À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Lénine, par Gyula Thürmer, président du Parti ouvrier hongrois.
Traduction de cette tribune exclusive partagée par les camarades hongrois auprès de la commission internationale du PRCF à l’occasion du 150e anniversaire de Lénine.
Il y a 150 ans, le 22 avril 1870, naissait Vladimir Ilitch Lénine. Nous honorons la mémoire de cette personnalité exceptionnelle du mouvement ouvrier russe et international, du fondateur du mouvement communiste russe, du dirigeant de la révolution de 1917, du Premier ministre de la Russie soviétique. L’homme qui a changé le XXe siècle.
Lénine est l’ennemi du capitalisme
Pendant les décennies du socialisme, tout le monde pouvait lire les œuvres de Lénine, son héritage était enseigné dans les écoles. Il y avait des monuments de Lénine dans presque toutes les villes, de nombreuses rues portaient son nom. Des générations ont grandi avec ses idées.
Lors de la transition du socialisme au capitalisme en 1989-1990, ses statues ont été déboulonnées, ses rues ont été rebaptisées. Ces 30 dernières années, pas un seul livre de Lénine n’a été publié, on ne trouve même pas les anciennes éditions dans les librairies d’occasion.
Dans les pays les plus civilisés du monde capitaliste, Marx est respecté ou du moins toléré en tant que philosophe, économiste qui a découvert le mécanisme du capitalisme. Dans notre région, dans les anciens pays socialistes, Marx est également sur liste noire.
Mais Lénine est particulièrement détesté par tous les capitalistes. Ce n’est pas un hasard ! Lénine a été le premier à réaliser le rêve centenaire des travailleurs, il a vaincu le capital, renversé la loi du profit. Il a réalisé les idées de Marx et d’Engels, il a créé un socialisme viable.
Lénine est également inacceptable pour la social-démocratie. Lénine a combattu le capital, tandis que les socio-démocrates — des mencheviks aux socialistes d’aujourd’hui — non seulement n’ont pas affronté le capital, mais ils sont devenus les exécutants du capitalisme. Lénine a prôné le socialisme, la domination des travailleurs, tandis que les socio-démocrates croient en la forme la plus pure du capitalisme. La seule différence entre eux et les autres forces capitalistes est qu’ils cachent leurs intentions derrière des slogans retentissants, à la mode aujourd’hui, tels que « le socialisme démocratique » ou « l’Europe sociale ».
Le but du monde capitaliste est de salir Lénine, de faire disparaître son héritage, d’effacer ses enseignements. Lénine a donné une arme intellectuelle aux masses ouvrières, il leur a enseigné comment organiser un parti, comment mener la révolution à la victoire et comment diriger l’État des ouvriers et des paysans. Cet enseignement menace la vie même du capital, c’est pourquoi il le pourchasse et veut extirper son existence jusqu’à la racine.
Lénine et nous
Il y a trente ans, en Hongrie, c’est le Parti ouvrier qui a repris l’héritage intellectuel de Lénine. Ce ne fut pas une décision facile, tant du point de vue national qu’international.
Nous avons dû affronter nos prédécesseurs et repenser plusieurs doctrines de l’époque socialiste. Pendant les décennies de socialisme, les partis au pouvoir ont construit des monuments à Lénine, ils ont fait de lui une personnalité légendaire, voire mystique du mouvement, mais en même temps ils s’éloignaient de plus en plus des idées du Lénine vivant et combattant.
La persécution des idées de Lénine n’a pas commencé pendant la période du changement de régime. Dès 1956, le Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), lors de son célèbre 20e congrès, a pris des décisions qui s’écartaient de l’interprétation de Lénine sur des questions fondamentales. Les vues du PCUS ont malheureusement été adoptées aussi par le Parti socialiste des travailleurs hongrois (HSWP).
Depuis lors, il a été prouvé plus d’une fois que les vues de Lénine étaient justes. Il n’est pas possible de créer le socialisme par la voie parlementaire, car les capitalistes ne le permettraient jamais.
Une coopération stratégique avec les socio-démocrates n’est pas possible, car il est désormais prouvé qu’ils sont sans équivoque du côté du capital, bien qu’ils tentent en permanence de tromper les masses laborieuses.
