Le 1er février 2018, s’ouvrira en Haute-Silésie le procès de militants du Parti communiste polonais (Komunistyczna Partia polski / KPP). En signe de protestation et en guise de solidarité, ce samedi 27 janvier 2018 (1), à l’initiative du Comité internationaliste pour la solidarité de classe (CISC), du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) et de l’association Les Amis d’Edward Gierek, une dizaine d’organisations appelle à un rassemblement devant l’ambassade de Pologne à Paris. Historien et géopoliticien spécialiste de l’Europe centrale et de l’est, Bruno Drweski évoque les enjeux d’un procès appréhendé par les autorités polonaises comme un premier pas vers une délégalisation d’une organisation fondée en 2002.
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Combien de militants du KPP ont été mis en accusation ? Que la « Justice » polonaise leur reproche-t-elle ?
Il y avait au départ trois militants concernés, mais les accusateurs avaient négligé de bien s’informer puisque l’un des trois accusés était décédé au moment de la rédaction de l’acte d’accusation ; ce qui prouve leur amateurisme. Il n’y a donc plus que deux accusés en ce moment. On leur reproche d’avoir appelé à renverser le système constitutionnel polonais ; ce qui n’a d’ailleurs pas été précisé dans l’acte d’accusation puisqu’on mentionne en bloc l’ensemble de la revue du KPP intitulée Brzask, sans pointer aucun élément précis… Et pour cause ! Aucun de ces éléments n’est en fait condamnable au regard de la loi, le KPP respectant scrupuleusement le fonctionnement légal ; ce qui explique d’ailleurs qu’il ait été légalement enregistré comme parti politique malgré le fait que la Constitution polonaise « interdise les partis utilisant des méthodes fascistes et communistes ». Des « méthodes » que le législateur n’a d’ailleurs jamais été en état de définir.
Quel est le poids du KPP en Pologne ? De quel courant de pensées se réclame-t-il ?
Le KPP est un petit parti qui se réfère à l’ensemble du patrimoine de la gauche radicale et marxiste polonaise à partir du Parti social-révolutionnaire Proletaryat des années 1880, de la Social-démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie fondée par Rosa Luxemburg et Feliks Dzierżyński au Parti ouvrier unifié polonais (POUP) des années 1942-1990 en passant par le Parti communiste polonais des années 1918-1938.
Revendique-t-il l’héritage de la Pologne populaire (1944 – 1989) ?
Il n’a pas de position unique sur la période de la Pologne populaire qu’il considère comme une période de grandes avancées sociales et économiques parcourues par des phénomènes négatifs que les membres du KPP ont le droit d’interroger dans une vision pluraliste.
Où est-il principalement implanté ?
Le KPP a des sections dans plusieurs régions du pays mais son centre d’influence se trouve dans la région de Dąbrowa Górnicza – Sosnowiec de la voïévodie de Silésie appelée depuis la fin du XIXe siècle le « bassin rouge » en raisin du fort radicalisme de ses ouvriers et mineurs. Le KPP appartient à la mouvance des partis de gauche radicaux et marxisants. Des organisations qui existent en Pologne et qui peuvent diverger sur les méthodes et l’analyse du passé, mais qui se retrouvent dans la critique commune de la restauration du capitalisme, de l’anticommunisme et de l’adhésion de la Pologne à l’OTAN.
D’aucuns prétendent que ce procès est un premier pas vers une tentative de délégalisation du KPP. Qu’en pensez-vous ?
C’est explicitement ainsi que le considèrent plusieurs dirigeants de l’actuel gouvernement polonais pour qui le fait que ce parti soit légal est inacceptable alors même qu’ils tolèrent les violences commises par des groupuscules d’extrême droite visant les étrangers, les militants de gauche, les féministes, les minorités nationales.
Cette organisation constituerait-elle ainsi une menace pour le régime ?
