Dans le Donbass, rien que dans la semaine écoulé un attentat à la bombe a détruit une partie de l’université d’économie de Donetsk. Les républiques du Donbass venait d’annoncer qu’elles ouvraient les portes de leurs universités aux étudiants des territoires du donbass controlé par Kiev… Dans le Donbass toujours, chaque jour l’armée de Kiev, soutenue par l’OTAN, financé par le FMI et l’Union Européenne, continue de faire pleuvoir une pluie de bombe sur les villes du front, sur les agglomérations de Donetsk et de Lougansk. A Kiev, le gouvernement qui refuse toujours d’appliquer les accords de Minsk rédige une loi pour appliquer la loi martial au Donbass, déclaré territoire occupé. Un territoire occupé mais dont Kiev refuse de dire par qui. Il est vrai qu’il faudrait qu’il désigne les millions d’habitants du Donbass qui se défendent contre le régime fasciste pro UE installé à Kiev comme occupant leur propre pays. Ou alors il faudrait désigner une puissance occupante, et apporter des preuves de cette occupation. Et au passage perdre les financements du FMI qui maintiennent le pays sous perfusion alors que sont annexion par l’UE à détruit l’économie ukrainienne. Mais il s’agit surtout pour le régime de Kiev d’obtenir des livraisons d’armes encore plus importante de la part des Etats Unis : pour écraser les enfants et les femmes du Donbass sous un tapis de bombes.
A Donetsk, le président de la RPD, Alexandre Zakhartchenko a sévérement condamné la prise de position de Macron, qui recevait cette semaine l’oligarque Poroschenko chef du régime de Kiev : la « formule Macron » ne conduira en aucun cas à une trève entre Kiev et les républiques du donbass a alerté le dirigeant de la RPD.
Je crois que c’est absolument inutile. Tous ce qui est nécessaire a été enterinné par les accords de Minsks – son paquet de mesures et ses conditions. Je croit qu’il est inaproprié d’inventer quelque chose de nouveau et j’estime l’avenir de la formule Macron à zéro ».
Zakhartchenko souligne que le problème de la crise ukrainienne c’est que le régime de Kiev refuse le dialogue.
« Il n’y a personne à Kiev avec qui négocier. Je ne vois personne là bas qui est capable tenir un vrai dialogue. Toutefois cette situation peut changer, si de nouveaux politiciens apparaissent ou si l’approche des dirigeants ukrainien change ».
Dans l’Ukraine sous la botte de Kiev, la répression contre l’opposition bat son plein, comme lorsque le régime interdit le parti communiste, pourchasse les militants antifascistes, par exemple parce qu’ils osent arborer le ruban de saint georges symbole de la résistance contre le nazisme.
Dans le Donbass, au coté des mineurs, des siderurgistes, des paysans qui défendent l’Est de l’ukraine de la domination d’un régime nazi qui ne cache pas ses ambitions de persécuter la population russe du pays, des militants internationalistes, antifascistes sont également présents.
Loic Ramirez, a rapporté pour nos confrères de legrandsoir.info un entretien avec l’un d’entre eux, communiste espagnol.
L’étoile à trois branches
Quand on lui demande ce qui lui manque le plus de son ancienne vie Alexis ouvre grand les yeux et répond sans perdre une seconde : « les fruits de mer ». Comme si le souvenir pouvait faire surgir l’aliment convoité, Alexis se met alors à décrire les rues ensoleillées de la ville de Murcia où il vivait, dans le sud-est de l’Espagne, et le délice de savourer les produits frais de la mer les jours de marché. Aujourd’hui, dans l’est de l’Ukraine en guerre, la Méditerranée semble bien lointaine.
Alexis est l’un des premiers volontaires internationaux venus rejoindre les milices du Donbass en guerre avec l’armée ukrainienne depuis la chute de l’ancien gouvernement en février 2014. Il vit désormais à Donetsk, capitale de l’autoproclamée République Populaire de Donetsk (RPD).
Né en Colombie en 1988, le jeune homme arrive avec sa mère en Espagne à l’âge de dix ans. Plus tard, il commence à militer au sein des Collectifs de jeunes communistes (CJC, organisation juvénile du Parti communiste des peuples d’Espagne, PCPE) et rejoint également des groupes antifascistes de la région de Murcia. Politiquement engagé, il est interpellé par les manifestations qui débutent en automne 2013 à Kiev et qui sont amplement relayées par les médias sur un ton favorable aux protestataires. Pourtant, différents sons de cloche alertent rapidement le jeune communiste et ses amis sur la nature des évènements. « Nous nous sommes rapidement rendus compte qu’il s’agissait de protestations chapeautées par l’extrême-droite et les pro-européens. A partir de là, nous ne pouvions que refuser ce qui se passait là-bas. Ensuite les choses se sont répandues sur tout le pays jusqu’à choquer le plus violemment avec la réalité ici, dans l’est de l’Ukraine. Nous voyions les assassinats, les rapts, les tortures… » [1].