La coexistence pacifique ne signifie pas que nous devons abdiquer devant le capital, sur la base de projets tels que « les valeurs communes de l’humanité », « la sécurité et la coopération européennes » ou « la maison Europe ». La coexistence pacifique ne peut pas remplacer l’objectif de la révolution mondiale, la victoire du socialisme dans le monde entier.
Les partis des anciens pays socialistes, dont le HSWP, n’ont jamais rompu formellement avec Lénine, ils ont fait accepter leur politique en se parant du nom de Lénine, en reprenant ses phrases. En même temps, ils ont considéré comme dogmatique l’adhésion conséquente aux idées de Lénine. Dans la vie intellectuelle de ces partis et même dans leurs décisions politiques, le rôle des forces petites-bourgeoises opportunistes, celles qui s’efforcent d’une manière ou d’une autre de trouver un accord avec le capital, s’est accru.
Au cours des dernières décennies du socialisme, Lénine est devenu un fardeau pour ceux qui trouvaient le socialisme insuffisant et qui commençaient déjà à flirter avec le capitalisme.
Ils pensaient qu’en abandonnant les idées de Lénine, ils pourraient obtenir leur ticket d’entrée dans le capitalisme. Les monuments, les peintures, apparemment rien n’avait changé, mais le contenu véritable, l’essence, avait disparu. L’État socialiste a progressivement abandonné la lutte contre le capital, et un pouvoir qui avait abandonné ses idéaux était facile à renverser.
Les partis communistes qui renaissent dans les anciens pays socialistes n’ont pas la tâche facile. Ce n’est pas à un Lénine imaginaire et mythique que nous devons revenir, mais au révolutionnaire, au penseur, au pionnier. Nous ne pouvons pas renier la voie socialiste, nous devons même la protéger contre les attaques anticommunistes des capitalistes. Mais nous devons être capables d’élaborer le programme d’un nouveau socialisme. C’est aussi notre devoir, la mission du Parti ouvrier hongrois.
Plusieurs partis du mouvement ouvrier international, en particulier les partis « eurocommunistes » d’Europe occidentale, se sont éloignés de Lénine et des idées de 1917 dès la deuxième partie de la dernière décennie. Ils ont supprimé de leurs programmes tout ce que Lénine disait sur les devoirs des partis ouvriers, le pouvoir des travailleurs et même sur la lutte des classes contre le capital. L’effondrement du socialisme en Europe de l’Est a intensifié le chaos intellectuel et de nombreux partis ont vu l’occasion d’y échapper en reniant Lénine.
Ces dernières décennies, les anciens partis « eurocommunistes », avec le soutien du capital, ont créé leur organisation euro-conforme, la Gauche européenne. Leur objectif est clair : avec leurs slogans faussement de gauche, ils veulent gagner la confiance de ceux qui ne croient plus ni aux conservateurs, ni aux libéraux, ni aux socio-démocrates. Ils veulent éloigner ces électeurs des partis communistes qui luttent de manière conséquente contre le capital, travaillant ainsi à la possibilité d’une révolution socialiste en Europe.
D’autres partis tiennent à Lénine, mais ils ont oublié le plus important. Le marxisme est une doctrine vivante qui se développe au cours de l’histoire. Nous ne deviendrons pas plus forts en transformant les thèses de Lénine en dogmes. La compréhension dogmatique du marxisme a contribué à l’isolement de ces partis dans de nombreux pays.
Heureusement, de nombreux partis du mouvement ouvrier ne se sont pas contentés de s’accrocher aux idées marxistes-léninistes, mais ont compris que l’ensemble des idées de Lénine est une boussole entre nos mains et que nous devons trouver et emprunter nous-mêmes de nouvelles voies. Nous devons rester fidèles aux principes de base du marxisme-léninisme, mais nous devons être intellectuellement ouverts à tout ce qui est nouveau.
Défendre les idées de Lénine n’a pas été facile en Hongrie non plus. Sous le socialisme, nous n’avons appris qu’une version simplifiée de beaucoup de choses. Et lorsque nous devions mettre en œuvre les idées de Lénine de manière créative dans une nouvelle situation, nous nous heurtions souvent à des obstacles, voire à des échecs.