Le KPP ne constitue pas en soi pour le moment une réelle menace pour le régime imposé au peuple polonais en 1989. En revanche le communisme constitue clairement une menace qui explique la constance des campagnes médiatiques visant à la fois le communisme, le passé soviétique, la Pologne populaire, la gauche sociale, le syndicalisme indépendant, les mouvements d’émancipation, les courants libres-penseurs, etc. Toutes les enquêtes sociales montrent, sans aucune exception depuis 1989 jusqu’à aujourd’hui, qu’une majorité (relative sur certaines questions, absolue sur d’autres) de Polonais considèrent que la période de la Pologne populaire a été globalement positive pour le pays et pour leur propre promotion sociale et culturelle. Tout au long des gouvernements libéraux jusqu’en 2015, à plusieurs reprises, des militants syndicaux ou politiques ont ainsi été arrêtés et fait quelques jours de prison puis relâchés.
Comment la situation a-t-elle évolué depuis le retour au pouvoir de Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość / PiS) à l’automne 2015 ?
Avec l’arrivée au gouvernement de ce parti d’essence « national-catholique », les choses se sont durcies. Si l’opposition libéral (et avec elle l’Union européenne) considère que l’indépendance formelle du système judiciaire polonais qu’elle n’avait d’ailleurs pas hésité à manipuler quand elle était elle-même au pouvoir, est aujourd’hui menacé, il n’y a en revanche aucune mesure de répressions contre des représentants de cette mouvance libérale. En revanche, depuis plus d’un an, Mateusz Piskorski, un journaliste et politologue polonais activement engagé contre l’appartenance de la Pologne à l’OTAN et contre l’appui à la junte ukrainienne par Varsovie, a été arrêté sans que jusqu’à présent on ne lui présente un acte d’accusation en bonne et due forme ! On l’accuse d’ « espionnage » en faveur de la Russie et de la Chine, alors que ses activités journalistiques étaient publiques et connues ; ce qui est bien sûr tout le contraire de l’espionnage. Au même moment, on a commencé à assister à la dénonciation du KPP puis à la mise en accusation de ses dirigeants.
Quels objectifs poursuit le pouvoir ?
Il est clair que ces mesures visent à intimider tous les opposants radicaux aux choix stratégiques, politiques et économiques faits depuis 1988/89. Et aussi à isoler les opposants les plus résolus à essayer de lutter dans le cadre de plus en plus étroit des libertés publiques tolérées. Pour le pouvoir la répression simultanée d’un acteur médiatique et d’un parti se référant au communisme vise à tester la capacité d’unité et de mobilisation des secteurs anticapitalistes et anti-OTAN de la société polonaise. On voit se rejouer en Pologne, en plus « soft » et en plus « smart » selon la formule nord-américaine, la partie si bien décrite par le pasteur Martin Niemöller (2). Ce dernier avait compris que le ciblage par les nazis d’un groupe au départ restreint (syndicalistes, communistes, juifs puis sociaux-démocrates) constituait un moyen de prendre en finale le contrôle total de la société.
Ces pratiques ont été étendues à d’autres pays européens ?
En effet, depuis 1988/89, les anciens pays socialistes ou les pays de la périphérie de l’Union européenne comme la Grèce constituent le plus souvent des terrains d’expérimentation pour des pratiques antisociales et antidémocratiques. Des pratiques qui peuvent être ensuite reprises dans les pays du « noyau » occidental de l’Union européenne. Il faut donc pour les élites possédantes partout noircir la mémoire du combat antifasciste, la mémoire de l’Armée rouge, le rôle historique des partis communistes et du camp de la Paix ainsi que de tous les autres mouvements émancipateurs pour pouvoir ensuite s’attaquer aux mobilisations syndicales, politiques, anti-impérialistes, antiguerres, en commençant par faire subir un chantage à l’anticommunisme. La gauche sociale doit comprendre, par-dessus ses différences d’analyses, qu’elle ne peut accepter de se placer au sein du chantage élaboré par les pouvoirs entre extrême droite brûlante et libéralisme glacial. Elle doit reprendre le chemin de l’indépendance et de l’audace. Le chemin de la mobilisation populaire et unitaire ; ce qui implique antiracisme et dénonciation de l’anticommunisme et des aventures impérialistes. Et donc soutien à tous ceux qui s’y opposent.
Propos recueillis par JACQUES KMIECIAK
(1) A 14h 30, devant l’ambassade de Pologne, 1, rue de Talleyrand, à Paris (7e).
(2) C’est à Martin Niemöller (1892 – 1984) que l’on doit la fameuse citation : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »