Dans une récente tribune, Eric Toussaint – qui est le porte parole du comité pour l’annulation de la dette du tiers monde et qui vient de conduire en Grèce la Commission pour la vérité sur la dette public – valide ce qu’expliquent les militants du PRCF depuis des années : pour une alternative politique populaire, progressiste, il faut sortir de l’euro.
Il convient de réfléchir avec attention aux propositions de ce spécialiste des questions de la dette.
Grèce : des propositions alternatives face à la capitulation de la nuit du 15 au 16 juillet 2015 – par Eric Toussaint du CADTM
Suite à la capitulation des autorités grecques, j’ai largement amendé le texte que j’avais rédigé le 13 juillet 2015 à un moment où l’accord avec les créanciers n’avait pas encore été ratifié par le parlement grec. Je vais par ailleurs écrire un autre texte pour donner ma vision de ce qui est arrivé ces derniers mois.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet, à la demande du premier ministre, le parlement grec a capitulé devant les exigences des créanciers et a foulé au pied la volonté populaire exprimée par le peuple grec le 5 juillet. 32 députés de Syriza ont sauvé l’honneur en votant contre (s’y ajoutent 7 députés Syriza qui se sont abstenus). En s’opposant à la capitulation, ces députés de Syriza ont respecté le mandat populaire et le programme de leur parti sans céder au chantage. Le premier ministre a obtenu une majorité grâce aux partis de droite, Nouvelle démocratie, Pasok (qui n’a plus rien de socialiste), Potami et Grecs indépendants. Cela change radicalement la situation.
Le 5 juillet 2015, à l’issue du référendum initié par le gouvernement d’Alexis Tsipras et le parlement hellène, le peuple grec a rejeté massivement la poursuite de l’austérité que voulaient lui imposer les institutions qui auparavant agissaient sous le nom de Troïka. C’est une splendide victoire de la démocratie.
L’accord intervenu le lundi 13 juillet au matin et adopté par le parlement grec dans la nuit du 15 au 16 juillet signifie la poursuite de l’austérité dans le cadre d’un nouvel accord pluriannuel. Ce qui est en totale contradiction avec le résultat du référendum. Le parlement a adopté cet accord sous la menace des créanciers (chantage à la faillite des banques et au Grexit) qui ont exercé délibérément une coercition sur les autorités grecques.
Cet accord inclut l’abandon d’une série très importante d’engagements pris par Syriza lors de la campagne électorale qui lui ont permis d’obtenir une victoire d’une portée historique le 25 janvier 2015. Syriza a engagé sa responsabilité devant le peuple grec et il est tragique qu’une majorité de ses députés et de ses ministres ne l’ait pas respecté, d’autant que le peuple a apporté un appui très clair à Syriza tant le 25 janvier que le 5 juillet 2015.
Les concessions faites aux créanciers par le gouvernement et le parlement grecs portent sur les retraites, avec une nouvelle diminution de leur montant (alors que Syriza s’était engagé à rétablir le 13e mois pour les retraites inférieures à 700 euros par mois) et un allongement de l’âge de départ, les salaires qui resteront comprimés, les relations de travail qui seront encore plus précarisées, l’augmentation des impôts indirects y compris ceux supportés par les bas revenus, la poursuite et l’accélération des privatisations, l’accumulation de nouvelles dettes illégitimes (au moins 80 milliards supplémentaires) afin de rembourser les précédentes et de continuer à recapitaliser les banques tout en les laissant aux mains du secteur privé responsable de la crise, le transfert des actifs grecs de valeur dans un fonds indépendant, la poursuite de l’abandon d’éléments importants du droit à l’autodétermination, la limitation du pouvoir législatif au profit de celui des créanciers…
Contrairement à ceux qui affirment qu’en échange de ces concessions néfastes, la Grèce obtiendra trois ans de répit et pourra relancer de manière importante l’activité économique, la réalité montrera qu’avec le maintien de la compression de la demande des ménages et de la dépense publique, il sera impossible de dégager l’excédent budgétaire primaire annoncé dans le plan.
Les conséquences néfastes sont inéluctables : dans quelques mois ou au début de l’année prochaine au plus tard, les créanciers attaqueront les autorités grecques pour non-respect de leurs engagements en termes d’excédent budgétaire primaire et avanceront de nouvelles exigences. Il n’y aura pas de répit pour le peuple et pour le gouvernement grecs. Les créanciers menaceront de ne pas débourser les sommes prévues si de nouvelles mesures d’austérité ne sont pas adoptées. Les autorités grecques seront prises dans l’engrenage des concessions |1|.
« En appliquant l’accord du 13 juillet, le gouvernement va se rendre directement complice de la violation des droits humains afin de rembourser une dette illégitime, illégale, odieuse et insoutenable. »
La Commission pour la Vérité sur la Dette publique instituée par la présidente du Parlement grec a établi dans son rapport préliminaire rendu public les 17 et 18 juin 2015 que la dette réclamée par les actuels créanciers doit être considérée comme illégitime, illégale et odieuse. La Commission a également démontré que son remboursement est insoutenable. Sur la base d’arguments fondés sur le droit international et le droit interne, le gouvernement grec aurait dû suspendre de manière souveraine le paiement de la dette afin que l’audit des dettes soit conduit à son terme. Une telle suspension de paiement était et est tout à fait possible. Depuis février 2015, la Grèce a remboursé 7 milliards d’euros aux créanciers sans que ceux-ci versent les 7,2 milliards qui devaient l’être dans le cadre du programme qui a pris fin au 30 juin 2015. D’autres sommes auraient dû être versées à la Grèce et ne l’ont pas été : les intérêts perçus par la BCE sur les titres grecs, le solde prévu pour la recapitalisation des banques, etc. Si la Grèce avait suspendu le paiement de la dette à l’égard des créanciers internationaux, elle aurait économisé près de 12 milliards d’euros qu’elle est supposée leur rembourser d’ici la fin de l’année 2015 |2|. En suspendant le paiement de la dette, les autorités grecques aurait pu amener les créanciers à faire des concessions. Une réduction radicale du montant de la dette aurait pu en découler soit par la voie de la négociation, soit par celle de la répudiation unilatérale en cas d’échec de la négociation. En appliquant l’accord du 13 juillet, le gouvernement va se rendre directement complice de la violation des droits humains afin de rembourser une dette illégitime, illégale, odieuse et insoutenable.
