En Allemagne de l’Ouest, le DKP était presque seul à être solidaire de la RDA.
« Allez donc là-bas ! »
Initiative communiste relaie un entretien avec Patrik Köbele, président du Parti communiste allemand (DKP), pour Unsere Zeit, l’hebdomadaire du parti, au sujet de la solidarité avec la RDA, rappelant à la fois les mérites et réalisations majeures du socialisme réel pour le quotidien des citoyens et des travailleurs, mais également la chasse aux sorcières anticommuniste menée en RFA et prolongée aujourd’hui, à l’image de la féroce répression de la Freie Deutsche Jugend (FDJ), la Jeunesse démocratique allemande, par l’euro-gouvernement réactionnaire et fascisant de Merkel.
Un entretien démontrant, une nouvelle fois, les fautes désastreuses de l’euro-liquidateur Gorbatchev, et qui propose une réflexion utile pour qui désire, comme le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF), marcher vers le socialisme et, pour cela, reconstruire un grand Parti communiste sur des bases franchement marxistes-léninistes – et ainsi en finir avec le calamiteux “euro-communisme” ayant conduit le Parti de Cachin, Thorez, Duclos et Frachon à l’état de faire-valoir des “socialistes”.
UZ : Tu étais président fédéral de la SDAJ [les Jeunesses ouvrières socialistes est- allemandes], une activité à plein temps, lorsque la contre-révolution en RDA l’a emporté. Cela n’a pas eu que des conséquences personnelles pour toi, la SDAJ a également plongé dans une crise existentielle. Comment as-tu vécu cette situation à ce moment-là ?
Patrik Köbele : Cette période était très compliquée. En juin 1989, la SDAJ avait scissionné après plusieurs années de débat acharné sur le caractère de l’organisation. Nous, qui voulions nous en tenir au concept d’une organisation de jeunesse socialiste révolutionnaire, avions une faible majorité de délégués derrière nous lors d’un congrès fédéral. En conséquence, les soi-disant « rénovateurs » ont quitté la SDAJ. Des organisations nationales entières se sont disloquées. Un conflit entre factions était également en cours au sein du parti communiste allemand, le DKP. Quelques mois plus tard, il y a eu les événements en RDA, qui ont atteint leur paroxysme dans un processus contre-révolutionnaire.
Je n’avais pas du tout prévu cela. J’ai encore été invité aux célébrations du 40e anniversaire de la RDA, où Gorbatchev était présent, mais la « gorbimania » qui m’entourait m’a fait réfléchir. J’avais cependant toujours l’espoir qu’il puisse s’agir d’une avancée du socialisme. Les choses se sont passées différemment et ont ensuite, ne l’oublions pas, conduit à une crise du mouvement ouvrier révolutionnaire, à l’Ouest aussi. Nous avons beaucoup réfléchi à l’époque, mais néanmoins, pour moi, le capitalisme ne s’est pas amélioré parce que le socialisme s’est effondré. Nous n’avons réalisé qu’avec le temps qu’il s’agissait d’une contre-révolution.
UZ : Peux-tu préciser ?
Patrik Köbele : Nous avons également dû accepter le fait que les masses manifestaient dans les rues, au début certainement pour une amélioration du socialisme. Ce mouvement s’est profondément ancré dans les rangs de notre parti frère, le SED [Sozialistische Einheitspartei Deutschland — Parti socialiste unifié d’Allemagne]. Il y avait encore des illusions quant au parcours de Gorbatchev. Après tout, ce n’est pas un processus dans lequel des contre-révolutionnaires avérés ont pris les armes. Autrement dit, j’ai réalisé d’un seul coup que la RDA ne serait pas invincible lorsque j’ai vu les images de la destruction « volontaire » de leurs armes par les groupes de combat des entreprises, c’est-à-dire des structures armées de la classe ouvrière en RDA. Nous nous sommes vite rendu compte que des problèmes réels en RDA avaient été à l’origine de ces événements. Après tout, nous étions, par nos proches, d’assez bons connaisseurs de ce pays. Il nous a fallu cependant un certain temps pour réaliser que l’essence de ces processus était une régression sociale, le rétablissement du capitalisme monopolistique.
