A propos de Léon Blum Léon Blum et la social démocratie
En interviewant longuement l’historienne Annie Lacroix-Riz qui a une connaissance rigoureuse et documentée de toute la période de la vie politique de ce personnage, Comaguer a consacré deux émissions de radio à Léon Blum (dossier N°1 diffusé le 13 Octobre 2016–dossier n° 2 diffusé le 9 novembre – sur Radio Galère).
le propos était de présenter le très long parcours politique de celui qui fut Président du Conseil à trois reprises et grand dirigeant de la SFIO pendant prés de 50 ans.
Ces deux émissions – 3 heures d’écoute au total – peuvent être réécoutées sur le site de radio galère (http://www.radiogalere.org) ou être transmises par Internet en demandant l’enregistrement à comaguer@orange.fr.
Pour compléter ce portrait n voici deux écrits peu connus de Léon Blum qui reviennent sur deux positions qui marqueront l’engagement du personnage et qui constituent encore de nos jours une référence jamais abandonnée pour les dirigeants politiques français issus comme lui du courant social-démocrate (SFIO puis PS), deux véritables marqueurs sociaux-démocrates.
Le premier concerne l’Europe et manifeste une orientation claire en faveur d’une Europe supranationale soumise volontairement à la stratégie globale des Etats-Unis. Le second est un témoignage de l’anticommunisme déterminé de Blum qui ne le quitte jamais du Congrés de Tours à sa mort et le conduit à promouvoir résolument la guerre froide. L’un et l’autre sont prononcés à une conférence de l’Internationale socialiste en Avril 1948
LÉON BLUM ET L’EUROPE (DISCOURS DE STRESA)
« Ne confondons pas les mots et les idées. Le socialisme international n’admet aucune atteinte à l’indépendance. Non seulement il admet, mais il préconise, il souhaite les limitations de la souveraineté. Il exige seulement que ces limitations soient librement et volontairement consenties par les États ainsi que les socialistes français l’ont fait inscrire dans la Constitution récente de la République ? La souveraineté n’est pas la même chose que l’indépendance, pas plus pour les nations que pour le citoyen de la cité. L’individu est libre dans la mesure de ses droits fondamentaux, que la loi elle- même ne doit pas transgresser. Mais il ne dispose pas d’un libre arbitre sans limite et sans appel. La limite est la liberté des autres, qui peut diverger de la sienne. L’appel est la volonté collective exprimée selon les modes de la démocratie. Dans une société civilisée l’individu est libre, mais non souverain. Là-dessus repose le contrat social. Au contraire, la tradition historique a posé les États comme souverains et longtemps ces souverainetés sont restées sans limite et sans appel. La tragique suite des guerres modernes n’a pas d’autre cause. C’est au nom du dogme absolu de la souveraineté sans limite et sans appel qu’on a si longtemps interdit toute société internationale. C’est au nom du même dogme qu’on a privé la S. D. N. de toute force exécutive, qu’on lui a soustrait le jugement des plus graves litiges internationaux, qu’on l’a enchaînée par la règle de l’unanimité. C’est au nom de ce même dogme qu’on a introduit dans la Charte de San Francisco des dispositions funestes, Comme celle du veto, qui paralysent sous nos yeux l’action de l’O. N. U. et qui nous réduisent aujourd’hui à chercher dans le fédéralisme européen un recours partiel contre la carence de l’organisation internationale. C’est au nom de ce même dogme que l’on condamne encore aujourd’hui les premières tentatives de l’Europe occidentale pour entreprendre un commencement d’unification économique qui entraînera fatalement un commencement d’unification politique.
