à propos de l’euro, par Georges Gastaud
Depuis plus d’une décennie, les censeurs marxistes de l’euro ont expliqué – sous les huées des économistes euro-béats – que l’euro avait sciemment été surévalué et que la monnaie unique n’était rien d’autre que le clone du Deutsche Mark ;
Là où il faut 2 DM pour un €uro, il faut 6,56F pour un euro…
€ | Monnaie |
1 | BEF 40,3399 (francs belges) |
1 | DEM 1,95583 (deutsche mark) |
1 | GRD 340,750 (drachmes grecques) |
1 | ESP 166,386 (pesetas espagnoles) |
1 | FRF 6,55957 (francs français) |
1 | ITL 1 936,27 (lires italiennes) |
Une analyse, même rapide des flux d’import-export, montre en effet que l’euro fort a été conçu pour plomber les exportations industrielles de la France et de l’Europe du sud (dont tous les produits français, italiens, grecs, espagnols, portugais, ont été mécaniquement renchéris), de déverser les produits industriels allemands sur toute l’Europe tout en protégeant opportunément le marché nord-américain des productions venues d’Allemagne (d’où le dollar faible et l’euro fort) : bref, derrière le bavardage « libre-échangiste » et la PRENTENDUE « concurrence libre et non faussée ouverte sur le monde » du Traité de Maastricht, la zone euro a longtemps fonctionné comme une zone crypto-protectionniste permettant à l’Axe Washington-Berlin de se répartir les zones d’influence à l’intérieur du marché euro-atlantique.
Le solde des échanges commerciaux de la France depuis le début de l’euro s’est très nettement dégradé avec l’Allemagne, reste équilibré avec l’Italie et se dégrade avec l’Espagne depuis le début du choc austéritaire dès les années 2006.
Les balances commerciales des échanges intra-europe des 28, démontre que l’Allemagne ou les Pays Bas ont nettement profité de cet euro fort, alors que la balance commerciale de la France s’est dégradée. S’accompagnant d’une chute continue et vertigineuse des emplois industriels
Si on observe l’évolution des chiffres d’affaire de l’industrie en France Métropolitaine à l’import et à l’export (indice calculée en euros courant par l’INSEE et donc influencé par les cours de l’euro), on constate un décrochage des exportations en valeur suite à l’introduction de l’euro, à peine compensé en euro courant par l’envolé du cours de l’euro entre 2006 et 2008.
En gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un indice en euro courant – donc non corrigé de l’inflation et des variations du cours de l’euro – c’est bien à une diminution des exportations industrielles, corroborées par la solde négatif de la balance des paiements dans le secteur industriel qu’à conduit l’euro, à une désindustrialisation s’accompagnant d’une diminution massive de l’emploi industriel. C’est un million d’emplois industriels qui ont été détruits depuis 2001. Le chômage frappe désormais 6,5 millions de chômeurs soit en réalité près d’un quart de la population française en age de travailler.
Mais ce fonctionnement monétaire si juteux pour les conjurés de l’axe germano-américain (et pour leurs collabos français, type de Wendel, acharnés à se financiariser en détruisant l’empire industriel lorrain qui fit leur fortune…) ne fonctionnait plus au mieux des intérêts euro- et germano-capitalistes dans la dernière période. A force de matraquer l’Europe du sud, les usuriers des banques allemandes et leurs acolytes des banques françaises ont strangulé à la fois leurs clients de l’Europe du sud et la croissance européenne elle-même ; cela a donné lieu à un grave choc en retour sur l’industrie de la RFA (en pleine stagnation) dont le prétendu « modèle économique » patine fortement : on a même assisté à un regain de grèves dures dans la dernière période, notamment en ex-RDA, dans la métallurgie, chez les cheminots, etc.
Grande a alors été la tentation des capitalistes allemands de réinvestir le marché nord-américain – et ce alors que grâce au boom des gaz de schistes et l’aide des états vassaux du Golfe, l’industrie américaine profite à nouveau d’hydrocarbures bon marché rétablissant la compétitivité de son industrie alors que l’Allemagne ne bénéficie pas de cet avantage – quitte à abandonner (provisoirement ?) l’euro fort (donc à abaisser le prix du « made in Germany »), à viser une parité approximative et implicite entre le dollar et l’euro.
