Par la commission des contacts unitaires du PRCF – 26 août 2018
Le discours prononcé par Jean-Luc Mélenchon à Marseille le 25 août 2018 est, à plusieurs égards, combatif et dynamique. Comment ne pas écouter avec sympathie cet alliage d’universalisme humaniste, de conscience écologique et de patriotisme républicain, que l’euro-béatitude ordinaire de la fausse gauche et l’auto-phobie nationale de l’ « extrême » gauche bobo, sans parler des chapelles mutantes qui se disputent la direction du PCF-PGE, sont loin d’approcher. Jean-Luc Mélenchon n’est pas loin parfois de saisir le caractère exterministe du capitalisme contemporain dont la course aveugle au profit maximal et aux guerres impérialistes met en péril la planète, l’humanité et le vivant lui-même.
Nous ne pouvons que soutenir Mélenchon quand il déclare avec force : « nous refusons la guerre contre le peuple russe ! », qu’il fustige la « défense européenne » arrimée à l’OTAN et qu’il appelle la France à sortir de cette machine à mondialiser les guerres étasuniennes. C’est dans cet esprit que le PRCF a écrit à l’ensemble des forces progressistes, dont la France insoumise, pour les appeler à manifester ensemble le 11 novembre prochain contre Trump, l’homme que Macron invite à Paris pour célébrer la paix alors que l’un et l’autre nous mènent, par leur folle course aux armements dans le cadre de l’OTAN, vers une nouvelle guerre potentiellement mondiale contre le peuple russe et/ou contre le peuple d’Iran.
De même pourrions-nous soutenir la lutte à laquelle a appelé Jean-Luc. Mélenchon contre les grandes sociétés capitalistes qui commercialisent des produits dangereux tels que le glyphosate, même si nous estimons que le centre de gravité de la bataille politique contre le dangereux Macron doit être prioritairement axé sur les questions socio-économiques : tant il est vrai que des millions de nos concitoyens, travailleurs, retraités, chômeurs, sombrent dans la gêne, voire dans la misère. Même sur un plan purement arithmétique, c’est une erreur stratégique que de courtiser sans fin la petite bourgeoisie intellectuelle qui vote EELV ou Hamon, au lieu de mobiliser les millions d’ouvriers, d’employés et de petits paysans qui attendent un discours carré contre l’UE et l’euro, pour la reconstruction du secteur public, des acquis sociaux et du « produire en France ». La question n’est pas seulement en effet celle du rassemblement majoritaire à construire contre l’oligarchie : elle est de savoir quelle force, à l’intérieur de ce rassemblement, « donnera le la » : la petite bourgeoisie encline aux compromis avec le capital et l’UE, ou bien ce « monde du travail » que le CNR voulait mettre « au centre de la vie nationale » ? Non seulement la classe ouvrière au sens large est seule à pouvoir virer Macron-MEDEF – le « dégagisme » doit-il éternellement en rester aux mots ? – et à faire gagner une France Franchement Insoumise (FFI), mais sans le rôle moteur des travailleurs dans le changement social, le capitalisme ne pourra pas être vaincu et les forces euro-complaisantes qui disposent d’innombrables relais au sein même de la « gauche » (du PS à la direction mutée du PCF-PGE en passant par EELV, ATTAC et Génération-S) risquent fort, comme elles l’ont fait en Grèce avec Tsipras, de plomber toute velléité française de « « s’insoumettre » à l’UE/OTAN, ce « partenariat stratégique » qui forme le dispositif central du grand capital en Europe de l’Ouest.
Dans cet esprit, Jean-Luc Mélenchon a vertement dénoncé la volonté inhumaine de Macron de détruire les retraites par répartition pour les remplacer par la dangereuse « retraite à points », qui détruirait non seulement les pensions de réversion, mais les retraites elles-mêmes. Même s’il a rappelé son opposition à la casse euro-macronienne du code du travail et du statut des cheminots, le discours de Marseille a malheureusement omis de défendre le statut de la fonction publique, qui est dans le collimateur d’Édouard Philippe ; c’est d’autant plus dommageable que l’affaire Benalla-Macron a indirectement montré l’utilité de ce statut, non seulement pour la protection des agents publics, mais plus généralement pour la protection de l’ensemble des citoyens.
La réaffirmation par Jean-Luc. Mélenchon du « mouvementisme » cher à la France insoumise peut cependant faire sourire : l’orateur n’a-t-il pas expliqué que « la France insoumise n’a pas de direction » mais que, voyez-vous, dans l’urgence des décisions quotidiennes, c’étaient les parlementaires de la FI qui « jouent le rôle du bureau politique »… On nous pardonnera de préférer le principe de partis clairement définis, où chaque adhérent porteur d’une carte, appartenant à une structure définie, VOTE sur les orientations, ÉLIT une direction et peut y être élu, contrôle et débarque les « chefs » et au besoin les destitue, de manière telle que les prolétaires dirigent les permanents, le « bureau politique » et les élus, et non pas l’inverse : tel est, en son principe, ce « centralisme démocratique » tant décrié que Lénine avait, pour une large part, théorisé à partir de notre Révolution jacobine et du fonctionnement de la Commune de Paris. Sans un parti de classe, encore une fois sans un parti qu’elle tient démocratiquement en main et dans lequel elle fait en sorte que les plus exploités soient représentés à tous les niveaux, la classe laborieuse n’a aucune garantie que la « gauche » ne la trahira pas, et c’est pourquoi le PRCF « tient les deux bouts de la chaîne » quand il appelle à la fois à reconstruire un parti franchement communiste (que n’est hélas plus le PCF-PGE !) et qu’il invite à former un large Front antifasciste, patriotique, pacifique, populaire et écologiste (FR.AP.P.P.E.) pour sortir la France de la dictature européenne et rouvrir la voie du socialisme à notre pays (c’est dans ce cadre que s’est situé le juste et clair soutien « critique, mais constructif » que le PRCF a démocratiquement décidé d’apporter à la candidature présidentielle de Mélenchon).
Il faut aussi reconnaître que, contrairement à une petite musique lancinante que l’on n’entendait que trop dans la dernière période du côté de certains dirigeants « insoumis », la perspective offerte par la F.I. reste articulée autour du diptyque Plan A/Plan B. Cela décevra sans doute ceux qui espéraient, après la manifestation unitaire très insuffisamment euro-critique du 26 mai dernier (pour y accueillir Hamon et EELV, il fallait bien, hélas, en rabattre sur l’UE…), la France insoumise allait mettre une sourdine définitive sur l’idée sulfureuse du plan B, donc sur la possibilité d’une sortie de l’UE par la gauche. Nous avons dit plusieurs fois pourquoi cependant cette articulation Plan A/Plan B restait insuffisante à nos yeux, ne serait-ce que parce qu’elle laisse une trop grande marge à ceux qui voudraient mettre en place un « compromis » européen insuffisant baptisé « plan A » à l’issue d’une négociation au rabais menée avec Merkel (pensons aux précédents de Jospin, de Hollande ou de Tsipras feignant de « renégocier » les traités européens et se couchant devant Merkel après avoir obtenu quelques concessions cosmétiques).
Le plus contestable dans le discours de J.-L. Mélenchon est néanmoins l’idée que les « élections » européennes serviront de « référendum anti-Macron » parce que, affirme-t-il, toute voix contre Macron et pour la F.I. serait du même coup une voix anti-UE vu que Macron n’est que le sous-fifre de l’UE. Mais en toute logique, si c’est l’UE qu’il faut frapper à travers Macron, il s’en suit que c’est principalement et manifestement le « Parlement » européen, l’UE, la « construction » européenne néolibérale qu’il faut frapper directement et en eux-mêmes selon le principe qu’il vaut mieux s’adresser au bon dieu qu’à ses saints ou, si l’on préfère filer cette métaphore quelque peu théologique, qu’il vaut mieux frapper Lucifer (en l’occurrence l’UE) plutôt que ses diablotins (donc que le « petit copiste » Macron, pour parler comme JLM). Et pour cela, faut-il créditer l’« élection » européenne ou au contraire, comme le font déjà massivement les classes populaires françaises et européennes qui s’abstiennent insolemment et de plus en plus, faut-il la boycotter, faut-il délégitimer ce parlement bidon et cette construction grossièrement oligarchique qui n’apporte aux peuples que régressions sociales sans fin, que préparatifs de guerre antirusse, qu’asphyxie des souverainetés, que ralliement au tout-anglais totalitaire cher aux « élites » euro-atlantiques ?! Mesurons par ailleurs l’illogisme, sur ce point, du raisonnement de J.-L.Mélenchon : si Macron n’est qu’un « petit copiste » de l’UE, faut-il faire des européennes un « référendum anti-Macron » ou au contraire, faut-il balayer le petit exécutant Macron en ciblant son vrai patron, le véritable ennemi de notre classe et de notre pays, l’UE et ses institutions, et donc encore une fois, ne faut-il pas de toute évidence BOYCOTTER LES ELECTIONS SUPRANATIONALES en délégitimant du même mouvement l’UE et le monarque au petit pied qui siège à l’Elysée ? Dire qu’il faut participer aux européennes, taper sur Macron pour atteindre l’UE, c’est commettre la même erreur qu’un taureau de combat qui croirait déséquilibrer le matador en lui arrachant la muleta des mains : il vaudrait mieux pour le brave animal, plutôt que d’encorner le leurre, déstabiliser directement celui qui cherche à l’estoquer, la muleta tombant au sol par la même occasion !