Avec le temps, cependant, beaucoup ont oublié ce qu’on leur a enseigné. Le Parti ouvrier hongrois a beaucoup fait pour donner de nouvelles connaissances à ses membres, pour les encourager à apprendre, mais sans argent et sans motivation suffisante, c’est une tâche très difficile qui a peu de résultats.
Les générations actuelles subissent un lavage de cerveau par les écoles et les médias capitalistes. Ceux-ci réécrivent et falsifient l’histoire. Heureusement, malgré cela, il y a des jeunes qui s’intéressent aux idées du socialisme et du Parti ouvrier hongrois. Leurs sympathies pour le socialisme ont surtout une base émotionnelle. Nous devons tourner leurs opinions vers l’engagement idéologique. Entre autres en les formant intelligemment aux idées de Lénine.
Il y a trente ans, le Parti ouvrier hongrois a décidé de repenser l’histoire centenaire du mouvement ouvrier hongrois et international dans l’esprit du marxisme-léninisme. Nous essayons de le débarrasser des scories inutiles, de la libérer de la mystification. Nous avons décidé de tirer les leçons des expériences de notre passé.
Nous avons décidé d’être plus ouverts à de nouvelles idées, comme Lénine l’était aussi en son temps. Nous nous appuierons sur la réalité plutôt que sur des illusions, comme l’a fait Lénine.
Nous avons décidé de protéger les idées marxistes-léninistes dans le mouvement ouvrier international également. Nous n’abandonnons pas la lutte contre le capital. Nous croyons en la puissance de la coopération internationale des masses ouvrières. Nous croyons et savons que l’avenir doit être le socialisme.
Sommes-nous marxistes ?
L’œuvre de Lénine est grandiose, elle va de la lutte contre le capitalisme, de la prise du pouvoir par le prolétariat à l’organisation de l’État socialiste. Ne laissez pas les livres de Lénine se couvrir de poussière sur les étagères des sièges du parti ! Lisons, apprenons, comprenons et appliquons Lénine !
Nous devons mettre en évidence les éléments les plus importants du riche héritage de Lénine sur lequel nous pouvons encore construire aujourd’hui. Pour commencer, définissons-nous ! Si nous ne savons pas qui nous sommes, nous ne saurons pas dans quelle direction aller.
Lénine a fait son entrée sur la scène politique à la fin XIXe et au début du XXe siècles. À une époque où des changements importants avaient lieu dans le monde. Le capitalisme du XIXe siècle, dans lequel Marx avait vécu, appartenait déjà au passé. Le monde était gouverné par des monopoles, nous entrions dans l’ère de l’impérialisme.
Lénine a dû faire face à la question suivante : le marxisme, produit de la pensée européenne occidentale du XIXe siècle, peut-il être appliqué au XXe siècle ? Peut-il être mis en œuvre dans la Russie sous-développée et plus généralement en Europe de l’Est ?
La réponse de Lénine est : oui, le marxisme peut être mis en œuvre, car ses fondements sont valables indépendamment du temps et de l’espace. La réussite historique de Lénine est qu’il a protégé le marxisme et prouvé sa validité au XXe siècle.
Les marxistes sont ceux qui pensent que l’origine du monde est matérielle. Comme le monde n’est pas déterminé par des dieux et d’autres facteurs externes, il peut être changé.
Les marxistes sont ceux qui reconnaissent que dans le capitalisme, l’ouvrier produit de la plus-value et que le capitaliste l’exproprie. Donc en d’autres termes, le capitaliste devient plus riche par ce qu’il prend à l’ouvrier.
Les marxistes sont ceux qui reconnaissent l’existence des classes sociales et la lutte qui les oppose, qui reconnaissent que la classe ouvrière ne peut réaliser ses intérêts fondamentaux qu’en vainquant les capitalistes et en créant le socialisme.
Aujourd’hui, nous sommes aussi confrontés à une question très similaire. Pouvons-nous être marxistes au XXIe siècle, à l’ère des technologies de l’information et des sociétés transnationales ? Nous devons répondre à cette question.
