Dans une Lettre ouverte, l’ex-présidente du parlement grec, Zoe Konstantopoulou, s’adresse au cinéaste Costa-Gavras qui vient de sortir un film, « Conversation entre adultes », adaptation du livre de propagande de l’ex-ministre des finances pro euro Yanis Varoufakis. Une lettre ouverte qui répond à la nécessité de rétablir quelques vérités par rapport aux nombreuses libertés prise par l’économiste et son relais cinématographique pour réécrire l’histoire de l’étranglement par l’UE et l’Euro de la Grèce.
Cet étranglement est intervenu contre la volonté du peuple grec clairement exprimée dans les urnes lors d’un referendum rejetant le memorandum d’austérité. Sur lequel Tsipras, Syriza et Varoufakis se sont assis de façon tout à fait antidémocratique, en petits soldats obéissant de l’Union Européenne.
Rester dans l’euro et subir l’euro-austérité, ou refuser l’euro-austérité et sortir de l’euro, les grecs ont alors décidé de dire refuser à l’euro-austérité. Mais Tsipras, Varoufakis, le PGE et compagnie avaient d’avance décreté de faire primer l’euro et l’Union Européenne du Capital contre les intérêts des travailleurs.
Comme toujours, et parce que comme le soulignait le président de l’Union Européenne Juncker « il n’y a pas de choix démocratique contre les traités européens », avec l’active complicité de ceux qui, comme Varoufakis, entre leur pays et l’euro, entre les travailleurs et l’union européenne, choisissent l’Euro et l’UE, l’Union Européenne a poursuivi sa mise en coupe réglée de la Grèce. Car c’est la fonction essentielle pour laquelle a été créé l’Union Européenne. Empêcher que les travailleurs puissent, en faisant usage de leur pouvoir de peuple souverain et de leurs droits démocratiques, s’opposer à la dictature des multinationales, aux pillages des richesses, à l’exploitation toujours plus violente de la classe des travailleurs.
Cette histoire, évidemment, Varoufakis, la sociale démocratie et ses relais veulent absolument la faire oublier. Mais à l’image de Zoe Konstantopoulou, à l’image des communistes grecs, nous sommes de nombreux témoins de ce qui s’est passé.
Lettre ouverte à Costa-Gavras
Cher Monsieur Gavras,
Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire de vive voix fin mai 2015 à Paris, j’apprécie et je respecte votre travail et votre contribution. C’est pourquoi, en juin 2015, en tant que Présidente du Parlement grec, je vous avais demandé de soutenir le rapport de la Commission d’audit du Parlement pour la vérité sur la dette grecque. À l’époque, vous m’aviez demandé de vous envoyer le rapport et quelques jours plus tard vous aviez été un de ses premiers signataires. C’est-à-dire que vous aviez soutenu le travail scientifique officiel de juristes, économistes et experts de renommée internationale, qui ont travaillé bénévolement pendant des mois et qui ont analysé les raisons pour lesquelles la prétendue dette publique du pays est illégale et ne devrait pas être payée par le peuple grec.
Au travers de cette lettre ouverte, je voudrais que mes doutes soient rendus publics.
Vous avez choisi de réaliser un film en référence à une période extrêmement importante de l’histoire récente de notre peuple et de notre pays. Une période que certains d’entre nous ont vécue depuis nos positions à responsabilité et que tout notre peuple a vécue de la manière la plus intense qu’il soit. Et vous l’avez fait en adoptant intégralement la version et le récit (véritablement le scénario) d’un homme qui a joué un rôle déterminant à cette période. Cet homme qui se comportait au moins de manière irresponsable et inconsciente dans la gestion de la négociation, la traitant comme une affaire personnelle, suivant une stratégie et des tactiques personnelles, négociant sans conseillers juridiques et sapant de sérieuses opportunités pour notre pays (qui existent toujours), en créant des chaînes et en attachant la Grèce au char du Troisième mémorandum, avant même d’avoir finalisé son premier mois au ministère des Finances.
Les créanciers se sont comportés de manière criminelle, impitoyable, qui rappelle un coup d’État. C’est un fait. Malheureusement, le gouvernement grec et ceux qui avaient la responsabilité des négociations (avec les créanciers) leur ont facilité la tâche
J’ai vécu ces événements critiques et cela m’a conduite à des conclusions qui, du moins selon moi, sont assez claires sur le rôle que chacun des protagonistes de l’histoire a eu. En effet, depuis la place que j’ai occupée, j’ai pu avoir une connaissance directe et sûre de ce qu’il s’est passé. Et sans demander que vous adoptiez ma propre position et lecture des événements, je m’interroge sur le fait que vous n’avez pas tenté de contre-interroger les événements de cette période. Votre film ne porte pas sur un pays fictif, mais sur des événements historiques qui ont marqué la Grèce et les Grecs et sur le rôle joué par ceux qui ont géré le sort de ce pays.