Ce qui revient en fait à faire marcher la planche à billets comme jamais, à dévaluer de facto la monnaie unique par rapport au dollars, à faire monter artificiellement les prix en Europe, à alimenter la « croissance » tout en érodant encore davantage le pouvoir d’achat des salariés, lequel n’est plus nulle part indexé sur la hausse des prix (merci à Delors ministre de Mitterrand en 1983). Il n’est cependant pas certain que cette manœuvre – si on en croit l’expérience du Quantitative Easing de la banque centrale américaine (la FED) – réussisse à contrebalancer le mouvement de déflation liée à l’aggravation de la crise structurelle du capitalisme. De fait, cette injection massive d’argent se fait là aussi dans le circuit financier, produisant un réel effet inflationniste des actifs. Ce qui – et cela ne surprendra pas les marxistes – handicape la croissance voir le maintien des taux de profits…
Cette manœuvre monétaro-financière d’envergure continentale présage des tensions entre l’impérialisme US et l’impérialisme allemand ; politiquement, on n’a pas oublié les heurts publics entre Obama et Merkel sur les « écoutes » de la NSA dénoncées par E. Snowden (c’est fou comme l’Oncle Sam « aime » ses « amis européens » !). Dernièrement, chacun a constaté que Berlin, vite suivi de son caniche hollando-parisien, a montré des différences d’approche non négligeables avec l’impérialisme US à propos de la situation en Ukraine et de la confrontation militaire du va-t-en-guerre Obama avec la Russie. Bref, l’ « Axe » germano-allemand grince très fort et cela n’a rien d’étonnant pour nous léninistes : Lénine a en effet démontré dans son livre classique L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, que l’unification définitive des capitalismes rivaux en un « hyper-impérialisme mondial » (une thèse chère au social-démocrate Kautsky) dominateur mais pacifique n’était qu’une vue de l’esprit tendant à enjoliver le capitalisme moderne plus prédateur et violent que jamais. Évidemment ces tensions latentes entre la Banque de Francfort et la « Fed » américaine sont un peu embarrassantes pour le déclinant impérialisme français qui, de Sarko à Hollande, s’était accoutumé à abandonner toute ligne indépendante de type néo-gaullien, pour s’aligner vilement sur l’ Axe Berlin-Washington…
Quoi qu’il en soit, ces évolutions monétaro-économiques à propos de la gestion de l’euro appellent de la part des communistes et des syndicalistes de classe une bataille idéologique forte sur les points suivants :
- Oui l’euro fort a été une catastrophe industrielle pour la France, donc pour sa classe ouvrière massivement dégraissée et déclassée ; les évolutions monétaro-budgétaires actuelles en prennent acte et donnent rétrospectivement raison aux critiques du PRCF et d’autres mouvements progressistes ; comme nos adversaires eurocrates ne feront évidemment aucune autocritique, autant profiter de leur volte-face « inflationniste » pour les prendre à leur piège argumentatif ;
- Le recours massif de l’UE et de sa BCE à la « planche à billets » ne doit pas être accueilli comme un « pas de l’Europe vers la gauche », contrairement à ce qu’affirment les menteurs professionnels du PS. D’abord, ce sont les banques nationales des Etats – y compris de ceux que l’on déclare « endettés » ou « faillis » – qui sont sommées de financer les énormes liquidités mises sur le marché. Il n’y a presqu’aucun mécanisme de répartition interétatique et la riche R.F.A. capitaliste, qui s’est surtout enrichie en surexploitant ses salariés (lois Hartz supprimant le SMIG et supprimant presque les allocations chômage…) et en siphonnant l’Europe du Sud, n’est pas prête à taper dans le bas de laine imposant de son Etat capitaliste « réunifié » ; certains désormais rêvent à voix haute d’une puissante « armée européenne » recyclant la Bundeswehr dans le jeu impérialiste mondial et le sinistre Juncker est là pour relayer cette resucée de la « communauté européenne de défense » que firent capoter ensemble le PCF et De Gaulle en 1954. En tout cas, lorsqu’il s’agit de financer le capital à coup d’argent public, on se souvient brusquement que les Etats-nations, ces vaches à lait, continuent d’exister pour mettre la main dans la poche gauche des travailleurs et pour le transférer aussitôt dans la poche droite des actionnaires.De fait, si la BCE se prépare à injecter des quantités phénoménales de liquidité dans le système financiers (on parle de près de 60 milliards d’euros par mois de ce mois de mars 2015 à au moins fin