Notre réponse est : oui ! L’ère de l’information transforme le monde, mais ne change pas l’essence du capitalisme. Comme l’essence du capitalisme n’est pas changée, l’essence du mouvement ouvrier ne l’est pas non plus — c’est la lutte contre le capitalisme, contre le règne de l’argent. Lénine a défendu le marxisme au XXe siècle. Au XXIe siècle, c’est notre devoir grandiose et commun.
Le marxisme change-t-il ?
Lénine soulève également une autre question, celle de savoir si le marxisme peut être modifié en fonction du temps. La réponse de Lénine est oui ! Le marxisme n’est pas un dogme, ni un ensemble de règles éternelles, mais une nouvelle façon de penser. De nouvelles questions nécessitent de nouvelles réponses, mais conformément aux fondements du marxisme. Lénine est celui qui a modifié l’enseignement de Marx sur un certain nombre de questions. Il se rend compte qu’au XXe siècle, le capitalisme dépasse les cadres nationaux, les monopoles prennent la place des entreprises traditionnelles, la nouvelle étape du capitalisme, l’impérialisme, est créée. Il souligne que dans cette situation, les différences entre le développement de certains pays capitalistes peuvent être importantes. Comme le capitalisme se développe démesurément, les conditions de la révolution socialiste peuvent apparaître plus rapidement dans certains pays que dans d’autres.
Marx et Engels pensaient que le socialisme triompherait dans les pays développés et de façon simultanée. Lénine démontre que le socialisme triomphera là où le capitalisme est le plus faible. Nous ne devons ni ne devrions attendre que la situation se développe dans d’autres pays. Là où les conditions des révolutions socialistes sont données, la révolution doit être accomplie.
La thèse de Lénine selon laquelle la chaîne du capitalisme se rompra à son maillon le plus faible représentait un tournant fondamental. Cela a permis au mouvement ouvrier russe de choisir sa propre direction, de mener une révolution socialiste et de construire le socialisme dans un seul pays
Dans quelle direction se développe le capitalisme d’aujourd’hui ? À quel moment, dans quel pays, la crise du capitalisme — dont nous avons toutes les raisons de parler — se transforme-t-elle en une situation révolutionnaire ? Voici les questions actuelles auxquelles nous devons trouver une réponse.
Le mouvement ouvrier est plus organisé dans les pays occidentaux développés que dans la partie orientale de l’Europe. Le handicap du mouvement ouvrier occidental est que, d’une part, il n’a aucune expérience du socialisme, aucun repère. D’autre part, dans ces pays, le capital a plus d’expérience dans la manipulation des travailleurs et plus d’argent pour empêcher que la révolution socialiste apporte un niveau de vie plus élevé.
Ces dernières années, une nouvelle arme est apparue dans leur arsenal. Ils utilisent la migration pour diviser la classe ouvrière des principaux pays capitalistes, dans le but de saper sa lutte anticapitaliste.
La partie orientale de l’Europe est plus pauvre que sa partie occidentale et cela restera ainsi pendant un certain temps. Le capital occidental exploite cette situation. Les pays de cette région sont pour la plupart membres de l’OTAN et de l’UE. Une révolution socialiste est-elle possible dans ces conditions ?
La lutte des classes contre le capital est encore faible dans les pays d’Europe centrale et orientale. Mais la situation est en train de changer. Aujourd’hui, l’ordre capitaliste n’est menacé nulle part dans la région, mais le système peut changer radicalement si une guerre éclate, si l’UE s’effondre ou si une autre vague d’immigration arrive.
Les peuples de cette partie de l’Europe ont vécu sous le socialisme, ils savent à quoi cela ressemblait. De plus en plus de gens se rendent compte que le capitalisme a changé leur vie, mais qu’il a aussi détruit beaucoup de choses : la sécurité, la stabilité et la solidarité sociale. De plus, le capitalisme — et cela ne vaut pas seulement pour les anciens pays socialistes — détruit les valeurs humaines communes.
Ce n’est pas un hasard si c’est dans ces pays que les forces capitalistes font les plus gros efforts pour manipuler les masses. Elles protègent la stabilité des économies en appliquant les méthodes du capitalisme d’État et empêchent la crise capitaliste de générer des conflits sociaux incontrôlables. Tout cela combiné aux outils idéologiques que sont le nationalisme, la religion et l’anticommunisme.