« Sans prendre des mesures souveraines fortes d’autodéfense, les autorités et le peuple grecs ne pourront pas mettre fin à la violation des droits humains perpétrés à la demande des créanciers (…) A tort, le gouvernement d’Alexis Tsipras a pris la voie de la négociation permanente dans le seul but de renouveler un accord avec les créanciers alors qu’il fallait y mettre fin »
Chacun a pu faire le constat qu’il est impossible de convaincre par la simple discussion la Commission européenne, le FMI, la BCE et les gouvernements néolibéraux au pouvoir dans les autres pays européens de prendre des mesures qui respectent les droits des citoyens grecs ainsi que ceux des peuples en général. Le référendum du 5 juillet qu’ils ont combattu ne les a pas convaincus. Au contraire, bafouant les droits démocratiques fondamentaux, ils ont radicalisé leurs exigences. Sans prendre des mesures souveraines fortes d’autodéfense, les autorités et le peuple grecs ne pourront pas mettre fin à la violation des droits humains perpétrés à la demande des créanciers. Toute une série de mesures devraient être prises à l’échelle européenne pour rétablir la justice sociale et une authentique démocratie. Techniquement, il n’est pas compliqué de les prendre mais il faut bien constater que dans le contexte politique et avec les rapports de force qui prévalent dans l’Union européenne, les pays avec un gouvernement progressiste ne peuvent pas espérer être entendus ni soutenus par la Commission européenne, la BCE, le Mécanisme européen de stabilité. Au contraire, tant ces institutions que le FMI et les gouvernements néolibéraux en place dans les autres pays combattent activement l’expérience en cours en Grèce afin de démontrer à tous les peuples d’Europe qu’il n’y a pas d’alternatives au modèle néolibéral. En revanche, par des mesures fortes, les autorités grecques auraient pu leur arracher de véritables concessions ou simplement les obliger à prendre acte des décisions prises. A tort, le gouvernement d’Alexis Tsipras a pris la voie de la négociation permanente dans le seul but de renouveler un accord avec les créanciers alors qu’il fallait y mettre fin.
Il était fondamental également de fonder une stratégie alternative en suscitant des mobilisations populaires massives en Grèce et dans les autres pays d’Europe. Les autorités grecques auraient pu s’appuyer dessus pour empêcher les tentatives d’isolement que n’ont pas manqué d’organiser toutes les forces opposées aux changements en faveur de la justice sociale. En retour, une telle démarche du gouvernement grec aurait renforcé les mobilisations populaires et la confiance en leurs propres forces des citoyens mobilisés. La réalisation du référendum du 5 juillet aurait pu constituer un élément clé de cette mobilisation mais la victoire du non (précédé d’une grande mobilisation de rue) n’a pas été respectée puisque dès le lendemain le gouvernement se réunissait avec la droite pour préparer une proposition qui faisait des concessions inacceptables aux créanciers.
A côté de la suspension du paiement de la dette illégitime, illégale, odieuse et insoutenable, voici quelques propositions à soumettre d’urgence au débat démocratique car elles sont de nature à aider la Grèce à se relever. Évidemment, ce n’est pas le gouvernement actuel qui voudra appliquer ces mesures.
1. Les pouvoirs publics grecs constituent de loin l’actionnaire majoritaire des grandes banques grecques (représentant plus de 80% du marché bancaire grec) et devraient donc exercer pleinement le contrôle des banques afin de protéger l’épargne des citoyens et relancer le crédit interne pour soutenir la consommation. D’une part, il conviendrait de tirer les conséquences de la participation majoritaire de l’Etat dans les banques en leur conférant un statut d’entreprise publique. L’Etat devrait organiser une faillite ordonnée de ces banques en veillant à protéger les petits actionnaires et les épargnants (dépôts totalement protégés jusque 100 000 €). Il s’agit de récupérer le coût de l’assainissement des banques sur le patrimoine global des gros actionnaires privés car ce sont eux qui ont provoqué la crise et ont ensuite abusé du soutien public. Une bad bank serait créée pour isoler les actifs toxiques en vue d’une gestion extinctive. Il faut une fois pour toutes faire payer les responsables de la crise bancaire, assainir en profondeur le secteur financier et le mettre au service de la population et de l’économie réelle.
2. Les autorités grecques doivent réquisitionner la banque centrale. A sa tête se trouve aujourd’hui Yannis Stournaras (placé à ce poste par le gouvernement d’Antonis Samaras) qui met toute son énergie à empêcher le changement voulu par la population. C’est un véritable cheval de Troie qui sert les intérêts des grandes banques privées et des autorités européennes néolibérales. La banque centrale de Grèce doit être mise au service des intérêts de la population grecque.
3. Les autorités grecques ont également la possibilité de créer une monnaie électronique (libellée en euro) à usage interne au pays. Les pouvoirs publics pourraient augmenter les retraites ainsi que les salaires de la fonction publique, payer les aides humanitaires aux personnes en leur ouvrant un crédit en monnaie électronique qui pourrait être utilisé pour de multiples paiements : facture d’électricité, d’eau, paiement des transports en commun, paiement des impôts, achats d’aliments et de biens de première nécessité dans les commerces, etc. Contrairement à un préjugé infondé, même les commerces privés auraient tout intérêt à accepter volontairement ce moyen de paiement électronique car cela leur permettra à la fois d’écouler leurs marchandises et de régler des paiements à l’égard des administrations publiques (paiement des impôts et de différents services publics qu’ils utilisent). La création de cette monnaie électronique complémentaire permettrait de diminuer les besoins du pays en euros. Les transactions dans cette monnaie électronique pourraient être réalisées par les téléphones portables comme c’est le cas aujourd’hui en Équateur.
