Qu’a apporté l’Union Européenne aux travailleurs ? dumping social, délocalisation, privatisation, désindustrialisation, concurrence et dumping fiscal… Cela les travailleurs le savent et en vivent les horreurs chaque jours. Les cheminots et électriciens gaziers, les postiers en lutte actuellement peuvent en témoigner. Pire l’Union Européenne dépense argent et énergie pour pousser en avant la mise au pas des syndicats et ainsi briser la solidarité internationale entre travailleurs. De fait, l’organe financé par la commission européenne la Confédération Européenne des Syndicats – qui est obligé de part les lois de l’Union Européenne de défendre la « construction européenne » toujours plus resserrée – est elle totalement silencieuse quand le gouvernement de Tsipras en Grèce interdit le droit de grève. Silence également lorsque les travailleurs de Belgique, d’Italie, ou de France défendent leurs codes du travail contre les lois transcrivant les ordres de Bruxelles (Loi Peteers, Jobs Act de Renzi ou loi Macron et ordonnances loi travail). Silence également en ce moment sur la lutte historique engagée par les cheminots en France.
Les travailleurs européens trahis
Par Andrew Spannaus – Le 12 avril 2018 – Source ConsortiumNews
Contrairement aux États-Unis, l’Europe a des syndicats puissants et influents; pourtant, ils n’ont pas pu, ou pas voulu, stopper les politiques basées sur l’austérité réclamées par les institutions européennes, explique Andrew Spannaus.
Les cheminots font grève dans toute la France, immobilisant jusqu’à 80% des TGV ces derniers jours. Dans un grand pays européen qui dépend du rail pour une grande partie de ses transports, les protestations provoquent le chaos, comme on pouvait s’y attendre, puisque les syndicats bandent leurs muscles pour montrer qu’ils sont encore une force avec laquelle il faut compter.
Le 10 avril, les travailleurs des aéroports allemands sont aussi entrés en grève, ce qui a provoqué l’annulation de plus de 800 vols de la compagnie aérienne nationale, Lufthansa. Le différend porte dans ce cas sur une augmentation de salaire pour quelque 2.3 millions d’employés du secteur public, qui ont vu leurs revenus stagner malgré la croissance économique générale dans le pays.
De telles actions de protestation ne sont pas rares en Europe et elles sont en effet acceptées comme une réalité dans de nombreux pays. Le taux de syndicalisation varie beaucoup sur le continent, de moins de 10% en France – malgré des grèves efficaces – jusqu’à environ 70% dans les pays scandinaves comme la Suède et le Danemark. Pourtant, même si le nombre de leurs membres est modestes, les syndicats jouent souvent un rôle central dans les négociations collectives et ils sont soucieux de montrer qu’ils sont toujours pertinents dans un monde qui a beaucoup changé ces 35 dernières années, en raison de la dérégulation et de la mondialisation.
Le poids des travailleurs organisés diminue cependant en Europe, ce qui n’est pas surprenant. L’un des principes centraux de la politique économique suivie par l’Union européenne est la « flexibilité » du marché du travail, une partie de la philosophie néolibérale globale, qui voit toute restriction ou réglementation du travail et du capital comme étouffant les profits et la libre entreprise.
Faciliter les licenciements
Depuis les années 1990 en particulier, on a vu un effort concerté pour affaiblir les protections des travailleurs, avec l’argument que c’est la seule façon d’attirer les capitaux et de provoquer une nouvelle vague de croissance économique. L’UE insiste en permanence sur la nécessité de « réformes structurelles », qui doivent permettre d’« éliminer les limitations à la création d’emplois et à la participation au marché du travail ». Cela passe généralement par des licenciements facilités, ce qui permettra théoriquement aux entreprises d’embaucher de nouveaux travailleurs si nécessaire, sans craindre de charge financière permanente à l’avenir.
La réglementation du travail est en effet rigide dans de nombreux pays européens. Ce n’est pourtant pas un secret que pour les travailleurs qui traversent une crise économique, de telles réformes peuvent sembler une voie à sens unique vers une baisse de leur niveau de vie, précisément au mauvais moment.
La pression législative pour une plus grande flexibilité du marché du travail en Europe s’est souvent accompagnée d’un dénigrement public des syndicats et de toute forme de régulation des services publics.