On éprouve quelque stupeur quand on constate quels sont dans le monde d’aujourd’hui les tenants acharnés du dogme de la souveraineté sans limite et sans appel. Le socialisme, lui, est international. Il reste fidèle à sa tradition, à sa raison d’être, quand il affirme : « La souveraineté doit être réduite à la limite de l’indépendance. Elle doit être soumise à l’appel de la volonté collective – européenne aujourd’hui, universelle demain. » Le socialisme totalement réalisé, ce serait l’univers entier cultivé et exploité comme un héritage unique selon la vocation naturelle de chaque terroir comme de chaque individu, pour le profit commun et le bien-être de l’humanité entière. Cette rationalisation universelle où tous les apports de la nature recevraient leur utilisation parfaite, aussi bien que tous les progrès de la technique et de la science, et qui permettrait de répartir sur l’ensemble de la race humaine le maximum de richesses au prix du minimum de travail, nous savons bien qu’elle reste un idéal encore lointain. Mais nous considérons comme un progrès socialiste tout ce qui nous en rapproche. »
Nous avons souligné la phrase concernant le droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU qui prend toute sa portée au moment où, 78 ans plus tard, la France en tête, les Etats- Unis , et la Grande Bretagne mettent en cause le droit de veto de la Russie et de la Chine. François Hollande dans les pas de Léon Blum …
ÉNONCIATION DES « DÉMOCRATIES POPULAIRES » ET ÉLOGE DE LA DÉMOCRATIE – Léon Blum (SFIO ancêtre du PS)
Discours de STRESA, prononcé à l’occasion d’une conférence de l’Internationale socialiste (9 avril 1948)
« Les tenants des nouvelles démocraties populaires ont renoncé à être des démocrates, et, dans le fond d’eux-mêmes, ils le savent encore mieux que nous. S’ils nous livraient tout le secret de leur pensée, ils nous diraient, je crois, ceci : « Nous voulons mettre fin aux iniquités qui souillent ce monde. Nous voulons réaliser enfin la justice entre les hommes. Mais les hommes ne peuvent être conduits à la justice et à la paix que par la force et sous l’effet prolongé de la contrainte. L’établissement de la justice par le jeu libre des forces, à l’intérieur de la démocratie, a été tenté depuis de longues années : il a échoué. Les démocraties sont sans suite et sans efficacité. Elles sont le jouet des forces hostiles qui les pervertissent ou les abusent. Nous sommes las de cette duperie, de cette illusion. Nous serons des tyrans, mais de bons tyrans. Nous userons de la dictature, mais notre tyrannie sera bienfaisante et salvatrice. On ne peut faire le bien des hommes que malgré eux… » Voilà, je crois, le fond de leur pensée, car au fond de tous les reniements de la démocratie, il y a le même pessimisme, le même mépris foncier de l’humanité. Mais est-il vrai que l’humanité soit condamnée à cette option terrible ? Quelle est la tare originelle qui l’oblige à choisir entre la justice et la liberté, à subir éternellement l’iniquité sociale pour préserver les libertés civiques privées, ou bien à immoler tous les droits de la personne, toutes les prérogatives de la pensée à l’établissement de la justice collective ? Que vaudrait la justice imposée par la force et maintenue par la force ? Et combien de temps suffirait-il pour qu’elle engendrât de nouvelles iniquités au profit de ceux qui détiennent et maintiennent la force ? L’épreuve de la force, elle aussi, a été faite bien des fois dans le monde moderne, transformé par le machinisme industriel. Elle se poursuit sous nos yeux. A-t-elle si complètement réussi ?
La force s’est toujours présentée et justifiée aux yeux des hommes comme l’instrument de la justice. Elle l’a fait toujours et partout, même dans l’Allemagne nazie et dans l’Italie fasciste. La force se targue invariablement de la justice. Elle se pose comme étant par elle-même la justice. Je ne veux ni reproduire ni affaiblir les formules célèbres de Pascal. Les tenants des nouvelles démocraties populaires ont renoncé à être des démocrates, et, dans le fond d’eux-mêmes, ils le savent encore mieux que nous. S’ils nous livraient tout le secret de leur pensée, ils nous diraient, je crois, ceci : « Nous voulons mettre fin aux iniquités qui souillent ce monde. Nous voulons réaliser enfin la justice entre les hommes. Mais les hommes ne peuvent être conduits à la justice et à la paix que par la force et sous l’effet prolongé de la contrainte. L’établissement de la justice par le jeu libre des forces, à l’intérieur de la démocratie, a été tenté depuis de longues années : il a échoué. Les démocraties sont sans suite et sans efficacité. Elles sont le jouet des forces hostiles qui les pervertissent ou les abusent. Nous sommes las de cette duperie, de cette illusion. Nous serons des tyrans, mais de bons tyrans. Nous userons de la dictature, mais notre tyrannie sera bienfaisante et salvatrice. On ne peut faire le bien des hommes que malgré eux… » Voilà, je crois, le fond de leur pensée, car au fond de tous les reniements de la démocratie, il y a le même pessimisme, le même mépris foncier de l’humanité. »
Ce que Blum ne dit pas et qu’Annie Lacroix-Riz souligne à l’envie c’est que les pays qui, libérés par l’armée soviétique, deviennent des démocraties populaires en 1945/1946 ne sont pas à l’exception de la partie tchèque de la Tchécoslovaquie nouvelle (la Slovaquie a été gouvernée par des pronazis) des pays anciennement démocratiques qui reviendraient à la démocratie mais des dictatures dont plusieurs ont fait la guerre du côté du Reich. Pour ces pays, la phrase de Blum « L’établissement de la justice par le jeu libre des forces, à l’intérieur de la démocratie, a été tenté depuis de longues années : il a échoué. » est particulièrement hors de propos.