D’autant que voter aux européennes, c’est faire comme si le viol du Non français du 29 mai 2005 à la constitution européenne n’avait pas eu lieu. C’est aussi et surtout ignorer que l’enjeu des européennes, l’enjeu que pose centralement la politique antinationale de Macron, est désormais le « saut fédéral européen », donc l’enterrement de la souveraineté française et son remplacement par la « souveraineté européenne », l’Europe fédérale, l’armée européenne pilotée par l’OTAN, le « gouvernement de la zone euro », etc. Et l’adhésion ou pas du peuple français à ce projet suicidaire, qui peut devenir irréversible à court terme (J.-L. Mélenchon lui-même dit désormais comme nous que « faire l’UE, c’est défaire la France » !), se mesurera-t-il au nombre proportionnellement dérisoire d’insoumis qui s’introduiront au « Parlement » européen, ou au fait que la masse des ouvriers, des employés, des petits paysans attachés à leur pays et à son héritage social, auront boycotté la farce européenne en se tournant plutôt vers les luttes et en s’ouvrant à l’idée révolutionnaire du Frexit progresssiste ? À quoi servirait donc un « commando anti-libéral » à Strasbourg auquel la nomenklatura européiste ripostera narquoisement durant cinq ans qu’il est ultra-minoritaire et que les traités européens sont intangibles (leur contestation depuis Strasbourg n’est qu’une vue de l’esprit, c’est dans chaque pays européen que la souveraineté doit être reconquise, quitte à donner lieu par la suite à une coopération internationale digne de ce nom !) ? En réalité, comme c’est invariablement le cas des très invisibles « députés de gauche » à Strasbourg, leur seul rôle est et sera hélas de servir de caution aux euro-atlantistes. Car ceux-ci se fichent que le « parlement » européen soit bleu-brun, bleu-rose, voire rouge rose-vert-rouge pâle, pourvu que les populations votent et que, ce faisant, elles créditent la prétendue « souveraineté du peuple européen » et le basculement « en marche », et pas pour dans dix ans, vers la mise en extinction de la nation française et des autres nations dans un Empire atlantique piloté par Berlin. C’est cela que créditerait, qu’on le veuille ou non, une (bien improbable !) participation majoritaire des peuples européens en général, et du peuple français en particulier, à la mascarade de l’élection supranationale*.
Au contraire, pour installer les travailleurs au centre du changement progressiste, pour promouvoir la ligne révolutionnaire de masse du FREXIT PROGRESSISTE, il faut BOYCOTTER cette élection supranationale, surtout si on couple ce boycott à une campagne de fond contre l’UE, contre son proconsul Macron, pour l’abrogation des contre-réformes maastrichtiennes, pour la nationalisation démocratique des secteurs-clés de l’économie, pour virer Macron-MEDEF, pour rouvrir à notre pays la perspective du socialisme et du pouvoir des travailleurs, pour appeler les travailleurs et la jeunesse à mettre au centre des futures mobilisations pour les retraites le débat sur le Frexit progressiste que voudraient tant proscrire les états-majors confédéraux euro-formatés. Bref, si l’on veut vraiment, pas seulement dans les mots, « dégager » l’UE du capital et son « petit copiste » Macron, accentuer leur illégitimité radicale, faire monter la résistance populaire dans les usines, les services publics, les facs, les communes rurales, les quartiers populaires, il faut délégitimer toutes les institutions supranationales de l’UE, « parlement » bidon inclus, et pour cela, boycotter activement, de manière militante, les pseudo- « élections » européennes. Là se trouve la clé d’une victoire, non pas politicienne et de court terme sur Macron, mais stratégique car ouvrant sur un immense sursaut populaire**.
Alors certes, nous comprenons les camarades insoumis hautement respectables qui s’engageront dans la campagne de la FI et dont nous ne sommes absolument pas les ennemis, pas plus que nous ne sommes les ennemis des militants du PCF qui soutiendront la liste « euro-constructive » emmenée par l’adjoint d’Anne Hidalgo. Visant avant tout à faire progresser la conscience politique, y compris celle de la nécessité de reconstruire au plus tôt un PC de combat, le PRCF utilisera le temps des européennes pour lancer une série de débats pluriels sur le thème : débattons sans tabou du Frexit progressiste, préalable indispensable à la marche de la France au socialisme.
*L’abstention des classes populaires serait littéralement écrasante si divers pays, Italie, Belgique, etc. n’imposaient pas le vote obligatoire… L’enjeu de la participation est tellement central pour Macron qu’il se murmure qu’il pourrait le cas échéant coupler un éventuel référendum institutionnel (si le congrès des parlementaires français rechigne trop aux changements néo-monarchiques qui lui sont proposés) avec le scrutin européen pour forcer le déplacement des citoyens vers les urnes !
**ça suffit de nous objecter que « le vote est sacré » en toutes circonstances parce que le suffrage universel a coûté du sang aux générations antérieures. Le vote est un devoir politique quand il permet de manifester et de développer la souveraineté du peuple et de ce point de vue, les communistes français n’ont jamais repris le slogan gauchiste « élections piège à cons ! ». Mais quand les dispositifs bourgeois sont tellement piègeux que le peuple n’a d’autre « choix » que de signer sa propre destitution, alors les citoyens les plus conscients doivent pratiquer l’abstention militante. C’est à quoi avait appelé Jacques Duclos en 1969 quand le « choix » de second tour opposait Poher à Pompidou. Et c’est plus le cas encore lorsque, en participant à une « élection supranationale » destinée à valider le « saut fédéral européen », l’enjeu de classe réel de l’élection est de légitimer le hara-kiri de notre souveraineté nationale.