UZ : Le DKP est tombé dans une crise profonde : une grande partie de ses membres ont quitté le parti, le soutien du parti frère, le SED, s’est effondré. En plus des soucis financiers, des problèmes idéologiques se sont posés. Comment la contre-révolution a-t-elle affecté le parti communiste dans la partie occidentale de l’Allemagne ?
Patrik Köbele : La RDA était pour nous un foyer, un arrière-pays sûr, l’Allemagne socialiste. Sa défense contre l’anticommunisme faisait partie de notre identité. Nous nous sommes identifiés à la RDA et nous avons été identifiés à elle. Avec la contre-révolution, une partie de notre identité s’est effondrée. Pour nous, la RDA et les autres États du CAEM [Conseil d’assistance économique mutuelle, COMECOM dans son acronyme anglais], c’était LE socialisme. Les partis communistes qui en faisaient partie étaient nos partis frères. C’était aussi le résultat de la division du mouvement communiste mondial de l’époque en une partie orientée « vers Moscou » et une partie qui s’orientait « vers Pékin ». Rétrospectivement, cette scission a certainement été l’une des causes de la profonde défaite du socialisme. En RFA, elle a pris une forme très flagrante. En 1968, lorsque nous avons cessé d’être un parti illégal et nous sommes reconstitués, des groupes se sont fondés en RFA qui se définissaient comme des représentants de la ligne de Pékin ou de Tirana.
En partie, les dirigeants leur ont permis de s’approprier le nom du KPD, qui est toujours interdit aujourd’hui. Il nous avait été clairement signalé en 1968 qu’il n’y aurait pas de légalité du KPD pour nous ; ainsi, quelques mois avant la reconstitution du DKP, la présentation du projet de programme du KPD avait été supprimée, le projet avait été confisqué et, entre autres, notre futur président Herbert Mies avait été arrêté. Les groupes « maoïstes » ont fait l’objet d’un traitement très différent, ce qui n’est pas surprenant : ces groupes sont fondamentalement anticommunistes et hostiles à la RDA et à l’Union soviétique. Dans le mouvement pour la paix, par exemple, ils ont semé la confusion car ils ont mis sur le même plan les missiles à moyenne portée de l’Union soviétique et ceux des États-Unis, alors que les missiles soviétiques n’étaient pas en mesure d’atteindre le territoire américain. Leur agitation est allée jusqu’à imprimer des affiches montrant Leonid Brejnev, alors secrétaire général du PCUS, pendu à une potence.
En même temps, l’« eurocommunisme » apparaissait dans le mouvement communiste, dont les représentants affirmaient vouloir réaliser le socialisme dans le cadre du parlementarisme bourgeois et indépendamment de l’Union soviétique. À l’époque, certains membres du SPD prétendaient encore — et bon nombre de membres en étaient individuellement convaincus — lutter pour le socialisme. Toujours avec l’ajout : « Mais nous ne voulons pas que cela ressemble au socialisme réel. » Le « socialisme » devait convaincre dans la mesure où il renonçait à sa défense et n’avait rien à voir avec le pouvoir politique de la classe ouvrière ni même avec l’exercice du pouvoir.
C’était à nous de rejeter systématiquement de telles positions. Parfois, cela nous a également amenés à refuser de reconnaître les contradictions qui existaient vraiment dans le socialisme réel. C’était une erreur.
Parmi les gens issus des groupes « maoïstes » évoqués, certains, comme Hans-Gerhart Schmierer de la KBW [Kommunistischer Bund Westdeutschland, Ligue des communistes ouest-allemands] — il a conseillé le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer, lui-même issu du mouvement spontanéiste — ont fini dans les appareils de la classe dirigeante. À l’époque, ils nous insultaient en nous qualifiant de « révisionnistes » en raison de notre solidarité avec l’Union soviétique et la RDA, mais aussi en raison de notre solidarité avec Cuba et les luttes anti-impérialistes au Nicaragua, en Afrique du Sud et en Angola. Plus tard, la plupart d’entre eux ont trouvé des arrangements, et l’un d’entre eux est aujourd’hui un ministre-président réactionnaire des Verts dans le Bade-Wurtemberg. Seuls quelques-uns ont corrigé leur position antérieure sur la RDA et se battent aujourd’hui à nos côtés.