septembre 2016 : 60 milliards d’euros c’est de l’ordre du déficit budgétaire annuel d’un pays comme la France), ce n’est pas pour répondre au besoin du peuple. Cette injection de liquidité ne se fera en aucun cas par un achat direct des obligations d’état avec un taux zéro, ce qui donnerait un coup d’arrêt important à la spéculation… mais sur le marché secondaire, c’est-à-dire auprès des banques ! Ces dernières vont donc une nouvelle fois pouvoir remplir les poches du Capital en faisant celle des salariés. Mais ce n’est pas tout, seul 20% des pertes éventuelles seront supportées par le bilan de la BCE, les 80% restant par les banques centrales nationales ; dans les faits, cela revient à ce que les états rachètent via leur banque centrale nationale leurs propres dettes sur le marché secondaire. Rappelons au passage que si les banques privées se financent désormais à un taux quasi nul auprès de la BCE, ce n’est pas le cas des états (et encore moins des particuliers ou des très petites entreprises). En système capitaliste, contrairement au système socialiste, on ne prete qu’aux riches ! Au passage, les banques privées auront gagnés des intérêts colossaux sur le dos des peuples, immédiatement réinjectés dans le système spéculatif, le tout pour un risque qui rappelons le est nul, puisqu’au final ce sont bien les travailleurs qui garantissent et payent la dette… générées par les sauvetage de ces banques privée. La ficelle est énorme, digne des grandes magouilles des capitalistes déjà si bien décrites par Emile Zola dans son roman La Curée ! Mais ce monstre qu’est le système capitaliste n’a guère changé dans ses principes.
- Ce sont essentiellement les banques, les agrariens et les gros industriels qui vont profiter de la manne. A l’inverse, les salariés paieront trois fois, une fois en tant que contribuables, une fois comme consommateurs (les prix à la consommations vont mécaniquement augmenter), une troisième fois par la pression à la baisse sur les salaires ; c’est-à-dire que l’exploitation capitaliste du travail va s’aggraver et que le capital encaissera la différence entre des salaires stagnants ou en recul (le blocage des salaires, lui, n’est pas levé : il règne officiellement en France, via la fonction publique, depuis 2008 !) et les prix en augmentation. Il s’ensuit que les communistes et les syndicalistes de classe doivent être très attentifs aux luttes offensives sur les salaires (mais aussi pour le salaire différé mutualisé : Sécu, retraites, indemnités chômage, etc.) qui ne vont pas manquer de se développer. Et qui se développe déjà ! Rappelons que, plutôt que de remplir les coffres des banquiers, la création d’une telle somme de liquidité permettrait de verser une prime de 7500€ environ à chacun des 150 millions de foyers européens. Rien que ça!
- Sur le plan théorique, les communistes, les vrais républicains, les syndicalistes de classe doivent rompre avec la pseudo-critique altermondialiste et alter-européiste du « libéralisme ». Le capitalisme monopoliste d’Etat justement dénoncé par le PCF dans les années 60-70 n’a nullement disparu : si l’ainsi dit « Etat-Providence » d’échelon national est effectivement démantelé, c’est seulement au détriment des services publics utiles, des conventions collectives et des statuts nationaux, des retraites par répartition et de la Sécurité sociale, bref de tout ce que les travailleurs ont gagné au prix de leur sang en 1945, sur la base des combats de la Résistance (à 80% communiste s’agissant de la lutte armée !) et de la victoire historique de l’Armée rouge sur l’hitlérisme, cette phalange de choc du capitalisme mondial. Symétriquement, jamais « l’Etat-providence », c’est-à-dire le capitalisme monopoliste d’Etat n’aura été si fort à l’avantage des capitalistes : simplement, ce financement public du profit capitaliste privé s’opère maintenant à l’échelle nationale ET AUSSI à l’échelle locale, régionale, continentale et bientôt, transcontinentale. Quant à la concurrence libre et non faussée, son rôle principal est de briser les marchés national et local (mort programmée des communes, des départements, des Etats-nations) et de permettre aux monopoles capitalistes transnationaux de détruire les services publics (privatisations) et d’accaparer les commandes et les subventions publiques par le biais de l’Europe, des euro-régions, des métropoles taillées à la mesure des transnationales. C’est ce que le manifeste du MEDEF appelle le « Besoin d’aire » de la moderne chasse au profit… et aux subventions publiques.