4. Le contrôle sur les mouvements de capitaux doit être maintenu de même que doit être mis en place un contrôle des prix à la consommation.
5. L’organisme chargé des privatisations doit être dissout et doit être remplacé par une structure publique de gestion des biens nationaux (avec arrêt immédiat des privatisations) chargée de protéger le patrimoine public tout en générant des revenus.
6. De nouvelles mesures doivent être adoptées dans un souci de justice fiscale en vue de renforcer très nettement celles déjà prises, notamment en décidant de taxer très fortement les 10 % les plus riches (et en particulier le 1% le plus riche) tant sur leurs revenus que sur leur patrimoine. De même, il convient d’augmenter fortement l’impôt sur les bénéfices des grandes entreprises privées et de mettre fin à l’exemption fiscale des armateurs. Il faut aussi taxer plus fortement l’Eglise orthodoxe qui n’a versé que quelques millions d’euros d’impôts en 2014.
7. Une réduction radicale des impôts sur les bas revenus et les petits patrimoines doit être décidée, ce qui bénéficierait à la majorité de la population. Les taxes sur les produits et services de première nécessité doivent baisser radicalement. Une série de services de première nécessité doivent être gratuits (électricité et eau limitées à une certaine consommation, transports publics, etc.). Ces mesures de justice sociale relanceront la consommation.
8. La lutte contre la fraude fiscale doit être intensifiée avec la mise en place de mesures très dissuasives contre la grande fraude fiscale. Des sommes importantes peuvent être récupérées.
9. Un vaste plan public de création d’emplois doit être mis en œuvre pour reconstruire des services publics dévastés par des années d’austérité (par exemple, en matière de santé et d’éducation) et pour poser les premiers jalons de la nécessaire transition écologique.
10. Ce soutien au secteur public doit être accompagné de mesures visant à apporter un soutien actif à la petite initiative privée qui joue un rôle essentiel aujourd’hui en Grèce à travers les micro-entreprises.
11. Réaliser une politique d’emprunt public interne via l’émission de titres de la dette publique à l’intérieur des frontières nationales. En effet, l’État doit pouvoir emprunter afin d’améliorer les conditions de vie des populations, par exemple en réalisant des travaux d’utilité publique. Certains de ces travaux peuvent être financés par le budget courant grâce à des choix politiques affirmés, mais des emprunts publics peuvent en rendre possibles d’autres de plus grande envergure, par exemple pour passer du « tout automobile » à un développement massif des transports collectifs, développer le recours aux énergies renouvelables respectueuses de l’environnement, créer ou rouvrir des voies ferrées de proximité sur tout le territoire en commençant par le territoire urbain et semi-urbain, ou encore rénover, réhabiliter ou construire des bâtiments publics et des logements sociaux en réduisant leur consommation d’énergie et en leur adjoignant des commodités de qualité. Il s’agit aussi de financer le vaste plan de création d’emplois proposé plus haut.
Il faut définir de toute urgence une politique transparente d’emprunt public. La proposition que nous avançons est la suivante : 1. la destination de l’emprunt public doit garantir une amélioration des conditions de vie, rompant avec la logique de destruction environnementale ; 2. le recours à l’emprunt public doit contribuer à une volonté redistributive afin de réduire les inégalités. C’est pourquoi nous proposons que les institutions financières, les grandes entreprises privées et les ménages riches soient contraints par voie légale d’acheter, pour un montant proportionnel à leur patrimoine et à leurs revenus, des obligations d’État à 0 % d’intérêt et non indexées sur l’inflation, le reste de la population pourra acquérir de manière volontaire des obligations publiques qui garantiront un rendement réel positif (par exemple, 3%) supérieur à l’inflation. Ainsi si l’inflation annuelle s’élève à 2%, le taux d’intérêt effectivement payé par l’Etat pour l’année correspondante sera de 5%. Une telle mesure de discrimination positive (comparable à celles adoptées pour lutter contre l’oppression raciale aux États-Unis, les castes en Inde ou les inégalités hommes-femmes) permettra d’avancer vers davantage de justice fiscale et vers une répartition moins inégalitaire des richesses.
Enfin, les autorités grecques doivent veiller à la poursuite du travail de la commission d’audit et des autres commissions qui travaillent sur les mémorandums et les dommages de guerre.
D’autres mesures complémentaires, discutées et décidées d’urgence démocratiquement, sont bien sûr susceptibles de venir compléter ce premier dispositif d’urgence qui peut être résumé avec les cinq piliers suivants :
la prise de contrôle par l’Etat des banques et d’une partie de la création monétaire,
la lutte contre la fraude fiscale et la mise en place d’une réforme fiscale juste apportant à l’Etat les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de sa politique,
la protection du patrimoine public et sa mise au service de l’ensemble de la collectivité,
la réhabilitation et le développement des services publics,
le soutien à une initiative privée de proximité.
Il est également important d’engager la Grèce dans un processus constituant avec participation citoyenne active afin de permettre des changements démocratiques structurels. Pour réaliser ce processus constituant, il faut convoquer, via une consultation au suffrage universel, l’élection d’une assemblée constituante chargée d’élaborer un projet de nouvelle Constitution. Une fois le projet adopté par l’assemblée constituante qui devra fonctionner en recevant les cahiers de doléances et les propositions émanant du peuple, il sera soumis au suffrage universel.
