www.initiative-communiste.fr publie, pour information et réflexion, cet appel angoissé de M. Guillou, membre de la Francophonie. Par-delà les solutions proposées pour relancer la langue française et la Francophonie, qu’il appartient à chacun de discuter, ce texte met en lumière ce que le PRCF ne cesse de dénoncer : la politique linguistique inavouée de l’oligarchie française, de l’UMP à la gauche « bobo » qui vise à marginaliser le français, non seulement dans le monde mais en France même, au profit du tout-anglais dans le cadre de la mise en place du projet impérialiste et ultracapitaliste d’ « Union transatlantique »…
Michel Guillou est Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, Président du Réseau international des Chaires Senghor de la Francophonie et Directeur de l’Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND) – Université Jean Moulin Lyon 3
Francophonie et langue française entre nouvel élan et mort programmée
Comme francophone et comme Français, je ne peux taire mon inquiétude quant à l’avenir de la langue française et de la Francophonie. Toutes deux perdent du terrain.
Cette évolution est catastrophique pour la France en termes de puissance, d’influence et d’existence en tant que Nation. Il faut dénoncer la position suicidaire des décideurs français qui mettent au placard la langue française et la Francophonie considérées comme démodées. Cette élite milite pour une langue mondiale unique : l’anglais.
La France n’a pas d’ambition francophone que l’on se tourne à droite ou à gauche de l’échiquier politique. Ailleurs, la situation n’est pas plus brillante. En conséquence, le lien francophone est en train de se distendre. Il menace de se rompre.
Un décrochage est en cours enlevant toute crédibilité à l’argument démographique qui fait état de quelque 700 millions d’africains parlant français en 2050. Les Africains, en effet, se posent la question de la pertinence de leur choix en accusant la colonisation de leur avoir fait parler une langue qui ne leur semble plus utile pour réussir. L’abandon fait son nid dans la conscience collective.
Comment pourrait-il en être autrement alors qu’en France, on pratique ostensiblement l’« anglo-french speaking». Ceux qui pensent autrement sont marqués au fer rouge. Le débat sur la Loi Fioraso au printemps dernier témoigne de l’ampleur de la dérive. Le bon sens est balayé. C’est ainsi que la France crée une université française au Vietnam en langue anglaise ! On attribue largement les difficultés françaises à l’exportation à une insuffisance de l’anglais alors que de plus en plus de jeunes Français vont travailler en anglais à l’étranger. On confond ouverture avec soumission sociétale. Ce qui est en cause, c’est le maintien à la table de notre vision humaniste et républicaine du monde forgée par le peuple au cours des siècles.
Par ailleurs, j’ai la conviction que pour faire l’Europe tout en gardant son âme et son influence, la France ne peut faire l’impasse sur sa langue et la Francophonie. Et pour montrer que celles-ci s’inscrivent dans la modernité, un débat d’idées s’impose : il faut d’abord faire une relecture du discours classique de l’attractivité francophone associée à une langue, à une culture, à des valeurs, à un sentiment de solidarité, à un potentiel économique et à des actions de coopération. Mais là n’est pas l’essentiel.
Aujourd’hui, la Francophonie tient sa modernité avant tout de celle des grandes aires linguistiques organisées. Ce sont les nouveaux pôles d’influence de la mondialisation multipolaire. C’est là que se trouve la clé de son attractivité et de son rôle. Elle est de plus, la plus avancée, la mieux organisée, en quelque sorte pilote. S’y ajoutent les valeurs qu’elle porte.
Quant à la langue française, sa modernité vient surtout du combat gagné des langues contre la langue unique. Langue de partage en contact avec de nombreuses langues partenaires, elle a vocation à devenir le fer de lance du pluriel linguistique. La donne linguistique change, le multilinguisme s’installe avec la montée en puissance de langues de pays émergents tel le chinois et des langues-monde comme l’espagnol ; on le voit aussi avec le développement des pédagogies convergentes pour les langues nationales. Reste à savoir si le français victime d’un suicide impulsé par les Français, restera une langue internationale.
Le pourquoi posé, parlons du comment continuer en français. Pour y parvenir, les incontournables de l’action à mener sont connus : impliquer la jeunesse, mettre l’économie au centre du projet francophone, promouvoir l’enseignement du et en français, mobiliser la francophonie de proximité, renforcer la francophonie médiatique, créer du vivre et de l’agir ensemble. Un dernier point : il faut faciliter la mobilité des personnes pour qu’étudiants, scientifiques, artistes, chefs d’entreprises puissent aller et venir, et pour ce faire, mettre en place un visa francophone.
Mais en préalable, il faut un déclencheur politique. L’approche du XVème Sommet de la Francophonie qui se tiendra à Dakar en novembre prochain fournit une fenêtre de tir. Voici quelques éléments d’un signal fort pour un nouvel élan.
En France : une intervention au « 20 heures » du Président de la République expliquant le pourquoi de l’engagement de la France pour sa langue et la Francophonie ; la fin de l’hypocrisie quant à l’emploi du français par les Représentants de la France dans les organisations internationales ; une politique éducative débouchant sur un plurilinguisme réel.
En Francophonie : affirmer l’utilité de la Francophonie et décider, parallèlement à l’élargissement, un resserrement de la Francophonie sur un noyau de « pays vraiment francophones car leur alliance est nécessaire sur la nouvelle carte des espaces géoculturels et linguistiques » ; créer un « Airbus francophone pour l’enseignement du et en français » et se doter d’un grand programme de mobilité pour la jeunesse.
L’actuel Secrétaire général de la Francophonie, le Président Abdou Diouf, a fait un immense travail. Le pari d’une vraie organisation internationale francophone a été gagné. Aux Politiques maintenant, de dire ce qu’ils veulent. Mais sans changement de cap, le pire arrivera : une mort douce mais programmée.