Plus connue sous le terme « d’Euromaïdan », la crise qui secoua Kiev à partir de novembre 2013 cristallisa l’enjeu de l’information dans les conflits du XXI° siècle. La déstabilisation du gouvernement de M. Ianoukovitch, pro-russe, par une série de mobilisations populaires déboucha sur l’installation d’un nouveau pouvoir ostensiblement pro-européen. Dans les pays membres de l’Union, peu d’acteurs médiatiques ont su pointer du doigt la présence manifeste de mouvements politiques d’extrême droite et néo-nazi au sein des manifestations (parmi les exceptions, voir le remarquable documentaire de Paul Moreira « Ukraine : les masques de la révolution »). Servant de bélier, des milices ultra-nationalistes ont affronté les forces de police ukrainiennes, atteignant un degré de violence étrangement absent de la couverture médiatique « mainstream ». La célébration quasi unanime du mouvement européiste par la presse française et voisine s’est confrontée à l’insurrection citoyenne des habitants du Donbass, farouchement opposés au nouvel avenir qui se dessinait. Portés par les pires figures du nationalisme ukrainien, les nouveaux dirigeants de Kiev se sont rapidement affichés comme hostiles aux populations russophones, pourtant majoritaires dans la moitié orientale du pays. Les tensions ne tardèrent pas à déboucher sur un conflit armé. « C’est quand les habitants du Donbass ont pris les armes que ça a été le déclic. Pas seulement pour moi, mais pour d’autres gens aussi. Nous nous sommes dit ‘ça suffit’ et nous avons décidé de venir » explique Alexis [2].
Internet a joué un rôle déterminant dans la guerre de l’information au sujet des révoltes à Kiev. Activistes politiques, blogueurs ou simples citoyens ont inondé le web de vidéos et d’articles apportant un point de vue différent, voire contradictoire, aux récits des grands médias (exception faite des médias russes, hostiles au mouvement de protestation pour des raisons géopolitiques). Parmi ces bloggers, un espagnol : Miquel Puertas. Ce catalan vivait alors en Lituanie lorsque les évènements du Maïdan ont commencé. « J’ai été un des premiers à dénoncer ce qui se passait. Au début, c’était une initiative personnelle. Puis les gens ont commencé à suivre mon activité, à s’informer à travers mes publications. Je suis devenu blogger par la force des choses. D’ailleurs, Alexis m’avait contacté pour savoir comment rejoindre le Donbass, mais à l’époque j’étais à Vilnius » [3] explique-t-il. Comme une ironie du destin, Miquel Puertas a retrouvé Alexis quand il est venu s’installer à Donetsk en été 2016. Il travaille aujourd’hui comme enseignant à l’Université Technique de Donetsk.
Au printemps 2014, sur internet, Alexis discute avec différentes personnes disposées à rejoindre le groupe de volontaires pour le Donbass. Au final, ils seront trois. « Nous avions décidé de passer par Kiev. A l’époque la ligne de front n’était pas aussi bien définie qu’elle l’est aujourd’hui, et il n’y avait pas autant de contrôle ». A l’aéroport, Alexis commet une erreur. Convaincu de pouvoir embarquer seulement avec sa carte d’identité espagnole, il range son passeport dans la valise qui part en soute. Bloqué à l’aéroport, il ne peut pas embarquer et laisse donc ses deux compagnons le devancer. Quelques semaines plus tard, ces derniers feront la une des journaux espagnols et illustreront les premiers exemples de volontaires partis rejoindre la cause du Donbass [4]. Arborant le drapeau tricolore de la République espagnole, ils revendiqueront pleinement le parallèle avec les Brigades internationales venues combattre Franco en 1936.
En octobre 2014, des économies en poche, Alexis organise de nouveau son départ mais cette fois à travers la Russie. De Moscou, il rejoint Rostov-sur-le-Don, dans le sud-ouest, et entre ensuite en Ukraine. « Je suis arrivé ici le 15 octobre ». Il rejoint le bataillon Vostok où se retrouvent plusieurs étrangers et est rapidement confronté à la réalité des combats avec ses compagnons d’armes. « Au début, face à l’urgence de la situation, tu pouvais intégrer les milices quasiment sans contrôle » [5]. L’accueil de la population du Donbass est chaleureux. « Les gens nous donnaient à manger, à boire, etc. Je me souviens de personnes qui pleuraient et qui me prenaient dans les bras pour me remercier d’être là. C’est ça qui te motive. Sans ça, je n’aurais pas continué ». L’un des handicaps majeurs auquel le jeune communiste s’est confronté est la langue russe. Malgré qu’il en comprenne aujourd’hui les rudiments, cela reste un obstacle à la compréhension pleine de tous les enjeux du conflit, comme il le reconnaît lui-même. La réalité sur place correspond-elle néanmoins à ce que le militant communiste imaginait avant son arrivée ? « En général, oui. C’est une lutte populaire qui certes n’a pas de caractère socialiste ni communiste, mais c’est une guerre contre un coup d’état financé par des pays impérialistes ».