« la perspective de la sortie volontaire de l’euro est une option à mettre clairement en avant. Il n’y a pas d’autre solution favorable aux peuples au sein de la zone euro » Eric Toussaint – CADTM
Sortie de la zone euro.
Vu l’acceptation de l’accord du 13 juillet par le parlement grec, la perspective de la sortie volontaire de l’euro est une option à mettre clairement en avant. De plus en plus de Grecs et de citoyens d’autres pays d’Europe comprennent qu’il n’y a pas de solution favorable aux peuples à l’intérieur de la zone euro. En cas de sortie de la zone euro, les mesures indiquées plus haut sont également adaptées, en particulier la socialisation des banques à l’instar de la nationalisation du système bancaire mis en France à la Libération. Ces mesures devraient être combinées avec une importante réforme monétaire redistributive pouvant s’inspirer de la réforme monétaire réalisée après la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement belge. Cette réforme vise à opérer une ponction notamment sur les revenus de ceux qui se sont enrichis sur le dos des autres. Le principe est simple : il s’agit, lors d’un changement de monnaie, de ne garantir la parité automatique entre l’ancienne et la nouvelle monnaie (un ancien euro contre une nouvelle drachme par exemple) que jusqu’à un certain plafond.
Au-dessus de ce plafond, la somme excédentaire doit être placée sur un compte bloqué, et son origine justifiée et authentifiée. En principe, ce qui excède le plafond fixé est changé à un taux moins favorable (par exemple, deux anciens euros contre une nouvelle drachme) ; en cas d’origine délictueuse avérée, la somme peut être saisie. Une telle réforme monétaire permet de répartir une partie de la richesse de manière plus juste socialement. Un autre objectif de la réforme est de diminuer la masse monétaire en circulation de manière à lutter contre des tendances inflationnistes. Pour qu’elle soit efficace, il faut avoir établi un contrôle strict sur les mouvements de capitaux et sur les changes.
Voici un exemple (bien sûr, les barèmes indiqués peuvent être modifiés après étude de la répartition de l’épargne liquide des ménages et adoption de critères rigoureux) :
1€ s’échangerait contre 1 nouvelle Drachme (n.D.) jusque 200.000 euros
1€ = 0,7 n.D. entre 200.000 et 500.000 euros
1€ = 0,4 n.D. entre 500.000 et 1 million d’euros
1€ = 0,2 n.D. au dessus de 1 million d’euros
Si un foyer a 200.000 euros en liquide, il obtient en échange 200.000 n.D.
S’il a 400.000 euros, il obtient 200.000 + 140.000 = 340.000 n.D.
S’il a 800.000 euros, il obtient 200.000 + 210.000 + 120.000 = 530.000 n.D.
S’il a 2 millions d’euros, il obtient 200.000 + 210.000 + 200.000 + 200.000 = 810.000 n.D.
Une vraie logique alternative peut être enclenchée. Et la Grèce peut enfin cesser d’être sous la coupe de ses créanciers. Les peuples d’Europe pourraient retrouver l’espoir dans le changement en faveur de la justice. Pour contribuer à cela il faut renforcer les efforts de mobilisation populaire tant en Grèce qu’en Europe.
Grèce : pourquoi la capitulation ? Une autre voie est possible (Version texte)
Retranscription effectuée par Charlotte Géhin et Virginie de Romanet source CADTM
Éric Toussaint analyse de manière critique l’attitude de Syriza en ce qui concerne la dette depuis 2010, pour expliquer comment le gouvernement grec en est venu à signer l’accord funeste du 13 juillet 2015. Une des explications fondamentales est la non prise en compte de l’audit de la dette qui aurait pourtant permis, en suspendant son paiement, de ne pas se soumettre aux diktats des créanciers. Éric Toussaint présente un plan B portant sur la dette, les banques, l’austérité, la monnaie et la fiscalité.
La question de la dette grecque est absolument centrale. A partir de mai 2010 et du premier mémorandum et du moment où se constitue la Troïka entre le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et l’Union européenne, cette question reste absolument centrale au cours des années à venir.
La Commission d’audit citoyen de 2011
En décembre 2010, la députée Sofia Sakorafa intervient au Parlement en disant qu’il faudrait créer une Commission d’audit de la dette grecque s’inspirant de l’Equateur qui en avait constitué une en 2007-08. Cette députée fait référence à ma participation à cette expérience et dit qu’on pourrait faire appel à mon aide. Il était clair que ce Parlement qui était dominé par le PASOK et Nouvelle Démocratie n’avait aucun intérêt à faire la clarté sur la dette et cette proposition a donc été rejetée. Avec toute une série de mouvements sociaux et cette députée Sofia Sakorafa on a décidé de créer une initiative d’audit citoyen de la dette. Ça a pris quelques mois pour être lancé. On a mis au point un dispositif de lancement par exemple en s’appuyant sur la réalisation d’un documentaire « Debtocracy » par le cinéaste Aris Chatzistefanou qui allait jouer un rôle très important dans la diffusion de cette proposition. Le documentaire a été téléchargé par plus de 1,5 million de personnes en 6 semaines sur une population de 10 millions, c’est donc un écho extrêmement important. Evidemment il n’est pas passé sur les chaînes de TV privées ou publiques mais il a eu une résonnance extraordinaire. La population qui avait participé à un grand nombre de grèves s’est lancée dans la foulée du mouvement des indignés espagnols dans l’occupation des places publiques d’une multitude de villes à commencer par Athènes et Thessalonique mais ça a touché des villes moyennes pendant les mois de juin et juillet 2011. Les membres du Comité d’audit citoyen ont trouvé un écho extraordinaire à une proposition présentant les résultats préliminaires de la remise en cause des dettes réclamées à la Grèce et l’explication de comment la Grèce avait accumulé une telle dette qu’on pouvait considérer comme illégitime.