C’est là aussi que l’attaque du libéralisme est la plus forte. Ses promoteurs promettent des « valeurs européennes », le « salaire minimum européen », ils mettent en garde contre le fascisme pour susciter à la peur et détourner l’attention des masses ouvrières de la lutte contre le capital.
Nous ne savons pas quand le capitalisme chancellera dans notre région. Mais nous savons qu’il peut vaciller. Nous savons que nous devons nous préparer, notre parti et les travailleurs, à la possibilité d’un changement.
La voie vers le pouvoir
Aujourd’hui, la révolution socialiste n’est nulle part à l’ordre du jour, mais la situation peut rapidement changer. Que faut-il faire jusque-là, comment peut-on lutter dans le contexte de la démocratie bourgeoise ?
Les systèmes électoraux actuels donnent l’impression qu’il y a une compétition démocratique entre les partis et que le vainqueur est celui qui peut le mieux convaincre le peuple. Lénine dit autre chose : « La démocratie dite moderne […] n’est rien d’autre que la liberté de prêcher tout ce que la bourgeoisie a intérêt à prêcher. »
Le but des institutions de la démocratie bourgeoise, du système électoral et des médias n’est pas d’aider les opposants au capital à accéder au pouvoir. Leur but est d’empêcher les forces anticapitalistes de l’atteindre et, en même temps, de maintenir la concurrence des forces pro-capitalistes dans un cadre qui assure la stabilité du système capitaliste.
Cela signifie que la lutte contre le capital ne peut se centrer uniquement sur le combat électoral, même s’il est couronné de succès. Le Parti ouvrier hongrois n’a jamais été un parti parlementaire, mais nous avions des représentants dans de nombreux conseils de comté, de ville et de district dans les années 1990. Nous avons perdu ces postes. Non seulement parce que le capitalisme hongrois s’est stabilisé et que la structure de la société hongroise a changé. Mais aussi parce que nous n’avions aucune expérience de la démocratie bourgeoise. Beaucoup de nos députés ne défendaient pas les théories politiques du Parti ouvrier, les avis et les intérêts des travailleurs qui les avaient élus, mais rejoignaient les combats des partis bourgeois. En de nombreux endroits, ils se sont rangés, à tort, du côté du Parti socialiste hongrois (MSZP). Et en même temps, ils ont oublié la lutte dans les rues, la lutte idéologique et le combat pour la jeunesse.
Nous connaissions l’avertissement de Lénine : « Réduire la lutte de classes à la lutte parlementaire […] c’est déserter et se ranger du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat. » Nous le savions mais nous ne l’avons pas pris au sérieux ou nous n’avons pas pu le mettre en œuvre.
La démocratie bourgeoise signifie la dictature, la domination de la classe capitaliste sur les masses ouvrières. Cette dictature règne en Hongrie depuis trente ans. Ce n’est pas un gouvernement capitaliste ou un autre qui nous a ôté la liberté de la presse, c’est le capitalisme. Ce n’est pas un groupe ou un autre qui nous empêche d’entrer au Parlement, parce qu’aucun d’eux n’est intéressé par notre entrée.
Aujourd’hui quand les forces de gauche protestent contre la « dictature », elles ne se battent pas pour que les travailleurs prennent le pouvoir. Elles veulent obtenir plus d’influence et plus d’argent de la part des autres groupes de la classe capitaliste. Remplacer un gouvernement capitaliste par un autre n’apporte pas la démocratie aux masses ouvrières, mais place un autre groupe capitaliste au pouvoir.
Les médias sont un instrument important, mais les masses doivent prendre conscience de la nécessité du changement. Le chemin va des luttes sur le lieu de travail aux partis communistes en passant par les syndicats. En Hongrie, où seulement 9% à 10% des salariés sont syndiqués, où il n’y a pas de grèves ni de manifestations importantes, il y a énormément à faire.
Conformément aux enseignements de Lénine, le Parti ouvrier participe aux élections. Il n’entre pas au Parlement, mais le peuple apprend à connaître sa politique. Comme l’écrit Lénine : « Le parti du prolétariat révolutionnaire doit participer aux parlements bourgeois afin d’éclairer les masses ; cela peut se faire lors des élections et dans la lutte entre partis au parlement. » C’est ce que nous faisons.
