CALONNE-RICOUART – Pendant trois décennies, André Delcourt (1) a sillonné la République démocratique allemande (RDA). A l’heure où l’Occident célèbre le 30e anniversaire de la « chute du Mur de Berlin », l’ancien maire de Calonne-Ricouart dit éprouver une forme de nostalgie pour ce « pays perdu », annexé par son voisin de l’ouest en 1990.
30e anniversaire de la destruction de la RDA
L’ « ostalgie » d’André Delcourt
Nous sommes au début des années 1960. André Mancey, maire communiste de Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais), envisage de jumeler sa ville avec Wilkau-Hasslau, en Allemagne de l’Est. Il confie à André Delcourt qui maîtrise la langue de Goethe, le soin de se rendre en RDA pour finaliser ce projet. Il y est accueilli « comme un frère. Nos hôtes nous ont fait partager leur enthousiasme, leur certitude de créer une société nouvelle plus égalitaire ». Cette escapade de huit jours au pays du « socialisme réel », change la vie de cet enseignant. A son retour, André Delcourt adhère au Parti communiste français (PCF). En octobre 1962, André Mancey et Rudy Reichel, son homologue est-allemand, signent le protocole de jumelage. A l’instar d’Argenteuil ou Paris 20e, Calonne « la Rouge » fait figure de pionnière. Entre la commune minière du Nord de la France et la ville des environs de Karl-Marx-Stadt, la lune de miel durera une trentaine d’années, jusqu’au début des années 1990 et l’annexion de la RDA par son voisin de l’ouest.
Fructueux échanges
Durant cette période, les échanges se multiplient : expositions, concerts, projections de films, séjours touristiques ou mémoriels. En octobre 1968, André Delcourt inaugure des cours de langue allemande. Des centaines de jeunes Calonnois passeront par ailleurs de joyeuses vacances en RDA. Point d’orgue de ce jumelage : la visite en juin 1986 à Calonne-Ricouart du nageur Roland Matthes, champion olympique à quatre reprises, considéré comme le plus grand dossiste de tous les temps. Autant d’initiatives qui visent « à mieux faire connaître » un Etat qui ne sera officiellement reconnu par la France qu’en 1973. Un comité local de l’association Echanges franco-allemands devenue, cette année-là, l’Association France-RDA verra même le jour. Ce comité aurait compté parmi « les plus importants du département », selon André Delcourt.
Education à la Paix
Celui-ci séjournera à de nombreuses reprises en RDA. « On m’avait dit que la misère régnait, qu’il n’y avait pas de liberté sauf celle de se taire, que les gens étaient tristes », témoigne un homme qui y sera pourtant confronté à une réalité autre. D’emblée, « ce qui m’a étonné, c’est que tous les gosses apprenaient la musique à l’école. Ça m’a frappé parce qu’élève dans les corons du Bassin minier, je n’ai jamais eu de cours de musique… Dans le moindre patelin, les enfants apprenaient à nager aussi. La natation était au programme. J’ai également été frappé par la politesse des jeunes qui nous cédaient systématiquement leur place dans les transports en commun ». Une jeunesse éduquée dans un esprit d’antifascisme : « Les enfants devaient obligatoirement visiter un camp de la mort, comme Buchenwald situé non loin de Wilkau-Hasslau. »
Les atouts de la RDA
La médecine véritablement gratuite pour tous, la possibilité offerte aux ouvriers de passer leurs vacances « pour deux fois rien » dans de luxueuses demeures jadis propriétés de la bourgeoisie, les escapades dans les « pays frères », l’accès aux loisirs, aux activités culturelles, le sentiment de sécurité qui règne dans les grandes villes où « l’on peut se promener sans crainte à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, mais il est vrai que la police populaire (Volkspolizei) était bien représentée »… Autant d’atouts qui le séduisent ! « La liberté religieuse était acquise, le combat pour la Paix permanent. La délinquance y était quasi nulle », avance-t-il. Quant à l’Armée rouge, « elle était loin d’être omniprésente. On a raconté beaucoup de bêtises sur ce pays ». Exemplaire dans le domaine de l’émancipation des femmes (via un conséquent réseau de crèches, qui favorise leur accès à l’emploi), le pays assurera aussi « une ambiance d’amitié, de convivialité, telle qu’on la connaissait dans le Bassin minier dans le temps. Les gens étaient heureux de vivre. Les fêtes des jardins ouvriers où ils se retrouvaient entre amis, le samedi, en étaient un parfait exemple. C’était unique ». Et André Delcourt de rappeler qu’il n’a jamais vu en Allemagne de l’Est « un vieux avec des manches trouées ». Pourtant, contrairement à la République fédérale d’Allemagne (RFA), qui a bénéficié du plan Marshall, « en RDA, l’Union soviétique a imposé le règlement des dettes de guerre. Près de Wilkau-Hasslau, il y avait des monts métallifères d’où partaient chaque jour des convois de minerai de fer vers l’URSS ». Un certain égalitarisme en matière salariale y prévalait. Et André Delcourt de justifier la construction du mur à Berlin en 1961. Il a évité la « fuite des cerveaux, la perte de matière grise, le départ de ces diplômés tentés par l’Occident où ils auraient gagné cinq à dix fois plus.
La « supériorité du socialisme sur le capitalisme »
André Delcourt ne sombre pas pour autant dans le panégyrique. Il pointe volontiers du doigt « certains pontifes du Parti, qui ont exagéré, favorisant les copains », la pollution comme conséquence d’une industrialisation galopante ou encore une organisation du travail ainsi faite que « les ouvriers travaillaient à leur rythme. On était loin des exigences de rentabilité du système capitaliste ». Un certain laisser-aller dans l’entreprise, qui, selon lui, serait une des causes de l’effondrement de l’économie… André Delcourt conservera d’excellents rapports avec les « ossis », à l’instar d’Arthur et Liane Nass rencontrés dès les années 1960, lors du lancement du jumelage, et devenus des amis… « Liane est encore venue à Calonne en 2018. Nous nous écrivons régulièrement. Elle regrette la RDA. Avant, il y avait du boulot pour tout le monde », poursuit celui qui y est retourné en 2008 pour constater les dégâts (chômage, désindustrialisation, etc.) produits par la restauration de l’économie de marché. Aussi reste-t-il convaincu de la « supériorité du socialisme sur le capitalisme » à l’heure où les nostalgiques du IIIe Reich font leur retour sur la scène politique de l’est de l’Allemagne.
Propos recueillis par Jacques KMIECIAK
- Retraité de l’Education nationale, André Delcourt, 85 ans, a été maire PCF de Calonne-Ricouart de 1983 à 2014 et conseiller général du Pas-de-Calais. Particulièrement actif sur le front de l’internationalisme prolétarien, il a fait de Georges Ibrahim Abdallah, résistant communiste libanais, détenu en France depuis 1984, un « citoyen d’honneur » de sa commune en 2012.