Les milices du Donbass de la région de Donetsk se regroupent à partir de l’année 2015 pour former une armée régulière sous contrôle des nouvelles autorités de la République. « Dans notre bataillon, on nous a fait signer des documents par lesquels nous consentions à intégrer l’armée régulière. Même si nous continuions de fonctionner en tant que bataillon, avec la même structure, mais sous contrôle du nouvel état-major qui était en train de se former » [6]. A travers plusieurs vidéos postées sur Youtube dans lesquelles il relate ses impressions, Alexis termine par se créer une petite renommée qui se concrétise par un portrait réalisé par la chaîne de télévision colombienne Caracol. Jouant sur les symboles, Alexis choisit comme nom de guerre celui de feu Alfonso Cano, ancien commandant de la guérilla des FARC-EP, ce qui ne manque pas de titiller l’équipe de journalistes colombiens qui se sont déplacés pour le rencontrer en Ukraine [7]. Que fait ce garçon si loin de chez lui dans une guerre « qui n’est pas la sienne », se demande la présentatrice. « J’ai pris la décision de venir ici pour soutenir ces gens (…) Je suis antifasciste et anti-impérialiste » assène-t-il face à la caméra.
Plusieurs volontaires internationaux ont rejoint les différentes milices du Donbass, aussi bien au sein de la république de Donetsk que de celle de Lougansk. Des Russes (surtout), des Serbes, des Espagnols, des Français, des Brésiliens.. Chacun poussé par des raisons personnelles et idéologiques très différentes, souvent même opposées. En France, les médias se focalisèrent sur un groupe d’engagés volontaires provenant de la mouvance d’extrême droite dont l’une des figures était connu des milieux militants pour son activisme au sein de groupuscules néo-nazi comme le Bloc Identitaire [8]. Comme une moquerie du destin, l’un de ces nationalistes ayant combattu du côté « pro-russe » contre l’OTAN, Guillaume Cuvelier, a tenté par la suite de rejoindre les rangs de l’armée états-unienne avant d’en être expulsé [9]. La route de l’engagement est parfois longue et n’est pas Henri Rol-Tanguy qui veut… [10]
« Après il y en a qui viennent pour se prendre en photo avec une mitraillette et le montrer aux filles. Des touristes qui veulent jouer les guerriers » raille M.Puertas. Alexis n’est pas de ceux là. Tireur d’élite, il continue aujourd’hui de servir dans l’armée régulière de la RPD et reçoit un salaire fixe.
Le jeune communiste participe également à une association culturelle espagnole dont Miquel Puertas est le coordinateur, le Centre Cervantes de Donetsk. Ensemble, avec un petit groupe d’étrangers et d’Ukrainiens hispanophones, ils organisent des cours d’espagnol et ambitionnent d’autres projets culturels. « Nous sommes un groupe assez étrange » plaisante M.Puertas « Nous sommes tous considérés comme terroristes par Kiev et par l’OTAN, mais regarde nous ! on est plutôt cool comme terroristes non ? On parle de politique et on boit des bières ». Parmi leurs projets il y a l’idée de fabriquer une statue de Don Quichotte à l’entrée du local que leur prête les autorités de Donetsk. « Don Quichotte est notre symbole car comme nous, il combat trois géants : la peur, l’injustice et l’ignorance » explique le blogger. Alexis aime l’idée mais propose d’y ajouter un détail : graver sur la statue l’étoile à trois branches, symbole des Brigades Internationales.
Loïc Ramirez
[1] Entretien avec Alexis Castillo, le 2 mars 2017.
[2] Ibid.
[3] Entretien avec Miguel Puertas, avril/mars 2017. Il est possible de suivre son activité sur Facebook ou Twitter, son nom : @gonzo_blogger
[5] Entretien avec Alexis Castillo, le 2 mars 2017.
[6] Ibid.
[7] Voir le portrait vidéo à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=g8P6EznBotU
[8] https://www.streetpress.com/sujet/1472465929-donetskleaks-implication-extreme-droite-francaise-ukraine
[9] http://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/un-soldat-franco-americain-originaire-de-rouen-renvoye-par-l-us-army-5028061
[10] Militant communiste ayant combattu comme volontaire dans la Guerre Civile Espagnole et qui a poursuivi con combat antifasciste contre l’Allemagne nazie durant l’occupation de la France.