La position de la direction de Syriza vis-à-vis du Comité d’audit citoyen de 2011
Du côté des forces politiques constituées à la gauche, il y avait très peu d’enthousiasme pour soutenir cette initiative. Du côté de Syriza, des personnes comme Lafazanis qui est par la suite devenu ministre du gouvernement Tsipras à partir de janvier 2015 ou une autre ministre du gouvernement Tsipras, Nadia Valavani, sont des personnes qui, dès le début, c’est à dire depuis 2011 se sont engagées dans le soutien à cette Commission, mais du côté de la majorité de Syriza il n’y avait pas véritablement d’enthousiasme. Par exemple le ministre des Finances du gouvernement Tsipras, Yanis Varoufakis, a déclaré quand nous l’avons contacté en 2011 qu’il ne pouvait pas soutenir cette initiative d’audit citoyen car si il s’agissait de proposer à la suite de l’audit une suspension de paiement cela ramènerait la Grèce à l’âge de la pierre disait-il dans une lettre publique. Ce qui permet de comprendre des choses qui se sont passées en 2015 et le type de positionnement de quelqu’un comme Varoufakis.
Le programme de Syriza aux élections législatives de mai-juin 2012
Cette initiative d’audit citoyen a trouvé finalement un écho dans Syriza malgré les difficultés de départ et Syriza a repris la proposition dans son programme en cinq points pour les élections de mai puis de juin 2012 pour lesquels les cinq points étaient :
- L’abrogation des mesures d’austérité ;
- La suspension de paiement de la dette jusqu’au retour de la croissance – ce qui impliquait évidemment une toute autre politique – et lier la suspension de paiement à la réalisation d’un audit ;
- La socialisation des banques ;
- La levée de l’immunité parlementaire des responsables ;
- Des mesures fiscales importantes pour faire payer ceux qui avaient profité de la crise et qui étaient à l’abri de la fiscalité ;
Avec un tel programme radical Syriza a accompli une percée électorale très importante puisqu’elle est passée de 4% en 2009 à 27% en 2012 devenant ainsi le second parti après Nouvelle Démocratie avec une différence de seulement 2 points. A partir de ce moment-là, Syriza est apparu comme une force capable d’accéder au gouvernement dans les mois qui suivaient ou quelques années plus tard.
Fin 2012 : La direction de Syriza modère ses propositions
Ce qui est vraiment interpellant c’est qu’alors que Syriza démontre par son résultat que sa radicalité trouve un écho dans la population grecque notamment avec la proposition de suspension du paiement de la dette, la position de la majorité de Syriza et d’Alexis Tsipras est de modérer ces propositions avec l’idée qui d’après moi est fausse que si Syriza accédait au gouvernement il lui serait très difficile de les appliquer en pratique alors que ces cinq points étaient des éléments absolument clés dans la solution à apporter à la crise. On ne peut pas imaginer d’abandonner les politiques d’austérité si on ne résout pas d’une manière radicale la question de la dette. Il est impossible de revenir sur une série de mesures si on ne réduit pas radicalement la dette. C’est ainsi qu’il fallait combiner l’abrogation d’une série de mesures dictées par la Troïka à la mise en place d’une suspension de paiement et à la réduction radicale d’une partie de la dette et il fallait également trouver une réponse du côté des banques et de la fiscalité. Or, en octobre 2012, alors que je suis invité à donner une conférence au 1er festival de la jeunesse de Syriza, je me retrouve dans une discussion en tête à tête avec Alexis Tsipras et en fait je me rends compte qu’il est en train de revenir sur la proposition de suspension de paiement et d’audit de la dette et il s’oriente plutôt vers une négociation pour obtenir une réduction de la dette de la part des créanciers sans recourir à la suspension de paiement et je lui fais part de mon étonnement.
Si il répond que le programme en cinq points est maintenu, je me rends compte que ce n’est pas la perspective pratique de Tsipras.
Octobre 2013 : Alexis Tsipras souhaite une conférence européenne sur la dette publique
Un an plus tard, Tsipras m’invite à nouveau et me demande de collaborer à la mise en place d’une grande conférence européenne sur la dette pour réduire la dette de la Grèce à l’image de ce qui s’était passé avec la conférence de Londres de 1953 lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest. Nous avons eu alors une discussion où je lui ai dit que ça me paraissait parfaitement légitime qu’il interpelle les opinions publiques européennes et les institutions européennes pour leur dire qu’il faudrait une conférence européenne sur la dette mais que cela n’avait aucune chance d’aboutir. Il faut absolument combiner cette idée avec celle d’un audit avec une suspension de paiement. La discussion se termine sur la proposition que je participe à un noyau de préparation d’une conférence européenne sur la dette qui devait se tenir en mars 2014 mais entre temps cette proposition n’avait pas été soutenue sous cette forme là par le parti de la gauche européenne qui finit par convoquer une conférence à Bruxelles au printemps 2014. Lors de cette conférence à laquelle j’ai été invité avec Alexis Tsipras et d’autres dirigeants de la gauche européenne j’ai redis clairement qu’il fallait un plan B car la première proposition de conférence européenne n’est pas suffisante. Je me retrouve dans un panel qui discute de cela avec Euclide Tsakalotos qui est aujourd’hui ministre des Finances en remplacement de Varoufakis et je me rends compte dès ce moment qu’il n’est absolument pas favorable à mettre au point un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité et que le plan est de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’effort d’austérité.
