N°10 – L’euro,
une cause majeure de la crise
« Ne l’oublions pas, l’euro est un atout » titrait encore Le Monde, le 15 juillet dernier. Depuis, les professeurs prompts à nous rappeler que « l’euro nous protège » se sont fait plus discrets, et pour cause. Ils ont modifié leur angle pédagogique. L’on nous prie de croire que la cause de la débandade n’est pas la monnaie unique, mais l’endettement public – en particulier des Etats impécunieux.
Cette « montagne de dettes », soi-disant due à l’égoïsme des peuples vis-à-vis « des générations futures », d’où vient-elle vraiment ? Le traité de l’Union européenne (Maëstricht) puis ses successeurs ont inscrit dans le marbre l’interdiction, pour les Etats, d’emprunter à leur propre banque centrale : désormais, les Trésors publics doivent se tourner vers les marchés financiers internationaux, aux conditions de ces derniers. Forcément, l’addition est salée. La suppression du financement des besoins sociaux et nationaux à coût faible ou nul par les instituts d’émission publics (Banque de France, etc.) constitue une cause majeure de la montée de l’endettement.
Deuxième cause : les considérables diminutions et allègements fiscaux accordés, dans les dernières décennies, aux entreprises en général, aux grands groupes en particulier (mais aussi aux riches et très riches contribuables). Par exemple, l’impôt sur les sociétés en France est à 33% ; en 1985, il se situait à 50%.
Quant aux groupes du CAC 40 (qui attendent des profits nets en hausse de 10% à 15%, après leur niveau record de 2010), un rapport vient de pointer leur rachitique contribution aux finances publiques. Au fil des années, cela représente des centaines de milliards d’euros de manque à gagner – c’est-à-dire d’endettement.
L’Union européenne n’y est pas pour rien : dès sa fondation, elle a érigé la « compétitivité des entreprises » en dogme, et n’a de cesse de promouvoir un transfert massif des revenus du monde du travail vers celui du capital. Car ce sont naturellement les salariés qui paient la note de cette « compétitivité » jamais suffisante, à travers les salaires en berne et les services publics démantelés.
S’ouvre alors ce cercle vicieux : plus d’austérité, moins de croissance, moins de recettes publiques, ce qui justifie de nouveaux sacrifices, etc… Là se trouve d’ailleurs la racine ultime de la crise : en comprimant toujours et encore la rémunération (directe et indirecte) du travail, seule source de création de richesse réelle, on sape les fondements d’une économie saine et d’une croissance forte. A noter que le surendettement des ménages (avec les bulles spéculatives qui peuvent en découler) est une conséquence du pouvoir d’achat qui manque aux salariés. Et qui pourra contester le rôle de premier plan que joue Bruxelles dans cette promotion permanente de la « rigueur » et de la « modération salariale » ?
En outre, la monnaie unique a des responsabilités spécifiques. A commencer par son cours considérablement surévalué par rapport au dollar, notamment. Cela handicape lourdement les exportations, et partant la croissance et l’emploi. De plus, le dogme de la libre-circulation des capitaux a entraîné la suppression des portes coupe-feu et donc attisé la propagation de l’incendie financier.
Surtout, l’euro a fait entrer de force des économies nationales très différentes (croissance, structures, cycles, mais aussi culture monétaire) dans un moule unique qui impose le même cours de change, les mêmes taux d’intérêt… C’est pour faire tenir – artificiellement – ensemble ces économies que le corset « pacte de stabilité » a été inventé, puis progressivement renforcé, limitant jusqu’à les éliminer toute marge de manœuvre nationale, non seulement monétaire mais aussi budgétaire, fiscale… et sociale.
La réalité se venge ? Il faut aller plus loin, toujours plus loin, assènent les professeurs de l’euro. Autrement dit, instituer une politique unique, un budget unique, un ministre unique – bref, un gouvernement européen.
Ce qui était prévisible avant même le lancement de l’euro se confirme brutalement aujourd’hui : sa tare originelle, génétique en quelque sorte, n’est pas économique, mais politique. La monnaie unique ne peut exister que si l’on prive les peuples de leur liberté de décider des choix essentiels. Ce qui est nouveau, c’est que ses partisans et concepteurs l’avouent eux-mêmes, parfois avec un cynisme qui laisse pantois (lire ci-dessus).
La raison d’être de l’euro est de priver les peuples de politique. Ce devra être, demain, sa raison de disparaître.