« La nation, c’est le peuple »
Georges Politzer
Brexit : pas de quoi pleurer !
On s’en doute, les militants franchement communistes et 100% anti-Maastricht du PRCF ne se joignent pas au chœur des médias euro-béats qui pleurent le départ du Royaume-Uni de cette lugubre prison des peuples qu’est l’UE. C’est pourtant la moindre des choses, après les années passées par l’oligarchie britannique à saboter la décision souveraine de ses concitoyens, que d’accéder enfin au vœu majoritaire des Britanniques, classe ouvrière en tête : celui de quitter une Europe supranationale entièrement conçue pour démolir les services publics, comprimer les salaires, doper les délocalisations, accélérer les privatisations, démonter les acquis sociaux, humilier la souveraineté des peuples, guerroyer contre les peuples du Sud, tenir en laisse les pays de l’Est, presser militairement la Russie et forclore toute alternative de progrès au nom de la très totalitaire « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » que consacrent tous les traités européens.
Intérêt et limites de classe du Brexit pour les travailleurs britanniques
Cela ne signifie nullement que nous, PRCF, idéaliserions en quoi que ce soit le Brexit tel que va l’organiser le Parti conservateur (les sociaux-démocrates du Labour Party ayant refusé, comme à leur habitude, de porter clairement les aspirations ouvrières à la souveraineté nationale et au progrès social). Car évidemment, toute une partie des capitalistes britanniques tournés vers l’Atlantique et arrimés à Trump ne quittent une dépendance que pour une autre, avec l’espoir d’aller encore plus loin dans la dérégulation sociale déjà largement engagée par Thatcher et Blair. Du moins les Tories ne pourront-ils plus désormais s’abriter derrière Bruxelles pour refuser de satisfaire les revendications populaires : tant mieux pour le prolétariat britannique, car ce n’est pas un mince atout, dans la lutte des classes, que de n’avoir face à soi institutionnellement, « que » les exploiteurs de son propre pays lorsqu’il s’agit de faire reculer le capital et, le jour venu, d’abattre le capitalisme lui-même [1].
Alors que nous, travailleurs français, qui combattons la funeste retraite par points, avons à combattre non seulement le gouvernement liberticide de Macron, mais la « recommandation » de Bruxelles faite à la France au printemps 2018 d’instituer au plus tôt un « régime unique » pour « réaliser son ajustement structurel », « faire cinq milliards d’économies » et profiter des « gains de productivité réalisés dans les administrations publiques afin d’améliorer le ratio de la dette ».
Autrement dit, lorsqu’un peuple refuse un diktat européen (comme l’est en réalité la retraite à points), ce peuple doit vaincre désormais non seulement « sa » grande bourgeoisie, mais aussi les vingt-six autres Etats européens bourgeois coalisés qui peuvent compter en outre, pour bloquer l’internationalisation des luttes, sur le renfort jaunâtre de la Confédération Européenne des Syndicats (présidée par L. Berger, et c’est tout dire !)…
Frexit PROGRESSISTE !
Il ne faut donc pas confondre le Brexit dirigé par la bourgeoisie britannique avec le Frexit progressiste centré sur le monde du travail et tourné vers le socialisme que propose le PRCF. En France, rappelons-le, TOUS les P.D.G. du CAC-40 se sont prononcés pour le maintien à tout prix de l’euro en 2008, quand la crise financière mondiale a ébranlé le système monétaire, y compris en appelant servilement au renforcement de l’hégémonie allemande sur l’UE et sur la gestion de la monnaie unique.
En France, le MEDEF unanime s’est rangé en ordre de bataille derrière le Manifeste « Besoin d’aire » publié en 2012 par Laurence Parisot, alors présidente du syndicat patronal : antinational et antisocial en diable, le grand patronat « français » appelle toute honte bue à dissoudre la nation en construisant les « Etats-Unis d’Europe » et l’« Union transatlantique », à liquider les communes et les départements pour « reconfigurer les territoires » sur le modèle des Euro-Länder, à passer au tout-anglais impérial sur les lieux de travail (l’anglais a été qualifié de « langue des affaires et de l’entreprise » par le Baron Seillière, parlant au nom des patrons européens).