Syriza devient le premier parti de Grèce aux élections européennes de mai 2014
Syriza obtient une victoire électorale et devient le premier parti grec. Pour ceux qui luttaient sur la question de la dette c’était une double victoire car sur les six députés élus au Parlement européen, cinq étaient favorables à une politique forte en matière de dette et à l’audit. C’était ainsi le cas de Manolis Glezos, de Georges Katrougalos qui est devenu plus tard ministre, de Sofia Sakorafa qui était une des initiatrices avec moi de l’audit citoyen en 2011, mais aussi de Kouvenas et d’un député provenant du PASOK. On a eu à plusieurs reprises des réunions au Parlement européen avec également des députés de Podemos et d’Izquierda Unida pour avancer l’idée de l’action unilatérale et de la suspension de paiement, mais en même temps je me suis rendu compte que la ligne officielle de Tsipras soutenu par des personnes comme Katrougalos étaient d’aller vers la négociation. Ce qui est fondamental pour eux, c’est la conférence européenne pour la restructuration de la dette sur le modèle allemand.
La victoire de janvier 2015
Des élections anticipées sont convoquées pour le 25 janvier. Le 2 janvier, je suis contacté par un envoyé de Tsipras qui me demande si je pourrais conseiller le gouvernement en matière de dette. J’accepte immédiatement et je fais une série de propositions dans la lignée de ce qui avait été mis en avant depuis 2011. Mais quelques jours avant les élections alors que j’avais fait ces propositions, le contact se perd. Suite à l’élection, je me rends à Athènes et une des personnes que je rencontre c’est Georges Katrougalos devenu ministre de la réforme administrative qui avait soutenu à fond l’audit et qui lorsqu’il était député européen soutenait d’une certaine manière les propositions que je faisais et il me met en contact avec la nouvelle présidente du Parlement, Zoe Konstantopoulou, avec qui le contact est passé directement. A l’issue d’une discussion d’une heure elle a rendu publique les résultats de cette discussion en disant qu’elle faisait appel à mon concours pour lancer une commission d’audit de la dette grecque.
L’accord funeste du 20 Février avec les créanciers institutionnels
Suite à trois semaines de négociations, un premier préaccord intervient le 20 février entre les créanciers, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le gouvernement grec, qui marque d’après moi une étape déjà très préoccupante. Il s’agit d’un accord par lequel le gouvernement grec s’engage à respecter le calendrier des paiements et les sommes à rembourser à chaque créancier. Il déclare aussi que le gouvernement grec fera une série de propositions à l’Eurogroupe, qui remplaçait la Troïka, en matière de réformes. Évidemment pour l’Eurogroupe, il s’agissait de réformes qui poursuivaient le programme en cours, tout en reportant à la fin juin 2015 les mesures d’austérité négociées avec les créanciers.
Une autre politique était souhaitable et possible
Pour ma part, je pense que le gouvernement grec aurait dû adopter une autre politique. Il était démontré dès début février que les créanciers n’étaient pas prêts à permettre à Syriza de réaliser son programme (à savoir : revenir sur l’austérité et obtenir une réduction de la dette). Alors, comme moyen de pression sur les créanciers, Tsipras aurait dû dire : « J’applique le règlement européen adopté le 21 Mai 2013 qui prévoit la réalisation d’un audit, pour voir dans quelles conditions on a accumulé une dette qui devient insoutenable, et pour déceler d’éventuelles irrégularités ». C’est le texte exact du règlement européen. « En tant que gouvernement, je l’applique, et je suspends le paiement de la dette pendant la réalisation de l’audit ».
Si vous suspendez le paiement de la dette, vous changez le rapport de force avec les créanciers. Face à un refus de paiement, ce sont eux qui vont devenir demandeurs de la négociation. Tandis que jusque-là, c’était le gouvernement qui était à la recherche de la négociation face à des créanciers qui ne voulaient pas vraiment négocier, ou alors à condition de poursuivre les mesures d’austérité qui avaient été rejetées par la population grecque. Donc il aurait bien fallu suspendre le paiement, réaliser l’audit, prendre des mesures fortes sur les banques. Il faut savoir qu’on a injecté de manière permanente des dizaines de milliards dans les banques grecques en augmentant ainsi la dette publique grecque, sans tout autant résoudre le problème des banques. Il aurait fallu aussi prendre des mesures fortes en matière de fiscalité pour augmenter les recettes fiscales et pouvoir mener cette politique anti-austéritaire. Je pense que si le gouvernement grec le 20 février n’avait pas signé cet accord néfaste, il aurait pu réellement s’engager dans un processus intéressant pour la Grèce.
Ce qui est aussi intéressant, c’est que la présidente du Parlement grec a dit à Alexis Tsipras, avec d’autres ministres, comme Lafasanis qui est un des ministres les plus importants « Pas question de soumettre l’accord du 20 février pour approbation au Parlement grec. Une série des parlementaires grecs ne pourront pas approuver cet accord qui est contraire au mandat que Syriza est allé chercher le 25 janvier. » En effet, cet accord du 20 février est resté un accord signé par le gouvernement, mais sans l’accord du Parlement, et c’est un point très important.
Lancement de la Commission pour la vérité sur la dette grecque par la présidente du Parlement Hellénique.
Le 4 avril 2015 commence effectivement les travaux de cette Commission pour la vérité sur la dette grecque, instituée par la présidente du Parlement grec, et dont la coordination des travaux m’incombe. Les travaux sont lancés par une séance publique qui dure toute une journée à laquelle participent le premier ministre Alexis Tsipras, le président de la République, la majorité des ministres, une série de parlementaires et une participation citoyenne très importante : des mouvements sociaux grecs sont présents. Cet audit est conçu comme un audit à participation citoyenne. Nous nous lançons dans des travaux qui nous ont demandé énormément de travail. Pendant deux mois et demi, nous avons recouru à des auditions, nous avons fait venir un négociateur grec au FMI pour la période 2010-2011, nous avons fait venir un ancien conseiller de Barroso, le président de la Commission européenne, pour la période 2010-2011-2012, nous avons étudié toutes les dettes telles qu’elles sont réclamées par les créanciers actuels de la Grèce, dans quelles conditions elles ont été contractées etc., et nous avons défini les critères que nous allions utiliser pour identifier les dettes illégitimes, illégales, insoutenables ou odieuses. Sur la base de ces critères et de l’analyse rigoureuse des dettes réclamées, nous avons produit un rapport préliminaire que nous avons présenté les 17 et 18 juin. Il conclut que les dettes réclamées par les créanciers publics : la Troïka, sont à nos yeux des dettes illégitimes, illégales, insoutenables ou odieuses. Quand je dis « à nos yeux », c’est bien entendu d’après des critères scientifiques et d’après des critères du droit international et du droit interne.