UZ : La délégitimation de la RDA est toujours à l’ordre du jour. Pourquoi l’anticommunisme est-il si important pour les dirigeants, même après la victoire de la contre-révolution ?
Patrik Köbele : La RDA était un problème pour les dirigeants car elle était l’alternative socialiste sur le sol allemand. La RFA a été forcée d’agir comme la « vitrine » du capitalisme à l’égard de l’Est. L’État et les monopoles ont dû faire des concessions à la classe ouvrière. Dans les négociations collectives, la RDA siégeait à la table en tant que « partenaire invisible ». Le capital ne pardonne pas de telles choses. Rétrospectivement, les lois de l’Agenda en sont la preuve — elles n’auraient pas été applicables avec la RDA.
L’anticommunisme est également nécessaire pour effacer la mémoire historique dans la conscience de la population de la RDA et de ses descendants. En fin de compte, tout cela est nécessaire pour que plus jamais personne ne puisse avoir l’idée qu’il existe — et qu’il a existé — une alternative à ce capitalisme qui prouve chaque jour qu’il est incapable d’agir dans l’intérêt de l’humanité.
L’anticommunisme a également frappé la solidarité du SED avec nous et d’autres parties du mouvement progressiste. Cette solidarité internationale a soutenu les forces de progrès, mais aussi les pauvres de la République fédérale allemande, à de nombreux niveaux allant du rayonnement du socialisme à la solidarité matérielle. Chaque année, par exemple, des milliers d’enfants issus de familles pauvres en RFA ont pu s’offrir des vacances en RDA grâce au DKP et aux Jeunes pionniers, notre organisation pour les enfants de l’époque. Les permanents de notre parti et d’organisations amies, qui avaient souvent de faibles revenus, ont également eu la possibilité de prendre des vacances en RDA.
UZ : Tu es politiquement actif et solidaire avec la RDA depuis la fin des années 1970. Quelle forme l’anticommunisme a-t-il pris au début de votre engagement ?
Patrik Köbele : Je ne suis pas issu d’une famille de tradition communiste. Il n’était pas facile d’échapper au courant dominant de l’époque. Un exemple : Wolf Biermann, qui s’est finalement révélé comme un belliciste et un anticommuniste après 1989, était une icône pour de nombreux gauchistes en RFA. Être de gauche, c’était chic, et en même temps, il fallait prendre ses distances avec la RDA et l’Union soviétique. Ce fut un chemin difficile pour moi vers le SDAJ et le DKP. Lorsque nous étions dans la rue, nous entendions : « Allez donc là-bas ! ». Nous étions co-responsables des mesures prises par les pays socialistes. Dans la famille, à l’école et au travail, dans la rue et dans les alliances, nous avons été pris à partie pour tout ce qui se passait en RDA, dans le socialisme réel. Biermann, que j’ai déjà mentionné, Soljenitsyne — un dissident réactionnaire en Union soviétique, également applaudi par Heinrich Böll, qui était assez progressiste en matière de démocratie — et bien sûr la frontière sécurisée entre l’OTAN et le traité de Varsovie, dénigrée à l’Ouest comme un mur, sont venus s’y ajouter.
On a également tenté à plusieurs reprises d’exiger que nous prenions nos distances par rapport au socialisme réel pour pouvoir conclure des alliances. Je pense que nous pouvons dire à juste titre que nous n’avons jamais été impliqués là-dedans et que nous avons néanmoins développé une politique d’alliance souple.
Lorsque les États-Unis ont utilisé une manœuvre trompeuse pour amener l’armée de l’air de l’Union soviétique à abattre un avion de ligne sud-coréen, j’ai distribué le journal de notre organisation devant l’atelier de formation de Daimler-Benz à Stuttgart. On m’a immédiatement demandé quels crimes mes camarades avaient commis. Des camarades plus âgés m’ont dit, qu’à l’époque de la « construction du Mur », le lendemain, leurs machines étaient ceintes de fils barbelés. Tout cela faisait partie de la situation de la lutte des classes à l’époque.
UZ : Après l’interdiction du KPD en 1956, des chasses aux sorcières ont eu lieu contre les personnes solidaires de la RDA. Même les personnes qui organisaient des vacances en RDA étaient persécutées.
