Nous publions ici des extraits de l’intervention présentée par Laurent NARDI (PRCF) lors du débat sur les services publics au rassemblement des GLIERES, organisé par l’Association Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui le 20 mai 2017
Destruction du service public de la Poste et des Télécommunication : processus, bilan et perspectives – par Laurent Nardi
En préambule je voudrais vous faire part d’une étude de l’IFOP publiée en mars 2016 et qui me semble bien exprimer la problématique sociale et politique de la présence postale.
Je cite le Directeur de l’IFOP :
« Le sentiment d’abandon, d’isolement ou de relégation qui peut exister dans un certain nombre de territoires ruraux est l’un des carburants du vote FN.
Il y a un lien statistique très clair : moins il y a de commerces et de services, plus le vote FN est fort. Et c’’est surtout la présence ou l’absence d’une poste qui fait bouger le score du FN. L’incarnation concrète des services publics à la française ce n’est pas la gendarmerie, ni l’administration des impôts, mais la Poste. Elle a un rôle symbole. S’il y a une Poste, c’est l’indicateur clef que les services publics sont encore présents. Et si on l’a supprimé, c’est encore pire, c’est déclasser le statut de la commune. C’est le symbole absolu de l’abandon décidé depuis Paris. »
1) Un peu d’histoire, indispensable pour comprendre la logique et la cohérence de la destruction du service public postal :.
C’est en 1879 qu’est créée l’administration des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT)
En mai 1946 deux directions générales sont créées: celle des télécommunications et celle de la Poste. Pendant 42 ans aucun changement notable, la France a l’un des meilleurs services postaux du monde.
Mais, en 1988, sous Mitterrand, grand changement :la Direction des télécommunications prend le nom de France- Télécom pour répondre à une directive européenne préconisant un marché concurrentiel des télécommunications .
En 1990, la réforme des PTT sépare les postes et les télécoms et les transforme en entreprises publiques autonomes, distinctes de l’État avec une indépendance financière. C’est très important notamment pour France –Télécom qui était fortement bénéficiaire. Auparavant, le budget des Télécommunications était inscrit au budget des PTT, et les recettes étaient encaissées par le Trésor public, laissant un important excédent à l’État. Avec la nouvelle organisation, France Télécom conserve ses recettes, les utilise pour ses dépenses et ne reverse que les bénéfices éventuels à l’État. En fait c’est déjà de l’argent public pour les futures privatisations.
Maintenant voyons l’évolution des deux entités :
France Télécom : En 1997, c’est le gouvernement de Lionel Jospin qui ouvre le capital de France-Télécom.
En 2002 l’action s’écroule et France Télécom obtient quinze milliards d’augmentation de capital réclamés à l’État.
En septembre 2004, sous Balladur, l’État cède 11% de ses actions pour passer en dessous de la barre des 50 %. 125 ans après sa création le service du téléphone devient privé en France.
Le 28 mai 2013 France-Télécom prend le nom d’Orange effaçant ainsi toute trace de l’opérateur public.
Aujourd’hui l’État ne détient plus que 25% du capital.
La Poste Les décennies 1990 et 2000 sont marquées par l’ouverture à la concurrence des marchés postaux à l’échelle européenne. Ainsi La Poste perd le monopole du courrier en France.
En 2006 : création de la Banque Postale, la Poste devient un établissement à but financier.
En 2010 : changement de statut. La Poste est transformée en société anonyme à capitaux 100 % publics. Elle transpose la 3e directive postale européenne qui prévoit l’ouverture totale du marché du courrier pour 2011.
À partir de 2012 la Poste, confrontée à l’impossibilité pour l’activité courrier de couvrir les coûts du service universel postal s’engage dans une diversification de ses activités. ( service à la personne, passage du code de la route, transition énergétique, commerce électronique …).
2) Je vais prendre l’exemple de ma commune de Passy pour illustrer concrètement cette casse du service postal sur le terrain et aussi les possibilités de lutter.
Passy, comptait 3 bureaux de poste. Ils fonctionnaient avec des horaires complets et avec deux guichets.