Le gouvernement Grec ne s’appuie pas sur l’audit.
Alors qu’Alexis Tsipras avait apporté son soutien aux travaux de la Commission, en réalité, au cours de la négociation avec les créanciers, il ne s’est pas appuyé dessus de manière explicite. Alexis Tsipras et Yannis Varoufakis ont poursuivi leur plan qui était d’obtenir la conclusion du programme d’austérité pour la fin du mois de juin, en renouvelant un nouveau programme avec ces créanciers, mais dans des conditions largement déterminées par eux-mêmes. Sans mettre la pression sur eux, en renonçant donc à la suspension de paiement. Cela a mené à l’impasse que l’on connait. Les créanciers ne faisaient aucune concession au gouvernement grec, et ils présentaient même à l’opinion publique international le gouvernement grec comme incapable de présenter des propositions sérieuses. Cela a révélé un hiatus profond entre cette initiative de l’audit et une situation dans laquelle, poursuivant la négociation, le gouvernement grec utilisait tous les fonds disponibles pour payer les créanciers. Sept milliards ont été utilisés pour rembourser le FMI, la BCE, les créanciers privés. Alors que les dépenses pour résoudre les problèmes de la crise humanitaire (les problèmes de santé, les problèmes posés aux retraités, les 300 000 familles qui n’avaient plus de raccordement électrique) se sont élevées à 200 millions d’euros. 200 millions d’euros face à 7 milliards utilisés pour rembourser les créanciers ! On mesure bien l’importance du fossé. En tant que coordinateur de la Commission, et avec tous ses membres, nous sommes plongés dans une profonde frustration, une profonde inquiétude. Nous nous demandions comment il était possible que l’on continue à rembourser cette dette, alors que nous étions en train de prouver qu’elle est illégitime. Nous commençons maintenant à le dire publiquement : il y a un problème ! Je suis allé rencontrer Dimitris Statioulis, le ministre en charge des retraites, alors qu’il annonçait qu’il refusait de nouvelles mesures de réduction des retraites, pour lui apporter publiquement mon soutien. Oui il faut résister aux exigences des créanciers. Pour nous, il est fondamental de montrer qu’il existe un lien entre nos travaux et les préoccupations de la population grecque. J’ai pu mesurer que nous rencontrions un écho extraordinaire dans la population grecque. Personnellement comme coordinateur de la Commission, ma photo et mes déclarations apparaissaient dans les médias, et lorsque je me déplaçais dans les rues à Athènes, ou lorsque je prenais le métro, j’étais très régulièrement arrêté par des citoyens grecs me remerciant pour les travaux que je réalisais et pour l’aide que j’apportais au pays. Alors que les médias dominants qui représentent 80% de l’audimat dénigraient les travaux de la Commission, la population grecque décodait la politique de discrédit qui était lancée par les médias, et nous appuyait. Elle montrait une attente très importante à l’égard de nos travaux.
Du référendum du 5 Juillet à l’accord du 13 Juillet 2015
Quelques jours après la présentation publique de nos travaux, la Grèce était en état de suspension de fait à l’égard du FMI (même si ce n’était pas encore une suspension officielle, elle était bien en retard de paiement). L’échéance de paiement était un moment critique. Ainsi les créanciers ont décidé d’augmenter leurs exigences à l’égard d’Alexis Tsipras. Il a donc été amené à convoquer un référendum le 5 juillet 2015. Alors qu’il y avait une pression maximale des créanciers, à l’instar de l’intervention de Junker disant au peuple grec qu’il fallait voter pour les propositions qu’ils avançaient eux-mêmes, (et donc pour le OUI au référendum), 62% de la population grecque a dit NON aux propositions des créanciers. Cela ouvrait à nouveau une situation par laquelle le gouvernement de Tsipras aurait pu, sur la base de son mandat du 25 janvier, et sur la base de son nouveau mandat renforcé : 62% de NON aux exigences des créanciers, ouvrir une nouvelle orientation. Celle consistant à dire : « nous avons fait toutes les concessions possibles et imaginables, nous avons remboursé 7 milliards, et vous, vous créanciers, vous ne faites aucune concession. Nous sommes amenés à prendre des mesures d’auto-défense. Nous suspendons le paiement de la dette, nous résolvons le problème des banques en les mettant en faillite mais tout en protégeant les dépôts des déposants, nous prenons des mesures fiscales très fortes pour faire payer les riches, et surtout ceux qui sont responsables de la crise. Et nous nous engageons dans un plan B parce que le plan A n’a pas fonctionné. »
Au lieu de faire cela, le gouvernement de Tsipras qui avait pourtant un mandat très clair le 25 juillet, est allé rencontrer les dirigeants des trois partis qui avaient appelé au OUI et qui avaient subi une défaite terrible : le parti POTAMI, le parti PASOK et le parti Nouvelle Démocratie. Il leur propose un accord. Cet accord, très néfaste, est soumis au parlement le 13 juillet. Une proposition émane d’une sorte d’union sacrée entre Tsipras et la droite (défaite lors du référendum) et Tsipras se rend à Bruxelles le 12 juillet avec cette proposition. Les créanciers, qui veulent obtenir la capitulation définitive de Tsipras, disent : « ce que vous nous proposez n’est pas suffisant, nous durcissons nos positions. » Et après 17 heures de négociations, le 13 juillet, Tsipras signe un accord absolument funeste. Non seulement, de nouvelles mesures vont affecter les retraités (une fois de plus), mais elles vont aussi affecter toutes la population avec l’augmentation du taux de TVA sur une série de produits de consommation courante, et il y a en plus ce fameux fonds de privatisation qui va s’accélérer et aboutir à 50 milliards d’euros. Il s’agit ni plus ni moins d’une vente aux enchères de tout ce qui n’avait pas encore été privatisé. Cet accord est funeste, signé par Tsipras le 13 juillet et soumis au parlement grec le 15 juillet. Pour moi, c’est la capitulation.