Patrik Köbele : L’anticommunisme ne vise pas seulement les communistes, notamment pour les isoler. Il vise également les personnes qui les entourent. Vous avez déjà mentionné un exemple. Mais je voudrais en mentionner un autre, qui a eu une forte influence sur moi, car il m’a conduit au SDAJ. À cette époque, il y avait une forte aile marxiste dans les Jusos [les Jeunesses socialistes], l’aile dite « Stamokap » [State monopoly capitalism, capitalisme monopoliste d’État]. En 1977, elle a confié la présidence fédérale des Jusos à Klaus Uwe Benneter. Lorsqu’il a exprimé que, pour lui aussi, une coopération avec le DKP était possible, il a été sommairement démis de ses fonctions par le SPD. Après cela, les Jusos n’étaient plus une option pour moi. Benneter s’est ensuite installé au sein de la classe dirigeante, tout comme son successeur, Gerhard Schröder, qui s’était lui aussi déclaré marxiste.
UZ : La RDA fait partie de l’histoire depuis 30 ans. Aujourd’hui, le DKP l’appelle « la plus grande réalisation du mouvement ouvrier allemand » et tente de garder le souvenir de la première tentative de socialisme sur le sol allemand. Qu’est-ce que le DKP trouve de si important là-dedans?
Patrik Köbele : Pour nous, il a toujours été clair que la RDA était un État pacifique, un État dans lequel les pires crimes sociaux du capitalisme, tels que les sans-abris et le chômage, avaient été éliminés. La rupture totale avec le système de profit a rendu la santé et l’éducation possibles pour tous et la libération des femmes a été réalisée, au moins sur le plan économique. Urbanisme, culture, transports publics locaux et longue distance, activités de loisirs sans mercantilisme et bien plus encore — nous savions qu’une autre Allemagne était possible. La contre-révolution a également été notre défaite.
La RDA, c’était le socialisme ; il n’était pas parfait, mais il était réel. Savoir cela aujourd’hui fait passer le socialisme du rang d’utopie à une perspective réelle, à une possibilité impérieuse pour l’humanité de survivre. La RDA ne représente rien de moins, et c’est pourquoi elle est si importante pour nous. Pour cela, nous devons également remercier tous ceux qui ont contribué à la construction du socialisme en RDA. Nous sommes heureux et fiers d’avoir de tels camarades dans nos rangs. Aujourd’hui, la solidarité avec la RDA, mais aussi la solidarité avec ceux qui ont été persécutés par l’impérialisme pour leur travail en RDA ou pour la RDA, qui ont subi diffamations, pensions punitives, amendes et emprisonnements, doit être la marque essentielle du DKP.
UZ : Le DKP a toujours été solidaire de la RDA, la défendant ainsi que ses réalisations. Pourquoi n’a-t-il pas été possible de développer plus fortement le DKP en Allemagne de l’Est depuis 1989 ?
Patrik Köbele : Selon moi, la cause principale réside dans une erreur — compréhensible — que nous avons commise, surtout dans les premières années qui ont suivi la contre-révolution. Pendant trop longtemps, le développement du SED-PDS, du PDS et, plus tard, de Die Linke [le Parti de gauche] a été marqué d’espoirs et d’illusions. Bien sûr, on est toujours plus sage après, et c’est compréhensible compte tenu des décennies de liens étroits avec le SED. Néanmoins, nous avons commencé trop tard notre propre reconstruction en Allemagne de l’Est. Des mesures telles que les expulsions du parti de camarades qui avaient un rôle de premier plan en RDA, les excuses régulières adressées par la RDA à l’ennemi de classe, l’adieu au socialisme et la nécessaire rupture révolutionnaire avec le capitalisme auraient dû nous faire comprendre plus tôt qu’il était impossible de stopper l’intégration de Die Linke dans les structures dirigeantes de l’impérialisme allemand.
Propos recueillis par Björn Blach
Légende photo :
Chaque année, le DKP a pu envoyer des centaines d’enfants dans des camps de vacances en RDA. Ici : les adieux à Francfort-sur-le-Main. 1977.
Source: https://www.unsere-zeit.de/geht-doch-nach-drueben-140184/
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