Pendant ce temps, Macron affiche sa détermination à accomplir le « saut fédéral européen » en substituant la « souveraineté européenne » à la souveraineté nationale et l’« armée européenne » à l’idée même de défense nationale, tout cela dans le cadre de l’OTAN et de ses projets de revanche contre le peuple russe. Cette orientation antinationale de « notre » grande bourgeoisie est tellement ancrée dans l’ADN de « nos » milieux monopolistes que désormais, Peugeot – dont le PDG Yves Calvet appelait à voter non à Maastricht en 1992 – abandonne toute posture « patriotique » et protectionniste : décidé à fusionner avec Chrysler-Fiat pour devenir pleinement une transnationale, PSA entend dorénavant poursuivre – sous un nouveau nom anglais ? – sa quête de profit à l’échelle planétaire. C’est bien ce que signifie l’expression patronale « besoin d’aire » (dans le passé on eût dit « Lebensraum », espace vital !), car désormais l’oligarchie « française » étouffe dans l’Hexagone et tente de recentrer ses prédations et ses fusions monopolistiques sur l’échelon transcontinental.
Dans ces milieux héritiers des Emigrés de Coblence, des Versaillais de Thiers et de la juteuse collaboration économique » des années noires (pas pour le capital en tout cas !), nul ne souhaite plus sortir la France de l’euro, cette austérité continentale calée sur le mark, de l’UE, cette Sainte-Alliance dirigée par Berlin et supervisée par Washington, de l’OTAN, cette machine à combattre la Russie et la puissance chinoise émergente. Si bien que, non seulement les droites LR et LREM, non seulement le PS, mais aussi la dynastie Le Pen (père, fille er nièce…) et jusqu’à Dupont-Aignan s’inscrivent désormais totalement dans les limites de l’euro et de l’UE supranationale que ces messieurs-dames prétendent tous « réformer du dedans ».
Quant aux sociaux-démocrates et à leurs éternels satellites électoraux « eurocommunistes », ils imposent au mouvement ouvrier le slogan mensonger de la « réorientation progressiste de l’Europe » qui empêche le mouvement populaire de briser les chaînes de la social-eurocratie et de l’appareil euro-dépendant de la C.E.S. présidée par Berger ! C’est aussi ce qui fait toute l’inconsistance objective du « souverainisme » bourgeois dans sa prétention à séparer la question de l’indépendance nationale de son contenu anticapitaliste ; pourtant, seule cette dimension anticapitaliste est susceptible de fusionner le patriotisme populaire au combat social pour faire du peuple travailleur le centre de gravité de l’émancipation indissolublement nationale et sociale de notre pays. C’est déjà ce que dessinait le CNR quand il invitait, dans son programme LES JOURS HEUREUX, à « mettre le monde du travail au centre de la vie nationale ».
Patriotisme et combat pour le socialisme sont indissociables !
C’est pourquoi nous, militants communistes fidèles aux luttes du grand PCF contre la Communauté Européenne de Défense (1954) et pour le Non populaire à Maastricht, réaffirmons ceci : le combat pour l’émancipation de la France sera dirigé par le monde du travail ou ne sera pas, tant la reconquête de la souveraineté nationale est inséparable de la nationalisation démocratique des secteurs-clés de l’économie, de la reconstitution planifiée du « produire en France » et de la mise en place d’une constitution nouvelle centrée sur la démocratie populaire. Car alors que la bourgeoisie révolutionnaire de 1793 a longtemps tracté le mouvement visant à fonder la nation républicaine, la grande bourgeoisie contre-révolutionnaire d’aujourd’hui dissout la nation dans ce que Bruno Lemaire nomme crûment l’« empire européen ».
C’est pourquoi, dans les conditions françaises, n’en déplaise au souverainisme bourgeois qui dénie la dimension anticapitaliste, anti-impérialiste et antifasciste du Frexit, le retrait français de l’UE atlantique ne peut être que centré sur le monde du travail unissant les couches populaires et moyennes contre la grande bourgeoisie antinationale. Décidément, si un peu de patriotisme superficiel éloigne du combat de classe pour le socialisme, beaucoup y ramène… et réciproquement !
[1] Observons qu’au moment où la Grande Bretagne sort de l’Union Européenne, Boris Johnson est obligé de concéder une augmentation de 6% du SMIC, il met en œuvre des investissements publics sans précédent depuis longtemps dans la National Health Service (la Sécu britannique) et lance la renationalisation de plusieurs lignes importantes de chemin de fer. Quel contraste avec la situation des travailleurs en France, où l’hôpital public est étranglé par l’euro-austérité, les lignes TER et la SNCF, les aéroports, la Poste privatisés et les salaires bloqués en application des directives européennes et sous la contrainte de l’Euro !