste. Le fameux discours de Victor Hugo[9] cité par les pro-UE prône, si on l’entend bien, une entente des peuples européens pour mieux coloniser, à cause d’une sorte de devoir de civilisation qui sera repris plus tard en France par des politiciens comme Jules Ferry.
L’idée d’une union des pays européens fait ensuite son bonhomme de chemin dans la bourgeoisie, notamment en face du « danger » socialiste, d’autant plus après 1917. Dans les partisans d’une union européenne, on trouve le courant fédéraliste, qui a été défendu et créé par Coudenhove-Kalergi, qui souhaitait mettre fin à la souveraineté limitée des États, bâtir une Europe politique et pas seulement économique, chrétienne et qui se trouverait à la tête du monde. Il a créé diverses organisations pour défendre ses idées, dont l’Union paneuropéenne internationale qui existe toujours.
Les élites économiques étaient bien entendu depuis longtemps partisans de l’Union européenne, dans le sens où ils avaient besoin de terrain pour leurs capitaux. Pendant une vingtaine d’années, ils ont trouvé un moteur de cette Europe en la personne… de l’Allemagne hitlérienne ! Pour ceux, que cela intéresse, je vous invite à lire les travaux d’Annie Lacroix-Riz. D’ailleurs, nous conseillons vivement son article paru dans le Étincelles spécial histoire (janvier 2020) pour bien comprendre comment les élites sont passées du protecteur allemand au protecteur américain[10].
Devenu grand vainqueur économique de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis conditionnent l’aide à la reconstruction de l’Europe à la participation de l’Allemagne de l’Ouest au projet d’union et à la lutte anticommuniste. Plusieurs des pères fondateurs sont parfaitement dans cette logique, comme Spinelli, Schuman (qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain et était un homme de main de la synarchie[11]) et Monet, dont certains sont quasiment des agents de la CIA.
Avant de parler des premiers traités qui vont constituer la base de l’Union européenne actuelle, il est nécessaire de rappeler une spécificité de celle-ci : avec les communautés européennes, on passe d’une organisation internationale classique à une organisation supranationale, ce qui signifie que les pays entrant dans cette organisation abdiquent une partie de leur souveraineté. À l’heure actuelle, l’UE est la seule organisation de ce type. Malgré ce qu’on peut entendre dire des fois, une organisation comme l’ONU n’impose rien aux États, car ils n’abdiquent pas leur souveraineté en entrant à l’ONU. C’est tellement vrai que même quand cette organisation vote depuis des années contre le maintien du blocus sur Cuba, les États-Unis ne subissent aucune sanction !
Les premiers pas de l’Union Européenne ont lieu avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier en 1952. Celle-ci avait une durée de vie limitée à 50 ans. L’argument souvent avancé par les partisans de l’UE pour créer la CECA, c’est qu’il s’agissait d’un projet pacifique permettant de contrôler la fabrication d’armes de la France et de l’Allemagne, le souvenir de la Seconde Guerre Mondiale étant encore là. La réalité est tout autre. La CECA se crée sous la pression croisée des Américains qui veulent l’intégration de l’Allemagne de l’Ouest et du patronat qui souhaite pouvoir en tirer une augmentation des profits[12]. L’institution est totalement technocratique, pilotée par une Haute autorité et trois autres institutions. La Haute autorité, ancêtre de la Commission, n’est contrôlée par aucun État et a le pouvoir sur le marché du charbon et de l’acier.
La Communauté introduit des règles de libre-concurrence pour ces matières. Dans les faits, la CECA recréait le cartel de l’acier de 1926[13]. C’était un avantage économique pour les patrons français, mais pas pour le peuple français, l’économie française étant inférieure à l’allemande dont l’appareil industriel était intact, renforcé par l’économie de guerre et rénové à marche forcée par les Américains. Ce qui donnait forcément l’avantage immédiat à l’Allemagne. D’autre part, l’union douanière était pensée comme un véritable moyen de casser les salaires, par l’intermédiaires du principe de libre circulation des travailleurs, le coût de la main d’œuvre étant réduit par la pression du chômage sur les salaires.
La suite logique de la réintégration de l’Allemagne de l’Ouest en Europe, la Communauté Européenne de Défense, sera défendue en 1952, mais va échouer grâce à la mobilisation du peuple français avec le PCF contre cette remilitarisation à peine voilée de l’Allemagne.
En 1957, le traité de Rome créera la Communauté Economique Européenne et l’Euratom, dont les institutions sont à peu de choses près identiques à celles de la CECA. Comme pour cette dernière, ce ne sont pas des idéaux pacifistes qui les animent car ce sont les trusts financiers qui sont à l’origine de ce projet. La CEE opère cette fois dans le cadre d’un marché commun généralisé : est créée une union douanière avec libre-circulation des marchandises, des biens, des services, des travailleurs et des capitaux. Au début de la Communauté, ce sont encore les États qui décident.