En 2002, première grosse alerte. Le bureau de Chedde fait partie des 20 bureaux appelés à être fermés en Haute-Savoie. Dès que l’information est connue, j’appelle la population à une manifestation devant la Poste qui connaît un très bon succès avec plusieurs centaines de personnes. Un comité de défense se crée. Il va mener de nombreuses actions. Notre pétition sera signée par plus de 4000 habitants. La direction recule et enlève Chedde de sa liste.
Rien ne bouge, jusqu’en 2006 où la poste de Passy chef-lieu a été fermée totalement et remplacée par un point contact au tabac-presse voisin. Les habitants de ce quartier résidentiel et bourgeois ne bougent pas.
En 2008 les deux bureaux restant passent à un seul guichet. Et en novembre 2013 ils sont fermés l’après-midi. Nouvelle lutte qui empêche la Poste d’aller plus loin.
Trois ans plus tard, en octobre 2016 les horaires d’ouverture de ces deux bureaux passent à 12 heures par semaine, le minimum légal.
Donc on est passé en 10 ans, de 3 bureaux de plein exercice avec deux guichets chacun à deux bureaux ouverts 12 heures par semaine avec un seul guichet.
Et cela alors que la population a augmenté et que l’activité de ces bureaux est restée importante.
Et nous arrivons à aujourd’hui avec une attaque qui se veut définitive puisque la direction de la Poste a annoncé son intention de fermer les 2 bureaux et leur transformation en point relais chez des commerçants. Tout était prévu avec la municipalité. L’association Passy vraiment à gauche, dont je suis le président, a organisé une réunion publique à laquelle une centaine de personnes a participé. Un nouveau comité de défense est créé. Il agit auprès de la municipalité, avec rassemblement de protestation lors d’un Conseil Municipal. Une manifestation de 200 personnes a lieu devant le siège de secteur et occupation de ce bureau toute une matinée, avec grand article dans la presse locale. Une pétition a recueilli plus de 3000 signatures.
La municipalité a alors reculé et s’est associée à une motion présentée au Conseil Municipal, ce qui a bloqué le projet de fermeture.
4) Qu’est-ce qu’il faut retenir de tout cela :
Au plan général :
1) On a privatisé la partie la plus rentable des PTT ( les télécoms).
2) De l’argent public a été massivement injecté dans la partie télécom que l’on a ensuite privatisée, donc l’argent public est allé aux actionnaires privés.
3) Que l’ouverture à la concurrence a affaibli les deux entreprises nationales.
4) Il faut avoir conscience que c’est l’Union européenne qui pilote tout cela. En particulier avec la définition en 1997 du service universel postal que les États membres doivent assurer. Il concerne les envois postaux jusqu’à 2 kg et les colis jusqu’à 10 kg. Tout ce qui sort du cadre du SUP est totalement libéralisé. On a présenté le SUP comme une protection du service public alors qu’il signifie en fait la libéralisation du service postal. Donc se pose bien sûr la question du rapport à l’Europe. Dans le cadre de l’Europe supranationale actuelle il n’y a pas de possibilité de revenir à de vrais services publics, la France est tenue par les traités, il faut soit changer les traités, soit sortir de l’Europe.
Au plan local : quelle est la stratégie de la Poste pour faire passer ses projets ?
- Aller vite et dans le secret pour surprendre les populations.
- Quand elle voit qu’il y a des résistances c’est d’y aller par étapes pour faire passer la pilule.
- C’est d’opposer les quartiers entre eux pour diviser.
- Elle utilise l’argument de la baisse de la fréquentation des bureaux et donc leur manque de rentabilité, mais en diminuant les créneaux d’ouverture on fabrique cette baisse de fréquentation.
- Dire que maintenant tout doit se faire par internet.
- La Poste est aussi très habile pour se mettre les élus locaux dans la poche..
- Leurrer la population et les élus en faisant croire que les points- relais chez les commerçants ou des agences postales communales peuvent remplacer les bureaux de poste.
Donc on a face à nous une machine bien huilée avec des cadres bien formés pour faire passer la casse, souriants, se présentant comme sauveurs du service public. Ils savent prendre leur temps et miser sur la lassitude de l’opposition.