La lutte parlementaire, l’entrée au Parlement n’est pas un but pour nous, mais seulement un outil. Un de nos outils dans la lutte contre le capital. Nous nous présentons aux élections, nous avons des représentants dans certains conseils locaux, mais en même temps nous sommes présents dans la lutte dans la rue avec nos stands. Nous sommes engagés dans la bataille idéologique avec l’hebdomadaire de notre parti (A Szabadság) et nos moyens sur Internet. Nous devons construire le parti en sachant que la situation peut rapidement changer et que quelque chose qui est un programme lointain pour le moment peut devenir notre devoir militant.
Nous avons également peu d’expérience dans ce domaine. En 1990, les chauffeurs de taxi ont bloqué Budapest pour protester contre l’augmentation du prix de l’essence. Le jeune capitalisme hongrois a vacillé, mais n’est pas tombé. En partie parce que nous n’avons pas non plus pu nous joindre à ce mouvement de masse. Nous n’avions pas l’expérience nécessaire. Pour soutenir des luttes sociales, nous devons les connaître de l’intérieur. Et ce qui n’est pas moins important : nous devons faire la distinction entre le véritable mécontentement social et les actions provoquées par les partis bourgeois. Nous devons soutenir les premières et dénoncer les secondes.
Qu’est-ce vraiment que le socialisme ?
La tentation est toujours grande de dresser un tableau détaillé du socialisme idéal pour nous. Nous devons aussi apprendre de Lénine dans ce domaine. Il y a un moment opportun où nous pouvons et devons faire les choses. Bien sûr, Lénine a rédigé ce que signifie le socialisme longtemps avant 1917, en quoi il est différent du capitalisme et comment le capitalisme peut être renversé.
Son ouvrage, L’État et la révolution, qui explique les devoirs de l’État socialiste, n’a été écrit qu’à l’été 1917, peu avant la victoire de la Révolution d’octobre. C’était le moment où c’était nécessaire et où il a été en mesure de voir quels étaient ses devoirs réels. Beaucoup de choses que nous connaissons sur le socialisme, où il analyse et généralise les expériences du parti et des masses ouvrières, ont été écrites par Lénine après la révolution et non avant,.
Nous avons maintenant de nombreuses expériences du socialisme. Nous savons déjà comment le système socialiste a été instauré après 1945, comment il a fonctionné et comment il a été renversé. Parmi les nombreuses expériences, les plus connues sont celles de l’Union soviétique. Les expériences des autres pays socialistes retiennent moins l’attention — même s’il y a eu la Yougoslavie, la RDA, la République populaire hongroise —, elles étaient similaires à bien des égards, mais pas identiques.
Lénine n’a jamais dit que le socialisme devait être identique partout. Il n’en a rédigé que les caractéristiques fondamentales. C’est aussi notre devoir aujourd’hui, complété par les expériences que Lénine n’a pas pu avoir.
Le pouvoir doit être aux mains de la classe ouvrière, des classes laborieuses. Là où ce n’est pas le cas, il n’y a pas de socialisme. Le capital, pour maintenir son pouvoir, peut se limiter et donner de nombreuses prestations sociales aux masses. La Suède avait un meilleur système social que beaucoup d’anciens pays socialistes, mais ce n’était pas le socialisme. Dans la Hongrie d’aujourd’hui, les libéraux attaquent le gouvernement conservateur en prétendant qu’il mène le pays vers le « socialisme » en fournissant les prestations sociales. Mais ce n’est pas le cas !
L’explication de Lénine est claire : « Le prolétariat ne peut pas renverser la bourgeoisie sans d’abord gagner le pouvoir politique, sans atteindre la suprématie politique, sans transformer l’État en « prolétariat organisé en classe dirigeante ». » Après la victoire de la révolution socialiste, la classe ouvrière exerce son pouvoir par l’intermédiaire de l’État des ouvriers et des paysans, la dictature du prolétariat. Lénine la considère comme fondamentale. Il souligne que quiconque n’étend pas la reconnaissance de la lutte des classes à la reconnaissance de la dictature du prolétariat n’est tout simplement pas marxiste.
