Aujourd’hui, dans le champ historiographique les tentatives de négationnisme et de révisionnisme se multiplient afin de réhabiliter le fascisme et le nazisme, y compris en France et en Espagne. En utilisant comme prétexte une interprétation historiciste des faits, on remet en cause les vérités historiques maintes fois prouvées dans les archives et par les témoignages de ceux qui ont vécu cette époque.
Boris Differ – Thèse d’Histoire – Université Montaigne Bordeaux III.
De l’historiographie à la négation du franquisme/fascisme
Pío Moa, cité dans la revue l’Histoire, auteur de « los mitos de la guerra civil » soulève une blessure indélébile. Je cite : « Il y a bien longtemps que les historiens de la guerre civile, quel que soit leur bord, ont abandonné le terrain du mythe, de la confrontation binaire et de l’attribution des responsabilités pour procéder à une analyse plus fine des évènements ».
Des assertions pour le moins inquiétantes au regard de l’Histoire diégétique avec un grand H au rendez-vous avec l’histoire diérèse, qui elle, est constituée à partir de faits réels et de témoignages.
Et un peu plus loin à la page 17 du numéro de décembre 2022 paru en novembre, le chroniqueur s’interroge : le franquisme est-il un fascisme ?
Si les arguments avancés prennent appui sur le bilan terrible de « la terreur franquiste » et une documentation solide, ils sont nuancés par une comparaison hors pair, je cite : « Au total, toute l’historiographie du franquisme montre que ce régime fut beaucoup plus sanglant que le fascisme mussolinien.
Son étiquetage comme fasciste est une autre question, sans doute plus politique, qui engage à préciser ce qu’on entend par fascisme] … [la place restreinte du parti unique -la phalange-dans la mobilisation, le caractère inadéquat de l’idée de révolution fasciste ou la place centrale occupée par l’église catholique sont quelques-uns des arguments qui conduiraient à ne pas l’inclure dans les fascismes ». P19 du N°502.
C’est ici le postulat sur lequel nous allons travailler.
Plus loin, je cite : « le poliste Juan Litz qui publie un essai en 1964 dans lequel il exclut : « le franquisme des fascismes, et fonde l’idée de « régime autoritaire », sorte de voie médiane entre démocratie et totalitarisme ».
Qui plus est, le titre du chapitre est révélateur d’un mépris ou d’une haine déguisée de l’Histoire réelle, et des luttes non consensuelles qui ont permis à l’Espagne Républicaine de résister jusqu’à la dernière goutte de sang, je cite : « Pendant la guerre froide, l’inclusion de l’Espagne franquiste dans le groupe des régimes en lutte contre le communisme international en fait un régime fréquentable », à la Page 20.
Et le chroniqueur enfonce le clou P22, je cite : « bien loin de la doxa « marxiste » dénoncée par Pío Moa, et malgré la loi de 2007,] … [l’espace public reste marqué par le passé franquiste. La nouvelle loi de mémoire de mémoire, votée le 5 octobre 2022 et publiée dans le journal officiel le 21 octobre 2022, doit changer cela.
Et l’article conclut, pardonnez-moi l’expression, -comme si rien- au moyen d’une courtoise, galante et généreuse invitation :
« Nous projetons à Toulouse une exposition au musée de la Résistance et de la Déportation, qui ouvrira début 2024, sur la réalité de ce « régime dictatorial que la conscience européenne a bien trop vite amnistié ».
De l’essence du franquisme à la négation de la négation
Par Quim Boix i Lluch
Le franquisme fut l’étape fasciste et dictatoriale, de presque 40 ans, dans l’Etat espagnol (1936-1975). Il commence en 1936, avec le soulèvement des généraux des droites contre la Seconde République, soutenu par les démocraties bourgeoises de toute l’Europe, outre les nazis d’Allemagne et d’Italie-rencontre à Hendaye entre Franco et Hitler, le 232 octobre 1940.