Les leçons de la capitulation du 13 Juillet 2015
Il faut tirer les leçons de la capitulation de 13 juillet 2015. Si l’on ne recourt pas à des mesures unilatérales d’auto-défense face aux créanciers, notamment la suspension de la dette, il est impossible d’obtenir des concessions fortes de la part des créanciers. Il faut que les forces politiques et sociales européennes comprennent qu’une négociation dans le cadre européen actuel respectant les règles dictées par la Commission européenne, la BCE, ou le FMI ne peut pas marcher. Il faut désobéir aux créanciers. Ce n’est qu’en désobéissant aux créanciers qu’on peut leur imposer de faire des concessions. Bien sûr il n’y a pas que la question de la dette. Il faut répéter qu’aujourd’hui, il existe des mesures clés d’alternatives : à côté de la suspension de la dette, il faut l’abandon des mesures d’austérité et l’adoption de lois protégeant les personnes qui ont été affectées par ces politiques d’austérité. Il faut aussi une solution du côté des banques. Il faut une socialisation du secteur bancaire. Il faut que ces banques privées passent dans le secteur public et répondent à des critères de service public pour servir les intérêts de la population. Il faut une toute autre politique fiscale. Il faut que le pourcent le plus riche, les grandes entreprises, paient réellement des impôts, et que l’on baisse les impôts sur la charge de la majorité de la population : il faut baisser les taux de TVA, il faut que l’on exonère de certains impôts ceux d’en bas en fixant un seuil de revenu. C’est donc la combinaison d’une politique qui porte sur la dette, sur les banques, sur la fiscalité, mettant fin à l’austérité et créant des emplois qui permet de mettre en place une alternative. Cette alternative est tout à fait possible. La population est prête. Elle soutient. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi 62% des grecs, alors qu’ils étaient menacés du chaos s’ils votaient NON, pourquoi, malgré ce matraquage, ce chantage, la fermeture des banques grecques, pourquoi ils ont voté contre la proposition des créanciers.
La conclusion est qu’un mouvement qui veut assumer des responsabilités gouvernementales doit être à la hauteur du soutien populaire. Il doit être prêt. Si l’on propose à la population de rejeter les propositions des créanciers, si l’on propose de réaliser un autre programme, il faut être prêt à prendre les mesures qui permettent de réaliser ce programme. Nous avons besoin des forces sociales et politiques qui sont concrètement prêtes à affronter les créanciers. Et à désobéir aux créanciers.
La leçon fondamentale à tirer est que la modération ne permet pas de trouver une solution. Il faut s’appuyer sur la population et prendre des mesures très fortes.
Une monnaie complémentaire dans le cadre d’un plan B.
A côté des mesures fortes comme la suspension unilatérale de la dette et la socialisation des banques, il existe des mesures très concrètes comme la création d’une monnaie complémentaire qui peut avoir des effets extrêmement intéressants. Pour un pays qui se retrouve en manque d’euros comme la Grèce, parce qu’elle est asphyxiée par la BCE, il est parfaitement possible de créer une monnaie complémentaire par la voie électronique. C’est par exemple ce qu’a fait l’Équateur depuis deux ans. En tant que banque centrale du pays, il s’agit d’ouvrir un crédit via le téléphone portable, par exemple de 100 euros, permettant aux personnes qui reçoivent ce crédit (comme les retraités qui recevraient une partie de leur retraite, les salariés de la fonction publique, les personnes qui reçoivent une aide publique) de payer par exemple la facture d’électricité, la facture d’eau, les transports publics… Ils pourraient aussi utiliser ce crédit pour faire des achats dans des supermarchés, puisqu’il faut comprendre que même si les supermarchés privés ne seraient pas enthousiastes à la création d’une monnaie complémentaire, ils finiront bien par l’accepter pour ne pas perdre les clients qui partiront acheter chez les commerces qui l’accepteront ! Les autorités du pays seront alors en capacité d’octroyer des augmentations de salaires, des augmentations de retraites, sans dépendre directement de la monnaie officielle.
La perspective d’une sortie de la zone euro.
Pour des pays comme la Grèce, ou le Portugal, la sortie de la zone euro devient une perspective tout à fait justifiée. Pour reprendre la maitrise de l’économie et appliquer des politiques qui répondent aux intérêts du pays, il faut être prêt à revenir à une monnaie nationale. Mais d’après moi, ce n’est valable que si cela va de pair avec la socialisation des banques, avec une réforme fiscale favorable à ceux d’en bas, avec une solution radicale à la dette. Sinon on aura une sortie de droite à la zone euro. C’est bien pourquoi une partie de l’extrême droite soutient de façon souverainiste cette sortie. Il faut l’éviter. Il faut une sortie progressiste, favorable au peuple. Pour retrouver le contrôle de sa propre monnaie, pour mener une politique monétaire favorable au marché local, notamment aux producteurs locaux, il ne faut pas avoir comme objectif de vendre à l’extérieur, mais bien de se baser sur les forces productives du pays pour répondre aux besoins de la population et ainsi diminuer les importations et donc les besoins en devises fortes.