Une fois de plus, on constate que l’ « Europe sociale de la croissance » en régime capitaliste est, au mieux, un mensonge euro-réformiste, au pire… une REALITE aggravant la situation des travailleurs. Pas plus qu’il n’y a de « bonne » exploitation capitaliste ou « alter-capitaliste », il n’existe de « bon euro » possible : la zone euro, et plus globalement, l’UE flanquée de l’Union transatlantique en construction (GMT, TAFTA /TISA), est de part en part une dictature grand-patronale conçue pour araser les souverainetés nationales, écraser et recoloniser les pays de l’Est et du Sud (guerres impérialistes à répétition), diminuer les salaires réels et briser les acquis sociaux : dans les conditions de la construction européenne du grand capital, euro fort ou euro faible sont deux voies différentes pour atteindre le même objectif de classe : écraser le monde du travail, permettre au grand capital européen dominé par Berlin, tantôt de se faire une bonne petite « niche » parasitaire à l’abri du grand capital US, tantôt de le concurrencer plus frontalement… avec de grands risques pour la paix*.
C’est pourquoi le PRCF appelle les communistes, les syndicalistes de classe, les vrais républicains, à travailler à la construction urgent d’un Front antifasciste, patriotique et républicain ; son premier acte visible pourrait être une manifestation nationale à Paris le 30 mai prochain à l’occasion du 10ème anniversaire du Non populaire à la constitution européenne (29 mai 2005). Pas pour rêvasser sur l’Europe sociale et l’ « euro au service des peuples », comme ose le dire sans rire la commission économique du PCF-PGE, mais pour appeler offensivement la France à sortir unilatéralement de l’euro, de l’UE et de l’OTAN pour rétablir la souveraineté nationale et engager dans les faits la lutte pour le socialisme dans notre pays. L’euro, si on n’en sort pas, on y restera ! Pour s’en sortir, la France doit sortir de l’UE atlantique, supranationale, impériale et antisociale !
Georges Gastaud
*la marche à la guerre mondiale peut être indirecte. En poussant à la guerre contre la Russie, les Usa ne font pas seulement ce qu’il faut pour « mettre la pression » aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) qui bousculent leur hégémonie mondiale ; ils créent de sérieuses difficultés à leur « allié » européen qu’ils privent du débouché russe (sanctions), de l’énergie russe (gaz) et auxquels ils feraient porter la charge première d’un conflit avec la seconde puissance nucléaire du monde. Comme dit le proverbe, mon Dieu, gardez-moi de mes amis, de mes ennemis je m’en charge !
Georges Gastaud est philosophe marxiste, syndicaliste et militant communiste.Auteur de nombreux ouvrages dont Mondialisation capitaliste et Projet Communiste, Sagesse de la Révolution, Lettre ouverte aux bons Français qui assassinent la France et paru dernièrement aux éditions Delga Marxisme et Universalisme : classes, nations, humanité(s).
Il est également secrétaire national du PRCF.
(…) »le pouvoir d’achat des salariés, lequel n’est plus nulle part indexé sur la hausse des prix » (…): pas tout à fait vrai. En Belgique subsiste l’indexation des salaires. Le gouvernement (coalition de partis flamands de droite et d’extrême-droite et des libéraux « francophones ») veut imposer le gel de l’indexation pour un saut d’index, il a dû, face aux résistances politiques mais aussi et surtout de la rue (syndicats) reporter son projet. Dans l’immédiat, cela ne change rien, car l’inflation est tellement faible qu’il n’y aurait pas eu de saut d’index en avril, mais la volonté subsiste de remettre en cause, d’abord temporairement, ce système d’indexation des salaires, acquis de haute lutte dans les années ’60.