Le gouvernement de Francisco Franco a commencé par des assassinats en très grand nombre-les bords de route ont servi de cimetière, l’exil massif, l’expulsion de tous les fonctionnaires suspicieux d’être fidèles à la République, l’emprisonnement de ceux qui luttaient contre la dictature, des jugements rendus par les tribunaux militaires, et puis des couvents où l’on maltraitait les enfants, …
Les États-Unis ont soutenu sans condition la dictature dès les années 50 et les difficultés économiques majeures ont été surenchéries. En leur sein, il n’y avait pas vraiment d’activité syndicale, vu que seule était permis la CNS (Confédération Nationale Syndicale) que dirigeaient les phalangistes-fascistes déguisés-et que leurs responsables et leur fonction étaient nommés au compte-goutte par la dictature.
À la fin des années 50, l’activité clandestine a commencé, les CCOO-commissions ouvrières-ont été un syndicat de classe jusqu’à l’orée des années 90-c’est aujourd’hui un, syndicat jaune.
Les organisations politiques ont connu l’exil en grande partie, sauf le PCE-Parti Communiste-qui jusqu’à l’eurocommunisme impulsé par Santiago Carrillo dans les années 80, a été à l’origine de toutes les luttes : de quartier, ouvrières, paysannes, des pêcheurs, écologistes, féministes, y compris des ONG non contrôlées par la dictature.
À partir des années 60, les étudiants font front contre le franquisme et aident à l’unité de toutes les organisations clandestines. L’assemblée de Catalogne est créée avec pour mot d’ordre : Liberté, Amnistie et Statut d’Autonomie arraché avec la Seconde République, et des plateformes similaires dans tout le pays.
Mais la dictature meurt dans son lit, des suites de la maladie. Le franquisme continue en simulacre de transition à la démocratie, -avec un roi qui a prêté serment à l’idéologie fasciste et qui a fini par fuir l’Espagne pour corruption, – et quelques partis qui alternent au pouvoir pour continuer à garantir le bon fonctionnement du capitalisme exploiteur !
La trahison des eurocommunistes-aujourd’hui chez Podemos, parti adjuvant au PSOE-a aidé le PSOE et la droite a changé quelques libertés et parallèlement, voire paradoxalement ont promu de nouvelles lois répressives : loi « Mordaza », Expulsions, etc.
De la matrice révolutionnaire à la genèse de l’expérience vécue du caractère éminemment fasciste du franquisme.
Quim Boix i Lluch est docteur en génie industriel, diplôme délivré par l’École Supérieure d’ingénieurs industriels de Barcelone, et fils de deux professeurs du primaire et son père a été sanctionné par le franquisme pour avoir soutenu la Seconde République.
Il témoigne pour Initiative Communiste.
« J’ai été élu, en 1963, représentant des étudiants de mon cursus à l’école d’ingénieurs en opposition au syndicalisme étudiant franquiste, et en 1965 j’ai été élu comme délégué de tous les étudiants (milliers) d’ingénierie industrielle pour fonder le « Sindicat Democràtic d’Estudiants de la Universitat de Barcelona ».
L’acte fondateur de l’union antifranquiste susmentionnée a été réalisé dans un couvent catholique à Barcelone (profitant du droit de réunion que les chrétiens avaient par le Concordat entre l’Église et l’État).
Après cet acte syndical étudiant, j’ai été arrêté et brutalement torturé par la police fasciste de Franco, tortures qui ont donné lieu à la première manifestation de prêtres progressistes (12-5-1966) à Barcelone.
J’ai été expulsé de l’Université pendant 3 ans, et je les ai passés entre la prison et le désert du Sahara (dans des conditions semi-carcérales, ne pouvant pas quitter la région) où j’ai été envoyé pour recommencer mon service militaire puisque j’ai également été expulsé du service militaire universitaire que j’avais déjà fait.