En 1965, le traité de fusion des exécutifs des trois Communautés donne des institutions uniformes aux trois communautés et plus tard des politiques communes comme la politique agricole commune (PAC) sont mises en place. En 1974, il est décidé que le Parlement européen sera élu au suffrage universel direct. Cette même année va donner naissance au Conseil Européen.
L’Acte unique européen de 1986, qui entre en vigueur en 1987, est le premier traité modificateur des trois communautés. C’est cet acte, dont l’instigateur est Jacques Delors, qui accélère la mise en place d’un marché commun. Ce projet connaîtra un élan phénoménal avec la destruction du camp socialiste.
Avant le Traité de Maastricht, la Table Ronde des Industriels va beaucoup encourager la monnaie unique (qui arrivera en 2002). Ces grosses entreprises cherchent à diminuer les coûts de transaction et à avoir un marché à taille européenne. Certains des membres de la Table Ronde font partie des « experts » engagés par la Commission pour évaluer ce qu’il faut faire dans le cadre des traités créant l’UE[14]. Le traité de Maastricht sera signé en 1992 créant l’Union européenne, sans lui donner de personnalité juridique, qui lui sera octroyée par le traité de Lisbonne en vigueur depuis 2009.
Les compromis comme la Politique Européenne de Sécurité Commune n’entrent pas dans le cadre supranational mais dans celles d’organisations internationales classiques. Cela vient du traité de Maastricht qui fixe trois piliers : l’UE, la PESC et la JAI (Justice et affaires intérieures). Ces deux derniers sont intergouvernementaux. Les décisions pour la PESC et la JAI sont prises à l’unanimité et seulement par les gouvernements. L’idée est qu’à terme les deux piliers rejoignent le premier.
Entre temps, d’autres traités sont passés pour approfondir la Communauté européenne comme le traité d’Amsterdam de 1997 et le traité de Nice en 2001.
En 2005, dans le but de prolonger la construction européenne, les États tentent de faire passer le Traité établissant une constitution européenne. Là encore, aucune volonté de faire participer les peuples à la construction européenne. Entre autres dans les défenseurs de ce projet, nous trouvons l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing lié à la famille Wendel. Cette tentative échouera grâce aux peuples français et irlandais, ces deux pays ayant organisé un référendum sur le traité où le NON arrive en tête. L’Irlande fera voter à nouveau ses concitoyens pour adopter le traité de Lisbonne, les faisant même revoter l’année 2008 après un premier échec pour accepter enfin le traité, sous prétexte que l’Europe les avait soustraits à certaines clauses imbuvables.
Avec le traité de Lisbonne, nous n’avons plus que deux textes à savoir le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il s’agit de voir quelles sont les institutions dont est composée l’UE suite à ce dernier traité.
(La suite bientôt)
Ambroise-JRCF.
[1] « La farce de la « solidarité européenne » à la lumière de la pandémie de Covid-19 », Raphaël Pernoud, Le vent se lève, 18/04/2020.
[2] Entre autres dans les articles du blog des JRCF « Nous ne sommes rien, soyons tout ».
[3] Ursula von der Leyen : « cette solidarité est au cœur même de l’Europe et c’est ce qui va lui permettre de renaître », Le Monde, 04/04/2020.
[4] « Le « monde d’après » de l’Union européenne, c’est le monde du capitalisme exterministe « triomphant » ! », Initiative communiste, 14/04/2020.
[5] Voir l’excellent documentaire de Cash investigation, « Salariés à prix cassé : le grand scandale », mars 2016.
[6] « Pour une Renaissance européenne », Emmanuel Macron, 04/03/2019, sur le site de l’Elysée.
[7] Nous vous conseillons l’excellent documentaire « Quand les français ont dit non à l’Europe ».
[8] Entre autres, voir l’article de Denis Durand dans Communistes (semaines du 22 avril 2020) « S’attaquer à la domination du capital sans attendre le jour d’après » où il propose de rendre social la BCE… Sans parler du communiqué du 26 mars de la direction du Parti qui accourt une fois encore à la rescousse de « l’Europe sociale » !
[9] Discours au Congrès international de la paix à Paris, 21 août 1849.
[10] « L’Union européenne, de la légende aux réalités historiques » (1er et 2ème partie), Annie Lacroix-Riz.
[11] Voir l’article précité d’Annie Lacroix-Riz.
[12] « Une autre histoire de l’Europe (1/4) », chaîne du journal Fakir, 02/05/2014.
[13] Même article d’Annie Lacroix-Riz.
[14] « Une autre histoire de l’Europe (3/4) », sur la chaîne du journal Fakir, 07/05/2014.
Ambroise – JRCF