Une lecture de l’histoire montrant ce qui s’est passé en 2015 comme le résultat unique du comportement extrême des créanciers et qui montre que le gouvernement grec était incapable de se défendre et de réclamer ses droits est une fausse lecture. Les créanciers se sont comportés de manière criminelle, impitoyable, qui rappelle un coup d’État. C’est un fait. Malheureusement, le gouvernement grec et ceux qui avaient la responsabilité des négociations (avec les créanciers) leur ont facilité la tâche. Ils ne s’étaient pas préparés, leur travail était brouillon et superficiel. Et si certaines personnes pensent qu’elles ont capitulé parce qu’elles n’étaient pas préparées,ma conviction, basée sur les faits que j’ai vécus, est qu’elles ont choisi de ne pas se préparer car elles avaient accepté de capituler. Cela a été très clairement confirmé quand elles ont choisi de ne pas utiliser le travail qui était fait au Parlement à cette époque et les outils de négociation spécifiques produits par ce travail.
Dans le cadre des négociations de 2015, le gouvernement Tsipras, contrairement à ses engagements, n’a jamais soulevé la question de l’annulation de la dette, n’a pas non plus remis en question son remboursement, mais au contraire l’a accepté avec l’accord du 20 février signé par M. Varoufakis avant que ne commence les travaux du Parlement. Avec ce même accord, le gouvernement grec a cédé 11 milliards d’euros aux créanciers, ce qui était contraire à ses engagements et son programme. En réponse à mes réactions sur cet accord, Tsipras et Varoufakis ont fait semblant de ne pas comprendre. Ils n’ont pas suspendu le remboursement de la dette ni au commencement des travaux de la Commission d’audit du Parlement pour la vérité sur la dette grecque, bien qu’ils s’étaient engagés à le faire. Ils n’ont pas non plus utilisé le rapport de la Commission d’audit, ni au moment le plus crucial des soi-disant négociations au mois de juin.
Lorsque le Parlement a approuvé le référendum, M. Varoufakis a tenté de l’inverser en déclarant que « si la proposition des créanciers change, la question changera et le gouvernement fera campagne pour le Oui », en même temps que M. Dragasakis [1] disait que le referendum pouvait ne pas avoir lieu. J’ai dû faire une déclaration publique depuis le Parlement, selon laquelle le référendum n’était pas annulé et que la question n’était pas modifiée, pour faire cesser ces déclarations.
Il est maintenant clair que Tsipras et Varoufakis pensaient que le peuple grec voterait « Oui » lors du référendum, et envisageaient d’utiliser ce « Oui » comme alibi. C’est pour cette raison que Varoufakis a démissionné le 6 juillet 2015, peu de temps après le Non du référendum, et qu’il a ensuite facilité la trahison du Non : il n’a pas justifié sa démission, il a envoyé une lettre de soutien à son successeur Tsakalotos, et sa procuration pour l’accord à venir du 13 juillet – le 3e mémorandum, il a voté en faveur des conditions préalables à l’application du 3e mémorandum, notamment la réforme du Code de procédure civile, qui permettait de faciliter la saisie des avoirs des citoyens par les banques en faillite. Tout cela a été fait par choix et non par manque de choix.
Il est maintenant clair que Tsipras et Varoufakis pensaient que le peuple grec voterait « Oui » lors du référendum, et envisageaient d’utiliser ce « Oui » comme alibi
Je considère que c’était une erreur de choisir de baser votre film, qui traite d’événements historiques d’une telle importance, uniquement sur le récit d’un homme, alors qu’il est clair qu’il s’est préoccupé de manière très systématique à l’écriture d’un scénario centré sur son propre personnage héroïque, qu’il ne s’est pas préoccupé à ce point, autant qu’il aurait dû, de soutenir notre pays et notre peuple, et qu’il continue de ne pas vouloir donner d’explications sérieuses sur de nombreux événements et sur ses propres actions.
Bien sûr, en tant qu’artiste et même en tant que Costas Gavras, vous avez la liberté et le droit de créer comme vous le voulez et ce que vous voulez. Mais je ne pense pas que vous ayez le droit de présenter unilatéralement, en adoptant le point de vue d’un des responsables et d’une des personnes impliquées, des événements historiques d’une telle importance.
D’après le scénario de M. Varoufakis et de M. Tsipras, il n’aurait pas pu en être autrement pour la Grèce.
Moi je sais qu’il aurait pu et qu’il peut en être autrement.
Et la responsabilité de ceux qui n’ont pas voulu faire ce qu’il fallait et ce qu’ils s’étaient engagés à faire, ne diminue pas par l’effacement de la douleur de ceux qui ont fait face.
Leur responsabilité n’est pas diminuée, même avec votre film.
Respectueusement,
Zoé Konstantopoulou
Ancienne Présidente du Parlement
Source : https://www.freedomtv.gr/post.php?p=225
Traduction : CADTM
Notes :
[1] Dragasakis alors vice-premier ministre du gouvernement Tsipras.
Zoe Konstantopoulou
avocate et femme politique grecque. Ex-députée du parti de la gauche radicale Syriza, qui a gagné les élections législatives du 25 janvier 2015 en Grèce, a été la plus jeune présidente de la Vouli (Parlement grec), de janvier à octobre 2015, et la deuxième femme seulement à exercer cette fonction. Dès son élection elle mandata, en avril 2015, un audit de la dette publique grecque avec la formation de la Commission pour la vérité sur la dette publique. Zoé Konstantopoulou s’est opposée à la trahison du résultat du référendum du 5 juillet 2015 par le gouvernement d’Alexis Tsipras. En 2016, elle a fondé une nouvelle organisation politique appelée Trajet de Liberté.