Je suis retourné à l’université, après la sanction de 3 ans, étudiant-salarié dans l’enseignement, l’informatique et la réalisation d’enquêtes, déjà marié et avec un premier enfant tétraplégique, dû à la torture. Ma femme, décédée en 2007, était enceinte lorsque j’ai été torturé. Après avoir terminé mes études, j’ai commencé mon travail en tant qu’ingénieur et informaticien. J’ai été licencié et j’ai perdu mon procès devant les tribunaux franquistes. J’étais le premier ingénieur avec un diplôme supérieur à aller devant un tribunal du travail sous la dictature. Ensuite, j’ai travaillé dans le textile, où j’ai également été licencié pour activité syndicale. Je suis allé travailler dans une multinationale métallurgique, Brown-Boveri-Oerlikon, où j’ai travaillé comme chef du département informatique en Espagne, tout en étant porte-parole des employés dans la négociation de la convention collective.
Licencié à nouveau, parce que l’entreprise considérait que les deux tâches précédentes étaient incompatibles, les ouvriers se sont mis en grève générale le jour de mon procès à la magistrature du travail, pour me soutenir, ils ont chanté l’internationale à la porte du tribunal. La décision n’était que partiellement favorable à ma demande de réintégration en tant qu’ingénieur, j’ai donc dû faire appel devant la Cour suprême de Madrid.
Commence alors une longue période d’engagement syndical à la fois au sein des CCOO et de la CONC, organisation des Commissions ouvrières en Catalogne, où ile est élu comme secrétaire des techniciens et Cadres Professionnels.
Quand j’ai perdu l’appel devant la Cour suprême (c’était en 1980 et les changements politiques en Espagne, après la mort au lit du dictateur, n’avaient pas modifié la domination totale de la bourgeoisie dans les tribunaux), je suis passé d’entreprise privée à entreprise publique, et j’ai gagné quelques oppositions au poste d’ingénieur municipal dans une municipalité industrielle à côté de Barcelone (Montcada i Reixac).
Dans ma vie professionnelle, j’ai été licencié 8 fois, détenu 11 fois et torturé plusieurs fois. Jugé deux fois par le Tribunal fasciste appelé Ordre Public (TOP) qui m’a condamné à chaque fois 6 mois de prison, que j’ai purgés dans différentes prisons presque entièrement.
J’ai rejoint le militantisme communiste en 1964, développant toutes sortes de responsabilités. J’ai été en 1981 le porte-parole de la position du NON à l’eurocommunisme qui l’a emporté démocratiquement (malgré l’intervention de Santiago Carrillo pour l’éviter) au 5e Congrès (premier en légalité) des communistes catalans (PSUC). Ma dernière tâche politique (avant ma responsabilité politique actuelle en tant que membre de la Commission des garanties du PCPE) a été celle de chef international du PCPE (Parti communiste des peuples d’Espagne), une responsabilité que j’ai exercée pendant 18 ans et que j’ai quittée en 2009, pour donner une continuité à mon travail en Espagne pour aider à l’extension de la FSM.
La FSM a aidé CCOO sous la dictature franquiste, ce qui n’a pas empêché CCOO de quitter la FSM, tout comme la CGT en France pour rejoindre la Confédération Syndicale Européenne aux côtés de Laurent Bergé, Président de la CSE et actuel Secrétaire de la CFDT, syndicat jaune et ce, malgré le NON au référendum sur l’Europe de Maastricht le 29 mai 2005.
Quim Boix a été responsable de la commission de solidarité avec les prisonniers politiques du franquisme. Il est actuellement Secrétaire Général de la FSM.
Remerciements.
Synthèse de l’article de la revue www.lhistoire.fr et Propos recueillis par :
Antoine LUCI, Commission Internationale du PRCF, ancien syndicaliste membre du Bureau National de l’Union Nationale des Etudiants de France, pour www.initiative-communiste.fr