Défendre les emplois est considéré comme égoïste. Par exemple, lorsque des travailleurs âgés cherchent des protections pour éviter de se retrouver eux-mêmes sans emploi lorsqu’ils auront 50 ou 60 ans, ou obtiennent des aides de l’État au travers de divers types d’amortisseurs sociaux, il s’ensuit inévitablement un débat sur la manière dont les membres plus âgés d’une société volent les jeunes. Dans une situation où les ressources seraient limitées, la classe dominante et les médias à leur service dressent une génération contre l’autre.
L’une des principales accusations contre les syndicats est qu’ils ne pensent qu’à eux, pas aux besoins de la société dans son ensemble. Pourtant les travailleurs constituent la majorité de la société. Ce n’est clairement pas dans leur intérêt de se soumettre à la demande de l’establishment néolibéral d’accepter une « réalité nouvelle » et d’adhérer à la mondialisation.
Ces dernières décennies, les travailleurs organisés en Europe ont généralement échoué à travailler efficacement pour le bien commun. Ce n’est pas que les syndicats n’ont pas défendu les droits des travailleurs face à l’évolution du marché du travail ; mais ils se sont plutôt concentrés sur des objectifs étroits, échouant à contrer les politiques économiques de l’Union européenne elle-même, qui ont un effet primordial sur les décisions politiques.
La question qui domine aujourd’hui dans l’UE est celle des effets économiques et sociaux des politiques monétaristes et basées sur l’austérité émanant de Bruxelles et Francfort. Ces politiques ont provoqué une réaction généralisée contre les institutions gouvernementales. Cela s’exprime par la montée des partis politiques dits populistes et anti-système.
Les syndicats : une partie du problème
Il est légitime de se demander où étaient les grands syndicats lorsque la Troïka – l’alliance formelle de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international – imposait une austérité massive à des pays comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie.
Qu’ont fait les syndicats pour stopper la construction d’une UE fondée sur des principes néolibéraux, qui a conduit à un chômage élevé et à des conditions de travail précaires, tout en garantissant des renflouements illimités au secteur financier ? Les syndicats européens ont parcouru un long chemin depuis l’âge d’or de leur action militante et des grèves générales de la première moitié du XXe siècle.
Il y a eu beaucoup de manifestations et de grèves au fil du temps, mais si nous prenons un peu de recul par rapport aux batailles isolées, nous voyons qu’elles n’ont pas été menées au plus haut niveau. C’est dû au fait que beaucoup de grands syndicats ont pour l’essentiel été cooptés par la classe dominante ces 25 dernières années. Au lieu de la combattre, les syndicats ont participé à la construction de politiques économiques diamétralement opposées aux intérêts de la plupart des travailleurs.
L’UE a formellement adopté le mantra néolibéral selon lequel toute intervention étatique dans l’économie est négative, et que la « flexibilité » et l’attraction des investissements financiers sont les seules voies de la croissance. Il y a évidemment des exceptions, mais l’idéologie est claire et elle est utilisée comme arme chaque fois qu’un État membre tente de réagir à une crise avec des outils comme l’investissement public ou une meilleure régulation. Ces outils ont été qualifiés de contraires au principe fondamental de la « concurrence ».
La trahison de Maastricht
On a promis aux travailleurs européens une protection de leurs intérêts dans la perspective de l’intégration formelle du marché européen. Par exemple, Jacques Delors, alors président de la Commission des Communautés européennes, photographié ci-dessus en train de s’adresser au Congrès des syndicats britanniques à Bournemouth en1988, a promis qu’un marché européen intégré développerait les « régions arriérées de la communauté », « restructurerait les régions industrielles en déclin », « combattrait le chômage de longue durée », « créerait des emplois pour les jeunes » et protégerait le filet de sécurité sociale.
« Il serait inacceptable pour l’Europe de devenir une source de régression sociale, alors que nous essayons de redécouvrir ensemble la voie de la prospérité et de l’emploi », a déclaré Delors. Et les syndicats ont gobé. « Il y a une seule partie de cartes, et elle se joue dans une ville appelée Bruxelles », a affirmé Ron Todd, alors secrétaire général du Syndicat général des transports britannique.
Mais le traité de Maastricht de 1992 a trahi ces promesses, se durcissant progressivement au fil des années avec la portée croissante de la législation de l’UE, qui a fini par s’accompagner des sévères coupes budgétaires et des augmentations d’impôts exigées pendant la crise de l’Euro qui a frappé de nombreux pays à partir de 2009-2010.