3 ) Un point méconnu, c’est celui de la responsabilité des municipalités
En France le SUP européen est traduit au travers du contrat de présence postale territoriale, signé par l’État, l’Association des Maires de France et la Poste. Il est renouvelable tous les 3 ans. Ce contrat donne des garanties et met des gardes fous protecteurs, il faut le défendre. Il précise qu’au moins 95 % de la population de chaque département doit être à moins de 10 kilomètres d’un point de contact et que toutes les communes de plus de 10 000 habitants disposent d’au moins un point de contact par tranche de 20 000 habitants. Il fixe à 17 000 le nombre de points de contacts sur le territoire français.
La mise en place de ce contrat bénéficie d’un Fonds national de péréquation territoriale qui le finance.
Un bureau de poste peut être transformé en Agence Postale Communale, en Agence Postale Intercommunale ou en Relais Postal. Dans quelles conditions ?
- sur la base d’un diagnostic partagé entre La Poste et la commune concernée.
- avec l’accord du maire et du conseil municipal.
- Par contre le Maire ne peut pas s’opposer formellement à l’évolution des horaires d’ouverture d’un bureau..
5) Bilan et perspectives :
1) Même si le mécontentement dans la population est souvent grand face à cette casse, les luttes ne sont, en proportion pas très nombreuses, et elles sont rarement spontanées, il faut des déclencheurs et des organisateurs.
2) Peu de relais, d’engagement des personnels qui sont pourtant concernés au premier chef. Ils nous encouragent, mais ne s’engagent pas.
3) La population ne connaît pas assez les pouvoirs du maire, si elle les connaissait elle utiliserait la pression sur les élus et les luttes seraient plus nombreuses.. Notons que la plupart des élus ne s’opposent pas à ces fermetures et finissent souvent par se ranger aux arguments de la Poste.
4) La direction de la Poste a très peur pour son image des retombées médiatiques, elle n’aime pas que ça brasse.
5) La lutte est plus difficile aujourd’hui. D’abord parce que la population a changé, elle vit moins sur place, il y a moins d’attachement à la vie locale, beaucoup vont dans d’autres postes. Ensuite parce que l’idéologie dominante a su faire passer chez certains un sentiment d’impuissance, de fatalité..
6) Il faut inscrire la lutte pour le service public postal dans le cadre plus global d’une lutte pour les services publics et d’une lutte contre le libéralisme. C’est à dire poser la question de quelle société nous voulons. Si on ne pose pas les questions de fond on ne peut pas gagner et surtout on ne fait rien avancer en profondeur. L’expérience de Passy montre que si l’on pose les questions de fond, rapidement les gens font le lien entre les conséquences et les causes, et les consciences évoluent vite.
Je finirais par les perspectives :
Notre force c’est que beaucoup de gens sont attachés aux services publics. Les élus doivent tenir compte des exigences de leurs administrés. Par exemple la Poste milite pour la suppression de l’accord des maires pour les fermetures et transformations des bureaux. Or elle ne l’a pas obtenue lors de la renégociation du contrat de présence postale pour la période 2017/2019, parce que l’association des maires de France s’y est opposé. D’autre part le fonds de péréquation a été augmenté, passant de 170 à 174 millions d’euros par an – soit un gain de 12 millions d’euros sur les trois ans.
Il faut dire aussi que pour le privé, la privatisation de la poste n’est pas une priorité. Parce que telle qu’elle est devenue aujourd’hui la Poste n’est pas assez rentable. Il y a plus d’argent à gagner ailleurs. Donc voilà les raisons qui font qu’en France la privatisation est moins rapide que dans beaucoup d’autres pays.
Donc il y a des éléments positifs, il y a des points d’appui pour nous, mais c’est très fragile, il faut se battre sur le terrain, au niveau des idées pour convaincre que le service public et au-delà, un grand secteur nationalisé, est le moyen d’empêcher que tout soit dirigé, dominé, exploité par une minorité prédatrice.
Laurent Nardi (PRCF) – Les Glières – 20 mai 2017