La propriété doit être détenue par la société. C’est à ce moment-là que nous pouvons parler de socialisme. Cela vient du fait que nous sommes marxistes. En tant que marxistes, nous croyons ce que Marx et Engels ont dit : « Les communistes mettent en avant, comme question principale, la question de la propriété, quel que soit son degré de développement à l’époque. »
Lénine pense que le socialisme ne peut finalement vaincre le capitalisme que lorsque son travail peut assurer une plus grande productivité. Lénine dit : « Nous obtiendrons la victoire du travail communiste. » C’est l’un des points les plus importants que nous oublions souvent.
Le socialisme peut atteindre assez facilement des résultats dans la distribution. Au début de la révolution socialiste, il suffit de prendre aux capitalistes pour donner au peuple. Mais ensuite, les usines qui sont la propriété de la société, devraient atteindre une plus grande productivité. L’organisation plus efficace du travail est une tâche historique qui n’a pas réussi partout.
La « Nouvelle politique économique » (NEP) est un élément important des enseignements de Lénine. Selon lui, la NEP signifie que le parti communiste — en tant que détenteur du pouvoir d’État et du droit de décider sur les principales questions économiques — permet le fonctionnement et la prospérité de la propriété privée capitaliste et la mise en œuvre de certains éléments des règles du marché.
« On l’a appelée Nouvelle politique économique parce qu’elle a reculé sur certaines choses. Nous nous retirons maintenant, nous revenons en arrière, pour ainsi dire ; mais nous le faisons afin de prendre un nouveau départ après avoir d’abord battu en retraite et faire un plus grand bond en avant », écrit Lénine après l’introduction de la NEP.
Avec le recul, ce n’est pas la NEP elle-même qui est intéressante, mais le fait que plus tard, la NEP est devenue le point de départ des réformes des pays socialistes européens. Bien sûr, le monde capitaliste a fait l’éloge de ces réformes parce que chaque pas qui nous éloignait du socialisme était dans l’intérêt du capital. Nous savons aussi que souvent, dans les pays socialistes — y compris la Hongrie — ce sont les intellectuels de gauche et la tendance pragmatique du gouvernement qui ont soutenu les réformes. Tout cela est vrai. Mais du point de vue de l’avenir, il est utile d’examiner chaque expérience qui visait à vaincre le capitalisme dans le domaine de la productivité du travail.
Si nous parlons du socialisme, nous ne pouvons pas ignorer les expériences des pays où il a survécu après 1990. Il est vrai qu’en Chine, au Vietnam, au Laos, à Cuba et en Corée, la lutte pour la révolution socialiste était liée à la lutte pour l’indépendance nationale et que cela leur a donné un pouvoir que les systèmes d’Europe de l’Est n’avaient pas. Nous devons le constater, mais il y a plus.
Nous devons voir que ces pays ont pris des mesures pour relancer leur économie en fonction de leur situation propre afin de vaincre le capitalisme dans le domaine économique. Nous devons aussi voir que ces pays ont créé leur propre système politique, mais n’ont pas remis en question le rôle dirigeant du parti. Nous devons voir que ces pays fonctionnent.
Avec Lénine, nous disons : « Une des conditions nécessaires pour préparer le prolétariat à sa victoire est une lutte longue, obstinée et impitoyable contre l’opportunisme, le réformisme, le social-chauvinisme et les influences et tendances bourgeoises similaires, qui sont inévitables, puisque le prolétariat agit dans un environnement capitaliste. » Nous nous en tenons à nos principes marxistes, c’est pourquoi nous voyons le monde en partant de cette base.
Mais avec Lénine, nous pensons aussi que le monde ne peut être jugé qu’à partir des faits, que nos politiques doivent être construites sur des faits. Nous devons être ouverts à la nouveauté, nous devons donner de nouvelles réponses à de nouvelles questions. Le marxisme est notre boussole, l’expérience centenaire du mouvement communiste est notre trésor commun que nous devons utiliser, et nous devons aussi y contribuer selon nos capacités.
traduction DG pour www.initiative-communiste.fr