À cause d’un manque de « confiance du marché » dans la dette souveraine de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie et d’autres encore, la Troïka a exigé des coupes dans les salaires, les retraites, la santé et de nombreux autres services publics. Ces mesures ont honoré les marchés financiers, ce qui a fait encore empirer les choses. Elles ont agi comme un frein à l’activité économique et donc encore aggravé la crise budgétaire.
Le résultat, même lorsqu’une reprise s’est finalement manifestée, a été le chômage de longue durée, une explosion du pourcentage des emplois temporaires et précaires, l’exact opposé de ce que Delors avait promis.
Mais comme cela profite à leurs intérêts et pas à ceux des travailleurs, les responsables de la Troïka persistent à promouvoir la même formule. Il y a quelques jours, par exemple, David Lipton du FMI a dit aux Espagnols que c’est grâce à la « modération salariale » et à la « flexibilité » que les emplois reviennent en Espagne.
Mais comme les problèmes persistent, « il faut toujours une plus grande flexibilité sur les marchés du travail pour créer un nouveau moteur de croissance », a-t-il demandé. En clair, le message est que travailler pour moins d’argent et avec moins de protections est la seule manière d’espérer obtenir un emploi.
Un discours vibrant
Le 6 avril, j’ai assisté à la réunion d’un syndicat à Milan pour entendre une conférence de Giorgio Cremaschi, ancien dirigeant national du syndicat de la métallurgie, la FIOM, qui est affiliée à une des plus grandes organisations ouvrières d’Italie, la CGIL.
Cremaschi a tenu un discours vibrant aux membres locaux de l’USB (Syndicat de base) sur les politiques désastreuses impulsées par l’UE, qui ont fait passer les règles budgétaires avant le bien-être des humains. Cremaschi a relevé que c’en est au point où les droits sociaux de base ancrés dans la Constitution italienne sont maintenant relégués au second plan avec le dernier ajout à la loi constitutionnelle du pays, l’exigence d’un budget équilibré.
Le problème débattu à la réunion de l’USB était que les plus grands syndicats en Italie ont toujours refusé de s’opposer aux politiques néolibérales de l’UE. Ils ne se sont opposés à aucun des traités européens adoptés ces 25 dernières années, par exemple, qui ont progressivement retiré le pouvoir de décision des gouvernements nationaux pour le mettre dans les mains d’une bureaucratie supranationale qui répond généralement aux besoins d’un système dominé par la finance spéculative.
Les remarques les plus acérées de Cremaschi ne visaient cependant pas les institutions de Bruxelles ou les banquiers de Wall Street ; il a carrément attribué la responsabilité de l’imposition de ce qu’il appelle le « fascisme » contre les familles ouvrières à la classe politique en Italie et aux grands syndicats eux-mêmes.
Cremaschi a critiqué les dirigeants centristes pour accepter le récit selon lequel la mondialisation, avec ses effets négatifs sur les familles ouvrières, est un processus objectif et inévitable. La vérité, a-t-il dit, est qu’une série de décisions ont été prises pour imposer une idéologie du libre marché qui a profité à quelques-uns en appauvrissant le plus grand nombre. Sa conclusion était que le vrai changement ne peut venir que de l’opposition à l’instrument utilisé pour contraindre à accepter ces politiques, l’Union européenne.
Cremaschi et l’USB abordent ces questions à partir d’un point de vue de gauche, mais les mêmes arguments de base sont largement utilisés par les groupes de droite qui ont émergé lors des élections dans toute l’Europe l’an dernier. Les politiques économiques de l’UE représentent l’ennemi commun pour ces syndicats et partis politiques anti-système et, de leur point de vue, le mouvement syndical est tout aussi coupable que la Troïka pour les difficultés économiques que rencontrent les classes moyennes et dominées en Europe.
traduction depuis l’anglais par DG pour www.initiative-communiste.fr
Andrew Spannaus est un journaliste et un analyste stratégique de Milan, en Italie. Malgré une tentative d’une année pour l’exclure à cause de son indépendance, il a été élu président de l’Association de la presse étrangère de Milan en mars 2018. Il a publié le livre Perché vince Trump (Pourquoi Trump gagne – Juin 2016) et La rivolta degli elettori (La révolte des électeurs – Juillet 2017).